
répondit, Mes amies , f o y è \ j oÿèïifes & contentes,
& divertiJfe\~vous bien.
Lors lor a dit or fus Amies
Si foiez & joi&uz & lies
Et fi fete haitie chere.
ï l appela S. Pierre , & lui d i t , Frère , toi qui
me cùnnois , qui fa i s ma fa ç o n de p en fe r , &
qui dois mètre attaché, tu as les c le fs du paradis,
ne me laijfe ici entrer perfonne que j e ne connoiffe
bien.
A donc en appela S. Pierre
Pierre dift Diex amis biaus frere
Foi que dois moi qui fui ton pere
Inci 'entent un poi à mes des.
S. Pierre l ’affura qu’i l pouvoir être tranquile, &
tout auffitôt i l fe mit à chanter , que ceu x qui
aiment fo ien t de ce c ô té , & ceux qui n aiment
p o in t ( montrant la porte ) demeurent de Vautre.
Vous qui amez traiez ça
En la qui namez mie.
A lors J. C . dit à fa mère qu’i l falloir oublier
toutes les peines paffées, & ne penfer qu’à fe bien
divertir~dans la Cour célefte. Après lui avoir répondu
qu’elle étoit de cet avis , e lle appela la
Magdeleine , la prit par la main, & elles s’en aiièrent
toutes deux eh chantant, que tous ceux qui aiment
viennent danfer.
Tuit cil qui fon enamouraz
Viengnent danfer
L i autres non.
Toutes les vierges , les dames & les veuves accoururent
à cette invitation , & furent fuivies des martyrs
, des apôtres , des confeffeurs, & des autres faints j
& pendant qu’ils chantoient tous enfemble , Je
garde les b o is , pour empêcher tous ceux qui n aiment
p o in t Remporter des chapeaux de fleu r s ,
. Je garde les bois que nus nenport
Chapel de flors sil n’ a me.
Le s quatre évangéliftesfbnnoient d’un c o r , qu’ils
avoient eu foin d’apporter j pendant ce temps les
anges répandoient de l ’encens & des parfums fur
la compagnie. Enfin J. C . voyant une fi grande
jo ie , fe leva & vint prendre fa mère par la main, &
chanta lui-même cette petite chaqfon, Regardez-
moi , ne me doit-on p a s bien aimer 2
Qui'fuige donc regardez-moi
En ne me doit-on bien amer?
L ’auteur affiire qu’i l n’y eut jamais une fi belle
fê te , &. qu’i l la peut d’autant moins décrire , que
la v ierge Marie , pour complaire à fon f ils , releva
f a robe & v int chanter autour de la compagnie,
Embraffe\ de p a r amour, embraffez.
Prift les pans de fa vefture
Et va chantant très tout entor
Agironnees de par arnor agironnees,
L a Magdeleine , fuivie.de fa troupe , voyant celui
qui avoit tant fouffert pour elle , s’embellit par la
douleur que ces idées lu i rappelèrent, & chanta,
Coeur tendre & charmant, j e ne vous oublierai
jam a is .
Fins eu ers amourous- S: joli
Je ne vous veuil métré en oubli.
Quand la Magdeleine eut ceffé de chanter, les apôtres,
les martyrs, & les confeffeurs recommencèrent
de plus belle ; & J. C . en fut fi charmé, qu3i l revint
prendre f a mère d un e main & la Magdeleine
de Vautre. I l la regarda de la meme fa ç o n que
lo r fq u il lu i pardonna f e s péchéss, & f e mit à
chanter cette petite chanfon ; Je ne p u is aller p lu s
jo lim e n t , j e tiens ma mie p a r la main.
Si prift fa mere par les dois
La Magdeleine dautre parc
A cui il fift le dou.z regarc
Quant fes pechiez li pardonna
Tout doucement relpondu a
Je tieng par les dois ma mie
S en vois plus joliment.
Enfin ils jouïffoient d’une fi grande fatisfaéHon en
longeant aux bontés que Dieu avoit eues pour eux, &
leur bonheur é.oit fi parfait que tous chantoient,
h a vûe de D ie u met tout mon coeur en joie .
Tos li cuers mè‘ rift de joie
Quant Dieu vois.
Pendant qu’ils chantoient ainfi, les âmes du purgatoire
qui le s entendoient, crioient, pleuroienr, &
demandoient grâce avec de fi grandes inflan ces ,
que S. Pierre en fut touché & vint expofer leurs
peines & demander quelque foulâgement pour
elles toutes. LesT vierges fe joignirent à lui pour
intercéder en leur faveur j la vierge Marie elle-
même fe leva en pied, & repréfenta que ceux qui
fe plaignoient é:oient fes frères & fes foeurs , ajoutant
q u une f ê t e n étoit jam a is complette , f i l e s
pauvres & les malheureux n éprouvoient quelque
foulâgement.
Lafefte neft mi pleniere
Se miex nen eft aus foufretous
Aus poures & aus diferous.
V o u s êtes une mère trop chérie , lui réponditi
l , , pour vous rien refiifer : alors i l lu i baifa
les y e u x , la bouche, & la jo u e , qu’ elle avoit
■ plus doues & p lu s belle qu’ une rofe épanouie.
Douce mere dift notre Sire
Je ne vous veuil mie defdire
Que je vo yo lente ne face
Ace ft mot la befeen la face
Les iex la bouche & la maiflelle
Quil avoit & tendre & bele
Plus que neft rofe efpanie.
Et la tendre mère le conjura de nouveau de donner
! du repos à ces pauvres âme s, au moins ce jour-ia 8c
les deux fuivants. H B M ,
Auflitôt que Dieu lui eut accorde fa demande ,
le feu du purgatoire devint plus doux que du lait.
; II y eut quelques âmes dont la pénitence le trouva
1 finie ; elles furent conduites par S. M ich e l, &
S. Pierre leur ouvrit la porte avec grand plaiiir : a
. niefure qu’elles entroient, elles fe prenoient par la
' main, & S. Michel les p récéda, en chantant, Je ra-
W mène ici la jo ie . '
Jai joie ramenee ici.
î Dieu les reçut très-bien, & la V ierg e encore mieux,
en leur difant que la joie & les plailirs ne leur man-
querpient jamais.
Ainfi finit la fête : & i l ne faut pas douter, continue
l ’auteur, que le jour, de la Touflaint & les
j deux qui le fuivent, les âmes du purgatoire n’ayent
du repos & ne jouïffenc de quelque fatisfadion. " ^
Je m’eftimerois. très-heureux, Madame, fi j’ étois
il parvenu à fatisfaire vôtre curiofité fur cet article ;
| & fuppofé que vous en trouviez le détail trop lo n g ,
P daignez en retrancher tout ce qui vous paroitra
|t fuperflu, le refte en fera meilleur : je vous aurai
- du moins prouvé mon zèle & la promptitude de mon
H obéiffance. J’ai l ’honneur d’être, &c.
V Seconde L ettre sur un autre Manuscrit
DU 1 3 e S IÈ C L E ,
Tiré de Vabbaye Saint - Germain des P r é s ,
cotté 1830.
Vous m’avez paru contente , Madame, de la Cour
v du paradis, dont j’ai eu l’honneur de vous envoyer
ÉL l ’extrait ; & vous y avez trouvé, dite s-vou s, la
jf? preuve que je vous avois promife de la naïveté de
nos pères. Je me fuis encore engagé à vous con-
I vaincre qu’ils, avoient de l ’imagination dans leurs .
I ouvrages. Je crois que ce petit extrait de la Cour
d’amour, qui contient environ 350 v er s, vous donnera
une idée de celle qu’ils .employoient quel-
quefois : car i l ne me feroit pas fa c i le , malgré
| toute ma bonne vo lon té, de répéter fouvent ces
[ fortes d’exemples. Les traits d’efprit & d’imagina-
| tion fe trouvent, i l eft vrai , dans leurs ouvrages ;
À ■ mais ils font épars & noyés dans des longueurs
■ infupportables, leur, objet même eft rarement agréable.
C e font le plus ordinairement des moralités
qui ne font qu’ ennuyeufes , ou des contes, à la vérité
fort jolis , mais fi libres que je n’oferois vous
les préfenter. Au refte, vous ne ferez point étonnée
de la conclufion de ce petit ouvrage, fi vous vous.,
rappelez que les chevaliers (avoient à peine lire
dans les fiecles qui piquent aujourdhui votre .curiofité
, & que les prêtres & les moines étoient les
feuls qui fuffent lire & écrire. ï l faut Cependant
convenir que ces auteurs étoient peu conféquents &
peu fixes dans leurs idées ; ils promettent des chofes
qu’ils ne tiennent pas : ils ne s’embarraffent pas de
remplir celles qu’ils ont avancées. L ’auteur que
vous a lle z lire abandonne , par exemple, l’image
de l ’amour comme dieu , par laque lle i l débute V
pour en parler enfuit e comme'd’un r o i, par la feule ..
raifon. que l ’imitation d’une Cour lu i étoit plus
facile & fe trôuvoit plus â fa portée. I l y auroit
bien d’aütres obfervations à faire (ur les inconfé-
quences de fonds & de détail que ces auteurs pré-
(entent à chaque pas : mais ce n’eft point une
critique que j ai ihonneur de vous envoyer , c’eft
un exemple j heureux s’i l peut vous amufer encore 1
Florence & Blanchefleur ou L a Cour d Am o u r . .
L ’auteur commence par dire qu’i l ne faut point
entretenir les p o ltro n s , les p a y fa n s qui f e donnent
des airs,
A coart a vilains ne a venteot
de tout ce qui peut regarder l ’amour ; mais i l ajoute
que ces-propos conviennent a u x gens d E g l i f e &
a u x chevaliers, & fu r tou t a u x f i lle s douces &
aimables auxquelles ils fo n t f o n néceffaires.
Mais a clerz (1) ou a chevaliers
Quar ils entendent vdentiers ,
Ou a pucelle debonaire
Quar ele en a moult affaire.
Florence & Blanchefleur, jeunes filles de grande
naiflance & douées de tous les agréments poffibles,
entrèrent un jour d’été dans un verger des plus
agréables, pour fe divertir enfemble & jouir des
beautés de la nature & de la faifon : elles avoient
des manteaux chamarés de fleurs & principalement
dé' rofes des p lu s fra îch e s ,■ l étoffé etoit d a-
mour & les attaches de chants d ’ oiféaux.
L i eftains fu de flor de glai
Trames i ot de rofes en mai
Les lifieres furent de flors
Et les pannes furent damors
Ouvré furent bien li tainel
Attachez font a chant" doifel.
(ï ) Le mot de Clerc que l’auteur emploie, doit être fou-
vent traduit par Homme de Lettres ; mais on verra, dans
la fuite de cet ouvrage , qu’il ne peut avoir ici d’autre lignification
que celle d’Hommç d’Églife.