
les nuances, félon le temps, les lie u x , les moeurs,
& les ufàges ; qu’i l a dû même recevoir & rejeter
tour à tour les mêmes idées & leurs lignes propres,
. félon que la même chofe a été avilie ou anoblie
par l ’ opinion : mais c’eft toujours le même raport
de convenance des moeurs avec le lan g a g e , qui a
décidé de la Nobleffe ou de labaffeffe de 1 expreflion.
Qu elle efr donc la marque infaillible pour lavoir
f i , dans les anciens, un tou r, une image , une
çomparaifon, un mot eft noble ou ne l ’eft pas ?
I l n’y a guères d’autre règle de Critiqu e, à leur
. égard, que leur exemple & leur témoignage.
I l en eft a peu près des étrangers comme des
anciens ; c’eft aux an g lo is , d it-on , qu’i l faut demander
ce qui eft trivial & b a s, & ce qui eft
noble dans leur langue; l ’opinion & les moeurs en
décident : & c’ eft furtout en fait de langage qu’on
peut dire ,
Quand tour le monde a tort, tout le monde a raifon.
I l n’en eft pas moins vrai qu’i l y a dans la nature
une infinité d’objets d’un caractère fi marqué , ou
de grandeur ou de baffeffe , que l ’expreflïon propre
en eft elfenciellement noble ou balle chez toutes
les nations cultivéês, & qui ne peuvent être avilis
ou relevés que par une lôrte d’alliance que l ’ex-
préflîon métaphorique fait contracter à l ’idée , ou
par 1 efpèce de diverfion "que le mot vague ou détourné
fait a l ’imagination.
A notre égard & dans notre langu e, le feul
moyen de fe former une idée jufte du langage no-
Me , c’e ft , quant au familier , de fréquenter le
monde cultivé & p o li ; & quant au ftyle plus
é le v é , de fe nourrir de la leéture des écrivains
qui ont excellé dans l ’Éloquence & dans la haute
Poéfie.
3 D u temps de Montagne & d’Am yo t, les françois
n’avoient pas encore l ’idée du ftyle noble. Comparez
ces vers de Racine,
Mais quelque noble orgueil qu’infpire un fan g fi beau ,
Le crime d’une mère eft un pelant fardeau j.
avec ceux-ci d’Am y o t ,
Qui fent fon père ou là mère coupable
De quelque tort ou faute reprochable",
Cela de coeur bas & lâche le rend,
Combien qu’il l’eut de la nature grand ;
& ces vers d’un vieux poète appelé la G ran ge ,
Ceux vraiment font heureux
Qui n’ont pas le moyen d’être fort malheureux ,
Et dont la qualité, pour être humble & commune»
Ne peut pas illuftrer la rigueur de fortune ;
avec ceux que Racine a mis dans la bouche d’A g a -
memnon, °
Heureux, qui ; fafisfm de fon humble fortune;
Libre du joug fuperbe où je fuis attaché,
Vit dans l’état obfcur où les dieux l’ont caché !
Ce n’a été que depuis Malherbe , Balzac, & Corneille
, que la différence du ftyle noble & du familier
populaire s’eft fait fentir ; mais de leur
temps même le ftyle noble écoit trop guindé & ne
ne le rapprochoit pas affez du familier décent, qui
lui donne du naturel. Corneille fentoit bien la né-
ceffité d’êrre fimple dans les ehofes Amples ; mais
alors il defeendoit trop bas , comme il s’èlevoit
quelquefois trop haut quand il vouioit être fu-
blime. Racine a mieux connu les limites du ftyle
héroïque & du familier nobles & par la facilité
des paflages qu’i l a fu fe méuager de l ’un a l ’autre,
. par le mélangé harmonieux qu’il a fait de ces deux
nuances, il a fixé pour jamais l’idée de l ’élégance
& de la NobleJJe du ftyle. Voye\ F amilier.
C’eft le plus grand fervice que le goût ait jamais
pu rendre au génie : car tant qu’une langue eft
vivante & que ridée de décence & de NobleJJe dans
l’expreffion eft variable d’un fiècle à l’autre, i f
n’y a plus de beauté durable ; tout périt fucceifi-
vement : voyez, dans l ’efpace d’un demi-fiècle, combien
le ftyle de la Tragédie avoit changé ; &
comparez , aux vers de l ’Andromaque de Racine,
. ces vers de VAndromaque de Jean Heudbn en
O trois & quatre fois plus que très-fortunée
Celle qui au pays fa misère a bornée »
Sur la tombe ennemie ayant foufferc la mort,
Et qui n’a comme nous été. lottie au fort,
Pour entrer peu après, captive, dans la couche
D ’un fuperbe vainqueur & feigneur trop farouche *
Et lequel pour une autre , étant faoulé de nous»
Serve , nous a baillée à un efclave époux L
Que manque - t - il à cela pour être touchant ?
une expreflion élégante & noble. C’eft encore pis.,
fi l ’on compare à YHermione de Racine la Didiame
de Heudon. C e lle -c i, en aprenant la mort de Pyrrhus
» s’écrie :
Ah ! je fens que c’eft fait, je fuis morte, autant vaüt,
Hélas 1 je n’en puis plus j le pauvre coeur me faut.
Dans ce temps-là, voici comment on annonçoit a
une reine la mort tragique de fon fils :
Votre fils s’eft jeté du haut d’une fenêtre-,
La tête contre bas. Envoyez-le quérir.
Hélas, Madame, il eft en danger dç mourir.
Aujourdhui l ’on riroit aux éclats , fi fur la Scène
on entendoit pareille chofe; & ce qui feroit fi
ridicule pour nous, étoit touchant pour nos aïeux :
tant il eft vrai que, dans une langue vivante , rien
n’eft aflïîré de plaire & de réuflir d’un fiècle à
l ’autre , qu’autant que les idées de bienféanee &
N O M
de NobleJJe ont été fixées par des écrits dignes d’en
être les modèles. Aujourdhui même , pour être
naturel avec NobleJJe, il faut un goût délicat &
sûr.
Il aura donc pour moi combattu par pitié î
dit Aménaïde en -parlant de Tancrède ; cela eft
noble.
Il ne s’eft donc pour moi battu que par pitié?
eût été du ftyle comique. ( M , M j r m o n t e l . )
NOM , f. m. Me'taph. Gramm. Ce mot nous
vient, fans contredit, du latin nomen ,• & celui-ci,
réduit à fa jufte valeur , conformément aux principes
établis à l’article F ormation, veut dire,
men quod n o tâ t , ligne qui fait connoître , ou no-
tans men, & par fyncope notamen ,* puis nomen.
S. Ifidore de Séville indique affez clairement cette
étymologie dans fes Origines , & en donne tout
à la fois une excellente raifon. N omen diclum
quafi notamen , quod nobis vocabulo fu o notas
cfficiat; n iji enim nomen fe ie r is , cognitio rerum
périt ( L ib . I , cap. vj. ). Cette définition du mot
eft d’autant plus recevable , qu’elle eft plus apro-
chante de celle de la chofe : car les Noms font
des mots qui préfentent à l ’efpiit des êtres déterminés
par l ’idée précife de leur nature ; ce qui eft
effectivement donner la connoiffance des êtres. Voy ex
Mo T , art. I.
On diftingue les N om s , ou par raport à la nature
même des objets qu’ils défignent, ou par raport à
la manière dont l’efprit envifage cette nature des
êtres.
I. Par raport à la nature même des objets défi-
gnés, on diftingue les Noms en fubftantifs & abf-
tra&ifs.
Les Noms fu b jla n tifs font ceux qui défignent
des êtres qui ont ou qui peuvent avoir une exiftence
propre 8ç indépendante de tout fujet, & que les
phirofophes appellent des fubûances: comme D i e u ,
A n g e , A m e , A n im a l , Homme, Céfar, P la n t e ,
Arbre , Cerijier, Maifon , V i l l e , E a u , R iv iè r e ,
Mer, Sable, P ie r r e , Montagne, Terre, &c.
Les Noms abjlraclifs font ceux qui défignent
des êtres .dont l ’exiftence eft dépendante de celle
d’un fujet en qui ils exiftent, & que l ’efprit n’en-
vifage en foi & comme jouïffant d’une exiftence
propre , qu’au moyen de l’abftradion ; ce qui fait
que les philofophes les appellent des êtres abftrarts ;
comme Temps, Éternité, Mort', V e n u , Prudence
, Courage, Combat, Viéloire , Couleur,
Figure, Penfee, & c . Voye\ A b s t r a c t io n .
La première 8c la plus ordinaire divifion des
Noms eft celle des fubftantifs & des adjeCtifs. Mais
j ai déjà dit un mot ( article G e n r e ) fur la mé-
prife des grammairiens à cet égard , 8c, j ’avois
N O M
promis de difeuter ic i p lu s profon dément ce tte
que ftion. I l me fem b le cependant qu e ce fe ro it ic i
une v éritable d ig r e flio n , & qu’ iL e ft p lu s con v en a ble
de renvo ye r ce t examen au mot S u^ t a n t if , o ù i l
fe ra p la c é n atu re llement.
II. P a r rap o r t à la manière dont l ’e fp r it en v ifa g e
la nature des ê t r e s , on diftingue le s Noms en a p p e l -
la t ifs & en propres .
L e s N o m s a p p e l la t i f s font ceux qu i préfentent
à l ’e fp r it des êtres déterminés p a r l ’idée d’une nature
commune à plufîeurs : te ls fon t H o m m e ,
B r u t e , A n i m a l , dont le premier conv ient à chacun
des individus de l ’efp è c e humaine ; l e fécond , à
chacun des individus de l ’e fp è c e des brutes ; & l e
troifiènie , à chacun des individus de ces deux e s p
èc es .
L e s N o m s p r o p r e s font ceux q u i préfentent à
l ’ efp rit des êtres déterminés par l ’ idée d’une nature
in d iv id u elle : te ls font L o u i s , P a r i s , M e u j e ,
dont l e premier défigne la nature in d iv id u e lle d’un
f e u l homme ; l e fécond , c e lle d’une feu le v i l l e ; &
l e t ro i fièm e , c e lle d’une feu le riv iè re.
§. i . I l eft e f fe n c ie l de remarquer deux ehofes
dans le s N o m s a p p e lla t if s ; je veux dire la C om -
préhenfîon de l ’idée & l ’Étendue de la lign ifica tion . ■
P a r la C om p r é h e n j io n de l ’id é e , i l faut entendre
-la to ta lit é des idées p a r t ie lle s q u i conftituent
l ’idée entière de l a nature commune indiquée par
le s N o m s a p p e lla tifs : par e x em p le , l ’idée entière
de la nature humaine , q u i eft indiquée p a r l e N o m
a p p e l la t i f h om m e , comprend le s idées p a r t ie lle s
de c o r p s v i v a n t & à ’ â m e r a i fo n n a b l e ; c e lle s - ci
en renferment d’antres qu i le u r font fübordonnées ,
par e x em p le , l ’ idée 8 â m e r a i fo n n a b l e fu p p o fe
le s idées de f u b j l a n c e , d’u n i t é , d’i n t e l l i g e n c e , de
v o l o n t é , & c . L a to ta lit é de ces idées p a r t ie lle s ,
p a ra llè le s ou fübordonnées le s unes aux autres ,
eft la Compréhenfion de l ’ idée de la nature commune
exprimée par l e N o m a p p e l la t i f h om m e .
P a r Y É t e n d u e de l a lignifica tion , on entend la
to ta lité des individus en qu i fe trou v e l a nature
commune indiquée par le s N o m s a p p e lla tifs : par
ex emple-, l ’Etendue de la lignification du N o m ap p
e l la t i f h om m e comprend tous & chacun des individus
de l ’ efpèc e h um a in e , p o fiîb le s ou ré e ls ,
nés ou à naître ; A d a m , E v e , A J f u é r u s , E f t h e r ,
C é f a r C a l p u r n i e , L o u i s , T h é r è f e , D a p h n i s ,
C h l o é , & c .
Sur q u o i i l faut ob ferver qu’ i l n’ exifte r é e lle ment
dans l ’univers q ue des ind iv idu s; que ch aque
individu a fa nature propre & incommunicable ; &
conféquemment qu ’ i l n’ex ifte p o in t en effet de
nature c om m u n e , t e l l e qu’on l ’env ifage dans le s
N o m s a p p e lla tifs . C ’ eft une idée fa étice que l ’ efp rit
humain com p ofe en q u e lq u e forte de tou te s le s
idées des attributs femblables qu’i l diftingue p a r
abftra&ion dans le s individus. Mo in s i l entre d’i dées
p a r t ie lle s dans c e lle de c e tte nature fa é lic e
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