
leur citerai aucun exemple particulier ; mais je me
contenterai de les inviter à jeter les icux fur les
fliverlcs conditions qui compofent la~fociété. Les
enfants de la popu la ce, des manoeuvres , des malheureux
de toute efpèce qui n’ont que le temps
à échanger leur fueur contre leur pain , demeurent
ignorants & quelquefois ftupides avec des. difpofi-
lions de meilleur augure ; toute culture leur manque.
Les enfants de ce que l ’on appelle la bourg
e o is e honnête dans les provinces, aquièrent les
lumières qui tiennent au fyflême d’inftitution qui
y a cours ; les uns fe dèvelopent plus t ô t , les autres
plus tard, autant dans la proportion de l ’em-
prelïement qu’on a eu à -les cultiver que dans
c e lle des difpofitions naturelles. Entrez chez les
Grands, chez les princes : des enfants qui balbutient
encore y font des prodiges , fînon de raifon,
ou moins de raifonnement ; & ce n’eft point une
exagération toute pure de la flatterie, e’eft un
phenomene réel dont tout le monde s’affûre par
lo i-m êm e , & dont les témoins deviennent fouvent
ja lo u x , fans vouloir faire les frais néceffaires pour
le faire voir dans leur famille : c’eft qu’on raifonne
lans ceffe avec ces embryons de l ’humanité, que
leur nailTance fait déjà regarder comme des demi-
dieux j & Vhumeur fengerejfe , pour me fervir du
.vieux mais excellent mot de Montagne, U humeur
fingerejfe, qui , dans les plus petits individus de
1 eipece^ humaine, ne demande que des exemples
pour s ’évertuer , dèvelope auflitôt le germe de
raifon qui tient effenciellement à la nature de l ’ei-
pèce. PafTez de là à Paris , cette v ille imitatrice
de tout ce qu e lle voit à la C o u r , & dans la q u e lle ,
comme dit L a Fontaine ( fa h . 1 . 3. ) ,
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands feigneurs,
Tout petit prince a des ambafladeurs,.
Tout marquis veut avoir des pages j
vous y verrez les enfants des bourgeois raifonner
beaucoup plus tôt que ceux de la province ,. parce
que , dans toutes les familles honnêtes , on a l ’ambition
de fe modeler fur les gens de la première
q u a lité , que l ’on a fous les ieux. I l eft vrai que
io n obfèrve aufli, qu’après avoir montré les prémices
les plus flatteufes & donné les plus grandes
efperances, les jeunes parifiens retombent communément
dans une forte d’in e rtie, dont l ’idée fe
groflît encore par la comparaifon fourde que l’on
en fait avec le début : c’eft que les facultés de leurs
parents les forcent de les livrer , à un certain âge ,
au train de 1 inftitution commune , ce qui peut
faire dans ces tendres intelligences une difparate
d^ngereufo ; & que d ailleurs on continue , parce
que la chofe ne cout> r ien , d’imiter par air les vices
des Grands, la molleffe, la parefTe,lafuffifance, l ’org
u e il , compagnes , ordinaires de l ’opulence &
ennemies décidées de la raifon. I l y a peu de perfonnes
, au refte , qui n’ayent pardevers foi quelque
fxemp le connu du foççès des foins que i ’on dpçne
à la culture de la raifon naifTante des enfants ; &
j’ en a i , de mon côté , qui ont un raport immédiat
à l’ utilité de la Méthode analytique te lle que
je la propofe ici. J’ai vu , par mon expérience ,
qu’en fuppofant même qu’ i l ne fallût faire fonds
que fur la mémoire des enfants, i l vaut encore
mieux la meubler de principes généraux & féconds
par eux-mêmes, qui ne manquent pas de
produire des fruits dès les premiers developements
de la raifon, que d’y je ter, fans choix & fans me-
fure , des idées ifolées & ftériles ou des mots dépouillés
de fens.
Je réponds enfin à tous, Que la provision des
principes qui nous font néceffaires n’efl: pas abfo-
lument fi grande qu’elle peut le paroître au premier
coup d’oe i l , pourvu qu’ils foient digérés par
une perfonne intelligente , qui fâche choifïr , ordonner,
& écrire avec précifion , & qu’oii ne v eu ille
, recueillir qu’après avoir femé ; c’eft une idée fur
laquelle j’infifte , parce que je la crois fondamen^
taie.
Me permettra-t-on d’efquiffer ici les livres élémentaires
que fuppofe néceffairement la Méthode
analytique ? Je dis d’abord les livres élémentaires ;
parce que je crois effenciel de réduire a plufieurs
petits volumes la tâche des enfants, plus tôt que de la
renfermer dans un feul dont la ta ille pourroit les
effrayer : le goût de la nouveauté , qui eft très-
v if dans l ’Enfance, fe trouvera flatté par les changements
fréquents de livres & de titres ; le changement
de volume eft en effet une efpèce de dé-
laffement phyfïque, ou du moins une iliufion aufli
utile ; le changement de titre eft un aiguillon pour
l ’amour propre , qui fe trouve déjà fondé à fe dire Je fa is ceci , qui voit de la facilité à pouvoir fe
dire bien tôt Je fais encore cela , ce qui eft peut-
être l ’encouragement le plus efficace. Je réduirois
donc à quatre les livres élémentaires dont nous avons
befoin,
i°. Éléments de la Grammaire générale appliqués
à la Langue françoife. I l ne s’agit pas
de groflîr ce volume des recherches profondes &
les raifonnements abftraits des philofophes fur les
fondements de l ’art de parler ; pifeis hic non ejl
omnium. Mais i l faut qu’à partir des mêmes points
de v u e , on y expofe les réfultats fondamentaux
de ces recherches, & qu’on y trouve détaillées avec
jufteffe, avec précifion, avec ch o ix , & en bon-
ordre , les notions des parties néceffaires de la
parole ; ce qui fe réduit aux éléments de la v o ix , aux
éléments de i ’oraifon, & aux éléments de la propo-
fition.
J’entends par les Éléments de la V oix , prononcée
ou écrite, les principes fondamentaux qui concernent
les parties élémentaires & intégrantes des
mots, confédérés matériellement comme dès productions
de la voix : ce font donc'les voix & les
articulations , les voyelles & les confonnes , qu’i l
eft ûéceffake 4e bien diftinguer > mais qu’i l a ç
faut pas féparer i c i , parce que les Agnes extérieurs
aident les notions intellectuelles ; & enfin
les f y l l a b e s > qui fo n t , dans la parole prononcée ,
des voix (impies ou articulées , & dans l ’écriture ,
4es voyelles feules ou accompagnées de confonnes.
( V o y e \ L e t t r e s > C o n s o n n n e , D i p h t h o n g u e ,
V o i x , V o y e l l e , H i a t u s , &c , & les articles de
chacune des lettres.) L a matière que je préfente paroît
bien vafte; mais i l faut choifir & réduire : i l ne
faut ici que les germes des idées générales 5 &
tout ce premier traité ne doit occuper que cinq
ou fix pages in - 1 1. Cependant i l faut y mettre
ies principaux - fondements de l ’É t y m o l o g i e , de
la Profodie , des Métaplafmes, de i ’Ortographe ;
mais peut-être que ces noms-là mêmes ne doivent pas
y paroître.
J’entends par les Éléments de VOraifon , ce
qu’on en appelle communément les parties, ou les
d iffé r e n te s efpèces de mots diftinguées par les différentes
idées fpécifiques de leur fîgnification ; favoir ,
le nom , le pronom, l ’a d j e C t i f , le verbe , la pré-
pofîtion, l ’adverbe , la c o n jo n c t i o n , & l ’ in t e r je c t
io n . I l ne s’agit ici que de faire connoître , par
des définitions juftes, chacune de ces parties d’orai-
fon & leurs efpèces fubalternes. Mais i l faut en
écarter les idées de genres, de nombres, de ca s,
de déclinaifons, de perfonnes, de modes : toutes
ces chofes ne tiennent-à la Grammaire que par
les befoins de la Syntaxe, & ne peuvent être expliquées
fans alliifion à fes principes, ni par con-
feqùent être entendues que quand on en connoît
les fondements. I l n’en eft pas de même des temps
du verbe , confédérés avec abftraCtion des perfonnes ,
des nombres-, & des modes : ce font des variations
qui fortent du fonds même de la nature du verbe ,
& des befoins de l ’énonciation, indépendamment
de toute Syntaxe ; a in fï, i l fera d’autant plus utile
d en mettre ici les notions , qu’elles fon t , en
Grammaire, de la plus grande importance ; &
quoiqu’i l faille en écarter les idées des perfonnes ,
on citera pourtant les exemples de la première ,
mais fans en avertir. On voit bien qii’i l fera utile
d ajouter un chapitre fur la formation des mots ,
ou 1 on parlera des p r im i t i f s & des dérivés, des A m p le s
& des compofés , des mots radicaux & des particules
radicales , de l ’infertion dés lettres euphoniques ,
des verbes auxiliaires , de l ’analogie des formations
, dont on verra l ’exemple dans celles des temps
dans le f y f l êm e qui en . facilitera l ’in t
e l l i g e n c e & la mémoire. Je crois qu’en effet c’eft
lcj place de ce chapitre , parce q u e , dans la
génération des mots, on n’ en modifie le matériel
que relativement à la fîgnification. Au refte , ce
que j ai déjà dit à l ’égard du premier tra ité, je
le dis a 1 égard de celui-ci : Choififfez , rédigez ,
» épa rgn e z rien pour ê tre tout à la fois précis &
c la ir . ( Voyei M o t , & tous le s articles des
dmerentes e fp è c e s de mots ; v o y q aufli T em p s ,
f * * * } 1 c ,y > E u ph o n ie , F o r m a t io n , A v x i -
J’entends enfin par les Éléments de la Propojî—
tion y tout ce qui appartient à l ’enfemble des
mots réunis pour l ’expreffion d’une penfée ; ce qui
comprend les parties , les efpèces , & la forme
de la propofition. Le s parties , foit logiques foit
grammaticales , font le fujet, l’attribut, lefquel»
''peuvent être Amples ou compofés , incomplexes ou
complexes 5 & toutes les fortes de compléments
des mots fufceptibles de quelque détermination.
Les efpèces de propofitions néceffaires à connoître ,
& fuffifantes dans ce tra ité , font les propofitions
Amples , compofées , incomplexes, & complexes ,
dont la nature tient à ce lle de leur fu je t , ou de
leur attribut, ou de tous deux à la fois; avec les
propofitions principales , & les incidentes foit
explicatives foit déterminatives. L a forme de la:
propofition comprend la Syntaxe & la Conftru&ion.
L a Syntaxe règle les inflexions des mots qui en-,
trent dans la propofition , en les affujettiffant aux
lois de la concordance qui émanent du principe;
d’identité , ou aux lo is du rég ime, qui portent
fur le principe de la diverfité : c’eft donc ici le
lieu de traiter des accidents des mots déclinables ,
les genres , les nombres, les cas pour certaines
langu es, & tout ce qui appartient aux déclinai-
fons ; les perfonnes , les modes , & tout ce quf
conftitue les conjugaifons 5 les raifons, & la destination
de toutes ces formes feront alors intelligibles
, & confécjuemment elles feront plus aifées
a concevoir & à retenir : l ’explication claire &
précife de chacune de ces formes accidentelles ,
en en indiquant l ’ufage , formera le code le plus
clair & le plus précis de la Syntaxe. L a conf-
tru&ion fixe la place des mots dans l ’enfemble de
la propofition ; elle eft analogue ou inverfe : la
Conftruéüon analogue a des règles fixes qu’i l faut
détailler; ce font celles qui règlent l ’analy fo'de
la propofition : la Confiaiétion inverfe en a de
deux fortes , les unes générales qui découlent de
l ’analyfe de la propofition , les autres particulières
qui dépendent uniquement des ufages de
chaque langue. L e champ de ce troifième traité
eft plus vafte que le précédent ; mais quoiqu’i l
comprenne tout ce qui entre ordinairement dans
nos Grammaires françoifes , & même quelque chofe
de p lu s , fi l ’on faifit bien les points généraux
qui font fuffifànts pour les vues que j’indique, je
fuis affûré que le tout occupera un affez petit
efpace , relativement à l ’étendue de la matière,
& que tout ce premier volume ne fera qu’un in-rai
très-mince. ( P~oye\ P r o p o s i t i o n , I n c i d e n t e ,
S y n t a x e , R é g i m e , C o m p l é m e n t , I n f l e x i o n ,
G e n r e , N o m b r e , C a s & les articles particuliers ,
P e r s o n n e s , M o d e s & le s articles des différents modes
, D é c l i n a i s o n , C o n j u g a i s o n , P a r a d i g m e ,
C o n c o r d a n c e , I d e n t i t é , C o n s t r u c t i o n , I n v
e r s i o n , & c . )
Si je dis que ces éléments de la Grammaire
générale doivent être appliqués à la langue françoife.;
c’eft que j’écris principalement pour mes
Y y y &