
paroître toujours parler, néceflité qui croît en raitott
de ce qu’une langue eft peu mufîcaie ; car moins
l a langue a de douceur 6c d’accents , plus le paf-
fage alternatif de la parole au chant & du chant a
l a parole y devient dur & choquant pour l ’oreille.
De là le befoin de fubftituer au difcours en récit un
djfcours en chant, qui pût l ’imiter de fi près, qu’il
n’y eût que la juftefle des accords qui le diftinguât
de la parole. Voye\ Récitatif.
C e t t e manière d’uùir au T h é â tr e la Mufîque â la
P o é fie , q u i , ch e z le s g r e c s , fuffifoit pour l ’ intérêt '
& l ’ iliu fio n parce qu e l l e é to it n a tu r e lle , par la
raifon c o n t ra ir e , ne p o u v o it fuifire ch e z nous pour
l a même fin. En écoutant un la n g a g e h yp o th é tiq u e Sc c o n t r a in t , nous avons p e in e â conc evo ir ce qu on
v e u t nous dire ; a v e c beaucoup de b r u i t , on nous
donne peu d’ém o tion : de là naît la néceflité d’amener
l e pia ifir phy fiqu e au fecours du m o r a l , & de
fu p p lé e r , pa r l ’attrait de l ’h a rm o n ie , à l ’ éne rgie de
l ’ expreflion. A in fi , moins on fa it tou ch er l e coeur ,
p lu s i l faut flatter l ’o r e i lle ; & nous fommes forcés
de chercher dans la fenfiuion l e p ia ifir q ue l e fen-
tjment nous refufe. V o i là l ’ o r ig in e des a i r s , des
c hoe u r s , de la fym p h o n ie , 8c de ce tte m é lod ie en -
cnqnterefle , dont la Mufîque moderne s’ em b e llit
feu v en t aux dépens de la P o éfie , mais que l ’homme
de g o û t rebute au théâtre quand on l e fla tte fans
F ém ou vo ir.
A la naiflance de VOpéra , Tes inventeurs v o u lan
t éluder ce qu’a vo it de peu naturel l ’ union de
l a Mufîqu e au difcours dans l ’ im ita tio n de l a v ie
humaine , s’ av ifèrent de tranfporter la fcène aux
d e u x & dans le s en fe r s ; & faute de fa v oir faire
p a r le r le s hommes , i l s aimèrent mieux fa ire chante
r le s dieux & le s diables , q ue le s héros & le s
berge rs. B ien tô t la M a g ie & l e m e rv e illeu x devinren
t le s fondements du théâtre ly r iq u e ; & content
de s enrichir d’ un nouveau genre , on ne lo n g e a
p a s même à rechercher fi c’é to it bien c e lu i - l à
qu ’on a v o it dû ch o ifir. P o u r fou tenir une fi fo r te
illu f io n , i l fa llu t épuifer tou t ce que l ’art humain
p o u v o it im a g in er de p lu s féduifant ch e z un p eu p le
o ù l e g o û t du p ia ifir & c e lu i des b eau x -a r ts ré -
gn o ie n t à l ’ env i. C e t t e n ation cé lèb re , à la q u e lle
i l ne refte de fon ancienne grandeur q ue c e lle des
idées dans tous le s b e a u x -a r ts , p ro d igu a fon g o û t ,
lès lum iè r e s , pour donner à ce nouveau fpeétac le
tou t l ’ é c la t dont i l a v o it befoin. O n v it s’é le v e r
pa r tou te l ’I ta lie des théâtres ég au x en étendue
au x p a la is des rois , & en é lé g a n c e aux monuments
de l ’antiqu ité dont e l l e é to it rem p lie . O n in v en ta ,
poui^ le s orner , l ’ art de l a p e r fp e& iv e & de la
d é coration. L e s artiftes , dans ch aque g en re , y
firent à l ’env i b r ille r leurs talents . L e s machines
le s plus ingénieufes , le s v o ls le s p lu s hardis , les
t em p ê t e s , l a foudre , l ’ éc la ir , & tous le s p ref-
t ig e s de l a b agu e tte furent em p lo y é s à fafciner le s
leu x , tandis que des multitudes d’inftruments & de
v o ix étonnoient le s o r e i lle s .
A VCÇ tou t c e ja l ’a ttio n re fto jt toujours froide ,
& toutes les fitaations manquoient d’intérêt : comme
i l n’y avoit point d’intrigue qu’on ne dénouât facilement
à l ’aide de quelque dieu- , le fpeélateur,
qui connoifloit tout le pouvoir du poète , fe repo-
foit tranquillement fur lu i du foin de tirer fes
héros des plus grands dangers. A in f i, l ’appareil
étoit iramenfe, 6c produifoit peu d’effet ; parce que
l ’imitation étoit toujours imparfaite & groffière ;
que l ’aétion , prife hors de la nature, étoit fans intérêt
pour nous ; 6c que les fens fe prêtent mal
à l ’illu fion , quand le coeur ne s’en mêle pas : de
forte qu’ à tout compter, i l eût été difficile d’ennuyer
une affemblée à plus grands frais.
C e fpe&acle , tout imparfait qu’i l étoit , fit long
temps l ’admiration des contemporains , qui n’en
connoifloient point de meilleur. Ils fe féiicitoient
même de la découverte d’un fi beau genre : V o ilà ,
difoient - i l s , un nouveau principe joint à ceux
d’Ariftote ; voilà- l ’admiration ajoutée à la terreur
& à la pitié. Ils ne voyoient pas que cette richefle
apparente n’étoit au ‘ fond qu’un figne de ftérilité ,
comme les fleurs qui couvrent les champs avant la
moiffon. C ’étoit faute de favoir toucher qu’ ils vou-
loient furprendre ; & cette admiration prétendue
n’étoit en effet qu’un étonnement puéril dont ils
auroient dû rougir. Un faux air de magnificence ,
de féerie, & d’enchantement, leur en impofoit au
point qu’ ils ne parloient qu'avec enthoufîame &
refpeél d’un théâtre qui ne méritoit que des huées ;
ils a voien t, de la meilleure foi du monde, autant
de vénération pour la fcène naênïe quê pour les
chimériques objets qu’on tâchoit d’y repréfenter :
comme s’i l y avoit plus de mérite à faire parler
platement le roi des dieux que le'dernier des morte
ls , & que les valets de Molière ne fuffent pas
préférables aux héros de Fradon.
Quoique les auteurs de ces premiers Opéra
n’euffent guères d’autre but que d’éblouïr les ieux
& d’étourdir les oreilles , j l étoit difficile que le
mufîcien ne fût jamais tenté de chercher à tirer de
fon art l ’expreflion des fentimems répandus dans le
poème. Les chanfons des nymphes , les hymnes
des prêtres , les cris des guerriers, les hurlements
infernaux ne rempliffoient pas tellement ces drames
groflîers , qu’ il ne s’y trouvât quelqu’un de ces
inftants d’intérêt & de fituation où le fpe&ateur ne
demande qu’ à s’attendrir. Bientôt on commença de
fentir, qu’indépendamment de la déclamation mufî-
c a le , que fou ven t.la langue eomportoit m a l, le
choix du mouvement, de l ’harmonie , & des chants ,
n’étoit pas indifférent aux chofes qu’on avoit à dire ,
& que par conféquent l’effet de la feule Mufîque ,
borné jufqu’alors aux fens, pouvoit aller jufqu’ail
coeur. La Mélodie , qui ne s’étoit d’abord féparée
de. la Poéfie que par néceflité j tira parti de cette
indépendance pour fe donner des beautés abfolues
6c purement muficales : l ’Harmonie découverte 6c
perfectionnée lui ouvrit de nouvelles routes pour
plaire & pour émouvoir; & la Mefure, affranchie
de la gêne du rhythme p o é tiq u e , aquit auflî une
forte
forte de cadence à part , qu’elle ne tenoit que
d’elle feule*
L a Mufîque, étant ainfi devenue un troifième art
d’imitation, eut bientôt fon lan g a g e , fon expref-
fion , fes tableaux, tout à fait indépendants de. la
Poéfie. L a Symphonie même aprit à parler fans
le fecours des paroles , & fouvent i l ne fortoit pas
des fentiments moins vifs de i ’orcheftre que, de la
bouche des adleurs. C ’eft alors que , commençant
à fe dégoûter de tout le clinquant de la Féerie , du
puéril fracas des machines, 6c de la fantafque image
des chofes qu’on n’a jamais vues , on chercha , dans
l ’imitation de la nature , des tableaux plus intérêt-
fants & plus-, vrais. Jufques là ï Opéra avoit été
conftitué comme i l pouvoit l ’être : car quel meilleur
ufage pouvoit-on faire au Théâtre d’une Mufîque
qui ne favoit rien peindre , que de l ’employer à
la repréfentation des chofes qui ne pouvoient
exifter, & fur iefquelies perforine n’étoit en état dé
comparer l ’image à l ’objet ? I l eft impoflible de
favoir fi l ’on eft affetlé par la peinture du merv
e ille u x c om m e on le feroit par fa.préfence ; au
lieu que tout homme peut juger par lui-même , fi
l ’artifte a bien fn faire parier aux partions leur
langage & fi les objets de. la nature font bien,
imités. Auflî, dès que la Mufique eut appris à peindre
& â parler , les charmes du fentiment firent-ils
bientôr négliger ceux de la baguette ; le Théâtre
fut purgé au jargon de la Mythologie , l ’intérêt fut
fubftitué au merveilleux , les machinés des poètes
6c des charpentiers furent détruites, & le Drame ly r ique
prit une forme plus noble 6c moins gigantef-
que. T ou t ce qui pouvoit émouvoir le coeur y fut
employé avec fuccès; on n’eut plus befoin d’en im-
pofer par des êtres de raifon , ou plus tôt de folie ;
6c les dieux furent chartes de la Scène,, quand on y
fut repréfenter des hommes. Cette forme , plusfiige
8c plus régulière, fe trouva encore la plus propre â
l ’illufion : l ’on fentit que le chef-d’oeuvre de la Mufique
étoit de fe faire oublier elle-même ; qu’ en
jetant le défordre & le trouble dans l ’âme du fpec-
tateur, elle l ’empéchoit de diftinguer les chants tendres
6c pathétiques d’une héroïne gémiffante, des
vrais accents de la douleur ; qu’A ch ille en fureur
pouvoit nous glacer d’effroi, avec lejn ême langage
qui nous eût choqué dans fa bouche en tout autre
.temps.
Ces obfervations doffhèrcnt lieu â une fécondé
réforme non moins importante que la première, ô n
fentit qu’ i l ne falloit à Y Opéra rien de froid 6c de
raifonné, rien que le fpedateur pût écouter aflez
tranquilement pour réfléchir fur i ’abfurdiîé de ce
qu’i l entendoit ; 8ç c’eft en cela furtout que
confifte la différence effencielle du Drame lyrique
a la fimple Tragédie. Toutes les délibérations politiques
, tous fes projets de confpiration , les
expofitions, les récits, les maximes mntençieufes ,
.en un mot, tout ce qui ne parle qu’ à la raifon fut
banni du langage du coeur, avec les jeux d’e fp r it ,
les madrigaux } & tout ce qui r.n*eft que depçnjees,
G r a m a i . e j L u t &r a t * Tome I L
L e ton même de la fimple. galanterie , qui quadre
mal avec les grandes paflions, fut à peine admis
dans le rempliflage des fituations t ra fiq u e s , dont
i l gâte prefque toujours l ’effet : car/jamais on ne
fent mieux que l ’adeur chante, que lon qu ’i l dit une
chanfon.
L ’cnergie *de tous les fentiments, la violence de
toutes les paflions font l ’objet principal du Drame
lyrique ; & i ’illufion , qui en fait le charme, eft
toujours détruite aufli-tôt que l ’auteur & Fadeur
laiffent un moment le fpedateur à lui-même. T e ls
font les principes fur iefquels Y Opéra moderne
eft établi. Apoftolo-Zen o , le Corneille de l ’Italie ,
fon tendre élève., qui en eft le Racine, ont ouvert
6c perfedionné cette nouvelle carrière. Ils ont ôfé
mettre les héros de THiftoire fur un théâtre qui
fembloit ne convenir qu’aux fantômes de la Fable.
Cyrus , Céfar , Caton même ont paru fur la
Scène avec fuccès, & les fpedateurs les plus révoltés
d’entendre chanter de tels hommes ont bientôt
oublié qu’ils chanioienl , fubjugués & ravis par
l ’éclat d une Mufîque auflî pleine de nobiefie 6c
de dignité , que d’enthoufiafme 6c de feu. L ’on fup-
pofe aifément que des fentiments fi differents des
nôtres doivent s’exprimer auflî fur un autre ton.
Ces nouveaux poèmes , que le génie avoit créés
& q u e -lu i feul pouvoit foutenir, écartèrent fans
effort les mauvais mufîciens , qui n’avoient que le
méchanique de leur a r t , 6c q u i , privés du feu de l ’ invention
& du don de l ’imitation , fefoient des Opéra.
comme ils auroient fait des fabots. A peine les
cris des bacchantes , les conjurations des forçiers, 6c
tous les chants qui n’étoient qu’un vain bruit, furent-
ils bannis du théâtre ; à peine eut-on tenté de fubfti—
tuer à ce barbare fracas les accents de la colère ,
de la douleur,.des mefïaces ,,d e la tendrefle , des
pleu rs, des gémiffements, & tous les mouvements
d’une âme a g ité e , que , forcés de donner des fentiments
aux héros, un langage au coeur humain , les
V in c i , les Pergolèfe , dédaignant la fervile imitation
de leurs prédécefleurs 6c s’ouvrant une nouv
elle carrière, la franchirent fur. l ’aîle du génie
■ 6c fe trouvèrent au but prefque dès les premiers
pas. Mais on ne peut marcher lon g temps dans
la route du bon goût faus monter ou defeendre ,
& la perfeérion eft un point où i l eft difficile de
fe maintenir. Après avoir eflayé & fenti fes forces ,
la Mufîque, en état de marcher feule , commence
à dédaigner la Poéfie qif’elle doit accompagner , &
croit en valoir mieux en tirant d’elle-même les beautés
qu’elle partageoit avec fa compagne. E lle fe pro-
pofe encore , i l eft vrai , de rendre les idées 8c
les fentiments du poète : mais elle prend , en quelque
forte , un autre langage ; & quoique l’objet
foit le même, le poète 6c le mufîcien, trop féparés
dans leur travail, en offrent à la fois deux images reP-
femblantes mais diftinftes, qui fe nuifent mutuellement.
L’efprit , forcé de fe partager, choifît & fe
fixe à une image plus tôt qu’à l ’autre. Alors le mufî-
e jeo , s’i l a plus d’art que le poète , l ’efface & le