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plus v iv e , plus animée, & plus féconde en incidents
comiques.
C e fl le genue.de Plaute que les efpagnols fem-
blenc avoir pris , mais avec un fonds de moeurs
différences. Les italiens , à l'exemple des efpagnols,
& les anglois , a l'exemple des uns & des autres ,
ont chargé d'incidentsY Intrigue de leurs comédies.
Comme eux , nous avons été long temps plus occupés
du comique d'incidents , que du comique
de moeurs : des fourberies, des meprifes , des rencontres
embarraffantes pour les fripons ou pour
les dupes ; voilà ce qui occupoit la fcène ; & Molière
lui-même, dans fes premières pièces, fem-
bloit n’avoir connu encore que ces fources du ridicule.
Mais lorfqu'une fois il eut reconnu que c’étoit
aux moeurs qu'il falloit s’attacher; que la vanité,
l ’amour-propre , les prétentions manquées & les
mal-adreffes des fots , leurs foiblefîes , leurs duperies,
leurs méprifes & leurs travers , les maladies
de l ’efprit & les vices du caractère, j'entends
les vices méprifables , plus importuns que dangereux
, étoienrt les vrais objets d'un comique à la
fois plaifant & fàlutaire : ce fut à la peinture &
à la correction des moeurs qu'il s'attacha férieufe-
menc, fubotdonnant Y Intrigue aux caractères , &
n’employant les fituations qu’à mettre en évidence
le ridicule humiliant qu'il vouloit livrer au mépris.
Dès lors l’Intrigue comique ne fut que le tiffu
de ces fîtuations rifibles oà l'on s'engage par foi-
bleffe , par imprudence, par erreur , ou par quelqu'un
de ces travers d'efprit ou de ces vices d'ame,
qui font affez punis par leurs propres bévues &
par linfulte qui les fuit. C'eft dans cet efprit &
avec ce grand art que fut tiffue Y Intrigue de Y Avar e , de Y École des fem m e s , de Y École des
maris , de George D andin , du T a r tu ffe ; modèles
effrayants , même pour le génie , & dont f êfprit &
le /impie talent n'approcheront jamais. [M. M a r -
M O N T E L * )
( N .) INVENTER , TROU V ER . Synonymes»
On invente de nouvelles chofes par la force de
l ’imagination. On trouve des chofes cachées par
la recherche & par l'étude. L ’un marque la fécondité
de l ’efprit j & l'autre , la pénétration.
La Méchanique invente les outils & les machines
; la Phyfique trouve les caufes & les effets.
Le, baron de VHle a inventé la machine de
Marli j Harvée a trouvé la circulation du fang.
V oy e \ D é c o u v e r t e , Inv ent io n. Synonym.Sc
D é c o u v r ir , T r o u v e r .S y n . ( L ’ abbé G i r a r d .)
IN V E N T IO N , f. f. B e lle s -L e t t r e s , Poéfie.
Pour concevoir l'objet de la Poéfie dans toute fon
étendue , il faut ofer confidérer la nature comme
préfente à l ’Intelligence fuprême. Alors tout ce
qui, dans le jeu des. éléments, dans l'organifation
des êtres vivants, animés, fenfibles, a pu çoni
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courir, foie au phyfique , foit au moral, à varier
le fpeCtacle mobile & fucceffif de l ’univers , eft
reuni dans le même tableau. Ce n’eft pas tout :
a 1 ordre préfent, aux viciffitudes paffées, fe joint
la chaîne infinie des poffibles, d'après l'eflence
meme des êtres ; & non feulement ce qui e f t ,
mais^ ce qui feroit dans i'immenfité du temps &
de^ 1 efpace, fi la nature dèvelôpoit jamais le tréfor
inepuifable des germes renfermés dans fon fein. C'eft
ainfi que Dieu-voit la nature ; c'eft ainfi que , félon fa.
foibleffe, le poete doit la contempler. S emparer des
caufes fécondés les faire agir, dans fa penfée, félon les
lois de leur harmonie; réafifer-ainfi les poffibles ;
raffembler les débris du pàffé ; hâter la fécondité
de l'avenir ; donner une exiftence apparente &
fenfible à ce qui n'eft encore & ne fera peut-être
jamais que dans l'effence idéale des chofes : c'eft
ce quon appelle Inventer. I l ne faut donc pas
être furpris, fi l'on a regardé le génie poétique
comme une émanation de la Divinité même , in -
genium cui f i t , cui mens divinior ; &. fi l ’on a
dit de la Poéîie , qu’elle fembloit difpofer les
chofes avec le plein pouvoir d’un Dieu ; videtur fa n é
res ipfas veluti alter D e u s condere : on voit par
là combien le champ de la fi&ion doit être vafte ,.
& combien Y Inventeur, qui s’élance dans la carrière
des poffibles , laiffe loin de lui l'imitateur
fidèle & timide, qui peint ce qu'il a fous les
ieux.
Ramenons cependant à la vérité pratique ces fpé-
culations tranfeendantes. Tout ce qui eft poffible
n eft pas vraifemblâble : tout ce qui eft vraifem-
blâble n’eft. pas intéreffant. La vraifemblance con-
fïfte d n'attribuer à la nature que des procédés
conformes à fes lois & à fes facultés connues ,* or
cette préfcience des poffibles ne s'étend guères au
delà des faits. Notre imagination devancera, bien
la nature à quelques pas de la réalité ; mais à une
certaine diftance, elle s'égare & ne reconnoît plus
le chemin qu'on lui fait tenir. D'un autre côté ,
rien ne nous touche que ce qui nous approche ;
& l ’intérét tient aux raports que les objets ont
avec nous-mêmes : or des poffibles trop éloignés
n’ont plus avec nous aucun raport , ni de refiem-
blance ni d influence. Ainfi, le génie poétique ne
fût-il pas limité par fa propre roiblefle & par le
cercle étroit de fes moyens , i l le feroit par notre
manière de concevoir & de. fentir. L e fpeétade
qu’il donne eft fait pour nous; il doit, pour nous
plaire , fe mefurer à la portée de notre vue. On
reproche à Homère d’avoir fait des hommes de
fes dieux ; pouvoit-iL en faire autre chofe ? Ovide,
pour nou,s rendre fenfible le palais du dieu de la
lumière , n’a-t-il pas été obligé de le bâtir avec
des grains de notre fable les plus luifants qu'il a
pu choifir ? Inventer, ce n'eft donc pas fe jeter
dans des poffibles auxquels nos fens ne peuvent
atteindre; c’eft combiner diverfement nos perceptions,
nos affections , ce qui fe paffe au milieu de nous ,
autour de nous , en nous-mêmes*.
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L e froid copifte , je l'avoue , ne mérite pas le
nom d’ Inventeur : mais celui qui découvre, faifit ,
dè.velope dans les objets ce que n’y voit pas le
commun des hommes ; celui qui eompofe un Tout
id éal, intéreffant, & nouveau , d’un affemblage de
chofes connues , ou qui donne à un Tout exiftant
une grâce, une beauté nouvelle ; celui-là , dis-
je , eft poète, ou Corneille & Homère ne le font
pas.
L ’Hiftoire , la fcène du monde , donne quelque
fois les caufes fans les effets , quelque fois les effets
fans les caufes , quelque fois les caufes & les effets
fans les moyens , plus rarement le tout enfemble.
I l eft certain que plus elle donne , moins. elle
laiffe de gloire au génie. Mais enfuppofant même
que le tiffu des évènements foit tel , que la
vérité dérobe à la fiction le mérite de l'ordonnance,
pourvu que le poète s'applique à donner aux
moeurs,' aux deferiptions,. aux tableaux qu’il imite ,
cette, vérité int ère fiance qui perfuade , touche ,
captive , & faifit l ’ame des lecteurs ; ce talent de
reproduire la nature, de la rendre préfente aux
ieux de l ’efpnt , ne fuffic - i l pas pour élever
l ’imitateur au deflfus de rhiftorien , du phiiofophe ,
& de tout ce qui n’eft pas poète ?.
S i la matière de la Po é fie étoit la même que
celle de V Hifioire , dit Caftelvetro , elle ne feroit
p lu s une reffemblance^ , mais la réalité même ,*
& c’ eft d’après ce fophifme qu'il refufé le nom de
P o è te à celui qui, comme Lucain, s'attache à la vérité
hiftorique.
Aflurément fi le poète ne fèfoit dire & penfer
à fes pérfonnàges que ce qu’ils ont dit & penfé
réellement ou félon l ’Hiftoire ; par exemple , fi
l'auteur de Rome fauvé e avoit mis dans la bouche
de Catilina les harangues même de Sallufte , &
dans la bouche^ du coriful des morceaux pris de
fes oraifons , il ne feroit poète que par le ftyle.
Mais fi, d'après un caractère connu dans l'Hiftoire
ou dans la fociété y l ’auteur invente les idées, les
fentimenrs, le langage qu'il lui attribue ; plus il
perfuade qu'il ne feint pas , & plus il excelle dans
l ’art de feindre. Nous, croyons tous avoir entendu
ce que difentles aCteurs de Molière , nous croyons
les avoir connus : c'eft le preftige de fa eompofi-
tion ; & c’eft à force d’ être poète qu'il fait croire
qu’il n e l’eft pas. Montagne donne le même éloge
à Térence. « Je le trouve admirable, dit-il , à re-
» préfenter au vif les mouvements de l'âme’ & la
» condition1 de nos moeurs. A toute heure nos
» actions me rejettent à lui. Je ne puis le lire fi
» fouvent, que je n’y trouve quelque beauté & grâce
» nouvelle ».
Ainfi, les fujets les plus favorables, comme les
plus critiques , font quelque fois ceux que la nature
a places le plus près de nous, mais que nous
voyons , comme on dit , fans les voir , & dont
l ’imitation réveille en nous le-fouvenir par l ’attention
quelle attire. Je dis , les p lu s fa v o ra b le s ,
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parce que la reffemblance en étant plus fenfible,
& le raport avec nous - mêmes plus immédiat,
plus touchant, nous nous y intérefibns davantage :
je dis au ffi , les p lu s critiques , parce que la
comparaifon de l'objet avec l'image étant plus fac
i le , nous fommes des juges plus éclairés & plus
févèrfes de la vérité de l ’imitation.
Ce qu'appréhendent les Spéculateurs, c’eft que
la gloire de l ’ Invention ne manque au génie du
poete; & afin qu’i l ne foit pas dit qu’il n’a rien
mis du fien dans fa compofition , ils l’ont obligé
à ne. prendre des hiftoriens & des anciens poètes
que les faits, & à changer les circonftances des
temps , des lieux, & des perfonnes. C'eft à ce déguisement
facile & vain qu'on attache le mérite
de Y In v en tion , le triomphe de la Poéfie ; &
tandis qu'on attribue à un compilateur adroit toute
la gloire du poète, on refufe le titre de Poème
aux Géorgiques de Virgile , & à tout ce qui ne
traite que des fciences & des arts. Non v ’hàvendo
i l poeta , parte niuna p e r la quale f i p o ffa v a n -
tare d ’effere p o e ta , dit Caftelvetro , quand même
a il feroit Inventeur, . ajoute - t - i l : car alors
» il n’auroit fait que découvrir la vérité qui étoit
» dans la nature des chofes. Il feroit artifte, phi-
» lofophe excellent ; mais il ne feroit pas poète »,
Voilà ou conduit une équivoque de mots-, quanti
les idées n'ont pour appui qu'une théorie vague
& confufe. « La Poéfie eft une reffemblance ; donc
» tout ce qui a fon modèle dans l ’Hiftoire ou dans
» la nature , n’eft pas de la Poéfie ». Ainfi raifonue
Caftelvetro. Quintilien avoit le même préjugé,
quand il croyoit devoir placer Lucain au nombre
des rhéteurs , plus tôt qu’au nombre des poètes» •
Scaliger s'y eft mépris d'une autre façon, en n’accordant
la qualité de poète à Lucain , que parce
qu’il a écrit en vers, & en faveur de quelques
incidents merveilleux dont il a orné fon poème.
Ces critiques auroient dû voir que la difficulté
n’eft pas de déplacer & de combiner diverfement
des faits arrivés mille fo is , comme un maflacre ,
une tempête , un incendie, une bataille , & tous
ces évènements fi communs dans les annales de la
malheureufe humanité ; mais de les rendre préfents
à la penfée par une peinture fidèle & vivante.
C'eft là le vrai talent du poète , & le mérite de
Lucain. Il ne falloit pas beaucoup de génie pour
imaginer que la femme de Caton , qu’il avoit
cédée à Hortenfius, vint après la mort de celui-
ci fupplier Caton de la reprendre; mais que l’on
me cite dans l ’antiquité un tableau d’une ordonnance
plus belle & plus firople , d’un ton de couleur
plus rare & plus vrai, d’une expreffion plus
naturelle & plus fingulière en même temps, que ce
trifte & pieux hyménée.
C ’eft auffi le talent de peindre qui caraétérife
le Poème didactique , & qui le diftingue de tout ce
qui ne fait que décrire fans imiter.
L e T a fle , fe laiflant aller au préjugé que je-
viens de combattre, définit la P o é îie , lim ita t io n
Y y .x