L a délicatefle eft la F inejje du fend ment, qui
ne réfléchit point ; c’eft une perception vive & rapide
de ce qui intérefle Taine.
H a lo me Galataapetit, lafciva puella,
Ht fugït ad falices, & fe cupit ante videri.
Si la délicatefle eft jointe à beaucoup de fenfibilité,
elle reflemhle encore plus à la fagaci.é qu'à' la Fi-
La fugacité diffère de la F in e jje , ï°; en ce qu’elle
eft dans le tad de Tefprit, comme Ta délicatefle
eft dans le tad de l ’ame ; i° . en ce que la Fineffe
cft mperficieiLe , & la fagacité pénétrante : ce n’eft
point une pénétration progreffive , mais foudaine ,,
qui franchit le milieu des idées & touche au but
dès le premier pas. C ’eft le coup d’oeil du grand
Coudé. Bofluet l ’appelle illumination ; elle ref-
lemble en effet à 1 illumination dans les grandes
choies.
La rufe fe diftingue de la F in e jje , en ce qu’elle
emploie la faufleté. La rufe exige la F in e jje ,
pour s’enveloper plus adroitement, & pour rendre
plus fubtils les pièges de l’artifice & du menfonge.
L a Finejje ne ferc quelquefois qu’à découvrir & à
rompre ces pièges ; car-la rufe eft toujours offen-
live, & la Finejje .peut ne pas l’être. U n honnête
homme peut être f i n , mais il ne peut être rufé.
Cependant, i l eft fi facile & fi dangereux de paffer
de l’un à l’autre, que peu d’honnêtes gens fe piquent
d’être f in s : le bon homme & le grand homme ont
cela de commun , qu’ils ne peuvent fe réfoudre à
l’être.
L ’aftuce eft une Finejje - pratique dans le mal,
mais en petit ; c’eft la Finejje qui nuit ou qui
veut nuire. Dans l ’aftuce , la Finejje eft jointe à la
méchanceté , comme à la faufleté dans la rufe. Ce
mot, qui n’eft plus d’ufàge que dans le familier, a
pourtant la nuance 5 il meriteroit d’êtré confervé.
3 L a perfidie fuppofe plus que de la Finejje ;
c eft une faufleté noire & profonde, qui emploie des
moyens plus puiflants, qui meut des reflorts plus
caçhes que 1 aftuce & la rufe. Celles-ci , pour être
dirigées , n’ont befoin que de la F inejje , & la F i nejje
fuffit pour leur échaper ; mais pour obferver Sç déroafquer la perfidie, il faut la pénétration même.
L a perfidie eft un abus de la confiance, fondée fur
des garants inviolables, tels que l ’humanité, la
bonne foi , la fainteté des lo is , la reconnoiflance,
1 amitié , les droits du fang, &c ; plus ces droits
font fàcrés, plus la confiance eft tranquile , & plus
par conféquent la perfidie eft à couvert. On fe
defie moins d’un concitoyen que d’un étranger, d’un
ami que d’un concitoyen , &c : ainfi, par degrés ,
la perfidie eft plus atroce, à mefure que la confiance
violée étoit mieux établie.
Nous obfervons ces fynonymes , moins pour
prévenir l ’abus des termes dans la langue , que pour
fàiie fentir l’abus des idées dans les moeurs: car il
n’eft pas fans exemple qu’un perfide, qui a furpris ou
. arraché un fecret pour le trahir , s’aplaudifle d’avoir
• été f in .
( ^ O n ap pelleFinejjes d’une langue, fes élégances
les plus exquifes , fes nuances les plus délicates ,
? les tours, les e llip fe s , les licences qui lui font
; propres, les tons variés dont elle eft fufeeptible,
• les caraéleres qu’elle donne à la pen fée , par le
choix , le . m élangé, l ’aflortiment des 'mots. Paft-
I c a l, L a Bruyère, Ra cine, L a Fontaine, Madame
: de Sévigné, ont connu les F in e jje s 1 de notre lan-
• gué. -
O n dit danfcle même fens les Finejjes du fty le ,
du langage d’un écrivain. Les Finejjes du ftyle
de L a Fontaine fe cachent fous l ’air du naturel le
plus naïf. Les Finejjes du langage de Racine n’onj
jamais rien de maniéré ni d’aftedé : c’eft la grâce
unie a la noblefle ; c’eft la plus élégante facilité , la
hardiefle même en eft fage ; rien n’y décèle l ’a r t ,
rien n’y marque l’effort.
Dans une phrafe particulière , la F inejje eft tantôt
ce lle de lap en fe è , tantôt ce lle de l ’expreflion, quelquefois
de Tune & de l ’autre.
L a Bruyère a dit : Umdulgence pour f o i & la
dureté pour le s autres n’eft qu’un f e u l & même,
vit J l i a dit : Une femme oublie , d ’un homme
qu’elle a a im é , juj,'qu’ a u x fa v eu r s qu’ i l en a reçues
» L à , l ’expremon n’a rien que de fimple* la
F inejje eft dans le coup d’oeil. Mais lorfqu’i l a dit :
I l n y a p o in t de vice qui n’ ait une fa u jje ref-
femblance avec quelque vertu, <5* qui ne s ’ en aide;
ce dernier tra it, jeté légèrement, ajoute la Finejje
de l'expremon à la Finejje de la penfée. Il en eft
de même de cette différence fi finement faifie & fi
finement exprimée : L ’ on confie fo n fecret dans
l ’am itié , mais i l échape dans Vamour. '
Fontenelle difoit d’une v ieille femme qui avoic
encore de la grâce & de la fenfibilité : On voit
que l amour a p a ffé p a r là. Ce mot fimple, a
p a ffé p a r l à , rend la Finejje de perception plus
piquante en la dégüifànt ; car le talent d’un efprit
f in , c’eft de perfuader qu’i l ne tend pas à l ’être ; &
cet artifice eft au comble , quand la Finejje a l ’air
de la naïveté, comme dans la réponfe de cette
fécondé femme à qui fon mari fefoit fans çefle l ’élo g e
de la première : H é la s , M on jieu r , qui la regrette
p lu s que moi ?
O n v o it , par cet exemple, que la Finejje n’eft
quelquefois que dans l ’expreflion. On peut le voir
encore dans ce mot à la fois, fi f in & fi n a ïf d’un
homme q u i , accoutumé à ne rien croire de ce que
difoit un menteur de profeffion, vouloit parier quun
récit qu’i l lui entendoit faire n’étoit pas véritable.
« N e pariez point , lui dit quelqu’un tout bas ; c e
» qu’i l vous dit eft vrai » : S i cela eft v r a i, pourquoi
le d i t - i l ? répondit le parieur avec impatience.
I l y a des mots naïfs auxquels pour être f in s i l
n’a manqué que l ’intention. T e l eft celui de cette-
femme à qui Ton demandoit des nouvelles de fa
petite fille , qui avoit la fièvre : La'pauvre enfant a déraifonne toute la nuit comme une grande
perfoime. T e l eft celui de ce mourant, à qui fon
Confefleur , jéfuite , crioit : « Mon frè re, en arri-
» vant en paradis , vous direz à S. Ignace que fon
» ordre profpère » : S i f e l ’y t r o u v e je le lu i dirai,
répondit le mourant.
L a Fineffe doit fe trahir & fe laifler apercevoir
fous l ’air de la fimplicité , comme dans ce mot de
Piron à un évêque, qui lui demandoit s’i l avoit
lu ion mandement. N o n , Monfeigneur ; & vous ?
E t f u g i t , comme G a la té e , & J e cupit ante ve-
deri.
Souvent e lle confifte à fe ménager le faux-fuyant
d’une équivoque , dont Tun des deux feiiseft maL
Hn, & l’autre -fimple & innocent. Une duchefle ,
en paflant a Bordeaux, y trouva les femmes dé
Robe un peu trop fières : « Monfieur, dit-elle au
» prëfident de G a fq u e , vos femmes font l e s ‘du-
p chefles » : M ad am e , lui répondit le préfident ,
elles ne fo n t p a s affe^ impertinentes pour cela.
L a malice & l ’adulation fe donnent également
•1 air de* fimplicité , pour reprendre ou flatter avec
plus de Finejje. Un homme de- Cour offroit fa
protection à un gentilhomme de province : Je l ’ accepte
, M o iifieu r , lui dit le gentilhomme ,* les
p e tits préfents entretiennent l ’ amitié\ Louis X IV
fefant obferver fur la carte à Tun de fes courtifans
quel petit efpace la France occupoit dans le monde :
y valaient, Sire , lui dit le couitifan, tant vaut
l homme , tant vaut f a terre.
C ’eft eette application détournée & ingénieufe
.des proverbes & des expreflïons populaires qui fait
la b inejje de tant-4e bons mots.
Tout le monde fait celui de Madame du Deffand
fur S. Denis, qui a v o it , lui difoit-on , porté fa
tece dans fes mains à deux lieues de diftance : Je le
crois aifement, i l n’y a que le premier p a s qui
coûte.
-F o n t e n e lle employoic fréquemment ce tour plai-
fant Sc f in ; comme lorfqu’i l difoit : S i D ieu a
f a i t l homme a f o n im a g e , Vhomme le lu i rend
bien. Mais ce qu i l appsloit Fineffe par excellence ,
c’eft une efpèce ^ d’obliquité dans l ’expreflïon , qui
donne à la penfée un air de faufleté , -lorfqu on
dit autre chofe que ce qu’on fait entendre; 8c, s’i l
m eft permis d employer cette image , lorfque, fens
regarder la vérité en fa c e , on l ’indique du coin
de 1 oe il. C eft ainfi que dans une fbciété bruyante ,
i l dit un jour : Mejjîeurs , Ji vous voule^ rn en
croire , nous fe ron s une loi , p a r laquelle i l fera
défendu de parler p lu s de quatre à la f o i s . De
meme à propos de certaines queftions mécaphyfi-
ques & abftrufes : E n v érité, d ifo it-il, dès l ’ âge
de n e u f a n s , j e commençais à n ’y rien entendre.
’
Cette tournure d’expreffion eft en effet très-/r/iç,
lorfqu elle eft employée avec efprit. Les lacédé-
moniens^ s en fervirent dans leur édit pour l ’apo-
theofe d Alexandre : P u i f q i é A le x a n d r e veu t être
d ieu , qu’ilJ ,o ie dieu. Un créancier, à qui fon débiteur
denioit la dette & venoit en juftice de s’en
libérer par ferment, cria, dans le temps que fon
homme avoit encore la main levée : N ’y a - t- il
p a s encore ici quelque créancier de Monfieur ,
pendant qu i l a la main a la bourfe ? Une femme,
qui un homme fefoit froidement une déclaration
d’amour , très-paflïonnée dans les termes & qu’i l
fembloit avoir apprife & réciter par coeur, lui*demanda
tranquiiement : Q u i efl-ce qui difoit c e la i
L a reine Élifabeth demandoit à C é c il : a Qu e
» s’eft-il paffé au Confeil » ? Quatre heures, Madame
, répondit le miniftre.. Dans le Diable boiteux,
Afmodée montre un honnête eccléfiaftique qui
a eu quatre procès, pour dépôts à lui confiés, &
qui les a gagnés tous quatre. Je n’ai pas befoin
d’obferver que fi le s lacédémoniens avoienC
dit r P u ifq u ’Alexan d r e veut p ajfe r p ou r un dieu;
fi le ^créancier avoit dit : P en d an t qu’ i l a la
main levée ; fi le Diable boiteux avoit dit que le
dépofitaire avoit perdu les procès, & c , i l n y avoic
plus de Finejje.
Mais lorfque la contre-vérité eft profil ère, ou
que la plaifanterie eft déplacée, & froide comme
dans ce qu’on appelle aujourdhui Perfifflag e , e’eft
un tour d’adrefle manqué, c’eft de Tironie fans
Finejje ; & Ton a euraifon de dire que le Perfifflage
étoit Tefprit des fbts.
L a forte de Finejje dont i l me femble qu’on doit
faire le plus de cas , eft ce lle qui n’exige dans
1 expreflïon que la vivacité du tra it , la légèreté de
la touche, & qui confifte eflenciellement dans la
fagacité de la perception, dans la fubdiité & la
jiiftefle de la penfée. Une femme demandoit au
P. Bourdaloue fi c’ étoit un mal d’aller au fpec-
tacle : C ’eft à vous , M ad am e , à me le dire , lui
répondit le directeur. V o ilà de la Finejje fans artifice.
Lorfqu’elle eft employée à exprimer un fen-
timent, .elle s’appelle Dé licate jje . T e l eft ce mot
de Madame de Sevigné à fa fille : J ’a i mal à votre
poitrine ; expreffion de génie , fi Ton peut appeler
ainfi ce que le coeur a inventé. ) ( M . M a RM O N-
TEL.)
■ (N.) F IN E SSE , D É L IC A T E S S E . Synonymes.
Uoye^ Fin , D élicat.
L a Finejje , dans les ouvrages d’e fp rit, comme
dans la e'onyerf&don, confifte 4ans l ’art de ne pas
exprimer dire d e ment fa penfée , mais de la laifler
aifément apercevoir ; c’eft une énigme dont les gens
d’éfprit devinent tout d’un coup le mot. L a F inejje
diffère de la Dé licate jje .
L a Finejje s’étend égalemènt aux chofes piquantes
& agréables, au blâme & à la louange même ,
aux chofes même indécentes, couvertes d’un v o ile ,
à travers lequel on les voit fans rougir. O n dit
des chofes hardies avec Finejje. L a Dé licate jje
exprime des fentiments doux & agréables , des louanges
f in e s»
P t