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qui convient à ces langues? Mettez dans la tête
de vos élèves une connoiffance fuffifante des principes
grammaticaux propres à cette langue, qui
fe réduifent à peu près à la diftinétion des genres
& des nombres pour les noms, les pronoms, &
les adjectifs, & à la conjugaifon des verbes. Parlez-
leur enfuite fans délai & faites - les p a r le r fi la
langue que vous leur enfeignez eft vivante; Faites-
leur traduire beaucoup, premièrement de votre
langue dans la leur, puis delà leur dans la vôtre :
c’en le vrai moyen de leur aprendre promptement
& sûrement le fens propre & le fens figuré de
vos mots, vos tropes, vos anomalies, vos licences,
vos idiotifmes de toute efpèce. Si la langue analogue
que vous leur enfeignez eft une langue
morte , comme l ’hébreu ; votre provifion de principes
grammaticaux une fois faite , expliquez vos
auteurs & faites - les expliquer avec foin , en y
appliquant vos principes fréquemment & fcrupu-
leufement : vous n’ avez que ce moyen pour arriver
, ou plus tôt pour mener utilement à la
connoiffance des idiotifmes , où gifent toujours
les plus grandes difficultés des langues. Mais renoncez
à tout défïr de parler ou de faire parler
hébreu ; c’eft un travail inutile ou même nuifîble
que vous épargnerez à votre élève. .
20. Pour ce qui eft des 'langues tranfpontives,
la Méthode de les enfeigner doit demander quelque
chofe de plus ; parce que leurs écarts,de
1 ordre analytique, qui eft la règle commune de
tous les idiomes, doivent y ajouter quelque difficu
lté , pour ceux- principalement dont la langue
naturelle eft analogue : car c’eft autre chofe à l ’égard
de ceux dont l ’idiome maternel eft également tranf-
pofïtif ; la difficulté qui peut naître de ce c'araétère
des langues , eft beaucoup moindre & peut - être
nulle à leur égard. C ’eft précifement le cas où
fe trouvoient les romains qui étudioient le grec
quoique M. Pluche ait jugé qu’i l n’y avoit entre
leur langue & ce lle d’Athenes aucune affinité.
« Il étoit cependant naturel, dit-il dans la pré-
» face de la Méchanique des la n g u e s , pa g . y ,
» qu’i l en coûtât davantage aux romains pour
» aprendre le grec , quâ nous pour aprendre le
» latin : car nos langues frànçoife , italienne ,
» espagnole , & toutes Celles qu’on parle dans
» le Midi de l’Europe, étant forfies, comme elles
xi le font pour la plupart de l ’ancienne langue » romaine, nous y retrouvons bien des traits de
» celle qui leur a donné naiffance : la latine , au » contraire , rie tênoit à la langue d’Athènes par » aucun degré de^ parenté' ou de reffemblanee , qui
» en rendît l ’accès plus aifé ».
Comment peut-on croire que le latin ü a voit
avec le grec aucune affinité ? A-t-on donc oublié
qu’une partie confidérable de l’Italie avoit reçu le
nom de Grande-Grèce , magna Greecia, à caufe
de l ’origine commune des peuplades qui étoient
venues s’y établir? I g n o r e - t - q n ce que Prifcien
»ous aprend ( lib. v • de cafibus; ) , que l ’ablatif
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eft un cas propre aux romains, nouvellement ln><
troduit dans leur langue , & p la c é , pour cette
raifon , après tous les autres dans la déclinaifon ?
A b l a t i v u s p r o p r i u s e f t r om a n o r um ,
q u ia n o v u s v id e t u r à l a t i n i s in v e n t u s , v e t u j l a t i
r e l iq u o r u m c a f u u m c o n c e j j i t . A in f iy la langue
latine au berceau avoit précifément les mêmes
cas que la langue grèque ; & peut-être l’ablatif
ne s’eft - i l introduit infenfiblement, que parce qu’on
prononçoit un peu différemment la finale du da tif,
félon qu’i l étoit ou qu’i l n’étoit pas complément
d’une prépofition. Cette conjecture fe fortifie par
plufieurs obfervations particulières : i° .~ ie datif
& l ’ablatif p luriels font tou jours femblables : 2°. ces
deux cas font encore femblables au fingulier dans
la fécondé déclinaifon : 3G. . on- trouve m o r te au
datif dans l ’ épitaphe de Plaute raportée par Aulu-
G e lle ( N o cl. A t u I . x x i v . ) ; & au contraire ou
trouve dans Plaute lui-même , o n e r i , f u i f u r i , & c ,
à l ’ablatif ; parce qu’i l y a peu de différence entre
les voyelles e & i , d’où vient même que plu—
fieurs noms de cette déclinaifon ont l ’ablatif terminé
des deux manières : 40. le datif de la quatrième
étoit anciennement en u comme l’ablatif ;
& Au lu - G e lle ( IV . x v j . ) nous apprend que
Céfar lui - même, dans fes livres de l ’Ana logie ,
penfoit que c’étoit ainfi qu’i l devoit fe terminer.:
5°. le datif de la cinquième fut autrefois en e ,
comme i l paroît par ce paffage de Plaute ( M e r -
c a s . î . j . 4). A m a t o r e s , q u i a u t n o c l i , a u t DIE ,
a u t f o l i , a u t lu n e e m i f e r ia s n a r r a n t . f u a s :
6 °. enfin l ’ablatif en <along, de la première , pourr
roit bien n’être long , que parce qu’i l vient de la
diphthongue ce du datif. L a déclinaifon latine offre
encorè bien d’autres traits d’imitation & d’affinité
avec la déclinaifon grèque. V o y e \ G é n it if , n . I.
Pour ce qui concerne les étymologies grèques
de quantité de mots la t in s , i l n’eft pas pofïible
de réfifter à la preuve que nous fournit l ’ excellent
ouvrage 'de Voffius le père , Etymologicon lin -
guce la t in c e ,• & je fuis perfuadé que de la compa-
raifon détaillée des articles de ce livre avec ceux
du Dictionnaire étymologique de la langue fr a n -
poife par Ménage , i l s’enluivroit qu’à cet égard
l ’affinité du latin avec le grec eft plus grande que
ce lle du françois aVëc le la tin .
Je dirois donc au contraire qu’il doit naturellement
nous en coûter davantage pour aprendre le
la t in , qu’aux romains pour aprendre le grec : car
outre que la langue de Rome trouvoit dans ce lle
d’Athènes les radicaux d’une grande partie de fes
mots y la marche de l ’une & de l ’autre étoit également
tranfpofitive ; les noms, les pronoms, les
adjeéVifs s’y déclinoient également par cas ; le
tour de la phrafe y étoit également elliptique ,
également pathétique , également harmonieux; la
profodie en étoit également marquée , & prefque
d’après les mêmes principes; & d’ ailleurs le grec
étoit pour les romains une langue vivante , qui
pouvoic leur être inculquée & par llexercice de
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la barbie & par la le âu re des bohs om-rages.
A u contraire nos langues françoife, italienne ,
efpaenole , . 6 c , ne tiennent a celle de Rome ,
que par quelques racines qu elles y ont empruntées
: mais elles n’ont au furplus, avec cette langue
ancienne , aucune affinité qui leur en rende 1 accès
plus fa c ile ; leur conftraâion ufuclle eft analytique
ou très - aprochante ; le tour de la pnrale
n’ y fouffre ni tranfpofition confidérablc ni eilipie
hardie ; elles ont une profodie moins marquée
dans fes détails ; & d’ailleurs le latin eft_ pour
nous une langue-morte , pour laquelle nous n avons
pas autant de feCours que les romains en avoient dans
leur temps pour le grec,
Nous devons donc mettre en oeuvre tout ce que
notre induftrie peut nous fuggérer de plus propre
a donner anx commençants 1 intelligence du latin
& du g re c ; & j’ai prouvé ( article I n v e r s i o n )
que le moyen le plus lumineux, le plus, raifon-
nable , & le plus autorifé par les auteurs mêmes
à qui la langue latine étoit na tu re lle, c’eft de
ramener la phrafe latine ou grèque à l ’ordre &
à la plénitude de la conftruétion analytique. ^Je
n’avois que cela à prouver dans cet a rticle : j ajoute
dans ce lu i-c i, qu’ i l faut donner aux commençants
des principes qui les mettent en état, le plus promptement
qu’i l eft poffib le, d’analyfer feuls & par
eux-mêmes ;. ce qui ne peut être le fruit que d un
exercice fuivi pendant quelque temps, & fondé fur
des notions juftes, précifes , & invariables. Ceci
demande d’être dèvelopé.
Perfonne n’ignore que la tradition purement
orale des principes qu’i l eft indifpenfable de donner
aux enfants , ne feroit en quelque forte qu’effleurer
leur âme : la légèreté de leur â g e , le peu
ou le point d’habitude ' qu’ils ont d’occuper leur
e fp rit, 'le manqué d’idées aquifes qui puiffe fervir
comme d’attaches à celles qu’on veut leur donner ;
tout cela & mille autres caufes juftifient la nécef-
fité de leur mettre entre les mains des livres élémentaires
qui puiffent fixer leur attention pendant
la leçon , les occuper utilement après, & leur
rendre en tout temps plus facile & plus prompte
l ’acquifition des connoiffances qui leur conviennent.
C ’eft fur-tout ici que fe vérifie la maxime d’H o race
{ A r t po'ét. 180).
Segniàs irritant animes demijfa per aurcs,
Quam quoe funt oculis fubjecia fidelibus.
On pourroit m’objeôter que j’infîfte mal à propos
fur la néceffité des -livres élémentaires -, puifqu’ il
en exifte une quantité, prodigieufe de toute efpèce,
& qu i l n’y a d’embarras que fur le choix. I l eft
vrai que , grâce à la prodigieufe fécondité des fai-
feurs de Rudiments , de Particules, de Méthodes , les
enfants que l ’on veut initier au latin ne manquent
pas d’ être occupés ; mais le font-ils d’une manière
raifonpablc ? le f o n t - i l s avec fruit? Je ne pren-
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drai pas fur moi de répondre à c e fte queftion :
je me contenterai d’obferver que prefque tous ces
livres ont été faits pour enfeigner aux commençants,
la fabrique du latin & la compofition des thèmes;
que la Méthode des thèmes tombe de jour en jour
dans un plus grand diferédit , par l ’effet des réflexions
fages répandues dans des livres excellents
des înftituteurs les plus habiles & des écrivains-
les plus refpeélables, M. le Fèvre de Saumur ,
Voffius le père , M. R o llin , M. Pluche, M. Chom-
p r é , & c ; qu’i l eft à délirer que ce diferédit augmente
, & qu’on fe tourne entièrement du côté
de la verfion tant de vive voix que par écrit ; que
l ’un des moyens les plus propres à amener dans
la Méthode de l ’inftitution publique cette heureufe
révolution,. c’eft de pofer les fondements de la nouv
elle Méthode , en publiant les livres élémentaires
dans la forme qu’elle luppofe & qu’e lle
exige ; & qu’aucun de ceux qu’on a publies juf*
qu’a préfent, ou du moins qui font parvenus à
ma connoiffance , me peut fervir à cette fin.
Dans l ’intention de prévenir, s’i l eft poffible ,
une fécondité toujours nuifible à la bonté des fruits ;
j’ajoute que les livres élémentaires , dans quelque
genre d’ étude que ce puiffe ê t re , font peut - être
les plus difficiles à bien faire , & ceux dans lef*
quels on a le moins réuffi. Deux caufës y contribuent
: d’une part , la réalité de cette difficulté
intrinsèque , dont on va voir les raifons dans un
moment ; & de l ’autre, une apparence toute contraire
qui eft pour les plus novices un encouragement'
à s’ en mêler , & pour les plus habiles
un véritable piège qui les fait échouer.
I l faut que ces Eléments loient réduits aux notions
les plus générales & au néceffaire le plus
étroit, parce q u e , comme le remarque très - jucii-
cieufement M. P lu ch e , i l faut que les jeunes commençants
voyent la fin d’une tâche qui n’eft pas de
nature à les réjouir, & qu’ ils n’en feront que plus
diipofés à apprendre le tout parfaitement. Ces notions
cependant doivent être en affez grande quantité
pour fervir de fondement à toute la fcience
grammaticale, de folution à toutes les difficultés
de l ’analy fe, d’explication à toutes les irrégularités
apparentes ; quoiqu’i l faille tout à la fois les rédiger
avec atfez de précifion, de jufteffe, & de
v é r ité , pour en déduire facilement & avec c la r té ,
en fèriips &|lieu , les dèvelopements convenables
& les applications néceffàires , fans furcharger -ni
dégoûter les commençants.
L ’expofition de ces Éléments doit être claire &
débarrafiee de ‘tout raifonnement abftrait ou mé-
taphyfique : parce qu’i l n’y a que des efprits déjà
formés & vigoureux qui puiffent en atteindre la
hauteur, en faifîr le f i l , en fuivre l ’enchaînement;
& qu’i l s’agit ici de fe mettre à la portée des enfants
, efprits encore foibles & délicats , qu’i l faut
foutenir dans leur marche & conduire au but par
une rampe douce & prefque infenfible. Cependant
l ’ouvrage doit être le fruit d’une Métaphysique.