
à certaines penfées qu’i l ne fait que rttontrer. ï i
met le fingulier pour le p lu r ie l, le pluriel pour
l e fingulier , l ’infinitif des verbes pour les noms
verbaux , le genre féminin pour l e mafculin 5 il
change les cas , les temps , l e s perfonnes , les
chofes mêmes, fuivant le mouvement de fon imagination
, le befoin des affaires, & les .cireonftances
oe fon récit. Une figure qui lui eil propre & qui
porte avec foi le caraétère. véritable d’une paffion
forte & v i o l e n t e c ’eft l ’hyperbate , qui n’eft autre
chofe que la tranfpofition des penfées & des paroles
dans l’ordre & la fuite d’un difcours. L a
méthode de raifonner par de fréquents enthymêmes,
le diftingue de tous les écrivains précédents.
. Ses idées, d’un ordre fupérieur, n’ont rien que
ffe noble , & prêtent même une efpèce d’élévation
aux chofes les plus communes j on ne fait
pas fi ce. font les -penfées qui ornent les mots, ou
le s mots qui ornent les penfées : fes termes font ,
pour ainfi dire , au même niveau que les affaires;
v i f , ferré , concis, on diroit qu’i l court avec la
même impétuofité que la foudre qu’i l allume fous
les pas des guerriers dont i l décrit les exploits.
Cicéron & Denys d’Halycarnaffe exigeoient un
grand difcérnement dans la le dure de fes harangue
s ; parce qu’ils n’y trouvoient pas un ffyle ni
affez harmonieux , ni affez l i é , ni affez arrondi :
ils'-lui reprochoient d’avoir quelquefois des penfées
obfcures & envelopées, des raifonnements vicieux, &
des caractères forcés. '
S e c o n d A G E . lfocrate ouvrit ce beau f îèc le, &
parut à la tête des Orateurs qui s’ y diftinguèrent,
comme un guide éclairé qui mène une troupe de
Sages par des chemins riants & fleuris. De fon é c o le ,
comme du cheval de T roie , dit Cicéron , fortit
une foule de grands maîtres. L e genre d’Éloquence
qu’i l introduilït eft agréable, doux, dég ag é, coulan
t, plein de penfées fines & d’expremons harmo-
nieufes; mais i l eft plus propre aux exercices de
pur apareil qu’au tracas du Barreau.
L a multiplicité de fes anthithèfes , fos phrafos de
même étendue , de mêmes membres, fatiguent le
leCteur par leur monotonie. Ilfacrifie la folidité du
laifonnement aux charmes du bel efprit. Par une Cotte
ambition de ne vouloir rien dire qu’avec emphafe, 51 eft tombé, dit Lon g in , dans une faute de petit
écolier. Quand on lit les écrits, on fo font aufli peu
ému que fi on afliftoit à un fimple concert. Ses réflexions
n’ont rien de merveilleux qui enlève; Philip
p e de Macédoine difoit qu’i l ne s’efcrimoit qu’avec
le fleuret.
lfocrate naquit 43 6 ans avant Jéfus-Chrift, & mourut
de douleur a l ’âge de quatre-vingts dix ans, ayant
apris que les athéniens avoient perdu la bataille
•de Cheronée. I l nous relie de lui vingt & une harangues
que Wolfius a traduites du grec en latin. I l y
a d.e.ux de ces oraifons pour N icocles roi de- Ch ypre,
qui. font parvenue^ .jufqu’à nous : la première traite
»des devoirs des princes envers leurs fujets ; & la feconde
, de ceux des fujets envers leurs princes. N î -
c o c lè s , pour lu i en témo ign e r fa reconnoiffance
lu i fit préfent de v in g t ta le n t s , c’ eft à d i r e , de trois-
m ille cin q -c en ts cinquante liv r e s f te r lin g fuivant
l e c a lc u l du do d eu x B r e r ew o o d ; ce qu i revient à
p lu s de qua tre -v ingts-tro is-mille liv re s de notre mon-
n o ie .
'Platon , comme un n o u v e l a th l è t e , v in t , les
armes à la m a in , difputer â H om è r e l e p r ix de l ’É lo quence.
L e dialeCte dont i l fo fort eft l ’ancien diale
c t e a ttiqu e , qu’i l écrit dans fa p lu s grande pureté.
Son f ty le eft e x a é l, a i fé , c o u la n t, naturel*, t e l qu’ un
c la ir ruiffeau qu i promène fans bruit & fans fierté
fes eaux argentines â travers une prairie ém a illé e
de fleurs. S p e u f ip p e , fon n e v eu , fit p la c e r le s ftatues
des G râ ce s dans l ’académie où ce p h ilo fo p h e a v o it
coutume de dièter fes le ç o n s , v o u lan t pa r là fixer
l e ju gement qu ’on devoit prononcer fur fes écrits &
l ’idée v é r itab le qu’ i l en f a l le i t conc evo ir. Son défaut
eft de fe répandre trop en m étaph o res; emporté par
fon ima g in a tion , i l cou rt après le s f ig u r e s , & fur-
ch arge fes écrits d’ épithètes. Ses métaphores font fans
an a lo g ie ; & fes a llé g o r ie s * fans mefure : du moins c’eft
ainfi qu’ en ju g e D en y s d’H a ly c a rn a ffe , après D ém é -
trius de P h a lè re & d’autres S a v a n ts , dans fa le tt r e à
P om p é e . Ifée montra une diètion pure , e x a é te , c la i r e ,
fo r t e , é n e r g iq u e , co n c ife , propre a u fu je t , arrondie,
& conv enable au Barreau. O n a p e r ç o it , dans le s dix
plaid o yers' qui nous relient des cinquante qu ’i l a v o it
é c r it s , le s premiers coups de l ’a r t , & ce tte fource
où Démofthène fo rg e a ces foudres & ces écla irs qu i
l e rendirent fi terrib le à P h ilip p e & à E fchine. Hypéri de jo ig n it dans fes difcours le s douceurs
& le s grâces de L y fia s . I l y a dans fes ouv rages?
d it L o n g in , un nombre infini de chofes plaifamm ent
dites : fo manière de ra i lle r eft fine & a q u e lq u e
ch o fe de n ob le.
E fc h in e , enfant de la F o r tu n e & de la P o l i t iq u e ,
eft un de ces hommes rares qu i pa ro iffen t fur la
fcene comme par une efp è c e d’enchantement. L a
pou lfière de l ’é c o le & du greffe , l e théâtre , la
tribune , la G r è c e , l a Macédoine lu i v irent jouer
to u t à tou r différents rô le s . M a ître d’é c o le , g te ff ie r ,
a é te u r , miniftre , fa v ie fut un tiffu d’aventures ; fa
v ie i ll c f fe ne fut pas moins finguliè re : i l fe fit p h ilo
fo p h e , mais p h ilo fo p h e fo u p l e , ad ro it, in g é n ie u x ,
d é li c a t , enjoué. I l charma p lu s d’une fo is les com p
a tr io te s , & fut admiré & e llim éd e P h ilip p e .' L ’obfo
cu rité de fa naiffance , l ’amour des richeffes & de
l a g lo i r e piquèrent, fon amb ition , & fes m a lheurs
n’altérèren t jamais le s charmes & le s grâces
■ de fon efprit ; i l l ’a v o it extrêmement beau.
U n e heureufe f a c i l i t é , que la nature fou le peut
don n e r, règn e partout dans fes é c r it s ; l ’art & l e
t ra v a il ne s’ y font p o in t fontir. I l eft b r illa n t & fo -
lid e ; fa d iè t io n , ornée des p lu s n obles & des p lu s
magnifiques figure s, eft affaifonnée des traits les p lu s
v ifs & le s plu s piquants. L a fineffe de l ’ art ne fe
fait pas tant admirer en lui que la beauté du génie.
L e fublime qui règne dans fes harangues n’altère
point le naturel. Son ftyle , fimple & net, n’a rien
de lâche ni de languiffant, rien de refferré ni de
contraint. Ses figures Portent du fujet fans être forcées
par l ’effort de la réflexion. Son langage, châtié, j?ur,
élégant, a toute la douceur du langage populaire.
H s’élève fans fe guinder; i l s’abaiffe fans s’avilir
ùi fe dégrader.
Une voix fonore & éclatante, une déclamation
brillante , des manières aimables & polies , un air
libre & a ifé , une capacité profonde, une étude réfléchie
des lo is , une pénétration étendue lui concilièrent
les fuffrages des tribus affemblées & l ’admiration
des connoiffeurs. Par tous ces talents que la
nature lu i prodigua, que fon génie fut merveilleu-
fement cultiver, le fils d’Atromètc devint le rival
de Démofthène & le compagnon des rois.
Démojlhène, le premier des Orateurs g r e c s ,
mérite bien dé nous arrêter quelque temps. I l naquit
à Athènes 38c ans avant Jéfus-Chrift. I l fut difi-
ciple d’Ifocrate, de P la ton , & d’Ifée ; & fit fous ce
grand maître de tels progrès, qu’à l ’âge de dix fept
ans i l plaida contre fos tuteurs & les fit condan-
eer à lui payer trente talents, qu’ i l leur remit.
N é pour fixer le vrai point de l ’Éloquence g rè -
que', i l eut à combattre en même temps les obf-
tacles de la nature & de la fortune. L ’étude & la
vertu s’efforcèrent comme à l ’envi de le placer à la
tête des Orateurs & de lui foumettre fes rivaux.
Point d’homme qui ait été tant contredit, & point
d’homme qui ait été tant admiré : point S Orateur
plus mal partagé du côté de la nature , & plus aidé
du côté de l ’art : point de Politique qui ait eu moins
de lo ifir , & qui ait fu mieux employer le temps.
Son É lo quence & là vertu peuvent être regardées
comme un prodige de la raifon & le plus grand
effort du genie.
C ’eft en effet un génie fupérieur qui s’eft ouvert
une nouvelle carrière qu’i l a franchie d’un pas audacieux
, fans laiffer aux autres que la foule confo-
lation de l ’admirer & le défefpoir de . ne pouvoir
l ’atteindre. Lorfqu’i l entra dans les affaires & qu’il
commença à parler . en p u b lic , quatre Orateurs
célèbres s’étoient déjà emparés de l ’admiration publique
; Lyfias , par un ftyle fimple & châtié ; Ifo-
crate, par une diètion ornée & fleurie ,• P laton , par
une élocution noble , pompeufo, & fonore ; T hu cydide
, par un ftyle ferré , brufque , impétueux. D é mofthène
réunit tous ces caractères; & prenant ce
<^u*il y avoit de plus louable en chaque genre, i l
s en forma un ftyle fublime & fimple, étendu &
ferré, pompeux & naturel, fleuri & fans fard, auftère
& enjoué , véhément & diffus , délicat & brufque,
propre à tracer un portrait de à enflammer une
paflion.
T ou t ce que l ’efprit a de plus fubtil & de plus
b rillan t, tout ce que l ’art a de plus fin & , pour
afoft d ire, de plus rufé, U le trouve Si le üjïuùç
d’ uaé manière admirable. R ie n dé p lu s d é li c a t , d o
p lu s fe r ré , de p lu s lumineux , de p lu s ch â tié q u e
fon f t y l e ; rien de p lu s fu b lim e ni de p lu s v éh é ment
q ue fes p e n fé e s , fo i t p a r l a majefté qu i le »
a c com p a gn e , fo it par l e tou r v i f & animé dont i l
le s e xp r im e . N u l autre n*a p o r té p lu s loir» l a pe r fe
c t io n des trois f ty le s ; n u l n’a é té p lu s é le v é dans
l e g en re fu blim e , ni p lu s d é lica t dans l e f im p le ,
ni p lu s fa g e dans l e tempéré .
Dans fa méthode de r a ifo n n e r , i l fait prendre
des détours & marcher par des chemins c o u v e r ts ,
p ou r arriver p lu s fùrement au but qu ’ i l f e p r o p o f e r
c ’ eft ainfi q u e , dans la harangue de la flotte qu ’ i l
f a l lo i t éq u ip e r contre l e ro i de P er fe , i l rend aie
p e u p le l a difficu lté de l ’ entreprife fi g ran d e , que ,
v o u lan t la perfuader en apparence , i l l a diffuade:
en e f f e t , comme i l l e prétend o it. I l fupprime q u e lquefois
adroitement des a&ions g lo r ieu fe s â fa p a t r ie ,
lo rfq u ’ en le s raportant i l p o u r ro it ch o qu e r des a l lié
s . Dans l a qua trième P h i l ip p iq u e , i f d it qu ’A -
thènes fauva deux fo is l a G r è c e des p lu s grand»
dangers , â Marathon , à Sa lam in e. I l é to it t ro p
h a b ile pour rap p e le r l ’honneur qu’ Ath èn e s s’ étoifc
acquis en affranchiffant la G r è c e de l ’ emp ire d e
S p a r te , pa rc e qu’i l a v o it tou t â mén ager dans l e s
conjonctures critiqu es où i l p a r l o i t . I l a i r a em i e u r
dérober q u e lq u e ch o fe â la g lo i r e de fa rép u b liq u e ,
ue de fa ire revivre un fou v enir injurieux à L a c é—
ém o n e , alors a l l ié e d’A th èn e s .
C e qu’on do it furtout admirer en l u i , ce font c e s
cou leurs v iv e s , ces traits touchés & p e rç an t s , c e s
terribles im a g es qui abattent & e f fra y en t , ce ton d e
majefté q u i im p o fe , ces mouvements im p étu eu x q u i
en tra în en t, ces figures v éh ém en te s , ces fréquen te s
ap oftro p h e s , ces in terro gations réitérées q u i animent
& é lè v en t un difcours ; en forte que l ’ on peu t dire
que jamais Orateur n’a donné tant de force â l a
c o l è r e , aux h a în e s , à l ’ in d ign a tio n , à tous fes mou v
em en ts , ni â toutes fes paffions.
Dém o fth èn e n’eft p o in t un d é c lam a te u r , q u i fe
jo u e librement fur des fujets de fanlaifie , & q u i ,
fé lo n l e repro che ca lom n ieu x d e fes en n em is , s’in-.
q u iè te bien p lu s de l a cadence d’ une période q u e
de la chute d’une répu b liq u e . C ’eft un Orateur, d on t
l e z è le in fa tig a b le ne ce ffe de r é v e i lle r le s lé th a r g
iq u e s , de rauurer les-timides , d’intimider le s ternes
raiifês , de ranimer le s vo lu p tu eu x , qu i ne v o u io ie n t
ni forvir la p a tr ie ni qu’ i l l a fervît : c’ eft enfin un
arrji du g en re humain , qu i ne s’ o ccu p e qu’à refondre
des hommes accoutumés à n’ ufer de la lib e r té
.& de l a pu iffance q u e p ou r fe mettre au deffus d ç
l a raifon'.
U n ta len t qu’ i l p o r ta au fouverain de gré par des
ex ercices c o n t in u e ls , c’ eft l a d é clama tion. L e feu ,
l ’ a é lio n de fon v i f a g e , l e fon de fa v o ix , d’ac co rd
a v e c fes exprefliéns & fos p en fé e s , l e ton de fofi
p a r o le s , & l ’air de fon g e fte éb ran lo ien t q u ico n q u e
v én o it l ’ entendre. Démé triu s de P h a lè re , qui a v o it
été fo n d i f c ip l e , affùre qu’ i l h a ranguo it comme ua
S a g e p l e i a d ç i 'e fp û t du dieu de D e lp h e s
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