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indigence fe tourne en fuperflu : i l n’ eft point de
v ille qui ne veuille avoir fon H i j î e i r e particuliè
re . O n eft accablé fous le poids des minuties.
SJn homme qui veut s’inftruire, eft obligé de s’en
tenir au fil des grands évènements, & d’écarter
tous les peti.s faits particuliers qui viennent à la
traverfe ; i l fa ifi:, dans la multitude des révolutions*
l ’efprit des temps & les moeurs des peuples. I l
faut furtout s’ attacher à Y H i f i o i r e de fa patrie ,
l ’étudier, la pofféder, réferver pour elle les déta
ils , & jeter une vue plus générale fur les autres
nations. Leur H i / l o i r e n’eft intéreffante que par
le s raports qu’elles, ont avec nous , ou par les
grandes chofes qu’elles ont faites; les premiers
âges"depuis la chute de l ’Empire romain , ne font,
comme on l ’a remarqué a illeu r s , que des aventures
barbares, fous des noms barbares , excepté le
temps de Charlemagne. L ’Angleterre refte prefoue
ifolée jufqu’aurègne ^’Édouard III ; le Nord eft fau-
vage jufqu’au feizième fiècle ; l ’Allemagne eft long
temps une anarchie. Les querelles des empereurs &
des papes défolent fix-cents ans l’ Italie ; & i l eft diffic
ile d apercevoir la ^vérité à travers les paffions
des écrivains peu mftruits, qui ont donné les
^Chroniques informes de ces temps malheureux. L a
monarchie d’Efpagne n’a qu’un évènemenc fous les
rois vifigoths ; & cet évènement eft celui de fa
deftruttion : tout eft confufion jufqu’au règne d’ Ifa-
Jbelle & de Ferdinand. L a France, jufqu’a Louis X I ,
■ eft en proie à des malheurs obfcurs fous un gouvernement
fans règle» Daniel a beau prétendre que
les premiers temps de la France font plus' inré-
reffants que ceux de R om e , i l ne s’aperçoit pas
que les commencements d’un fi vafte Empire font
d’autant plus intèreffants qu’ils font plus foibles ,
qu’on aime à voir la petite fource d’un torrent qui
a inondé la moitié de la terre.
Pour pénétrer dans le labyrinthe ténébreux du
moyen â g e , i l faut le fecours des archives*j &
o n n’en a prefque point. Quelques anciens cou-,
vents ont confervé des chartes, des diplômés , qui
contiennent des donations dont l ’autorité eft quelquefois
conteftée ;■ ce n’eft pas là un recueil ou
I o n puiffe, s’éclairer fur Y H ifioire politique & fur
l e droit public de l ’Europe. L ’Angleterre eft, de
tous les pa ys, celui qui a fans contredit les archives
les plus anciennes & les plus {uivies. Ces
aéfces, recueillis par Rimer fous les aufpices de
l a reine Anne , commencent avec le douzième
■ fiècle & font continués fans interruption jufqu’à
/nos jours. Ils répandent une grande lumière fur
XH'ifioire de France. Ils font v o ir , par exemple,
-que la Guienne appartenoit aux anglois en fou-
veraineté abfolue , quand le roi de France, Charle
s V , la confifqua par un arrêt & s’en empara
par les armes. O n y apprend quelles fommes con-
ndérables & quelle cfpèce de tribut paya Louis X I
àu roi Édouard I V , qu’i l pouvoit combattre ; Sc
combien d’argent la reine Élifabeth prêta à Henri le
Grand, pour l ’aider à monter fur le trône, &c.
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D e V u t i l i t é d e Z’Hiftoire. Cet avantage confifte
dans la comparaifon qu’un homme d’Etat , un citoyen
, peut faire des lois & dès moeurs étrangères
avec celles de fon pays : c’eft ce qui excite
les nations modernes à enchérir les unes* fur les
autres dans les Arts , dans le Commerce, dans
l ’Agriculture. Les grandes fautej paffées fervent
beaucoup en tout genre. O n ne' fauroit trop remettre
devant les yeux les crimes & les malheurs
caufés par des querelles abfurdes. I l eft certain qu’à
force de renouveler la mémoire de ces querelles, on
les empêche de renaître.
C ’eft pour avoir lu les détails des batailles de
C ré c i, de Poitiers, d’Azincourt ,^de S. Quentin,
de Gravelines, &c , que le célèbre maréchal de
Saxe fe déterminoit à chercher, autant qu’ i l pouvoit,
ce qu’i l appeloit d e s a f f a i r e s d e p o f i e .
Les exemples font un grand effet fur l ’efprit
d’un prince qui lit avec attention. I l verra que
Henri I V n entreprenoit fa grande guerre, qui
devoit changer le fyftême de l ’Europe , qu’après
s’être allez affiné du nerf de la guerre , pour la
pouvoir fôutenir plufieurs années fans aucun fecours
de finances.
I l verra que la reine Élifabeth , par les feules
reffources du Commerce & d’une fage économie ,
réfifta aupuiffant Philippe I I ; & que de cent vaif-
feaux qu’e lle mit en mer contre la flotte invincible ,
les trois quarts étoient fournis par les villes commerçantes
d’Angleterre.
L a France , non entamée fous Louis X I V , après
neuf ans de la guerre la plus, malheureufe , montrera
évidemment l ’utilité des places frontières qu’i l
conftruifit. En vain l ’auteur des Caufes de la chute
de l ’Empire romain blâme - 1 - i l Juftinien d’avoir
eu la même politique que Louis X IV : i ln e devoit
blâmer que les empereurs qui négligèrent ces p laces
frontières, & qui ouvrirent les portes de l ’Empire aux
barbares.
Enfin la grande utilité de YHijioire moderne &
l ’avantage qu’elle a fur l ’ancienne , eft d’apprendre
à tous les poten.ats , que depuis le quinzième
fiècle on s’eft toujours réuni contre une Puiffance
trop., prépondérantg. C e fyftême d’équilibre a toujours
été inconnu des anciens ; & c’ eft la raifon
des fuccès du peuple romain, qui , ayant formé
une milice fupérieure à ce lle des autres peu ples,
les fubjugua l ’un après l ’autre , du Tibre jiifquâ
l ’Euphrate.
D e l a c e r t i tu d e d e Z’Hiftoire. Toute certitude
qui n’eft pas démonftration mathématique , n’eft
qu’une" extrême probabilité: i l n’y a pas d’autre, certitude
hifiorique.
Quand Marc-Paul parla le premier, mais le
f é a l , de la grandeur & de la population de la
Chine , i l ne Fut pas cru & i l ne put exiger de
croyance. Les portugais , qui entrèrent dans
ce vafte Empire plufieurs fiècles après , commencèrent
à rendre la chofe probable. E lle eft
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-aujourdhui certaine , de cette certitude qui naît de
la dépofition unanime de milletémoins oculaires de
différentes nations, fans que perfonne ait réclamé '
contre leur témoignage.
S i deux ou trois hiftoriens feulement avoient
écrit l ’aventure du roi Charles X I I , qui ,. s’obfti-
nant à refter dans les États du Sultan ton bienfaiteur,
malgré lu i , fe battit avec fes domeftiques
contre une armée ( de janiffaires & de tartares ;
j’aurois fufjpendu mon jugement : mais ayant parle
à plufieurs témoins oculaires & jamais entendu
révoquer cette action en dou te, i l a-bien fallu la
croire ; parce qu’après tout , fi elle n’eft ni fagé ni
ordinaire, elle n’ eft contraire ni aux lois de la nature
ni au caractère du héros.
U H i f i o i r e de l ’homme au mafque de fer auroit
paffé dans mon efprit pour un roman, fi je ne la.
tenois que du gendre du chirurgien qui -éut foin
de cet homme dans fa dernière' maladie.' Mais
l ’officier qui le gardoit alors m’ayant auflî attefté
le fait , & tous ceux qui dévoient en être inftruits
me l ’ayant confirmé , & les enfants des miniftres
d’É tat, dépofitaires de ce fecret, qui vivent encore ,
en étant inftruits comme m o i; j’ai donné a cette
H i f i o i r e un grand degré de prob ab ilité, degré
pourtant au deffous de celui qui fait croire l ’affaire
de Bender, parce que l ’aventure de Bender a eu
plus de témoins que ce lle de .l’homme au mafque
de fer.
C e qui répugne au cours ordinaire de la nature
ne doit point être .cru , à moins qu’i l ne foit. attefté
par des hommes, animés de l ’efprit divin. V o ilà
pourquoi; à Y a r t i c l e C ertitude de l ’Encyclopédie
, c’eft un grand paradoxe de dire qu’on devroit
croire aufli bien, tout P a r is , qui affirmeipit avoir
yu reffufèiter un mort , qu’op croit tout Paris quand
SI dit qu*ôn a gagné la bataille de Fontenoy. I l
parôît évident que le témoignage de tout Paris
fur une chofe improbable , : ne fauroit être égal
au témoignage de tout Paris fur une chofe probable.
C e font là les premières notions de la laine
SVIétaphyfique. C e Dictionnaire eft confacré à la
.vérité : un article doit corriger l ’autre; & s’i l fe
trouve ici quelque erreur, elle doit être relevée par
un homme plus éclairé.
I n c e r t i t u d e d e Z’Hiftoire. O n a diftingué les
temps en fabuleux & h i j lo r i q u e s ; mais les temps
h i j lo r i q u e s auroient du être diftingués eux-mêmes
en vérités & en fables. Je ne parle pas ic i des
fables reconnues aujourdhui pour telles ; i l n’ eft
pas queftion , par exemple , des prodiges dont
T it e -L iv e a embelli ou gâté fon H i f i o i r e . Mais
dans les faits les plus reçus , que de raifons de
doute! Qu’on faite attention que la république
■ romaine a été cinq - cents ans fans h f i o r i e n s , &
que Tite -L iv e lui-même déplore la perte des annales
des pontifes , & des autres monuments qui
périrent prefque tous dans l ’incendie de R om e ,
p l e r a q u e in t e r i ê r e ; qu’on fonge que d^ns les trois-
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cents premières années , . l ’ art, d’écrire étoit très-
rare , rarce per eadem tempora litières : i l fera
permis alors de douter de tous les évènements qui
ne font pas dans l ’ordre ordinaire des chofes humaines.
Sera - 1 - i l bien problabie que Romulus ,
le petit-fils du roi des fabins, aura été forcé d’enlever
des fabines pour avoir des femmes ? L 'H ifio ir e
de Lucrèce fera-1-elle bien vraifemblabie ? Croira-
t-on aifément fur la foi de T i t e -L iv e , que le roi
Porfenna s’enfuit plein d’admiration pour les romains
, parce, qu’un fanatique avoit voulu l ’affaf-
fîner ? ne fera-t-on pas porté au contraire à croire
P o lyb e , antérieur à T ite -L iv e de deux-cents années ,
qui dit que Porfenna fubjugua les romains ? L ’aventure
de Regains, enfermé par les carthaginois dans
un tonneau garni de pointes de f e r , mérite-t-elle
qu’on la croye ? Polyb'e contemporain n’en auroit-
i l pas p a r lé , fi e lle avoit été vraie ? i l n’en dit
pas un mot. N ’ eft-ce pas une grande préfomption
que ce conte ne fut inventé que long temps après,
pour rendre les carthaginois odieux ? Ouvrez l e
dictionnaire de Moréri, . à, l ’article Rég u lu s , i l
vous affûre que le fupplice de ce romain étoit
raporté dans T ite - Live . Cependant la décade o u
T ite -L iv e auroit pu en parler , eft perdue# on n’a
• qiie le fupplément de Freinshemius ; & i l fe trouve
que ce dictionnaire n’a cité qu’un allemand du
dix-feptième fiècle , croyant citer un romain du
temps d’Augufte. On feroit dés volumes immenfes
de tous les faits célèbres & reçus, dont i l faut douter.
Mais les bornes de cet article ne permettent pas de
.s’ étendre.
L e s m o n u m e n t s , l e s c é r ém o n i e s a n n u e l l e s , l e s
m é d a i l l e s m ê m e s , f o n t - e l l e s d e s p r e u v e s hifto-
riques 2, On eft naturellement porté à croire qu’un
monument érigé par une nation pour célébrer un
évènement, en attefte la certitude. Cependant fi
ces monuments n’ont pas été élevés par des contemporains
, s’ils célèbrent quelques faits peu vrai-
femblables, prouvent-ils autre chofe, finon qu’on
a voulu confàcrer une opinion populaire ?
L a colonne roftrale érigée dans Rome par les
contemporains de Duilliu s , eft fans doute une
preuve de la victoire navale de Duillius. Mais la
ftatue de l ’augure Navius, qui coupoit un caillou
avec un rafoir, prouvoit - elle que Navius avoit
opéré ce prodige ? Les ftatues de Cérès & de.Trip-
tolème , dans A th èn e s, étoient - e lles des témoignages
incontèftables que Cérès eut enfeigné l ’A griculture
aux athéniens ? L e fameux Laocoon , qui
fubfifte aujourdhui fi entier, attefte-t-il bien la vérité
de Y H i f i o i r e du cheval de T ro ie ?
Les cérémonies , les fêtes annuelles établies par
toute une nation, ne confiaient pas mieux l ’origine
à laque lle on les attribue. L a fête d’Arion porté
fur un dauphin , fe célébroit chez les romains
comme chez les grecs. C e lle de Faune rappeloit
fon aventure avec Hercule & Om phale, quand ce
dieu amoureux d’Omphale prit le lit d’Hercule poux
celui de fa maitreffe.