
s'enivre du parfum, de la louange que les f la t teurs
lui fo n t refpirer : tout cela n’ë ft-ü pas naturel
& fenfible ?.
Le ne&ar que l ’on fert au maître du tonnerre,
Et dont nous enivrons tous Tes dieux de la terre,
C ’eft la louange , Iris.
La Fontaine-
( T Démofthène a employé le terme moyen , lor£-
q u i i a dit d’Efohine, I l vomit contre moi la
viei“ f Us de f e s noirceurs ; mais i l s’en eft dif-
p en ie, en difant de Philippe : I l boit fa n s peine
le s affronts. Aujourdhui, boire les affronts &
vomir des in ju r e s , font des Images reçues dans
le s langues modernes , & familières dans la
no.re.)
Lits langu es, a les analyfer avec fo in , ne font
prelque toutes qu’un recueil d’im a g e s , que l ’habitude
a miles au rang des dénominations primi-
tjve s, & que l ’on emploie fans s’ en apercevoir.
{Juem \ ufum ) neceffitas genuit, inopiâ coacia &
ang u ftiis ; p o ft autem aeleclatio jucunditafque
celebravit ( Cicer. ). I l y en a de fi hardies, que les
poeces n’oforoient^ les rifquer, fi elles n’étoient pas
reçues. Les phiiofophes en ufent ëux-mêm'es comme
-de termes abftraits; perception , réflexion , attention
, induction , tout cela eft pris de la matière.
■ Un dit fufpendre , précipiter fo n jugement ,
balancer les opinions , les recueillir, &c. O n dit
que l ame s ’élève , que le s idées s ’étendent, que
U genie étincelle ,__que D ie u vole f u r le s ailes
f S habite en lui-même , que fo n
jo iiffle anime la matière , que f a v o ix Commande
Tout cela eft familier, non feulement
a la Philofophie la plus e x a f te , mais à la T h éo lo
g ie la plus auftère. A in f i, à l ’exception . de
quelques termes abftraits, le plus fouvent ■ confus
& values , tous les lignes de nos idées font empruntés
des objets ienfîbles. I l n’y a donc, pour
1 emploi dés Images ufitées , d’autres ménagements
a garder que les convenances du ftyle. ‘
, I l eft des Images1 qu’ i l faut laifter au peuple ;
i l en eft qu i l faut rélerver au langage héroïque ;
i l en eft de communes à tous les ftyles & à tous les
tons. Mais c’eft au goût formé par l ’ufage idiftineüer
ces nuances. . •
Quant au choix des Images rarement employée
s ou nouvellement introduites dans' une ïan-
gue , i l faut y .apporter beaucoup plus de circd'nf-
pecrion & de fevérité. Que les Images reçues ne
foient point exactes; que l ’ondife d eT efp rit, qu’/7
eft fo lid e ; de la penfée , o c e lle eft hardie / de
l ’attention , qo ’ elle eft profonde: celui qui emploie
ces Images n’en garantit pas la jufteffe : & fi on
lu i demande pourquoi i l attribue la folidité à ce
qu’i l appelle un fo u ffle ( f p i r i t u s ) , \ z hardieffe
à l’aéHon de pefer ( pën fd fe ) , la profondeur â
la direériôadu mouvement ( tendere ad ) , car tel
eft le Icns primitif d’ efprit-, de penfée, & d’attention j
i l n a qu’un mot à répondre : Cela eftreçu y j e parle
ma langue.
Mais^ s i l emploie de'nouvelles Images , on a
droit d exiger de lui qu’elles foient juftes, claires,
fenfibles , & d’accord avec' elles-mêmes. C ’eft à quoi
les écrivains, même les plus élégants , ont manque
plus d’une fois.
Je viens de lire dans Brumoi, que la Comédie
grequ e, dans fon troifième â g e , ceffa d’ être une
Mégèrej & d e v in t .. .. quoi? un miroir. Qu elle
analogie y a-t-il entre un miroir & une Méo-ète ?
I l y a des Images qui , fans être précifément
fauffes, n’ont pas cette vérité fenfible qui doit
nous làifîr au premier coup d’oeil. V ous répréfentez-
vous un jour vafte par le filçpce, d ies p er j ile n -
tium vaftus ? I l eft vrai que le jour des funérailles
de Germaniçus ; Rome dut être changée en
une vafte folitude , par le filence qui régnôit dans1
fes murs ; mais après avoir dèvelopé la penfée de
Tac ite , on ne faifit point encore fon Image.
L a Fontaine lemble l ’avoir prife de T ac ite :
Craignez lé fond des bois & leur vafte fîlenée;
Mais ici l ’Image eft claire & jufte : on fe transporte
au milieu d’une folitude immenfe , où le
filence règne au loin ; & filence vafte , qui parole
hardi, eft beaucoup plus fenfible que filence p r o f o n i*
qui eft devenu fi familier.
Lucain avoit dit avant L a Fontaine :
Cce far, fellïcito per vajla filent'ia greffuy.
1 ix famulis audenda parut.-
Traduifez , Tibi' rident cequora p o n ti de L u crèce
: la mer prend une fa c e riante , eft une
façon de parier très-claire en elle-même , & q u i
cependant ne peint rien. Laminer eft paiiïbie , mais
elle,,ne rit point ; & dans aucune langue rident ne
peut fe traduire , à moins qu’on ne change Ylmage»
i l n’en eft .pas de même de la luiyante :
Tibi Dedala tellus
• Sùbmittit flores.
Diftinguons cependant une Image confufe d’une
Image vague. Ce lle-ci peut être c la ire , quoiqu’in-
définie • i étendue , Y élévation , la profondeur, font
"des. termes vague s, mais clairs : i i faut même bien
fe garder de déterminer certaines expreftions dont
le vague fait toute la force. O'mnia p ontu s e ra t,
tout n ’ éioit qu’ un Océan, dit Ovide en parlant du
déluge : tou tétoit D ie u , excepté D ie u même , dit
Bofïuet, en parlant des fîècles d’idolâtrie ; j e ne vois
le tout de r ien , dit Montagne ; &• Lucrèce , pour
exprimer la grandeur du fyftême d’Épicure
. . . i . . Extra
ProceJJit longé flammantic mania mundi,
Atque omne immenfum peragravit mente animoque* '
Du monde il a franchi la barrière enflammée,
Et fon aine a d’un vol parcouru l’infini.
N ’oublions pas cet effrayant tableau que fait le
P . L a Rue du pécheur après fa mort : Environné
de l ’éternité, y & n ’ayant que fo n péché entre fo n
D ie u & lu i. N ’oublions pas non plus cette réponfe
d’un moine de la T r a p e , â qui l ’on demandent
ce qu’i l avoit fait là depuis quarante ans qu’i l y
ecoic : Cogitavi dies antiquos,, & annos oetirnos
in mente hàbui. C ’eft le vague & l ’immenficé
de ces Images qui en fait la force 8c la fubli-
mi.té.
Pour s’affùrer de la jufteffe & de la clarté d’une
Image en elle-même , i l faut fe demander en écrivant
, Que fais-je de mon idée ? une colonne ? un
fleuve?, une. plante? U Image ne doit rien pré-
fenter qui ne convienne à la plante, à la colonne,
au fleuve ,. &c. L a règ le eft am p le , sûre, & facile ;
rien n’eft plus, commun'“cependant que de la voir
négliger , & furtout par les commençants qui
n’ont pas fait .de leur langue .une étude philofo-
phi^ue.
L ’analogie de Y Image avec l ’idée exige encore,
plus d’attention' que la jufteffe de Ylmage en.
elle-même, comme étant plus difficile à faifir. Nous
avons dit que- toute; Image fuppofe une reffem-
blance , ainfi que toute çoniparaifon ; mais la com-
paraifon dèveippe les raports , Ylmage ne fait que
les indiquer : i l faut donc que l ’Image foie au
moins auffi jufte que la comparaifon peut l ’être.
'L’Imagé qui ne s applique pas exactement à l ’idée
qu’elle envelope , i’obfcureit au lieu de la rendre
fenfible ; i l faut que le voile ne faffe aucun p li ,
■ ou que du moins, pour parler le langage des peintres
, le nud foit bien reffenci fous la draperie.
Après la jufteffe & la clarté de Y lm a g e , je place
la vivacité. L ’effet que l’on fe p ropofe étant d’artèétcr
l ’imagination, les traits qui l ’affeétent le plus doivent
avoir l a préférence.
Tous les fens contribuent proportionnellement
ail langage figuré. Nous difons le coloris des
idées , la voix des remords , la dureté de l ’ame ,
la douceur du caractère, Y odeur de la bonnerenommée.
Mais les objets de la vu e , plus clairs ,
plus v ifs , & plus diftinéts , ont l ’avantage de fe
graver plus avant dans la mémoire & de le retracer
plus facilement ■: la vïïe eft par excellence le fens
de l ’imagination , & ,les. objets qui fe communiquent
à l ’ame par T ’entremife des yeux vont s’y
peindre comme dans, un miroir ; auffi la vue eft-
e lle celui de tous les fens qui enrichit le, plus le
langage poétique. Après la vue j c’eft le toucher;
apres l e toucher, c’eft l ’ouïe ; après l ’ouïe , vient
le goût .; & 1 odorat-,» le plus foible de tous a
fournit a peine une Image entre mille. Parmi les
objets du meme fens, i l en eft. de plus y ï f s , d é plus
frapants, de plus favorables à la peinture. Mais
le choix en eft au deffus des règles ; c’ eft au fens
intime à le déterminer.-
Obfervons- feulement que de' tous les- fens,
le feul dont les dégoûts foient infoutenabies â la
penfée, c’eft l ’odorat, 8ç que la réminifcence de la
puanteur eft la feule qui nous répugne invinciblement.
Nous fupportons
'. Un horrible mélange
D’os & de chairs meurcris 8c traînés dans la fange j
nous ne fupportons pas
Des montagnes de morts privés d’honneurs fuprêmes.
Que la nature force à fe venger eux-mêmes.
Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents
De quoi faire la guerre au relie des vivants. )
C ’eft peu que Y lmage foit. une expreflion jufte ;
i l faut encote qu’elle foit une expreflion naturelle,
c’eft à dire, qu elle paroiffe avoir dû fe préfémer
d’elle -même à celui, qui l ’emploie. Lès peintres
nous donnent un exemple de la propriété des Imag
e s : ils couronnent les naïades de perles & dé c o r a il,
les bergères de fleurs, les ménades de pampre, Uranie
d’étoiles, &c.
L e s produirions, les accidents , les phénomènes
de la nature diffèrent fuivant les climats, I l n’eft
pas vraifemblable que deux amants qui n’ont jamais
dû voir des palmiers, en tirent- Y lmage de
leur union. I l ne convient qu’au peuple du L e vant
, ou à des efprits verfés dans la-Poéfie orientale ,
d’exprimer le rapor; des deux extrêmes par Y lmage
du cèdre à l ’hyfope.
L ’habitant d’un climat pluvieux compare la vue
de ce qoAil aime a la vue d’u;s c iel fans nuages ;
l ’habitant d’un climat brûlant; la compare i la
rofée. A la Chine , un empereur qui fait la jo ie
8c le bonheur de fon p eu p le , eft femblable au
vent du Midi. V o y e z combien font cppofées l ’une
à l ’autre les idées que préfente Y lmage d’un fleuve
débordé à un berger des bords, du N il & à ua
berger des bords de la Loire. I l en eft de même
de toutes les Images locales , que l ’on ne doit
tranfplantet qu’avec beaucoup-de précaution.
Les Images font auffi plus ou. moins familières t
fuivant les moeurs, les opinions, les ufages, les.
conditions, &c. Un peuple guerrier , un peuple
pafteur , un peuple m a te lo t, ont chacun leurs
Images habituelles ; ils les tirent des objets qui
les occupent , qui les afretient , qui les intéreflent
le plus. Un chafleur amoureux le compare au cerf
qu’i l a bleffé :
Portant partout le trait dont je fuis déchiré.
U n berger , dans le même fitua.ion, fe compare aux
fleurs expofées aux vents du Midi.
•. . . Flcribus aujlrum
Perditus immifi. Virg.
. C ’eft ce qu’on doit obferver avec un foin particulier
dans la Poéfie dramatique. Br itannicu s ne doit
pas être écrit comme A th a lie , ni P o ly eu c le comme
O o i