
CyC O P É
ce qii e Métajlafe eût voulu, s’il avoit dépendu
de lui d’être fidèle à Tes principes. Il s’en eit clairement
expliqué dans Tes lettres à l ’auteur de
CE (j'ai de V alliance de la P o e fie avec la Mufique.
Dans cet efïai, l ’air régulier , l’air périodique eft
célébré comme ce qu’il y a de plus ravi liant dans
la Mufique italienne ; & Métaftafe, dans Tes lettres
, donne les éloges les moins équivoques au
bon goût, aux lumières , à la faine doctrine répandue
dans cet elTai. Métaftafe & M. le chevalier
de Chaftellux font d’accord fur la beauté de l’air
& fur le charme qu’il ajoiîte à la Scène.; mais
tous les deux condannent le luxe efféminé qui s’cft
introduit dans cette partie de la Mufique théâtrale,
au mépris de toutes les convenances , & aux dépens
de l ’intérêt de l ’a&ion & de l ’expreftion. T e l
eft fur ces deux points le fentiment de Métaftafe.
Et comment le génie, infpirateur des plus beaux
çhants , auroit il été l’ennemi de la Mufique chantante
? Comment le poète , qui a mefuré , fyrné-
trifé avec le plus de foin les paroles de fes duo &
de fes airs, auroit-il réprouvé cette période musicale
dont lui-même il traçait le eerele, & ces
phrafes correfpondantes qu’i l deflînoit avec tant
d’étude & tant d’art? On voit évidemment que ,
pour prendre une forme régulière & parfaite, la
Mufique n’avojt befoin que d’être moulée fur fes
paroles ; & ce moule , dont iL eft impoffible de ne
pas reconnoître. la deftination , n’étoit pas, formé
fans deflln : mais pour fauver la Tragédie de la
triftelfe monotone qui lui eft naturelle , Métaftafe
a été forcé d’y femer une foule d’airs acceffoires
& purement lyriques ; & il a mis à orner ce défaut
un talent, un goût, un travail qui le font admijrer &
plaindre.
Il fut un temps, nous dira-t-on , où Métaftafe ,
après avoir été l ’efclave des muficiens, pou voit
leur impofer ; en changeant de manière , il auroit
corrigé la leur : mais l’habitude étoit formée, Te
.mauvais goût avoit prévalu ; & un obftacle plus
invincible encore étoit l’attachement de ce poète
au genre auftère qu’il avoit pris, & qu’il ne pou-
yoit tempérer & varier que par ces petits épilogues
, où il donnoit aux voix la liberté de voltiger :
p i e bis auüupium.
Le feul moyen de fe paffer de cette reffource
auroit été pour lui ) , de travailler fur des
fujets plus variés & plus dociles, où le mélange
•des fituations douloureufes & des fituations c o n fiantes
, des moments de trouble & de crainte, &
des moments de calme & d’efpérance, eût donné lieu
tour à tour au caraftère du chant pathétique & à celui
du chant gracieux & léger.
Une intrigue nette & facile â nouer & à dénouer
; des caraétères fimples ; des incidents qui
naiffent d’eux - mêmes ; dès tableaux variés ; des
partions douces , quelquefois violentes , mais dont
Tacçès eft paflager ; un intérêt v if & touchant, mais
q u i , par intervalles, laifle refpirçr l ’âme : voilà les
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fujets que chérit la P o é fie ly r iq u e , ôfdont Q u in au lt a
fa it un fi beau ch o ix.
L a pa ffion qu ’ i l a préféré e , eft ,, de toutes , la
p lu s féconde en im a g es *& en fentiments ; c e lle où
le fu c c èd en t , a v e c l e plu s de n a tu re l, tou te s les
nuances de la P o é f ie , & qui réunit l e plu s de tableaux
riants & fombres tour à tour.
L e s fujets de Q u in a u lt font fimples , facile s à
expo fe r , noués & dénoués fans peines V o y e z celui
de R o lan d : ce héros a tou t q u itté p ou r A n g é l i que
, A n g é liq u e l e trahit & l ’abandonne p ou r Mé-
dor : v o ilà l ’ intrigu e de fon p o èm e ; un anneau
ma g iq u e en fait le m e rv e illeu x , une fê te de v i l la
g e en fa it l e dénouement. I l n’ y a pas dix vers qui
ne foient en fentiments ou en im a g e s . L e fuje t d’A r -
mide eft encore p lu s fim p lè.
L a double in tr igu e d’A t y s & c e lle de T h é fé e
ne font pas moins fa cile s à d ém é le r ; 8c t e l eft en
gén é ra l la fim p lic ité des plans de ce p o è te , qu’ on
p eu t le s exp o fe r en deux mots.
A l ’égard des détails & du f t y l e , on v o it Q u inau
lt fans ce ffe o ccupé à fa c i li te r au muficien un
r é c it à la fois n atu re l & m élodieu x. L e moyen ,
par e x em p le , de ne pas dé clame r a v e c agrément ces
vers des premières fcenes d’Ifis ? C ’ eft H ié ra x qui fe
p la iu t d’Io :
Depuis qu'une nymphe inconfiante
A trahi mon amour & m’ a manqué de foi,
Ces lieux , jadis fi beaux * n’ont plus rien qui m’enchante;
Ce que j’aime a changé , tout a changé pour moi.
L’incon(tance n’a plus rempreflëment extrême
De cet amour nailfant qui répondoit au mien :
Son changement paroît en dépit d’elle-même;
Je ne le connois que trop bien.
Sa bouche quelquefois dit encor qu’elle m’ aime ;
Mais fon- coeur ni fes ieux rie m’en difent plus rien.
Ce fut fhtns ces vallons, où , par mille détours
Ingçhus prend plaifir à prolonger fon cours,
Ce fut fur fon chirmant rivage
Que fa fille volage
Me promit de m’ aimer toujours.
Le zéphyr fut témoin, l’onde fut attentive ,
Quand la nymphe jura de ne changer jamais ;
Mais le zéphyr léger & l ’onde fugitive
'Ont enfin emporté -les ferments qu’ elle a faits.
E t en p a r la n t à la nymp he e l le -m êm e , écoutez
comme (es p a ro le s femblent fo l l ic i t e r une déclamat
io n mélodieufe.
Vous juriez autrefois que cette onde rebelle
Se feroit vers fa fource une route nouvelle.
Plus tôt qu’on ne verroit vptre coeur dégagé ;•
Voyez couler ces flots dans cette vafte plaine :
C’eft le même penchant qui toujours les entraîne ;
Leur cours ne change point, Sc vous avec changé.
I 0 >
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I O.
Non, je vous aime encor.
H I É R A X .
Quelle froideur extrême !
ïnconflante ! eft-ce airifî qu’on doit dire qu’on aime ?
1 °*
C’eft à tort que vous m’adeufez ;
Vous avez yu toujours vos rivaux meprifes.
H i é r a x .
Le mal de me* rivaux n’égale point ma peine:
La douce illufion d'une efpérance vaine
Ne les fait point tomber du faîte du bonheur :
Aucun d’eux comme moi n’ a perdu votre coeur.
On volt encore un exemple plus fenfible de la
vivacité,, de l’aifance, & du naturel du dialogue lyrique,
dans la fcène de Cadmus;
J é vais partir , belle Hermione.
Mais un modèle parfait dans ce genre eft la fcêne
du cinquième a&e d’Armide.
Arsnide , vous m’allez quitter ! Grc.
R e n a u d . .
D'une vaine terreur pouvez-vous être atteinte,
Vous qui faites trembler le ténébreux féjour î
A R M I D E .
Vous m*aprenez à connoître l’amour^
L ’amour m'apprend à connoître la crainte.
Vous brûliez pour la gloire avant que de m’aimer ;
Vous la cherchiez partout d’une ardeur fans égale ;
La gloire eft une rivale
Qui doit toujours m'alarmer.
A r n a u d .
Que j’étois infenfé de croire
Qu’un vain laurier, donné par la victoire,
De tous les biens -fût le plus précieux !
Tout l’éclat dont brille la gloire.
Vaut-il un regardée Vos ieux !
C’efi: en -étudiant ces modèles qu’on fentira, ce
que je ne puis définir , le tour élégant & facile ,
la* précifion , l ’aifance , le naturel, la clarté d’un
ftyle arrondi, cadencé, mélodieux , tel enfin qu’il
fembje que le poète ait lui-même écrit en chantant.
- E: ce n’eft pas feulement dans les choies
tendres & voluptueufés que fon vers eft doux &
harmonieux ; il fait réunir, quand il le faut , l ’élégance
avec l’énergie, & même avec la fublimité. Prenons
pour exemple le début de Pluton dans l ’ Opéra
de Proferpine :
Les efforts d’ itn géant qu’ on croyolt accablé,
Ont fait encor frémir le c ie l, la terre, & l’ondç,
G r am m . e t L i t t é r a t . Tom IL
O P É G S f
Mon Empire s’en eft troublé; *
Jufqu’au centre du monde ,
Mon trône en a tremblé.
L’ affreux Typliée, avec fa vaine rage,
Trébuche- enfin dans des gouffres fans fonds.
L ’éclat du jou.r ne s’ouvre aucun partage
Pour pénétrer les royaumes profonds
Qui me font échus en partage.
Le Ciel ne craindra plus que fes fiers ennemis
fie relèvent jamais de leur chute mortelle;
Et du monde, ébranlé par leur fureur rebelle,
Les fondements font affermis.
Il étoit impoffible , je c r o i s 'd’imaginer un plus
digne intérêt pour amener Pluton fur la terre, & de
l ’exprimer en de plus beaux vers.
Si l’amour eft la paffion favorite de Quinault,
ce n’eft pas la feule qu’i l ait exprimée en vers
lyriques, e’eft à dire , en vers pleins d’âme & de
mouvement. Écoutez Cérès au défefpoir après avoir
perdu fa fille , & la flamme à la main embrâlant les
moilTons :
J’ai fait le bien de tous. Ma fille eft innocente,
Et pour coucher les dieux mes voeux font impuiffa
J’entendrai fans pitié les cris des innocents.
Que .tout fe reflente
De la foreur que je refients.
Écoutez Médufe dans l ’Opéra, de Perfée»
Pallas , la barbare ftallas,
Fur jaloufe de mes appas,
Et me rendic affreufe autant que j'étois belle $
Mais l ’excès étonnant de la difformité
Dont me punit fa cruauté,
Fera connoître , en dépit d’elle ,
Quel fut l’excès de ma beauté.
Je ne puis trop montrer fa vengeance cruelle.
Ma tête eft fière encor , d’avoir pour ornement
Des ferpents, dont le fifflement
Excite une frayeur mortelle.
Je porte l’épouvante & la mort en tous lieux ;
Tout fe change en rocher à mon afpe& horrible»
Les traits-que Jupiter lance du haut des cieux,
N'ont rien: de fi terrible
Qu’un regard de mes ieux.
Les plus grands dieux du c ie l, de la terre, & de l’onde i
Du foin de fe venger fe repofent fur moi.
Si je perds la douceur d’ ctre l’amour du monde,
J’ai le plaifir nouveau d’en devenir l'effroi.
Boileau avoit il lu ces vers, lorfqu’en fe moquant
d’un genre dans lequel il s’efforça inutilement
lui-meme de réulfir, il difoit des Opéra, dç
Quinault ;
Ççjufqu'à J e v o u s h a i s , tout s'y dit tendrement?
T t t t