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U E x o rde relatif à l'auditoire ou à la perfonne
des juges intéreffe leur vanité , leur g lo ir e , leur
honneur;-On rappelle , dit Cicéron, ce qu'ils ont
fait de courageux, de fa g e , d'humain, de généreux
; & , en obfervant que dans l ’éloge la com-
plaifauce & l ’adulâtion ne fe faffent pas trop
ientir , on témoigne pour eux autant d’eftime personnelle
, que de confiance en leurs jugements
& de refpeéf pour leur autorité. « Si nous parlons ,
» ajoute Quintilien, pour des perfonnes confidé-
» râbles j nous félons valoir la dignité du juge ;
» p o u r des gens obfcurs, fa juftice; pour des mal-
» héureux , fa compaflîon ; pour des opprimés,
» fa févéricé envers les opprefîeurs ». I l veut aufli
4ju'on lui préfente, - foit- comme un frein foit
comme un a ig u illo n , l'opinion commune, l'attente
du Public , la réputation de fes jugements ,
l'on honneur comme" Cicéron aux chevaliers romains
, dans la première des Verrines : Quod erat
optandum m axim è, Judices , & quod unum ad
invidiam v eft ri ordinis infamiamque ju d ic io -
jrum fedandam maximè pertinebat ; id , non
humano co n filio , f e d propè divinitàs datum
atque oblatum ypbis:, fummo reipublicoe tempore ,
■ viaetur. I l veut que Ton expoie le tort qu’on a
louffert ou que Io n fouffriroit, & l ’état déplorable
où l ’on feroit réduit, en perdant un procès fi
ju fte; l ’orgueil & l ’infolence de la partie adverfe,
f i e lle venoit a gagner le lien.
Dans ces préceptes, l ’orateur & .le rhéteur n’ont
VU ÿ i e ^ ome’ ^ a*s Ie caractère de Y E x o r d e , &
de PÉloquence en g énéral, change félon les. lie u x ,
& les temps , & les moeurs. A Rome, i l y auroit
eu de l ’imprudence & du danger à cenfurer fon
auditoire. I l .n’en étoit pas de même, - a Athènes ;
& Démofthène , dans le p e u . à’E xord e s qu’i l a
mis à la tête des Philippiques & des Olinehiennes,
ne fait rien moins afïurément que flatter les athéniens
: jamais un ami courageux n’a parlé à fon
am i avec plus de franchife.
L Exo rd e tiré-du' fond même de la caufe, dit
'Cicé ron, en doit relever l ’importance & l ’équité ,
en même temps qu’i l dégradera la caufe de l ’ad-
verfaire , & qu’i l l ’annoncera comme injufte ou
comme odieufe. Nous captiverons l ’attention ,
a jou te -t -il, en promettant de dire des chofes' nouvelle
s & grandes -, qui intéreffent l ’auditoire , ou '
des hommes recommandables, ou l ’humanité, ou
la religion j & ces moyens , i l le s ‘employa lu i-
meme plus d’une fois à l ’exemple de Démofthène ,
comme lorfqu i l voulut relever l’ importance de
la guerre contre Mithridate. « I l s’a g it1, d it- il, dé
» la g loire du peuple romain , de cetté gloire
» que vos aïeux vous ont tranfmife . .%. I l s’agit
■ » du falut de vos alliés & de vos amis . . . . .°IÏ
» s agit des - revenus du peuple romain ' les -plus
» folides, les plus confidérabïes, & fans lefquels
» la paix feroit privée de fes : ornements , & la
» guerre de fes fubfides. I l s-agit de la fortune
® d’un grand nombre de citoyens, au fecours defquels
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» vous devez aller pour l ’amour d’eux - mêmes 8c
» furtout pour l ’amour de la république ».
Mais revenons à fes préceptes.
Lorfque la caufe eft' défavorable , furtout lo r f
qu’elle a quelque chofe d’odieux & de révoltant ,
linfînuation eft néceffaire; & i l y a , dit Cicéron,
plufîeurs manières d’en ufer : ou en mettant d la
place de la perfonne contre laquelle l ’auditoire
eft aigri une perfonne qui l ’intéreffe , le père , par
exemple , a la place du fils ; ou en fubfticuant a
une chofe odieufe une chofe recommandable ,
comme feroit une aétion vertueufe du même homme
que l ’on défend ; &c. Pour donner le change a
1 auditeur & pour faire paffer fon ame de l ’objet
qui la bleffe a l ’objet qui peut l ’adoucir, cachez-
lui d’abord, .s’i l eft p o flib le, ce que vous avez
deffein de lui perfiiader , dit l ’orateur : paroiflèz
donner dans fon fens, en annonçant que ce qui
excite fon indignation excite aulfi la vôtre; que
ce qui lu i paroît injufte & odieux, vous le tenez
pour tel ; & après l ’avoir apaifé , après l’avoir
rendu attentif & docile , démontrez-lui que dans
votre caufe i l n’y a rien de tout cela. Affin ez
pourtant--que vous n’imputez rien de femblable a
vos adverfaires ; évitez furtout de bleffer des gens
a qui l ’on s’intéreffe : mais ne laiffez pas d employer
tout Votre art à diminuer leur crédit.
Cicéron , ‘qui étoit jeune encore lorfqu’i l re-
cueilloit ces préceptes, femble avoir oublié ic i
qu’i l ne s’agit que de Y . E x o r d e où tout cet
artifice ne fauroit avoir lie u ; 8c lorfqu’i l l ’emplo
y a lui-même avec une adreffe inimitable, ce
ne fut pas dans le début , mais dans, le fort d e là
difcuffion, comme pour Muréna, lorfqu’i l s’agif*
foit d’infirmer l ’autorité dé Caton, c’ eft à dire , au
moment critique & décifif de fa défenfe. C ’eft la
qu’i l faut étudier l ’a r t, fi on veut favoir jufqu’où
i l peut aller. Voye-[ Insinuation.
I l peut arriver que l ’adverfaire ait donné prife
au ridicule , ou que l ’auditoire ait befoin d’être
délaflé ; & dans ces deux cas, les anciens fe per-
mettoient de débuter par un bon mo t , par une
raillerie , ou par quelque récit plaifant ou merveilleux.
Nam ut tibi fatietas & faftidium , aut
amarâ aliquâ re relevatur, aut dulci mitigatur;
f i e animus defejjus audiendo, aut admiratione
reintegratur , aut rifu renovatur. D e inv. rhet.
Mais ces moyens ne peuvent guères convenir
qu’à l ’Éloquence populaire ; & Cicéron, qui quelquefois
s’eft permis la raillerie dans les harangues,
ne la iffe pas de demander que Y E xord e foit grave
& fentencieux. Tout doit y a vo ir , le plus qu’i l eft
poflible , un caractère de dignité ; parce qu’i l
importe fur toute chofe à l’orateur de commencer
par fe rendre impofant. Mais en même temps que
l ’Éloquence de - Y E xord e doit être noble , e lle
doit être fimple ; peu d’éclat & peu d’ornements,
nulle parure étudiée : tout cela feroit foupçonner
un artifice trop foigneufement prép aré; &• ce.
foupçon feroit perdr.e beaucoup à l ’orateur de font.
autorité, & au difeours de l ’air de bonne foi qui
fèul gagne la confiance.
Pour la riiême raifon , i l eft rare que la vehe-
mence y foit placée. Nequeeft dubium quin Exor-
î dium dicehdi vehemens & p u g n a x non foepe ejfe
[ debeat. D e O r. L II. I l faut pour cela que l ’im-
î patience & l ’indignation femblent avoir fait violence
au caractère de l ’orateur. Alors meme i l eft
? encore . mieux qu’i l paroiffe fe contenir ; que la
; chaleur & l ’énergie foient dans les paroles plus
que dans la prononciation; & je préfume, par
f exemple, que ce début tant dè fois cite^, Quo-\
ufque tandem abutêre, Catilina, p a tien tiâ n o firâ ,
fut prononcé plus tôt avec- laufterite dun ju g e ,
qu’avec l ’emportement d’un accufateur indigné.
' Enfin l ’on doit fe fouvenir que Y Exo rd e ne
fait qu’ introduire, annoncer , promettre ; & que ce
■ n’eft Te lieu de d éploy er, ni les forces du raisonnement,
ni les reflorts du pathétique, ni les
| voiles de l ’Éloquence., Tantum impelli primo
'' judicem leviter, ut jam inclinato reliqua incum-
l bat oratio. D e Or. /. II. Quintilien avertit fage-
j ment, de n’y hazarder aucune de ces expreffions
hardies qui échapent dans dès mouvements impétueux
; parce que la chaleur qui les infpire &
qui les fait paffer , n’eft pas encore dans les
yefprits.
Un archite&e eft maladroit , lorfqu’i l épuife
f ie s richelfes de fon art à décorer un veftibule. Un
f orateur doit ménager celles du fien aufli bien-
que fes forces , & former fon plan de manière
que l ’étonnement, l ’intérêt, l ’émotion, la per-
• fuafion aillent en croiifant : Nihil eft in naturâ
frerum omnium quod fe univerfum profundat, &
■ quod totum repenti evolet. Sic omnia quoe fiunt
î queeque aguntur acerrimè, lenioribus principiis na-
\ tura ipfaprcetexuit. De Or. I. il.
Un bel Exorde même feroit un beau défaut,
fi par fon éclat i l offùfquoit le refte du difeours ,
.s’i l en épuifoit la fubftance , ou f i, par des pro-
meffes trop exagérées , i l prenoit des engagements
au deffus des forces de l ’orateur : car i l faut bien
qu il fe Souvienne qu’i l doit pouvoir tenir ce qu’i l
promet; & que , s’i l ne paffe l’attente de laudi-
: toire, au moins doit - i l être en état de la remplir.
IL’Exorde eft comme. le front de l ’armée : i l
| doit être ferme ; mais i l faut réferver pour la
! péroraifon ce qu’i l y aN de meilleur : Firmiffimum
fit quodque primum; ea quoe excellent fervemur
ad perorandum. Si quoe erunt mediocria , in me-
diam turbam atque in gregem conjiciantur. De
O r . I. il.
y L e s . autres défauts de Y Exorde feroient d’être -vulgaire , commun , commuable , inutile , trop
long f hors-d oeuvre , déplacé,Jens. ou à contre-
Cicéron entend par vulgaire un Exorde qui
peut s accommoder à plufieurs caufes indifféremment.
Quintilien le permet, je ne fais pourquoi ; mars
Cicéron l ’exclut & le rejette.
I l appelle commun celui qui conviendroit tout
aufli bien à la caufe de l ’adverfaire ; i l l ’ interdit
de meme , & veut un Exorde propre à la caufe : Principia autem dicendi femper, quum accurata, v&e raocuta , & inftrucla fentendis, apta verbis; tum propria ejfe debent. Ibid. '
Par commuable i l entend celui qui peut fe rétorquer
avec de légers changements ; par inutile celui
qui ne fait rien a la caufe & qui n’eft qu’un prélude
oifeux : Atque ejufmodi ilia prolufio débet ejfe, non ut famnitum qui vibrant haftas ante pu-
gnam quibus in pugnando nihil utuntur ; fed
puot jijpinfits.fententüs quibus p/oluferunt, vel pugnare D e O r . L u .
Un Exorde long eft celui qui contient plus de
penfees & de paroles qu’i l ne faiioit ; hors-d'oeuvre,
celui qui n’eft pas tiré-du fond de l ’affaire 8c qui
femble y etre ajouté; déplacé, celui qui ne va pas
au but que 1 orateur a du fe propofer ; à contre-
fe n s, celui qui va contre l ’intérêt de la caufe 8c
1 intention de l ’orateur. T e l feroit, ce me femble , 1 Exorde où l ’orateur allègue ro it, comme le veut
Qu in tilien , qu’i l ne fe feroit engagé à défendre une
caufe que pour fatisfaire aux devoirs de la parenté
ou de Vamitié : car dès ce moment i l fe
rendroit fufpeôt de pa rtialité, i& donnefoit mauvaife
opinion de fa caufe. Céfar fut plus adroit, en par-
lant. pour Catilina : Qmnes homines qui de rebus
dubiis confultant , dit-il au Sén at, ab odio, daemceict.itia, ira , atque mifericordiâ vacuos efle Saluft. M
I l efl vrai cependant que lorfque l ’orateur fe voie
chargé d’une caufe odieufe au premier a fpeft, & qu’i l
s agit pour lu i d’ être odieux lu i - m ême, ou de
paroître o b lig é , par état ou par devoir , de l a
défendre ; i l doit courir au plus preffé & commencer
par apaifer l ’indignation de l ’auditoire.
Mais ce qui ne peut avoir d’exeufe , c’eft cec
Exorde d’Ifocrate, dans la harangue o ù , fefant
l ’éloge d’Athènes, i l l ’èlevoit au deffus de Sparte,
& dans laquelle i l débutoit ainfi : Puifque le
difeours \ a naturellement la vertu de rendre les
grandes chofes petites, & les petites grandes ;
qu i.1 fa it donner les grâces delà nouveauté aux
chofes les plus vieilles, & qu’ il fa i t paroître
vieilles celles qui' font nouvellement fa ite s , &c.
quoi de plus maladroit que d’annoncer comme
une charlatanerie l ’art qu’on va foi-même employer?
«Eft-ce ainfi, dira quelqu’un, ô Ifocrate ,
» que vous a lle z changer toutes chofes à l ’égard
»d Athènes & de Lacédémone » ? ( Longin, du Subi. )
L a Plaidoierie moderne donne rarement lieu a
1 appareil de la- haute Éloquence : les caufès polit
iq u e s , les caufes. criminelles , font écartées du
Barreau ; mais i l ne laifle pas d’y en avoir encore
d’affez importantes pour mériter qu’on y employa
tous les moyens de l ’art. U n fils qui plaide
contre fon père , une femme contre fon mari, une