
eft beau & bien rem p li, mais c’eft le feul. L e
troisième n’eft que le récit Fait à É le é t r e , du
jugement qui les condanne elle & fon frère à fe
donner la mort. Que reftoit-il pour les deux derniers
ailes ? L a fcèoe où Orefte, Éleébre, & Pylade
veulent mourir enfemble , & l'apparition d’Apollon
pour les fauver & dénouer Y Intrigue. I l a donc
Fallu y ajouter, & quoi ? le projet infenfé , atroce,
in u tile , étranger a l ’aérion, d’aftaflirièr Hélène-,
& , s’ils manquoient leur coup , de mettre le feu
au palais : épifode abfolument hors d’oeuvre , & plus
vicieux encore en ce qu’i l détruit l ’ intérêt é c h a n g e
en horreur la cornpafhon qu’infpiroient ces malheureux
devenus coupables.
L a grande reffource des poètes grecs étoit la
reconnoiffance , moyen fécond en mouvements tragiques
, furtout favorable au génie de leur théâtre,
& fans lequel leurs plus beaux fujets , comme
l 'OEd ipe , Y Iphigénie en Tauride , Y Electre ,
l e Crefphonte, le P h ilo clé t e , fe feroient prefque
réduits arien. V qye£ R econnoissance.
Nos premiers poètes, comme le Sénèque des
la t in s , ne favoient rien de mieux que de défigurer
les poèmes des -grecs en les imitant ; lorfqu’i l
parut un génie créateur, q u i, rejetant comme pernicieux
tous les ^moyens étrangers a l ’homme , les
oracles , ladeftinée, la fatalité, fit de la Scène fran-
coife le théâtre des paffions aérives & fécondes, & de
la nature livrée à elle-même , l ’agent de fes propres
malheurs. Dès lors le grand intérêt du Théâtre
dépendit du jeu des paffions : leurs progrès , leurs
combats, leurs ravages, tous les maux qu’elles
ont caufés , les'vertus qu’elles ont étouffées comme
dans leurs germes , les crimes qu’elles’ ont fait
-éclore du fein même de l'innocence , du fond d’un
naturel heureux : tels furent, dis-je , les tableaux
que préfenta la Tragédie. O n vit fur le Théâtre
le s plus grands intérêts du coeur humain combinés
8c mis en balance , les caraétères oppofés & dève-
lopés l ’un par l ’autre, les penchants divers combattus
.& s’irritant contre les obftacles, l ’homme
aux prifes avec la Fortune , la Vertu couronnée au
-bord du tombeau , & le Crime précipité du faîte
du bonheur dans un abîme de calamités. I l n’eft donc
pas étonnant qu’une telle machine foit plus vafte
8c plus compliquée que les fables du Théâtre ancien.
Pour exciter la terreur & la pitié dans le fyftême
ancien , que, fa llo it-il ? O n vient de le voir : une
fimple combinaifon de circonftances, d’où réfulrât
un évènement pathétique. Pour peu que le per-
lonnage mis en péril allât au devant du malheur,
c’étoit affez ’ fouvent même le malheur le cherchait
, le pourfuivoit, s’attachoit à lu i , fans que
fon ame y donnât prife ; & plus la caufe du malheur
étoit étrangère au malheureux , plus i l étoit
jntéreffant. Ainfi , dès la naiffanee d’OEdipe , un
eracle avoir prédit qu’i l feroit parricide & incef-
tueûx ; & en fuyant le crime, i l y étoit 'tombé.
A in f i, Hercule , aveuglé par la haîne de Junon ,
gvoit égorgé fa fem^e & fes enfants ; ainfi, Qrefte
avoie été condanné par un dieu à tuer fa mère
pour venger fon père. Rien de tout cela ne fup-
pofoit ni v ice , ni vertu, ni caractère décidé dans
rhomme jouet de la deftinée.; & Ariftote avoir
raifon de dire que la Tragédie ancienne pouvoit
fe paffer des moeurs. Mais ce moyen, qui n’étoit
qu’acceffoire , eft devenu le reffort principal. L ’amour
, la haîne , la vengeance , l ’ambition , la
jaloufîe ,: ont pris la place des dieux 8c du fort :
les gradations du fentiment , le flux & le reflux
des paffions , leurs révolutions, leurs contraftes ,
ont compliqué le noeud de l ’aétion & répandu
fur la Scène des mouvements inconnus aux anciens.
L a nécefficé étoit un agent defpocique, dont les
decrets abfolus n’avoient pas befoin d’être motivés :
la nature au contraire a fes principes & fes lois j.
dans le défendre même des paffions, règne un
ordre ca ché, mais fenfible , & qu’on ne peut ren-
verfer fans que la nature, qui fe juge elle-même , ne
s’aperçoive qu’on lui fait violence, & ne murmure au
fond de nos coeurs.
On fent combien la précifion , la délicateffe &
la liaifon des relions vifibles de la nature les rend
plus difficiles à manier que les reflorts cachés de la
deftinée. Mais de ce changement de mobiles naît
encore une plus grande difficulté , ce lle de graduer
l ’intérêt par une fucceffion continuelle de
mouvements, de fituations , & de tableaux de plus
en plus terribles & touchants. V o y e z dans le s
modèles anciens , voyez même dans les règles
d’Ariftote , en quoi confiftoit le tiffu de la Fable :
l ’état des chôfes dans i ’avant-fcène , un ou deux
incidents qui amenoient la révolution 8c. la ea-
taftrophe , ou la caraftrophe fans révolution ; voilà
tout. Aujourdhui , quel édifice à conftruire qu’un
plan de tragédie , où l ’on, pâlie fans interruption1
d’ un état pénible à un état plus pénible encore ; où
l ’aétion, renfermée dans les bornes de la nature ,
ne forme, qu’une chaîne ; où tous les évènements ,
amenés l ’un par l ’autre, foient tirés du fond du
fujet & du earadlère des perfonnages ! O r te lle eft
l ’idée que nous avons de la Tragédie à l ’égard de
Y Intrigue. Une fable tiffue comme ce lle de P o -
lyeucîe , d’Héraclius, 8c Y A l f i r e , au roit, je crois,
étonné Ariftote : i l eut reconnu qu’i l y a un art au
deffus de celui d’Euripide & de Sophocle ; & cet art
eonfifte à trouver dans les moeurs le principe de
l ’aâûon.
Dans la Tragédie moderne, Y Intrigue réfdlte ,
non1 feulement du choc des incidents , mais du
combat des paffions j & c’eft par là que, dans l ’attente
de l ’évènement décifif, l ’efpérance & la crainte
fe fuccèdent 8c fe balancent dans l ’ame des fpe&a-r
teurs.
C e n’ eft pas qu’i l ne puifTe y avoir abfolumenc
de l ’intérêt fans cette alternative continuelle d’efi*
pérance & de crainte ; la feule incertitude 8c l ’at-i
tente inquiète , prolongées avec art , dans une
action d’une grande importance, peuvent nous
émouvoir allez ; Qgdipe va-t-il être reconnu pour
le meurtrier de fon père, pour le mari de fa
mère , pour le frère de fes enfants , pour le fléau
de fa patrie ? Ce doute fuffit pour remuer fortement
l’ame des fpeftateurs. Ainfi , tous les grands
fujets du Théâtre ancien fe font paffés (YIntrigue..
Mais lorfqu’il n’y a eu rien à attendre du dehors ,
8c qu’il a fallu foutenir par le jeu des paffions &
des earaéfcères mie aérien de cinq aétes , l ’Intrigue,
plus fimple & mieux combinée, a demandé infiniment
plus d’art. Voye^ T r a g é d i e .
L a Comédie grèqae , dans fes ' deux premiers
âges , n’étoit pas mieux intriguée que la Tragédie :
l ’on en va juger par l’efquifie de l ’une des pièces
d’Ariftophane , & de l ’une les plus célèbres ; elle a
pour titre Les Chevaliers. •
Cléon, tréforier & Général d’armée, fils de
corroyeur & corroyeur lui-même , arrivé par la
brigue au gouvernement de l ’État , usuellement en
place & en pleine puiffance , fut l’objet de cette
Îatyre, dans laquelle il étoit nommé & repréfenté en
perfonne.
Démofthène & Nicias, efclaves dans la maifon
où Cléon s’eft introduit, ouvrent la fcène : « Nous
» avons , difent-ils , un maître dur , homme co-
» 1ère* & emporté, vieillard difficile .& lourd ( ce
» perfonnage, c’eft le peuple ) ; il y a quelque
»» temps qu il s’eft avifé d’acheter un efclave cor-
» royeur, intrigant, délateur fieffé. Ce fripon, con-
» noiffant bien fon vieillard , s’eft étudié à le-flatter,
» a l e gagner, à le féduire. P eu ple d 'A th è n e s ,
» lui dit-il, repofe\ - vous après vos ajjemblées ,
» buve£ , mange\ , &c. I l s’eft infinué dans les
» bonnes grâces du ^vieillard ; il nous pille tous ,
» & il a toujours le fouet de cuir en main, pour
»nous empêcher de nous plaindre ». Ils veulent
donc s’enfuir chez les lacédémoniensq mais trouvant
Cléon endormi 8c dans l ’ivreffe, ils lui volent
fes oracles, c’eft>à dire, les réponfes que lui ont
faites les oracles qu’il a confultés. Dans ces -réponfes
, il eft dit qu’un vendeur de boudin &
d’andouilles fuccèdera au vendeur de cuir. Nicias
8c Démofthène cherchent ce libérateur j Agatocrite
( c’eft le chaircuitier ) , fort étonné du fort qu’on
lui annonce , ne fait comment s’y prendre pour
gouverner l’État. « Pauvre ' homme ! lui dit Dé-
» mofthène , rien n’eft plus facile j tu n’auras qu’a
» faire ton métier, tout brouiller , allécher le
» peuple , & le duper $ voilà ce que tu fais.
» N’as-tu pas d’ailleurs la voix forte , l’ éloquence
» impudente, le génie malin & la eharlatanerie
»du marché? C ’eft plus qu’il n’en faut, crois-
» moi , pour le gouvernement d’Athènes ». Ils
l ’oppofent donc à Cléon fous la protection des
chevaliers, & voilà un Général d’armée & un
marchand de fauciffes qui fe difputent le prix de
l ’impudence & de la force des poumons. Il n’eft
point de crimes infâmes qu’ils rie s’imputent l’un
a l ’autre ; & pour finir l ’aCte, ils s’appellent réciproquement
devant le Sénat où ils voht s’ac-
içufer. ■ :
G r am m , e t L i t t é ra t . Tome IL
Dans le fécond a é te , Agatocrite raconte ce qui
s’eft paffé au' tribunal des juges , où Cléon a été
vaincu. Celui-c i arrive 5 nouveau combat d’impudence
; & Cléon en appelle au peuple. L e peuple
paroît en perfonne : « Venez , lu i dit C lé o n ,
».mon cher petit Peuple; venez, mon P è re » . L e
vieillard gronde & paroît imbécile; les deux concurrents
l e careffent. L e peuple incline pour le
vendeur de chair. C léon a recours à fes oracles : A g a tocrite
lu i oppofe les liens. L e peuple confient à le s
entendre.
L a le&ure de ces oracles fait le fujet du troi-
fième a été. L e peuple paroît indécis. C léo n , pour
delnière reffource, - invite le peuple à un feftin ;
Agatocrite lui en offre autant. C e r é g a l, où chacun -
préfente au peuple fes mets favoris, remplit le
quatrième afte. Agatocrite propofe au peuple de
rouiller dans les deux mannes où étoient les
viandes: la fienne fe trouve vide , i l a donné au
peuple tout, ce qu’i l avoit ; ce lle de Cléon eft
encore pleine. L e peuple , indigné contre Cléon ,
veut lui ôter la couronne pour la donner à fon
rival : mais Cléon allègue un oracle de Delphes
qui défigne fon fucceueür. I l récite l ’oracle , &
à chaque trait de reffemblance , i l reconnoîc qu’i l
s’accomplit : car , félon l ’oracle , le digne fuccef-
feur de Cléon doit être un, homme v i l , un vendeur
de ch air , un v o le u r , un pa rjure, un im-
pofteur, &c. A lo rs Cléon s’écrie : « A d ieu , chère
» Couronne , je te quitte à regret ", un autre te
» portera, finon plus grand vo leu r , du moins plus
» fortuné».
Dans le cinquième a£te, Agatocrite a rajeuni
le peuple : « I l e f t , d i t - i l , redevenu te l qu’i l
» étoit du temps des Miltiades & des Ariftides ».
L e peuple rajeuni paroît. I l a perdu la mémoire ,
i l demande qu’on l ’inftruife des fottifes qu’i l a
faites du temps de Cléon : Agatocrite les lui raconte
; le peuple en rougit. Agatocrite l ’interroge
fur la façon dont i l fe comportera à l ’avenir. I l
répond : E11 perfonne fa g e . Agatocrite produit
deux femmes, qui font les anciennes alliances de
Lacédémone & d’Athènes, que Cléon retenoit captives
, & on leur rend la liberté.
Indépendamment de la groffièreté, de la bafleffie,
& de l ’âcreté fatyrique de cette farce, très - u tile
d ’ailleurs fans doute dans un État républicain , 'on
voit combien Y Intrigue en eft bizarrement tiffue :
c’eft la manière d’Ariftophane. L a Comédie du
troifigme âge , ce lle de Ménandre, étoit mieux
co.mpofée. I l falloit que Ylntrigue en fut bien
fimple , puifque Térence , dont les pièces ne font
pas elles-mêmes fort intr ig uées, étoit o b lig é , en
l ’imitant, de réunir deux de fes fables pour en faire
une , 8c que pour ce la fes critiques l ’appeloient un
demi-Ménandre.
Plaute , fi inférieur àTé rence du côté de l ’élégance,
du naturel, & de la vérité, des moeurs.,'eft
fupérieur à lui du côté de Ylntrigue : fon aétion eft
ï y.