
un tour dans la phrafe , mais c c ft toujours le
même.
Bien des peintres font tombés dans le défaut de
mettre des contraltos partout & fan s ménagement,
de fo r t e que , lorfqu’ou voit une figure, on deviné
d abord la difpofition de ce lle d’à côté ; cette continuelle
divernté devient quelque chofe de fem-
blable : d’ailleurs la nature, qui jette' les chofes dans
le défordre, ne montre pas l ’affeélaciôn d’un con-
trafte continuel, fan s compter qu’elle ne met pas
tous les corps en mouvement & dans un mouvement
forcé. E lle eft plus variée que cela ; elle met les uns
en repos, & elle donne aux a u t r e s différentes fortes de
mouvements.
Si la partie de l ’ame qui connoît aime la variété ,
ce lle qui font ne la cherche pas moins : car l ’ame
ne peut pas foutenir long temps les mêmes f ix a tions
, parce qu’elle eft liée à un ' Corps qui ne
peut les fouffrir ; pour que notre ame foit excitée,
i l faut que les efprits coulent dans les nerfs. O r i l
y a là deux chofes , une laflitude dans les nerfs ,
une cenation de la part des efprits qui-ne coulent
p lu s , ou qui fe diffipent des lieux ou ils ont
coulé.
A in fi, tout nous fatigue à la longue , & furtout
les grands plaifirs : on les quitte toujours avec la
même fatisfa&ion qu’on les a pris ; : car les fibres
qui en ont été le s organès ont befoin de repos y
i l faut en em p lo y e r d’autres plus propres à mous
fervir, & diftribuer, pour ainfi dire , le travail.
Notre âme eft lafle de fentir ; mais ne pas fentir,
c ’eft tomber dans un anéantiflement qui l ’accable. On
remédie a tout en variant fes modifications ; elle font,
£c elle nèfe laffe pas.
s D e s pla ifir s de la furprife. Cette difpofition de
l ’ame qui la porte toujours vers différents objets,
fait qu’elle goûte tous les plaifirs qui viennent de
la furprife : fentiment qui plaît à l ’ame par le fpec-
tacle & par la promptitude de l ’aéfcion ; car elle
aperçoit ou fent une chofe qu’elle n’attend pas , ou
<d une manière qu’e lle n’attendoit pas.
Une chofe peut nous furprendre comme mer-
veilleufe , mais auffi comme nouvelle , & encore
comme inattendue; & dans ce dernier cas, le fentiment
principal fe l ie à un fentiment acceffoire,
fondé fur c e que la chofe eft nouvelle ou inattendue.
C ’eft par là que les jeux de hafard nous piquent ; 51s nous font voir une fuite continuelle d’évènements
non attendus : c’eft par là que les jeux de; f o c ié t é
noiis p l a i f e n t ; ils font encore Une fuite d’évènements
imprévus , qui ont pour caufe l ’adreffe jointe au hâ-
fard.
C ’eft encore par là que les pièces deThéâtre nous
p la ifen t; elles fe dèvelopent par degrés, cachent
le s évènements jufqu’à ce qu’ils arrivent , nous préparent
toujours de nouveaux fujetsde furprife, & fou-
vent nous piquent, en nous les montrant tels que nous
aurions dû les prévoir.
Enfin les ouvrages d’efprit ne font ordinairement
lus que parce qu’ils nous ménagent des furprifes
agréables & fuppléent à l ’infipidité des convérfa-
tions prefque toujours languiffantes, & qui ne font
point cet effet.
■ 1 P1Lyc etre produite par la choie ou par
la maniéré de 1 apercevoir car nous voyons une
chofe plus grande ou plus petite q u e lle n’eft en
effet, ou differente de ce qu’elle eft ; ou bien nous
voyons la chofe même, mais avec une idée accef-
foire qui nous furprend. T e lle eft dans une cliofe
1 idee acceffoire de la difficulté de l’avoir faite , ou
de la perfonne qui l ’a faite , ou du temps où elle a
été faite, ou de la manière dont elle a été faite, ou de
quelque autre eircopftancé qui s’y joint.
Suétone nous décrit les crimès de Néron avec un
fang froid qui nous furprend , en nous fefant p ref-
que crpire qu’H. ne fent point l ’horreur de ce qu’i l
décrit ; i l change de ton tout à coup , & dit : « L ’u -
»nivers ayant fouffert ce monftre pendant quatorze.
» ans, enfin i l l ’abandonna » y Taie monfirum per
quatuordecim ajinos pevpejfus terrarum orbis ,
tandem defiituiu Ceci produit dans l’efprit différentes
fortes de furprifes: nous fomines furpris du
changement de ftyle_ de fau teu r , de la découverte
de fa différente manière de penfer, de fa façon de
rendre en auffi peu de mots une des grandes révolutions
qui foit arrivée ; ainfi, l ’ame trouve un
très-grand nombre de fentiments différents qui concourent
à l ’ébranler 8c à lui compofer un p laifïr.
: D e s diverfes- çaufes qui peuvent produire un
fentiment. I l faut bien remarquer. qu’un fentiment
n’a pas ordinairement dans notre ame une caufe
unique ; c’e f t , fi j’ofo me fervir de ce terme , une
certaine dofe qui en produit la force & la variété.
L efprit confifte à lavoir fraper plufîeurs organes à
la fois; & fi l ’on examine les divers écrivains, on
verra péut-être que les meilleurs & ceux qui ont p lu
davantage, font ceux qui ont excité dans Taine plus de
fenfàtions ert même temps.
V o y e z , je'vous prie , la multiplicité des caufos :
nous aimons mieux voir un jardin bien arrangé ,
qu’une confufion d’arbres ; i °. parce que notre vue,
qui feroit arrêtée , ne l ’eft pas ; z°. chaque allée
eft u n e , & forme une grande chofe , au lieu que
dans la confufion chaque arbre eft une chofe &
une petite chofe ; 3 °. nous voyons un arrangement
que nous n’avoïis pas coutume de voir; 4 . nous
lavons bon gré dé la peine que Ton à prîfe ; $°.
nous admirons le foin que l ’on a de combattre fans
ceffe la nature, qui, par des productions qu’on né
lui demande p a s , cherche à tout confondre ; ce qui
eft li vrai , qu’un jardin, négligé nous eft infuppor-
table : quelquefois la difficulté de l ’ouvrage nous
p la î t , quelquefois c’eft la-facilité ; & comme dans
un jardin magnifique nous admirons la grandeur &
la dépenfo du maître, nbus -voyons queiquefoisavec
plaifir qü’on a eu l ’art de nous plaire avec peu de dé-
penfe & de travail.
L e jeu nous p la ît , parce qu’i l fàtîsfàit notre avarice
, c’ eft à dire, l ’efpérance d’avoir plus ; i l flatte
notre vanité par l ’idée de la préférence que la fortune
nous donne , & de l ’attention que les autres
ont fur notre bonheur ; i l fatisfait notre curiofité ,
en nous .donnant en fpeétacle; enfin i l nous donne
les'différents plaifirs de la furprife.
L a danfe nous plaît par la légèreté , par une
certaine grâce, par la beauté & la variété des attitudes,
par fa liaifon avec la Mufique , la perfonne
qui danfe étant comme un infiniment qui accompagne;
mais furtout elle plaît par une difpofition
de notre cerveau, qui eft telle qu’ elle ramène en
fecret l ’idée de tous les mouvements à de certains
mouvements, la plupart des attitudes à de certaines
attitudes.
D e la fenfibilite. Prefque toujours les chofes
nou.s plaifent & dépiaifent à différents égards : par
exemple , les virtuofi d’Italie nous doivent faire
peu de plaifir ; i ° . parce qu’i l n’eft pas étonnant
qu’accommodés comme ils font ils chantent bien,
ils font comme un inftrument dont l ’ouvrier a retranché
du bois pour lui faire produire .des fons ;
20. parce que les paifions qu ils jouent font trop fuf-
pe&es de faulleté; 30. parce qu’ils ne font ni du
fexe que nous aimons , ni de celui que nous efti-
mons : d’un autre côté ils peuvent nous plaire ,
parce qu’ils confervent très - long temps un air de
jeunefle, & de plus parce qu’ ils ont une voix flexible
& qui leur eft particulière ; ainfi , chaque chofe
nous donne un fentiment qui eft compofé de beaucoup
d’autres , lefquels s’affbibliffent & fe choquent
quelquefois.
Souvent notre ame fe compofe e lle - même des
raifons de p la ifir , & elle y réuffit furtout par les
liaifons qu’elle met aux chofes: ainfi, une chofe
qui nous a plu nous plaît encore, par la feule
raifon qu’elle nous a plu , parce que nous joignons
l ’ancienne idée à la nouvelle : ainfi, une aétrice
qui nous a plu fur le théâtre , nous plaît encore
dans la chambre ; fa voix , fa déclamation , le fo u -
venir de l ’avoir vu admirer , que dis - je ? l ’idée
de la princeffe jointe à la fîenne , tout cela fait
une efpèce de mélange qui forme & produit un
plaifir.
Nous fommes tous pleins d’idées acceffoires. Une
femme qui aura une grande réputation & un léger
.défaut, pourra le mettre en crédit & le faire regarder
comme une grâce. L a plupart des femmes
que nous aimons n’ont pour elles que la prévention
fur leur oaiffance ou leurs biens, les honneurs
ou l ’eftime de certaines gens.
D e la délicateffe. Les gens délicats font ceux
qui a chaque idée, ou à chaque Goût joignent
beaucoup d idées ou beaucoup de Goûts acceffoires.
Le s gens groffiers n’ont qu’une fenfation; leur ame
ne fait compofer ni décompofer ; ils ne joignent
ni n’ôtent rien à ce que la nature donne, au
lieu que les gens délicats dans l ’amouj: fe cornpofent
la plupart des plaifirs de l ’amour. Polixène
& Apicius portoient à la table bien des fenfàtions
inconnues à nous autres mangeurs vulgaires ; &r
ceux qui jugent avec Goût des ouvrages d’e fp r it ,
ont & fo font fait une infinité de fonfàtions que les
autres hpmmes n’ont pas.
D u je -n e - fa is -q u o i. I l y a quelquefois, dans les
perfonnes ou dans les chofes, un charme invifible ,
une prâce naturelle, qu’on n’a pu .définir & qu’on
a été obligé d’appeler le je -n e -fa is -qu oi. I l me
femble que c’eft un effet principalement fondé fur
la furprife. Nous fommes touchés de ce qu’une
perfonne nous plaît plus qu’elle ne nous a paru
d’abord devoir nous plaire ; & nous fommes agréablement
furpris de ce qu’elle a fu vaincre des défauts
que nos yeux nous montrent , & que le coeur
ne croie plus : voilà pourquoi les femmes laides
ont très-fouvent des grâces, & qu’i l eft rare que
les belles en ayent ; car une belle perfonne raie
ordinairement le contraire de ce que nous avions
attendu ; elle parvient à nous paroître moins aimable
: après nous avoir furpris en b ien , elle nous
furprend en mal ; mais l ’impreffion du bien eft ancienne
, ce lle du mal nouvelle : auffi les belles
perfonnes font-elles rarement les grandes paffions ,
prefque toujours réfervées à celles qui ont des grâces
, c’eft à dire, des. agréments que nous n’attén-
dions point & que nous n’avions pas fujet d’attendre*
Les grandes parures ont rarement de la g râ c e ,
& fouvent l ’habillement des bergères en a. Nous
admirons la majefté des draperies de Paul Véro-
nèfe ; mais nous fommes touchés de la fimplicité
de R aphaë l, & d e là pureté du Corrège. Paul V é -
ronèfe promet beaucoup, & paye ce qu’i l promet ;
Raphaël & le Corrège promettent peu & payent
beaucoup, & cela nous p laît davantage.
Les grâces fe trouvent plus ordinairement dans
l ’efprit que dans le vifage ; car. un beau vifage pa-
roît d’abord & ne cache'prefque rien : mais l ’efprit
ne fe montre que peu à p eu ,. que quand i l v eu t ,
& autant qu’i l veut ; i l peut fe cacher pour paroître ,
& donner cette efpèce de furprife qui fait les
grâces. •
Les grâces fo trouvent moins dans les traits du.
vifage que dans les manières • ; car les manières
naifient à chaque inftanr, & peuvent à tous les moments
créer des furprifes : en un mot, une femme ne
peut guèresêtre belle que d’une fa çon , mais e lle eft
jolie dé cent-mille.
L a lo i des deux fexes a établi parmi les nations
policées & fauvages, que les hommes demande-
roient, & que les femmes ne feroient qu’accorder :
de là i l arrive que les grâces "font plus particulièrement
attachées aux femmes. Comme elles ont tout
, à défendre , elles ont tout à cacher : la moindre
parole , le moindre gefte , tout ce q u i, fans choquer
le premier devoir, fe montre en elles , tout
ce qui fe met en liberté,. devient une grâce ; &
te lle eft la fageffe de la nature, que ce qui ne
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