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» l ’encens» Si tu es un homme , voilà des fruits ».
O n raconte que le chef d’une nation fauvage , amie
des anglois , ayant été amené à Londres & préfenté
à la Cour , le roi lui demanda fi fes fujets étoient
libres. « S’ils font libres î Oui, fans doute , répondit
» le fauvage : je le fuis bien, moi qui fuis leur
» ch ef ». V o ilà de ces traits qu’on chercheroit
en vain parmi les nations civiiifées de l ’Europe :
leurs vertus, ainfi que leurs vices , ont une couleur
artificielle qu’i l faut obferver avec foiq pour
les peindre avec vérité.
Une qualité effencielle des Moeurs , c’eft l ’intérêt.
O n en a fa it , avec raifon, le grand objet
de la T rag éd ie ; mais dans l’Epopée on l ’a trop
négligé. O r i l n’y a de Moeurs bien intéref-
fantes que les Moeurs patfionnées : & que ce
foit l ’amour , la colère , l ’ambition , la tendre fie
filiale , le zè le pour la religion ou pour la patrie
, qui foit l ’ame de l ’Epopée ; plus ce fenti-
nient aura de chaleur , plus i ’aétion fera intéref-
fànte. O n a diftingué allez mal à propos, ce me
femble, le Poème épique moral du Poème épique
patlionné ; car le Poème moral n’eft intéreflant
qu’autaat qu’i l eft patlionné lui - même. Suppo-
fon s, par exemple , qu’Homère eût donné à U ly f fe
l ’inquiétude & l’impatience, naturelles .à un bon
père , à un bon époux, à un bon roi , q u i, loin
de fes États & de tà famille , a fans cetfe préfents
les maux que ton abfence a pu caufer ; fuppofons,
dans le Poème de Télémaque , ce jeune prince
plus occupé de l ’état d’oppreifion & de douleur
où i l a laiffé ta mère & fa patrie : leurs .caractères.
plus paffionnés n’en feroient que plus touchants
; & lortque Télémaque s’arrache au plaifir
pn aimeroit encore mieux qu’i l cédât aux mouver
ments de la nature qu’aux froids confeils de la
fàgeffe. Si ce Poème divin du côté de la Morale ,
laiffe défirer quelque chofe , c’eft plus de chaleur
& de pathétique 5 & c’ eft aufli ce qui manque à
l ’Odyffée & à la p lupart des Poèmes connus.
Je ne prétends pas comparer en tous points le
mérite d’un beau roman avec celui d’un beau poème c
mais .qu’il me foit permis de demander pourquoi
certains romans nous touchent, nous Remuent, nous
attachent, & nous entraînent jufqu’à nous faire oublier
( je n’exagère pas ) la nourriture & le fom-
meil ; tandis que nous lifons d’un çeil fe c , je dis
p lu s , tandis que nous lifons à peine fans une efpèce
de langueur les plus beaux poèmes épiques. C ’eft
que dans ces romans le pathétique règne d’un bout
à l ’autre ; au lieu que dans ces poèmes i l n’ocçupe
que des intervalles , & qu’il y eft fouvent négligé. Les romanciers en ont fait l’âme de leur intrigue ;
les poètes épiques ne l ’ont prefque jamais emp
lo y é qu’en épifodes. I l femble qu’ils réfêrvent
toutes les forces de leur génie pour les tableaux &
les deferiptipns , qui cependant ne font à l ’Épopée
que ce qu eft à la Tragédie la décoratiou théâtrale.
O r le plus beau fpeéta c le, fans le fecours du p a thétique
, feroit froid, ianguiffant, fatiguant même,
M O L
s’i l étoit lon g ; & c’eft ce qui arrive à l ’Épopée
quand la pafiion ne l ’anime pas. ( M. M a rm o n -
t e l . )
M O L O S S E , f. m. Littérature. Terme de
l ’ancienne Poéfie grèqué & latine. C ’eft le nom
d’une mefore ou pied de vers , compofé de trois
longues, .comme à u d ïr ï, cà n tà bàn t, viriütèm.
I l ^ avoit .pris ce n om, ou des Molojfes, peuples
d’Épire ; ou de ce q u e , dans le temple de Jupiter
molojjien , on chantoit des Odes dans lefquelles ce
pied dominoit ; ou encore parce qu’on les chan-
toit en l ’honneur de MoloJJus , fils de Pyrrhus &
d’Andromaque ; d’autres veulent que ce foit parce
que les Molojfes , en allant au combat, chantoient
une chanfon guerrière dont les vers étoient p r e fq u e
tous compofés de fyllabes longues. Les anciens ap-
peloient encore ce pied volumnius , extem ipes ,
h ip p iu s , & chanius. (D é n ia , c. n). p a g . 4 7 5 . )
( A n o n ym e . )
( N . ) M O M E N T , IN S T A N T . Synonymes.
Un Moment n’eft pas long ; un In jla n t eft encore
plus court.
L e mot de Moment a une lignification plus
étendue ; i l fe prend quelquefois pour le temps
en général, & i l eft d ufage dans le fens figuré.
L e mot d'In jla n t a une lignification plus reflerrée ;
i l marque la plus petite durée du temps, & n’eft
jamais employé que dans le fens littéral.
T ou t dépend de favoir prendre le Moment favorable
; quelquefois un Inftant trop tôt ou trop
tard eft tout ce qui fait la- différence du fuccès à
l ’infortune.
Quelque fage & quelque heureux qu’on fo i t , on
a toujours quelque fâcheux Moment qu’on ne lau-
roit prévoir. I l ne faut fouvent qu’un In jlan t pour
changer la face entière des chofes qu’on croyoit le
mieux établies.
Tous les Moments font chers à qui çonnoît fe
prix du temp s. Chaque In jlan t de la vie èft un pas
vers la mort. ( L ’abbé GlRARD. )
(N . ) M O N O S Y L L A B E , adjeét. Qui ne
comprend qu’une fyllabe, qui n’eft que d’une fyl-
labe. Ce mot eft * compofé de l ’adjectif
.( feul ) & du nom^vAAct/Siî -f fyllabe ).
Quoique la terminaifon ent de la troifièmeper-
fonne plurièle des verbes repréfente dans la prononciation
un e muet, & q u e , précédée d’une con-
fonne, elle faffe une fyllabe qui fe compte dans les
vers ; comme dans celui-ci de Racine , ( Fr. en,n.
I V , üj. )
Ils dé cou trient la tète & ne m’écoutent pas :
i l eft vrai néanmoins que cet e muet final n’eft plus
qu’un figne de longueur dans ‘les terminaifons verbales
aient & o ien t, de quelque manière que celles-
M O N
cr fe prononcent, Se q u e lles font mon ofy llalts ,
même en vers :
Vous avez dans vos mains la fortune & la vie
. De l’objet le plus rare & le plus précieux
Que jamais à la Terre aient accordé les Cieux.
( Mariamne. III. j . )
Anglois , frânçois, lorrains , que la fureur aflemble,
Avanpoienf, combattaient, îï^poient, mouvoient en-femble.
(Kent. vj. 279. )
Que tant de rois ne croient aflurer leur victoire,
Qu’en éloignant de lui jufques a fa mémoire.
( Troyennes. III . Y, ) .
Monofyllabe eft fouvent pris camme un fubfo
tantif mafeulin ; parce qu’alors on Toufentend mot.
F o i , D ieu , d on t, font des Monofyüabes.
« Une langue , dit un Anonyme dans le D i& .
r> raifpnné des fcience s & des arts , qui abondera
» en Monojyilabes , fera prompte , énergique ,
» rapide; mais i l eft difficile qu’e lle foit harmo-
» nieufe : on peut le démontrer par des exemples
» de vers où l ’on verra que , plus i l y a de M û ri
nofyllabes, plus ils font durs. Chaque fyllabe
» ifolée & feparée par la prononciation fait une
» efpèce de choc ; & une période qui en feroit
» compofée , imite roit, à mon o r e i lle , le bruit
» défagréable. d’un polygone à plufieurs côtés, qui
» rouleroit for des paves. Quelques vers heureux,
» tels que celui de Malherbe,
» Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas,
» ne prouvent rien contre la généralité de mon
» obfervation ■ : jamais Racine ne fe feroit pardonné
» c e lu i- c i,'
» Le Ciel n’eft pas plus pur que le fond de fon coeur,
» fans, le charme de l ’idée qui l ’a fait paffer for la
» cacophonie de p a s p lu s p u r ».
J’avoue que cette cacophonie eft défagréable, à
caufe de la répétition' confécutive de p , p y p :
mais cela ne prouve rien contre les Monojyllabes
dont le vers eft. compofé ; & l ’Anonyme a préfenté
le vers de Malherbe comme un vers heureux,
■ nonobftant les Monojyllabes. L a vérité eft qu’i l
ne faudroit pas affeéter de n’employer que des.
Monojyllabes dans un Poème ; parce que cette
difficulté faéfcice', qui n’eft bonne à rien, nuiroit
fouvent à l ’harmonie par la néceffité de ne fe fervir
que de cette efpèce de mots , & peut-être encore
plus fouvent à la juftefle des penfées & à l ’énergie
des fentiments.
C eft peut-être ce qu’i l y a de plus fériéux à
reprocher a un Poème qui fut préfenté à l ’A cadémie
françoife en 1768, fur la R e lig io n : i l eft
compofé de 1524 v er s, prefque tous alexandrins,
& où i l n’eft entré que des M o m f y l l a k s . L ’im-
M O N
poffibililé de finir les vers par je , me , té , f i y
que , l e , & c , n’a pas permis à l ’auteur de mefrre
dans fon Poème des rimes féminines; & voilà un
des inconvénients de l’entreprife : j’ai déjà indiqué
les autres , dont le principal eft que cet écrivain
s’eft ô té , par ce miférable affujettiftement, la liberté
de prendre un ton digne de la matière qu’i l aveit
choifie, ( M . B e a u z é e . )
( N . ) M O N O S Y L L A B IQ U E , adj. Qui n’eft
compofé que de monofyllabes. Une réponfe 7770-
nojyllabique. Convcrfation monofyllabique. Des
vers monofyllabiques, comme ceux qu’on a cités
dans l ’article précédent. ( JkT. B e a u z é e .)
(,N. )• M O N O T O N IE , f . f. Uniformité 8t
égalité de ton. Ge mot eft compofé de l ’adjectif
grec fMvos ( feul ) & du nom 'ilm ( ton ). I l fe dit
au propre , de la manière de prononcer ; & au
figuré , de la manière d’ écrire.
I. Dans le premier fens , c’eft un défaut de variation
dans les inflexions de la v o ix , qui fait prononcer
tout ce qu’on dit for le même ton : défaut
défagréable dans la converfation, parce qu’il annonce.
ou une pitoyable ftupidité ou an ridicule
pédantifme ; défaut impardonnable dans un orateur,
parce qu’ i l le fait foupçonner ou de ne pas favoir
ou de ne pas fentir ce qu’i l dit. Rien de fi ennuyeux
pour l ’auditeur que' cette confiante uniformité de
ton , & rien en même temps de plus nuifible à l ’effet
que le difeours doit produire & que l ’orateur doit fe
propofer.
Premièrement, une prononciation toujours égale
femble mettre de niveau toutes les parties du difeours
oratoire ; elle affoiblit ainfi ce qu’i l y a de
plus " fort dans le raifonnement , & ôte tout le
luftre à ce qu’i l y a de plus éclatant dans les figures
& dans toute l ’élocution. En fécond lieu , quand
le s beautés de l ’élocution & tout le mérite intrinsèque
de la compofition, pourroient fe faire
fentir nonobftant les contradiétions de la' M onotonie
; l ’attention dé l ’auditeur pourroit - elle fe
foutenir contre 1 influence foporifique qui en eft
phyfiquemént inféparable ? & dans ce cas , que
produira le difeours fur un auditoire endormi, ou
du moins diftrait par fes efforts redoublés contre les
pefanteurs de l ’anoupiffement ?
Cette Monotonie eft pourtant un vice prefque
général dans ceux qui parlent en public : je crois
que la principale caufe en eft . que ceux qui
aprennent à lire aux enfants, les accoutument à
prononcer du même'tom tout ce qu’ils liferit ; qu’en
fortant des mains de ces premiers maîtres, ils paf-
fënt fous d’autres qui leur font aprendre les rudiments
des langues & de la Rhétorique, fans les
corriger de cette mâuvaife habitude , pour ne pas
nuire au fond par les ' entraves de la forme : &
qu’enfin une habitude contraérée pendant fi lono^
temps , dans un âge d’ailleurs où les imprelfions
font profondes & tenaces , devient véritablement une