
le nombre : car fi l ’accent eft fur l ’antépénultième
, la voix gliffe fur les dernières, & le vers
devient daétylique ; & fi l ’accent eft fur la pénultième
, la derniere forme avec elle un chorée , dont
le mouvement fe renverfe & donne ainfi , au gré du
p o e te , le rhytme trochaïque & le rhytme iambique.
Cette abondance de mots dont la pénultième eft
accentuée & la derniere foible ,- rend facile &
Commune, dans les vers lyriques italiens , te lle &
te lle efpèce de rhytme qu’i l efi: prefque impolfible
d’imiter dans les nôtres. Par exemple :
Ardito ti rendu
L ’ accenda
D e fdegno ,
D ’un figlïo
I I periglio ,
D ’ un regno
L ’amor.
JS dolce ad un aima
Che afpetta
Vendetta
I l perder Ip calma ,
Fra l ’ ire del cor,
Che abijfo di pene,
Lafciare i l fuo bene,
. Lafciar lo per fempre ,
Lafc iar lo côji !
No , la Jperan^a
P iu non m’allétta ;
Voglio vendetta
Non chiedo amor,
Se i l ciel mi divide
D ’al caro mîo JpoJ&
Perche non m’ occide
Pietofo i l martir?
Divifa un momento
D ’al dolce tefôro,
Non vivo t non moro;
Ma provo i l tormento
D i viver penofo ,
D i lungo morir,'
E t cet avantage de la langue italienne eft tel
qu’i l a contribué, au moins autant que la facilité dé
les articulations & que la netteté de fes voyelles
fon ore s, à la rendre, de l ’aveu de l ’Europe entière
la plus muficale des langues vivantes.
L o in donc que la multitude des finales foibles ou
Féminines foit nuifiblê à l’accent & à la mélodie
d’une langue , e lle leur eft très-fàyotable ; S i juftmes
là le préjugé me femble abfolument détruit. ^
Mais dans la langue italienne ces définences brèves
& défaillantes ne laiflent pas d’avoir un fon diitinél
& glus fenfible que celui de notre e m u e t8 dont le
vice efi: d’être trop foible & trop confus : c’efFdô
quoi je tombe d’accord.
Je dirai feulement que ce défaut, qui ne fe fait
que trop fentir dans la fimple élocution , lorfque
1 a fteur, l ’orateur, ou le leéteur néglige fes finales,
affe&e beaucoup moins le chant , qui donne lu i-
même à tous les fons une valeur plus décidée ; &
j’ajouterai que, fi dans le chant le fon final de V e m u e t
fe fait entendre affez pour remplir la mefure & pour
tenir lieu à l ’oreille du foible fon qui. achève, par
exemple, les inflexions d’un air de flûte , i l fuffit à
la mélodie : car on n’a jamais reproché a un joueur
de flûte de former fur la petite note un fon trop
foible & trop doux ; au contraire , plus ce fon
expirant fera délicatement lié , pourvu qu’ i l foit
perceptible à l ’oreille , plus i l aura le caractère de
molelfe qu’ i l doit avoir.
O r dans le chant, la finale fo ib le , que nous appelons
m u e t t e , répond exactement à ce fon expirant
que la flûte laiffe échaper : i l a donc toute
la valeur qu’i l doit avoir, dès qu’i l eft fenfible à
l ’oreille ; & les muficiens françois , q u i , dans leurs
ports de voix ridiculement déplacés, ont élevé la
, finale de g lo i r e & de v i c to ir e , n’avoient le fenti-
ment ni de la profodie de leur langue ni des fineffes
de leur art.
Les poètes , i l eft vrai , les ont induits à faire
cette faute , en leur donnant pour le repos final une
défînence m u e t t e ; ce que les italien s , & finguliè-
rement Métaftafe, évitent avec fo in , comme on vient
de le voir. Mais cette négligence du poète n’eft
pas elle-même une excufe pour le compofiteur; &
lors même que la défînence eft m u e t t e au repos de
l ’air , un homme habile fait bien lu i confervèr fà
valeur & fon caractère. • Dans cet air d’Atys par
exemple ,
Je retiens un plaifir extrême
A revoir ces aimables lieux j
Où peut-on jamais être mieux
Qu’aux lieux où l ’on voit ce qu’on aiiqe ?
M. Piccini, tout novice qu’i l étoit dans notre langue,
s’cft bien gardé de foutenir la finale t f a i m e i l a
mis l ’accent & l ’expre filon fur a i , & a lai fie expirer
m e , comme i l expire dans l ’élocution naturelle.
Nous voilà parvenus à cette vérité que j’ai voulu
rendre fenfible : que ce n’eft jamais fur les fyllabes
brèves, fugitives , ou défaillantes, que la Mufîque
met les accents , les ap puis, le fort de la voix :
que ce n’eft donc jamais par e lle s , mais, par les
fyllabes pleines & Tonnantes, qu’i l faut juger fi une
langue eft elle-même affez fonore poûr être favorable
au chant : que fi cette langue a dans fes éléments
une grande abondance de fons pleins & retentiffants,
plus e lle aura d’ailleurs de définences molles , plus
elle fera variée , & plus l ’accent qui portera fur les
fons pleins & foutenus fera marqué : que c’eft de ce
mélange que réfulte l e f o r t e p i a n o d’une langue,
6c fon analogie aveç celui de la Mufîque : enfin *
toü’i l eft indifférent ou prefque indifférent pour l ’accent
inufîcal, que la fyllabe fugitive, ou défaillante foit
plus ou moins fonore, pourvu qu’elle fe faffe entendre;
& q u e , fi V e m u e t final eft fenfible à l ’o r e i lle , non
feulement ce m’eft pas un mal qu’i l abonde dans
n©tre lan gu e , mais que , pour tenir lieu des défî-
nences brèves 61 c a d e n t e des italien s, i l n’eft pas
même encore affez fréquent.
Une propriété effentielle de V e m u e t { quoique
plus d’un grammairien 1 ait méconnue ) c eft
Je 'rendre lon gu e , à la fin des mots, la fyllabe
qui le précède. C e la n’eft prefque pas ‘ fenfible
dans le langage familier ; mais lorfque l ’accent
oratoire ou poétique fe fait entendre , i l n’ eft
perfonne qui ne s’aperçoive que la pénultième
des mots à finale muette , fe prolonge & porte
l ’accent. Quand je dis q u e lle fe prolonge, J e ne
. dis pas qu’elle s’altère ; & le plus ou moins ' de
durée n’en change point la qualité. Dan s. r ép é t e r
& dans r é p é t é , les deiix premiers e font le même,
ainfi que V a de f l a t t e r 6c de f l a t t e , ainfi que
V i 8 e x p i r e r & d1e x p i r e , ainfi que l ’ o de d o n n e r
& de d o n n e , ainfi que V u d’im p u t e r & à’ im p u t e ;
feulement avant V e m u e t cés fons prennent plus
de valeur. L a mufîque furtout, qui donne à tous
les fons une quantité appréciable , fait fentir ce
que je veux dire. Depuis Lambert & L u lly jufqu’à
nous, & dans le fimple vaudeville , comme dans
les chants les plus mélodieux, les plus favamment
compofés , i l eft prefque fans exemple qu’on fe foit
écarté de cette règle de profodie ; & toutes les fois
que V e m u e t final n’eft pas éteint par l ’élifion , la
fyllabe qui le précède s’allonge , & devient fufcep-
tible de prolation & d’inflexion : ce qui n’arrive-
lo it jamais fi elle étoit réellement brève : car en
mufîque les valeurs relatives étant plus décidées ,
les fautes contre la profodie y font auffi plus remarquables
que dans la modulation naturelle dé la par
o le , & rien ne feroit plus intolérable pour l ’o reille
, que le retour continuel de ces voyelles
brèves , que la mufîque p ro lo n g e a it. V o y e -^
A ccent. ( M . M a r m o n t e l ).
(N) M U E T , T E , adj. Privé de l ’ufàge de la parole.
Par un tour figuré , cette qualification a été
donnée afux lettres par les grammairiens, en deux
fens différents : dans le premier fens , elle n’eft attribuée
qu’à certaines articulations ou confbnnes ,
dont on a prétendu caraétérifer ainfi la nature ; dans
le fécond fens, elle défîgne toute lettre , vo y e lle
ou confonne, qui eft employée dans l ’Orthographe ,
fans être rendue en aucune manière dans la prononciation.
I. D e s c o n f o n n e s a p p e l é e s muettes. » Les gram
* mairiens , dit l ’abbé Regnier ( G r a m m . f r a n ç .
o «h—4°. & i n - ï x . p a g . 9. ) , ont accoutumé , dans
» toutes les langues, de faire piufîeurs divifîons &
» fubdivifions des confonnes : & la divifîon la plus
» commune à l ’égard des langues modernes, eft
o qu ils en diftinguent les confonnes en m u e t t e s 6c
o en demi-voyelles; appelant m u e t t e s > toutes celles
» dont le nom commence par une confonne , comme
» £ , c y d , g y k y p , q , t y ^ ; Sc d emi"VO y elles ,
» toutes les autres , comme ƒ ’, h , / , m , n , r ,
ƒ , x v > .
Ce t académicien abandonne cette divifîon, parce
qu’elle n’eft établie , d i t - i l , fur aucune différence
fondée dans la nature des confonnes.
En e ffe t, s’i l ne s’agit que de commencer le
nom d’une confonne par cette confonne même,
pour la rendre m u e t t e ; i l n’y en aura pas une
feule qui ne le devienne , fi l ’on adopte jamais
univerfeilement le fyftême de P. R . fur la dénomination
des confonnesɧ & i l eft très-poffible qu’on
en vienne là , par J’ufage qu’on en fait déjà &
qu’on en fera de plus en plus pour faciliter l ’épellation
& l ’art de lire. D ’ailleurs i l eft démontré
qu’aucune confonne n’a de valeur qu’avant une
vo y e lle , o u , fi l ’on v eu t , que toute articulation
doit précéder la voix qu’elle modifie ; toutes les
confonnes feroient donc m u e t t e s de leur nature,
puifque par leur nature elles ne feroient mifes en
valeur qu’au moyen d’une vo y e lle qui les fuivroit :
c’eft dans ce fens que Platon ( i n C r a t y l o ) les
appelle toutes aepm a i ,* ce qui revient à la dénomination
de M u e t t e s , & a autant de vérité que
ce lle de C o n f o n n e s , quoique les deux fens foient
affez différents ; elles font m u e t t e s par elles-mêmes^
parce qu’on ne peut les entendre qu’avec la voix
qu’elles modifient ; mais cela même les rend véritablement
confonnes^
A u refte, la confonne dont le nom vulgaire commence
chez nous par une v o y elle , commençoit
chez d’autres peuples par la confonne même : nous
difons e l l e y em m e , e n n e , e r r e , e j f e ,• les grecs
difoient la m b d a , m u , n u , r o , f i g m d ; & les
hébreux l a m e d , m em , n u n ou n o u n , r e j f ou r e f e h ,
f a m e c h : les mêmes lettres qui étoient m u e t t e s
pour ces peuples , feroient donc demi - v oyelle s
en France & chez toutes les nations qui ont emprunté
l ’alphabet latin , quoique ces lettres foient
partout les fîgnes des mêmes moyens d’explofîon y
ce qui eft abfurde.
O n ne peut pas dire la même chofe de la di£-
tin&ion que j’ai faite, des articulations & des confonnes
, en m u e t t e s & fifflantes : e lle eft fondée fur
la manière dont fe préfente l ’ obftacle formé par le
mouvement de la partie organique, & cette manière
fera la même partout ou l ’on voudra procurer à la
voix les mêmes explofions. ( V o y e z C onsonne.)
Mais l ’abbé de Dangeau n’avoit pas encore donné
l ’idée des véritables diftinctions des-confonnes, lo r f que
l ’abbé Regnier publia fà Grammaire ;_ou ce lu i-
ci étoit encore bien éloigné de la véritable philo-
fophie du langage.
II. D e s l e t t r e s m u e t t e s d a n s V O r t h o g r a p h e ,
Pour ce qui eft des lettres appelées m u e t t e s dans
l ’Orthographe à caufe de leur inutilité pour la p r o -
| nonciation ; je ne crois pas qu’on puiffe remarquer'