
Dans nos vers on a fait une lo i d'éviter la coh-
fonnance de deux hémiftiches '5 la même règle doit
s -o b fe r v e r dans les repos des périodes : plus ce s r e p o s
font variés, plus la proie efï harmonieufe. I l y a
une efpèce de confonnance fymmérrique dont les
wtins faifoient une grâce de f t y l e , fimiliter ca den s ,
Jimiliterdefinens : cette fymmétrie peut avoir lieu
quelquefois dans la profe françoilè, mais l ’affeéta-
îion en feroit puérile.
H y a dans la profe Comme dans les vers des
melures qu on appelle nombres , compoféés de deux
ou trois Ions ; i l faut éviter que les nombres voifins
iu n de 1 autre s’apiiyent fur les mêmes finales,.
comme, dans cè vers de Boileau :
B u deftin des latins prononcer les oracles,
. ne font pas des fon s, mais des articulations
de fons. '
L a Parole a des doux & des forts, des fons piqués,
des fons apuyés, des fons flattés, comme la Mufique:
i l n ert donc point de confonne qui mife à fa place
ne contribue à l 'Harmonie du difcours ; mais la dureté
bleffe par-tout l ’oreille. O r la duret^confifte,
non pas dans la rudeffe ou l ’âpreté de l ’articulation
qui louvènc eftimitative,
Tumferri rïgor atque argua lamina ferra ;
Virg.
mais dans la difficulté qu’elle oppofe à l ’organe qui
lexécute : le fentiment réfléchi de la p?inc due
dort avoir celui q u i -p a r le , nous fatigue nous-
meraes ; & voila dans fa caufe & dans fon effet ce q ue
nous appelons dureté de f ty le .
C e vers raboteux que B oileau a fait dans le ftyle
oe Chapelain, 1
Djoite & roide eft la côte, Sclefenrier étroit,
reffemble affez à ce qu’i l exprime ; mais la prononciation
en eft un tra vail, & l ’organe y eft à la
gene : en pareil cas, c’eft par le mouvement qu’i l
labesPemdre ■ & n° n Par ie froiffement des î ÿ l -
I>ans un chemin montant, fablonneux , malaifé,
Et de tous les côtés au fcleil expofé,
Six forts chevaux trainoient un coche 5
~ guipage fu o it, fouffloit, &c. *
L a langue ;la plus douce feroit ce lle où la fy l-
iabe d u lage n aurort jamais qu’une confonne, comme
“ iyiiabe phy fiqu e; cardans une fyllabe compofée
ÿ pit’liears confonnes qui femblent fe preffer autour
«Tune v o y elle , f t th y n x , trop, G r e c s , Cecrops, la
réunion précipitée de toutes ces articulations en un
mmps fyilabtque, rend l ’aftion de l’organe pénible
& çontiiie ; & quoique chaque confonne ait ■ naturellement
fon e muet pour v o y e lle , l ’intervalle infenfible
que laiffe entre elles ce foible fon , ne fuffit
pas pour les articuler diftin&ement l ’une après
1 autre. Cependant, ce ri’eft pas affez qu’une langue
^olt . douce ; elle doit avoir de quoi marquer le
caractère de chaque idée , & cela dépend furtout des
articulations molles ou fermes, rudes ou liantes,
qu elle nous préfente au befoin : par exemple, l t
reumon de deux confonnes en une fyllabe lui donne
quelquefois plus de vigueur & d’énergie -, comme-
d.e i J &c dë 1 r dans frémir , frijjonner , frâ p e r ,
frendere , f ranger e y fra g o r ; & du t avec IV ,
comme dans ces vers du Taffe tant de fois cité s, -
Chiama g li abl.ator de l'ombre eterne
I l rauco fuon de la tartarea tromba.
Treman le fpaçiofe atre caverne.
Et comme dans ce vers de V irg ile , que le Taffe
admiroit lui-même :
Convulfum remis, rojîrisJlridentïbus (equor.
r un “ uc ourece, mais de cette km etc
qqe le même poète eftimoit dans le Dante : Quejîa
ajpre^a fente un non f o ches di magnifieô e d i
grande..
Ce n’eft jamais, comme je l ’ai d it , que le travail
des organes de la parole qui gêne & fatigue l ’o-
reiiie j 8c c eft dans les mouvements combinés de
ces organes, que fe trouve la raifon phyfique de
1’,efpèce de fympathie ou d’antipathie que fVri remarque
entre les fyllabes. V . A r t i c u l a t i o n . ,
Si -1 d feille eft ofrenfee de la confonnance des
voyelles V par la même raifon elle doit l ’être du
retour fùbir & répété de la même articulation. Le s
latins avaient préféré pour cette raifon mendient
à medidiem. Qu en français l ’on traduisît ainfî le
début des Paradoxes de Cicéron : « Brutus, j’ai
» fouvent remarqué que quand C a ton 'ton oncle
» opinoit dans le fénat » y cela feroit choquant &
rifible. L a fréquente répétition de IV & de' V s eft '
•dure à l ’o r e i lle ,; furtout dans des fyllabes çom p li-’
quees où IV fiffle , où IV frémit d la fuite d une
autre confonne. L a Motte a corrigé dans une de fes'-
odes y cenfeurfage & fincère. I l auroit bien dû COÛT
riger aufli :
Avide des affronts d’autrui. .
Travail toujours trop peu vanté.. .
Les rois qu’après leur niôrt on loue
L'homme contre fon propre v ic e ..
T on amour-propre trop crédule.. . .
& une infinité de vers auffi durs, fur lefquels i l '
àvoit le malheureux talent de fe faicç.illufion.
L e ^ é(ui bleffoit 1 o reille de Piricjare , adouci
dans notre langue , a quelquefois beaucoup de
g.r*ce i m^isjfians une foulé d’ecrits modernes on l’a
ridiculement affe&é. 1
-Les latins retranchoient 1*» des mots compofés,
où il devoit être félon l ’étymologie , & nous avons
fuivi cet exemple.
L a répétition des dentales mouillées , che 8c g è ,
éft défagréable à l ’oreille.
Mais écoutons ; ce berger joue
Les plus amoureufes chanfons.
l a Motte.- !
Les confonnes ies plus favorables à Y Harmonie
font celles qui détachent le plus diftimftement les
fons, & que l ’organe exécute avec le plus d’aifance
& de volubilité : telles font les articulations fimples
de la langue avec le p a la is , de la langue avec les
dents, de la lè v r e . inférieure avec les dents, & des
deux lèvres enfemhle.
L 7 , la plus douce des articulations , femble communiquer
la molleffe aux fyllabes dures qu’elle fé-
pare. M. de Fénelon en a fait un ufagé merveilleux'
dans fon ftyle. a O n fit couler , dit Télémaque,
» des flots d’huile douce & luifanre fur tous les
» membres de mon corps». L 7 , fi j’ofe le dire, eft
elle-même comme une huile on&ueufe q u i , répandue
dans le f t y le , en adoucit le frottement ; &
le retour fréquent de l ’article l e , la , l e s , qu’on
reproche à notre langue , eft peut-être ce qui contribue
le plus à lui donner de la mélodie. V o y e z
quelle douceur 17 communique à ce demi-vers de
V ir g ile :
Quoique lacus late liquidos.
L e gazouillement de 17 mouillée peut fervir quelquefois
à Y Harmonie imitative , mais on en doit ré-
ferver le fréquent ufâge pour les''peintures qui le
demandent. L ’articulation mouillée qui termine le
mot règne , feroit infoutenable , fi elle, revenoit
fréquemment.
L e mouillé foible de 17, exprime par ce caractère
y , & dont nous avons fait une v o y e lle , parce
qu’ i l eft confonne vocale , eft la plus délicate de
t'outes les articulations : mais cette confonne fi
douce eft trop foible pourfoutenir IV muet, comme
dans p a y e , • éjfaye ,* au lieu que jointe au fon de
Va , comme dans p a y a , d ép lo y a , ou à telle autre
vo y e lle fonore, comme dans fo y e r , citoyen, rayon,
e lle eft fenfible, & marque affez le nombre.
Par cette analyfe des articulations de la langue ,
on doit voir quelles font les liaifons qui flattent ou
qui bleffent l ’oreille.
L a prononciation eft une fuite des mouvements
variés que l ’organe exécute j & du paffage pénible
ou facile de l ’u'n à l ’autre dépend le fentiment de
dureté ou de douceur dont l ’oreille eft affeéfcée. Col-
labuntur verba ut inter f e quam aptijjimè cohoe-
reant e x tréma cum p ri mis ( Ciçér. ). 11 faut donc
examiner avec foin quelles font les articulations
fympathiques & antipathiques dans les mots déjà
composés, afin d’en rechercher ou d’en éviter la rencontre
dans le paffage d’un mot à un autre. On fait,
par exemple , qu’i l eft plus facile à l ’organe de
doubler une confonne en’ lappu yant, que de changer
d’articulation. Si l ’on eft libre de choifir, on préf
fèréra donc pour initiale d’un mot la finale du root
qui précède : les Grec s -fon t nos modèles ; le fo c -
qui f e n d la terre : ,
L ’hymen-n’efl pas toujours entouré de flambeaux. *
Rac.
Il avoir de plant vif-fermé cette avenu»?.
La Font.
Si la Fontaine avoit mis bordé au lieu de ferme ,
l ’articulation feroit plus pénible. A in lï, V irg ile
ayant à faire entrer le mont Tmolus dans un vers,
l ’a fait précéder d’un mot q ui finit par un t :
lionne vides croceos ut Tmolus 0dores.
O n fait que deux différentes labiales de fuite font
pénibles à articuler; on ne dira donc p o in t , ALep-
f a i t le commerce de VInde , Jacob-vivoit ,fep-yer-
doyant. I l en eft ainfi de toutes les articulations fatigantes
pour l ’organe , & qu’avec la plus légère
. attention i l eft facile de reconnoître, en lifant foi-
même à haute voix ce que l ’on écrit.
L ’étude que je propofe paroît d’abord puérile-:
mais on m’avouera que les opérations d.e la nature
ne font pas moins çurieufes dans l ’homme que celles
de l ’induftrie dans le Auteur du célèbre Vaucanfon;
& qui de nous a rougi d’a ller examiner les fefforts
de cette machine ?
A u choix, au mélange des fons , au foin de rendre
les articulations faciles & de les placer au gré de.
l ’o re ille , les anciens joignoient les accents & les
, nombres.
L ’accent profodique eft peu de chofe dans les
langues modernes ( Hoye\ A ccent ) 5 mais elles'
ont leur accent expreflif, leur modulation naturelle
: par exemple , chaque langue interroge , admire
, fe plaint, menace commande , fupplie avec
des intonations , des inflexions différentes. Une langue
qui dans ce fen s- là n’auroic point d’accenr ,
feroit monotone , froide , inanimée ; & plus l ’accent
eft v a r ié , fenfible , mélodieux dans une langue
plus elle eft favorable à l ’Eloquence & à la.Poéfie.
L ’accent françois eft peu marqué dans le lang
a g e . ordinaire, la politeffe en eft la caufe: il
n’eft pas refpe&ueux- d’èlever le ton , d’animer le
langage ; & l ’accent dans l ’ufage du monde n’eft
pas plus permis que le gefte : mais comme le gefte
i l eft admis dans la prononciation oratoire , plus
encore dans la déclamation poétique , & de plus
en p lu s , félon le degré de chaleur 3c de véhémence
du ftyle ; de manière que dans le pathétique de la
Tragédie , & dans renthoufiafme de l ’Ode , i l eft au
plus haut point où le génie de la langue lui permette
de s’élever, Mais c’eft toujours l ’ame elle -