
élève. Enfin , dans le Céramique, on avoit érigé
une ftatue à la mémoire de ŸOrateur Lycurgue ,
u i , avant d’entrer dans le tombeau , prit à témoin
e Ton défintéreffemciu le Sénat & toutes les tribus
alTerhblées.
Je fupprime à regret plufieurs antres détails fur
les Orateurs- de la Grèce ; mais j’ôfe croire qu’on
ne défapprouvera pas cette ëfquifle tirée d’un des
plus agréables tableaux qu’on ait faits du Barreau
d’Athènes j c’eft à l ’abbe d’Orgiva l qu’i l eft dû.
Paffons à la peinture des Orateurs romains : elie
n’eft pas moins intéreffante ; je crains feulement
de la trop affaiblir dans mon extrait«. [L e chevalier
DE JAUCOURT. )
O r a t e u r s r om a in s . H ijlo ir e de VEloquence. 3 erévolterai bien-dés gens, en établiffant des Orateurs
à Rome dès le commencement de la République
: cependant „plufieurs raifons me fçmbient
affez plaufibles pour ne point regarder cette idée
eomme chimérique , fous un Gouvernement où rien
ne fe décidoit que par la rai fon & par la parole ;
car £àns vouloir donner les premiers romains pour
un peuple de philofophes ÿ on eft forcé de convenir
qu'ils agiraient avec plus de prudence, plus
de circonlpeChon, plus de lolidité qu’aucun autre
p eu p le , 5c que leur plan de gouvernement étoit
plus fuivi. A la tête des légions ils plaçoient des
chefs hardis , intrépides , entendus : dans la tribune
aux harangues, ils vouloient des hommes éloquents
& verfés dans le Droit.
En effet, les hiftoriens ne célèbrent pas moins
l ’É lo quence des magiftrats romains , que l ’habileté
des Genéraux.jValérius-Pubiicola prononça l ’oraifon
iünèbre de Brutus Ion collègue. Valère - Maxime
dit que l ’Éloquence dm dictateur Marcus - Valérius
lauva l ’Empire , que les difeordes des patriciens &
du peuple alloient étouffer dans fon berceau. Tite -
JLive reconnoît des grâces dans le vieux ftyle de
Ménennius-Agrippa. T ullus, Général des volfques,
ne permit pas a Coriolan de parler dans l ’affem-
blée de la nation, parce qu’i l redoutoit fon talent
dans la parole. Ca ïus -Fia vius, élevé dans la p o u f
fïère du greffe, fut créé édile curule , à caufe de
l a Beaute de fon élocution. Enfin Cicéron range
dans la claffe des • Orateurs romains les premiers
magiftrats de cet âge , & prouve par là la
perpétuité- de l ’Éloquence dans la République.
M a is C ic é ro n n e p a r le - t - i l p o in t fur ce ton
p o u r fa ire honneur' à fa p a t r ie , ou p ou r ex citer ,
p a r des e x em p le s , l a Jeuneffe romaine à s’ a p p lique
r à un art qu i -rend le s hommes qui l e possèdent
fi fupérieuis aux autres ? J e l e v eu x bien •
cependant peu t - on refufer l e ta len t de la p a ro le
au tribun Marcus - G én u c iu s , l e premier auteur
de la l o i ag ra ire ? à A u lü s -V i r g in iu s , qu i triomphe
d e tou t l ’ordre des pa triciens dans l ’aftaire •' de C é -
f o n î à L u c iu s -S e x tu s , qu i tranfmet l e confulat aux
pléb é ien s , m a lg ré le s efforts & l ’É lo q u e n c e d’A p -
p iu s -C lau d itts ? L ’ o p p o fitio n é t e rn e lle entre le s
pa triciens & le s tribuns e x ig e o it beaucoup Je fàfc
lents , de g én ie , de P o l i t iq u e , & d’art. C e s deux
C o r p s s’é c la iro ien t mu tu ellém en t a v e c une jaloufie
fans e x em p le , & ch erch oient à fe fu pplanter auprès
du p eu p le pa r l a v o ie de l ’É lo q u e n c e .
D ’a illeu r s l e fa v oir . é t o i t . eftimé dans ces premiers
fiè c le s de la R ép u b liq u e j on y remarque
déjà l e g o û t & l ’étude des lan gu e s étrangères.. Scé-
v o la fa v o it-p a r le r étrufque : c’ é to it alo rs l ’ufage
d’aprendre. ce tte lan g u e , comme ' l ’obferve T i t e -
L i v e . O n ne m e t to it auprès des enfants que des
domeftiques q u i la fuffent parler.. > L ’ in fu lte fa ite
à un ainbaffadeur romain dans l a T a r e n t e , pa rc e
qu’i l ne p a r lo it pas purement le g r e c , montre qu’ on
1 étud ioit au moins & qu’on p a r lo it le s lan gu e s
des autres p eu p le s p ou r tra iter a v e c eux. Dans le s
é co le s p u b liques , des littéra teurs en feignoient les
B e lle s -L e t t r e s . D u temps de nos d ieu x , .dit Su étone
, lo rfq u ’on vend oit le s efclav es de q u e lq u e
c i to y e n , on ann on çoit qu’ ils é to ient litté ra te u r s ,
Jitteratores, pour marquer qu’ i ls a voient q u e lq u e
teinture des fciences.:
Je conviens que le s féditions 8c le s ja lou fie s réciproque
s des deux. C o rp s qu i a g itè re n t l ’É t a t ,
répandirent l ’a ig reu r , l e f i e l , & l a v io le n c e dans
le s harangues ‘des tribuns ; un efprit farouche s’ é to it
emparé de ces harangueurs imp étu eu x : mais fous
lé s S c ip io n s , a v e c un n o u v e l'o rd r é d’ a ffa ire s , le s
moeurs changèrent & lé s emportements du p remier
â g e dilparurent. A n n ib a l & C a r th a g e humil
i é s , des rois t ra în é s 'a u C a p ito le , des p rov ince s
ajoutées à l ’Em p ire , la p om p e dès triomphes , &
des pro fpérités toujours plu s éclatantes , inïpirèrént
des fentiments p lu s généreux & des manières moins
fauvàgë s. L ’air brufqüe des icilieris céda à l ’urbanité
& à la fa g e ffe de L é liu s . L a tribune admira
des Orateurs non moins fermes ni moins hardis
que dans le s premiers temps , mais plus infinuants,
p lu s in gén ieu x , p lu s p o lis ; l ’ âcreté d’humeur s’ étant
adoucie comme par ench an tem en t, le s repro ches
amers fe convertirent en un fe l fin & dé licat ; aux emportements
farouches des. tribuns fuccédèrent des
f a illie s heureufes • & fp ir itu e lle s : L e s Orateurs,
franfportés d’un nouveau feu & changés en d’autres
hommes , traitèrent le s affaires a v e c magnificence
en préfence des rois & des p eu p le s conquis , fermèrent
de la varié té & de l ’ agrément dans leurs disc
o u r s , & le s affaifonnèrent de ce tte urbanité qu i
fit aimer le s rom a in s , refpeCter le u r puiffance
& q u i le s rende encore l ’ admiration de l ’U n ivers.
L ’ illu f tr e fam ille des S c ip io n s . produifit le s p lu s
grands hommes de la R ép u b liq u e . C e s g én ie s fu -
p é r ie u r s , nés p o u r être le s maîtres des autres ,
faifirent tou t d’un coup l ’idée de la v é r itab le grandeur
& du v rai mérite ; ils furent adoucir le s moeurs
de leurs conc ito yens par la p o lite ffe , & orner le u r
efprit pa r la dé licateffe du g o û t. Inftruits par l ’ exp
érience & p a r la connoiffance du coeur numain ,
i l s s’aperçurent a ilément qu’on ne g a g n e un p e u p le
libre que par des raifons folides, & qu*on ne s’attache
des coeurs 'généreux que par des manières
douces & nobles ; ils joignirent donc à la fermete
des fiècles précédents le charme de l ’infinuation.
Leur fiècle fut l ’aurore de la belle Littérature , &
le règne de la véritable vertu romaine. L a probité
& la nobleffe des feutiments réglèrent leurs difeours
comme leurs aCtions ; leurfc termes répondirent en
quelque forte à leurs hauts faits ; ils ne furent pas
moins grands, moins admirables dans la tribune,
qu’ils furent terribles à la tête des légions j ils
firent foudroyer l ’ennemi armé 8c toucher le foldat
rebelle ; les Souverains & l ’étranger'furent frapés par
l ’éclat de leurs vertus , le citoyen ne put réfîfter à
la force de leurs, raifons.
Les romains qui aprochèrent le plus, près ces
grands hommes, leurs.amis , leurs clients ^ prirent
infenfiblementi leur efprit .& le communiquèrent
aux autres parties de la République. O n accorda a
Lélius un des premiers rangs entre les Orateurs.
Caïus -Galba , gendre de Publius-Craffus, & I qui
avoit .pour maxime de ne .marier ..fes filles q u a a e s
Savauts Scà A&s Orateurs^ étoiL fi eftimé du temps de
Giceroni, qu’on donnoit aux jeunes gens ., pour les
former à l ’Éloquence , la péroraifon d’un de fes difeours.
L e s harangues de Fabius-Maximus, graves ,
majeftueufes , & remplies de .fôlidité & de traits
lumineux, marchoierit de pair avec celles de Thucydide.
L ’Éloquence harmonieufe de M. Corn. Céthégus
fut chantée par le premier Hbmère latin.
Le génie de l ’É lo quence s’étoit emparé des tribunes
, où i l n’étoit plus permis de parler qu’avec
élégance & avec dignité. L e Sénat , entraîné par
l ’Éloquence du député d’Athènes, n’a pas la force
de terufer la paix aux étoliens. Léon , fils de Scé-
fias.,. comparoit, dans fa harangue , les Communes
d’Étolie à une mer, dont la puiffance romaine avoit
maintenu le calme ,. & dont le fouffie impétueux
ûe Thoas avoit pouffé les flots vers Antiochus
comme contre un écueil dangereux. Cette.comparai-
fon flatteufe & brillante charma cette augufte compagnie
: on n’admira pas avec moins d’étonnement
le s éloquents difeours des trois philofophes grecs ,
que les athéniens avoient envoyés au Sénat, pour
demander la remife d’une amende de cinq-cents
talents qui leur avoit été impofée pour avoir p illé
les terres de la v ille d’Orope. A peine pouvoit-on
en croire le fénateur Cécilius , qui leur fervoit
d’interprête & qui traduifit leur harangue. L a corn-
verfation de ces grecs & la leéture de leurs écrits,
-alluma une ardeur violente pour l’étude d’un art
auffi puiffant fur les coeurs. '
Les deux Gracchus s’attirèrent toute l ’autorité
par le talent de la parole ,■ & firent trembler le
Sénat- par cette feule voie. Sans diadème & fans
feeptre , ils furent lès rois de leur patrie. Élevés
par une mère qui leur tint lieu de maître , .ils
puifèrent dans fon coeur , grand & élevé ,«, une
ambition fans bornes, & dans fés préceptes le-goût
de la faine Éloquence & de la pureté du langage ,
qu’elle poffédoit au fouverain degré. Ils ajoutèrent
à cette éducation domeftique leurs propres réflexions,
& y mêlèrent quelque çhbfe de leur humeur & de
leur tempérament.
Tibérius-Gracchus avoit toutes les grâces de la
nature, qui , fans être le mérite, l ’annoncent avec
éclat. D es moeurs intègres, de vaftes connoiffances ,
uii génie b r illan t, & fon Éloquence, attiroient fur lu i
les ieux de tous fes concitoyens. Caïus , voulant
comme fon frère abaiffer les patriciens, parloit avec
plus de fierté & de véhémence , redemandant air
Sénat un frère dont le fan g couloit encore fur les
degrés du capitole , & reprochant au peuple fa
lâcheté & fa foibleffe , de laiffer égorger à fes ieux
le foutien d< fa liberté.
Caton l e Cenfeur , non moins véhément que l e
dernier des Gracchus , montra tout le brillant de
l ’ima ai nation & tout le beau des, fentiments ; i l
ne lui manquait qu’une certaine fleur de f ty le , &
un 'coloris " qu’on n’ iinaginoit pas encore de fou
temps. Toujours aux prifes avec les. deux Ariicains?
& les deux Gracchus , avec le Sénat 8c le p eu p le,
huit fois accufé & huit fois abfout , a i âge de 90
ans i l maitrifoit encore le Barreau } & aulli re.pea—
table que Neftor par fes années & par le talent
d e là p a ro le , i l conferva.jufques dans le tombeau
l ’eftime & la vénération de tous fes concitoyens.
Les dames mêmes profitèrent de cette heureufe
réforme , & parurent fur-les rangs avec autant de
diftinftion que les plus grands Orateurs : on eu vit
plaider leurs - caufes avec tant-d’énergie , de de ii-
cateffe, & de grâces qu’elles méritèrent un applau-
diffement univerfel. Améfia-Sentia , accufée d un
crime , foutint fon innocence avec toute la preci-
fion & la force, du plus habile avocat , & fe conc
ilia tous les fuffrages dès la première audience.
A u temps de Quintilien, les Savants lifoien t, comme
un modèle de la pureté & de l ’Éloquence romaine,
! les lettres de la célèbre Cornélie , qui forma lès
Gracchus. L a .fille de L é liu s , & dans 1 âge fui-
vant ce lle d’Hortenfius , ne furent pas moins héritières
du; génie éloquent de leurs pères que de
leurs vertus 8c de leurs richeffes.
L ’efprit dominant de ce fiècle étoit une noble
fierté qui animoit tous les coeurs ; & c’eft ce qui fit
que la plupart des Orateurs A t e t temps-là, n eurent
pas la même politeffe ni la meme delicatelle
que les Scipions & les Lélius. L e ftyle de Caton
étoit fec & dur', celui de Caïus Gracchus étoit
marqué au coin de la violence de fon^ cara<ftere a
enfin lés Orateurs de. cet âge ébauchèrent feulement
les premiers traits de 1 Éloquence* romaine ^
e lle attendôit fa perfe&ion du fiecle fuivant, je
veux dire celui où régnèrent les dictateurs per-t
pétuels. ,
Jamais on -n e vit les romains plus grands ni
plus magnifiques que dans ce troifièroe âge : A r t s ,
Sciences , P h ilo fop h ie , Grammaire, Rhétorique ,
^ _dp l’F.mnire & eut <