
cfpèce particulière, c’eft qu’au contraire , chaque
fois qu’on en fait ufage , i l dénote toujours
un individu précis, c’eft à dire , la perfonne particulière
qui parie alors. O n peut dire qu’i i eft à
la fois ce que les logiciens appellent un fingulier,
& ce qu’ils appellent un ternie commun ; ôc qu’i i
réunit dans la lignification des qualités oppolées
en apparence , c eft à dire, l ’individualité la plus
précile & la. généralifation la plus étendue.
Un mot qui exprime une idée fi àbftraite & fi
métapliyfîque.ne devoit donc pas fe préfenter aile—
ment ni tout à coup à i ’efprit des premiers créateurs
du langage. On peut obferver que ce qu’on
ap p e lle des pronoms perfonnels , font du nombre
des derniers mots dont les enfants apprennent à fe
fervir. Un enfant, en parlant de lui-même , dit :
B illy ou Chariot f e promette. Chariot a f a im ,
au lieu de dire je me promène, f a i fa im .
Puifque donc que , lorfqu’on commença à p a rle r ,
i l fembie que les hommes ayent évité d’employer les
prépofitions, du moins les plus abftraites , & qu’ils
ont exprimé les mêmes relations que ces prépofitions
défignent aujourdhui , en changeant la ter-
xninaifon du terme corrélatif j ils ont au également
chercher naturellement à éviter la néceflité d’inventer
les pronoms les plus abftraics , en variant
ou diverfifiant la terminaifon du verbe fuivant
que l'évènement qu’i l exprimoit devoit s’affirmer
ade la première, de la fécondé, ou de la
troifième perfonne. O n peut croire auffi que toutes
le s Langue s anciennes ont ajouté cette nouvelle
inflexion à leurs verbes. En la t in , v e n i, v e n ijli,
v e n i t , défignent fulfifamment, & fans autre addition
, les différents évènements exprimés par ces
Îhrafes , j e f u i s v en u , tu es venu , i l eft venu,
.e verbe, par la même raifon, devoit diverfifier fies
terminaifons, fiuivant que l ’évènement devoit s’affirmer
de là première , de la fécondé, ou de la trôi-
fième perfonne du pluriel ; & ce qui eft exprimé -
par ces phrafos , nous fommes v en u s , vous êtes
venus , ils fo n t venus , devoit fe rendre en latin
par c e lle s - c i , venimus,. veniflis , venerunt.
L a difficulté de créer des mots particuliers pour
exprimer les nombres, introduifit un duel & un
plu r ie l dans les noms des Langues anciennes :
l ’analogie , jointe à la même difficulté, a du introduire
les conjugaifons dans leurs verbes. Ainfi 3 nous
devons nous attendre a trouver, dans toutes çes
L a n g u e s primordiales , au moins fix changements ,
s’i l n’y en a pas huit ou n eu f, dans la défi-
pence de chaque verbe , félon que l ’évènement défi-
gné par ce verbe doit s’affirmer de la première ,
de la fécondé , ou de la troifième perfonne du fin-
gulier , du d u e l, ou du pluriel. Toutes ces variations
encore fe trouvant répétées avec celles
des différents temps, des différents modes, & des
différentes v o ix , doivent péceffajremént avoir rendu
leurs conjugaifons encore plus compliquées & plus
embarr allantes que leurs déclinaifons.
ç langage feroit probablement refté dans cet
état dans tous les pays du monde, & ne feroit
jamais devenu plus fimple dans fes déclinaifons
& fes conjugaifons , s’i l ne fut pas devenu plus
compliqué dans fa compofition , par une fuite du
mélangé des différentes Langues les unes avec les
autres, occafionné par le mélangé des diverfes nations.
Tant qu un langage ne fera parlé que par
ceux qui 1 ont appris dans leur enfance , la difficulté
des déclinaifons & des conjugaifons n’occafionnera pas
un grand embarras. L a plus grande partie de ceux qui
le parlent en ont acquis l ’habitude de fi bonnes,
heure, fi infonfiblement , & par degrés fi lents ,
q u ils ont a peine éprouvé aucune difficulté. Mais
lorfque deux nations viennent à fe mêler enfemble ,
loit par conquête ou par émigration , le cas devient
tout different. I l faut alois q u e , pour fe faire entendre
de ceux avec qui l'on eft obligé de converfer,
chaque nation aprenne le langage de l ’autre. U
arrive auffi que la plus grande partie des individus
, en aprenant le nouveau langage , non par art
ni en remontant a fa fource & à les premiers principe.
» mais par routine & par ce qu’ils entendent
ordinairement dire en converfation, fe trouvent extrêmement
embarraffés par la difficulté des déclinaisons
& des^ conjugaifons. Ils s’efforceront donc
alors de fuppléer à 1 ignorance de ces règles , par
toutes les reffources que pourra leur offrir ce langage.
Ils fuppléeront naturellement aux déclinai-
lons par l ’ulage des ^ prépofitions 3 & un lombard
qui voulant p arler latin , aura voulu dire, que te l
prince etoit ami de R om e , ou a llié à Rome ,
en fuppofànt qu’i l ne connût pas le g én itif Sç
le datif du mot Roma , fo fora exprimé en
mettant les prépofitions a l 8c di devant le
nominatif ; & au lieu de Romas , i l aura dît a l
Roma & çli Roma.
Roma & d i Roma font en confëqueçtce la
manière dont les italiens d’aujourdhui , qui déficen-
- dent des lombards & des anciens romains , ex-»
priment cette relation & toutes les autres fembla^
blés. I l fembie que c eft. ainfi que les prépofitions
fo. font introduites à la place des anciennes déclinaifons.
L a même altération s’eft faite , à ce
que j ai entendu dire , dans la Langue grèque
depuis la prifo de Conftantinople par les turcs. Les
mots y font en grande partie les mêmes qu’au-
paravant, mais la Grammaire eft entièrement per-?
d u e , les prépofitions ayant pris la place des an-?
ciennes déclinaifons. On ne peut douter que ce
foui changement 11’ait beaucoup Amplifié tous les
principés du langage. I l met à la place d’un grand
nombre de déclinaifons différentes, une foule déçli-
naifon univerfelîe qui eft la même pour chaque
mot de quelque genre , nombre, 8c terminaifon
qu’i l puiffe être.
Cette révolution des Langue s a délivré ceux qui
les parlent de prefque tous les embarras qui naif-
foiênt des conjugaifons. Il y a dans toutes les L a n gu
es un verbe , connu fous le nom de verbe fobf*
fen tif, qui' en latin eft fum & en ftançols j e f u i s .
C e verbe défigne , non l ’exiftence de quelque évènement
particulier , mais l ’exiftence en général. I l
eft , à raifon de cela , de tous les verbes le plus
abftrait & le plus métaphyfique , & ne peut être
par conféquent un mot d ancienne création. Cepen-*
dant lorfqu’011 en vint à l ’inventer , comme i l a
tous les temps & tous les modes des autres verbes,
étant joint au participe p a ffif, i l pouvoit fuppleer
à touté la voix paffive , & rendre cette partie de
leurs conjugaifons auffi fimple 8c auffi uniforme
que l ’étoient leurs déclinaifons par l ’ufage des pre-
pofitions. Un lombard qui avoit befoin de dire
j e 'fu i s aim é, mais qui ne pouvoit fe reffouvenir
du mot amor, devoit naturellement chercher a fuppléer
à fon ignorance , en difant, E g o fum ama-
tus : j o fono amato eft aujourdhui l ’expreffion
italienne correlpondante à la phrafo françoife que
nous citons.
I l y a un autre verbe qui eft également en
ufage dans toutes les Langue s , & qu on diftingue
par le nom de verbe poffeffif 3 en latin , haheo ,
&^en françois , j ’ ai. C e verbe défigne auffi un évènement
d’une nature extrêmement abftraite & métaphyfique
, .& ne peut par conféquent être regardé
comme un mot d’ançienne création. Cependant, dès
qu’i l fut inventé & qu’on l ’eut appliqué au participe
p a ffif, il pouvoit fuppléer à une grande partie
de la voix aétive , ainfi que le verbe fubftanlif
avoit fuppléé à toute la voix paffive. Un lombard
qui avoit befoin de dire j ’ avois a im é ,. mais qui ne
pouvoit fo rappeler le mot amaveram , devoit s’efforcer
d’y fuppléer par ceux-ci , ego habebam
amatum , ou ego habui amatum : j o aveva amato
ou j o ebbi amato , font aujourdhui, dans l ’italien ,
les expreffions correspondantes. C ’eft ainfi q u e , dans
le mélange des nations diverfes, les conjugaifons,
par le moyen des verbes auxiliaires , approchèrent
de l ’uniformité 8c de la fimplicité des décli-.
naifons.
En géné ral, on. peut établir pour maxime , que
plus un langage fera fimple dans la compofition ,
plus i l fera compliqué dans fes déclinaifons & fes
conjugaifons 3 & qu’au contraire plus i l fera fimple
dans fos déclinaifons & fes conjugaifons, plus i l
fera compliqué dans la compofition.
. L e grec , qui eft une Langue très-fi.nple & très-
peu compofée , fembie , d’après le jargon primit
i f des anciens athéniens & pélalges ., formé de ces
nations errantes 8c lauvages d’où l ’on allure que
la nation grèque eft defcendue. Tous les mots du
grec font dérivés d’environ trois-eents racines ou
termes primitifs : ce qui prouve avec évidence que
les grecs formèrent prefque toute leur Langue chez
eux-mêmes , & que lorfqu’ils avoient befoin d’un
nouveau mot, ils n étoient point accoutumés comme"
nous a Remprunter de quelque Langue étrangère ;
mais qu ils le^formoient, ou en le compofarit, ou
en le dérivant d’un mot ou de plufieurs mots tirés
de leur propre Langue, C ’ eft pourquoi les çorijugaifons
& les déclinaifons grèques font beaucoup
plus compliquées que celles d’aucune autre L a n g u i
de l ’Europe que je connoifle.
L e latin eft compofé du grec & de 1 ancienne
Langue étrufque. Ses déclinaifons 8c fes conjugai-
fons par conféquent font beaucoup moins compliquées
que celles du‘grec. I l n’a point de nombre
duel , même pour les occafions où l ’on parle de
deux perfonnes j i l a confondu ce nombre dans le
pluriel indéfini. Ses verbes n’ont aucun mode optatif
qui foit diftingué par une terminaifon particulière.
I l n’a qu’un futur. I l n’a point non plus ‘d’aôrifte
diftingue du prétérit pa rfait, point de voix moyenne
entre i ’a&ive & la paffive ç plufieurs temps même
de la voix paffive font liés enfemble , ainfi que
dans les Langue s modernes , par l ’affiftance du
verbe fubftantif joint au participe du paffé. Dans
les deux v o ix , l ’aftive & la paffive , le nombre des
infinitifs & des participes eft beaucoup plus petit .
en latin qu’ en grec.
Le s Langues françoife & italienne font compo-
fées toutes deux ; 1 une , du latin & du langage
des anciens francs 3 l ’autre, du latin également 8c
du langage des anciens' lombards. Comme elles
font donc l ’une & l ’autre plus compliquées dans leur
compofition que le latin , elles doivent être auffi
plus fimples dans leurs déclinaifons & leurs conjugaifons.
Quant a leurs déclinaifons, elles ont perdu
leurs cas l ’une & l ’autre 5 & pour ce qui eft de leurs
conjugaifons , elles ont perdu chacune toute la voix:
paffive , & une partie de la. voix aétive de leur£.
- verbes. Elles fuppléent entièrement à la voix p a f five
, par le verbe fubftantif joint au participe du
paffé , & conjuguent une partie de l ’aétive de la
même manière, c’eft à dire , par le moyen du verbe
poffeffif joint également au participe du paffé.
L ’anglois eft compofé du françois & de l ’ancien
faxon. L a Langue françoife s’introduifit en A n g le terre
par la conquête dés normands , & continua,
d’y être , jùfqù’aù temps d’Édouard III , la foule
Langue 'des tribunaux , ainfi que le langage dominant
de; la Cour. L a Langue qu’on parla quelque
temps après en Angleterre , & qu’on y parle encore
aujourdhui , eft un mélange de l ’ancien faxon
& du françois normand. La Langue angloife , étant
par conféquent plus .compliquée dans la compofition
que la françoife & 1 italienne , doit être
plus fimple dans fes déclinaifons & fos conjugai-
fons. Celles-ci ont au moins retenu une partie de la
diftin&ion des genres 3 & leurs adjeftifs varient leur
■ terminaifon, fuivant qu’ils font appliqués a un
: fubftantif féminin ou mafcùlin. Mais la Langue
' angloife n’a point cette diftinétion 3 & fes" adje&ifs
• n’admettent aucun changement dans leurs definences.
; . Les Langue s françoife & italienne ont chacune
. des reftes de conjugaifons 5 & tous les temps de la
voix aétive qui ne peuvent s'exprimer par le verbe
poffeffif 3 joint au participe du paffé , ainfi que plufieurs
de .ceux qui peuvent s’exprimer ainfi , font T
v dans.ces deux Langue s, diftingués par un changement