
la peindre avec plus de fidélité dans leur orthographe.
Au lieu de notre gn> ils fe fervent de la
lettre fl furmontée de ce qu’on appelle communément
un titre : çe titre eft fur une confonne le
ligne convenu d’une voyelle omife. après la çon-
fonne ; & la prononciation espagnole indique en
ce cas que la voyelle omife eft un i , comme dans
leurs mots feîiorp&queüo , pequehito , penas,
&c. Cette fuppreflion de l’i prépofitif eft un ligne
bien imaginé de l’exceflîve brièveté de cet i y mais
il eft bien propre à faire croire , à ceux qui jugent
des fons par les lettres & qui n’entendent pour
ainfi dire que par les ieux, que le caractère « rer
préfente en effet une articulation différente de ce lle
qui eft repréfoncée par n.
Au refte , il y a eu plus de bonheur que d’adreffe
au choix de ce ligne orthographique de la langue
çaftillane : autrefois on y écrivoit nn, 3 & pour
abréger, on a écrit infenlîblement n. Ç’eft du moins
l’opinion de plufieurs favants efpagnols , raportée
& non contredite par l’Académie royale elpagnole,
dans fon Traité de V Orthographe. ( III. édit. Madrid
, 1763 , pdg. 65. ) XJn monument fubliftant,
qui dépofe qu’ils ont pu repréfenter n mouillée par nn, c’eft qu’ils repréfentent encore l mouillée
par II y & s’ils ont confervé cette double lettre, c’eft
que l étoit un caractère trop étroit & trop élevé pour
porter un titre. ( M . B e aÙzée. )
* MOUVEMENTS D U STYLE. Littérature , JPoéJie, Eloquence. Montagne a dit de l’âme ,
c L ’agitation eft fa vie & fa grâce ». Il en eft de
même du ftyle : encore eft-çe peu qu’il foit en Mouvement, fi ce Mouvement n’eft pas analogue
à celui de l’âme 3 & c’eft ici que l’on va fentir
la jufteffe de la compara jfon de Lucien , qui veut
que le ftyle & la chofe, comme le cavalier & le
cheval, ne faffent qu’un & fe meuvent enfemble.
Les tours d’expreflïon qui rendent l’aétion de l’âme,
font ce que les rhéteurs ont appelé fées. Or l’a.étion de l’âme peut fefi gcuornecse vdoei rp feonu-s !
l’image des directions que fuit le Mouvement des
corps. Que l’on me paffe la comparaifon : une
analyfe plus abftraite ne feroit pas aufli fenfible.
Ou l’âme s’élève ou elle s’abaiffe j ou elle
s’élance en avant ? ou elle recule fur elle' - même 3
ou ne fachant auquel de tes Mouvements obéir ,
elle penche dp tous les côtés, chancelante irré-
fplue 3 ou dans une agitation plus violente encore ,
& de tou s fens retenue par le s obftacl.es', e lle fe
ro u ie pn to u rb illo n , comme un g lo b e de feu fur fon
a x e.A
u Mouvement de l’âme qui s’élève , répondent
tou? les tranfports d’admiration, de raviffement ,
d’enthoufîafme, l’exclamation , l’imprécation , les
voeux ardents & pa/fionnés , la révolte contre le
Ciel, l’indignation contre la foibleffe & les vices
de nôtre nature. Au Mouvement de l’âme qui
j’abaiffe, répondent les plaintes, les humbles priéres,
le découragement, le repentir, tout ce qut
implore grâce ou pitié. A u M o u v em e n t de. l ’âme
qui s élance en avant & hors d’elle-même , répondent
le défit impatient, Pinftance vive & redoublée,
le reproche , la menace, l ’ infulte , la colère &
l ’indignation, la réfolution & l ’audace , tous les
a êtes d’une volonté ferme & décidée, impétueufe
& v io len te , foit qu’elle lutte contre les obftacles,
foit qu’e lle faffe obftacle elle-même â des M o u -
veme/zw oppofés. A u retour de l ’âme fur elle-ipême,
répondent la furprife mélée d’e ffro i, la répugnance
& là honte , l ’épouvante & le remords , tout ce
<pij réprime ou renverfe la réfolution , le penchant, 1 impulfion de la volonté. A la fituatipri de l ’âme
cpii ch ancelle, répondent le doute , l ’irréfolutjon,
1 inquiétude & la perplexité, le balancement des
idées & le combat des fentiments. Les révolutions
rapides que l ’âme éprouve au dedans d’elle-méme
lorfqu’elle fermente êc bouillonne , font un çompofé
de ces M o u v em e n t s divers , interrompus dans tous
les points.
Souvent plus libre & plus tranquile, au moins
en apparence, e lle s’obferve, fe pofsède, & modère
fes M o u v em e n t s • A cette fituation de l ’âm e appartiennent
les détours, les allufions, les réticences
du ftyle fin , dé lica t, ironique , l ’artifice & le ma-»
nège d’une éloquence infinuante , les M o u v e m e n t s
retenus d’une âme qui fe dompte elle-m êm e, &
d’une paflion violente qui n’a pas encore feçoué le
frein.
Le s M o u v em e n t s fe varient d’eux-mêmes dans
le ftyle paflîqnné, lorfqu’on eft dans l ’illu fion , Sç
qu on s’abandonne à la nature : alors ces figures,
qui font fi froides quapd on les a recherchées ,
la répétition , la gradation, l ’accumulation, & c 3
fe préfentent naturellement avec toute la chaleur
de la paflion qui les a produites. L e talent de les
employer g propos n’ eff dope que je talent de fe
pénétrer ejes afteéjioqs que l ’on exprime : l ’art ne
peut fuppléer à cette illufion 3 c’eft par e lle qu’o q
eft en état d’obferver la génération , la gradation ,
le mélange des fentiments , & que dans le fp è c e de
combat qu’ils fe liv ren t, o,n fait donner tour à tour
l ’avantage à celui qui doit dominer.
A l ’égard du ftyle épique, au défaut de ces M o u -
v em e n t s , i l eft animé par un autre artifice & varié
par d’autres moyens.
Une id é e , à mon g r é , bien naturelle , bien ingé-
nieufe, & bien favorable aux poètes, a été ce lle
d’attribuer une âme â tout ce qui donnoit quelque
figne de vie : j’appelle figne de vie l ’a â ion , la
végétation, & en général f apparence du fentiment.
L ’a&ion eft ce M o u v em e n t inné qui n’a point de
caufe étrangère connue, & dopt le principe réfide
ou femble r.éfider dans le çorps même qui fe meut
fans recevoir fenfiblement aucune impulfion du dehors
: c’eft ainfi que l e feu . É a ir , & l ’eau font en
aétion.
D e ce que leur M o u v em e n t nous femble être
indépendant, nous en inférons qu’i l eft volontaire j
Mc le principe que nous lui attribuons eft une âme
pareille à ce lle qui meut ou qui femble mouvoir
en nous les refforts du corps qu’elle anime. A la
Volonté que fuppofe un M o u v em e n t libre , nous
ajoutons en idée l ’intelligence , le fentiment, &
toutes les affeétions humaines. C ’eft ainfi que des
éléments nous avons fait des hommes doux, bienfaisants
, doc iles, cruels, impérieux, inconftants * capricieux
, avares, & c .
Cette indu&ion, moitié philofophique & moitié
popula ire, eft une fource intariffabfe de poefie >
une règle infaillible & univerfelle pour la juftefle du
ftyle figuré. . , ^
Mais fi le M o u v em e n t feul nous a induits a donner
une âme à la matière , la végétation nous y a comme
obligés. - f > . _
Quand nous voyons les racines dune plante le
gliffer dans les veines du r o c , en fuivre les finuo-
fités , ou le tourner s’i l eft folide , & chercher, avec
l ’apparence d’un difeernement in faillib le, le terrein
jpropre à la nourrir 3 comment ne pas lui attribuer
ja même fagacité qu’à la brebis, q u i , dune dent
aiguë , enlève d’ entre les cailloux les herbes tendres
& favoureufes ? •
Quand nous voyons la vigne chercher 1 appui
de l ’ormeau ,/ 1 ’embraffer, élever fes pampres pour
les enlaffer aux branches de cet arbre tutélaire 3
comment ne pas l ’attribuer au fentiment de fa foibleffe
, & ne pas fuppofer à cette attion le même
principe qu’à ce lle de l ’enfant qui tend les bras à fa
nourrice pour l ’engager à le foutenir ?
Quand nous voyons les bourgeons. des arbres
s’épanouir au premier fourire du printemps, &. fe
refermer aufli tôt que le fouffle de l ’hiver , qui fe
retourne & menace en fu y an t, vient démentir ces
careffes trompeufes3 comment ne pas attribuer à
l ’eipoir , à la joie , à l ’ impatience, à la féduétion
d’un beau jour, le premier de ces M o u v em e n t s , &
l ’autre au faififfement de la crainte ? Comment distinguer
entre les laboureurs , les troupeaux , & les
plantes , les caufes diverfes d’un effet tout pareil ?
A c neque jam J ia bulis gaudet p ecus aut arator igni.
Le s philofophes diftinguent dans la nature le
méchanifme , l ’inftinft , l ’intelligence : mais l ’on
nJeft philofophe que dans les rfiéditations du cabinet
3 dès qu’on le livre aux impreflions des fens ,
on devient enfant comme tout le monde. Les fpé-
culations tranfeendantes font pour nous un état
forcé. 3 notre condition naturelle eft ce lle du peuple :
ainfi , lorfque Rouffeau , dans l ’illufîon poétique ,
exprime fon inquiétude pour un jeune arbriffeau qui
fe preffe {rop de fleurir, i l nous intéreffe nous-
mêmes.
Jeune & tendre Arbriffeau, l’efpoir de mon verger,
Fertile nourriffon de Vertumne & de Flore,
P e s faveurs de l’Hiyer redoutez le danger,
Et retenez ves fleurs qui s-’empreffent d'éclore ,
Séduites par l’éclac d’un beau jour paflager.
Dans Lucrèce la pefte frape les hommes , dans
V ir g ile elle attaque les animaux : je rougis de le
dire , mais on eft au moins aufli ’ému du tableau de
V i r g i l e , que de celui de Lucrèce, & dans cette
image j
I i trljlis arator
Moeréntem abjungens fraternel morte ju v e n c u r t i,
c e n’eft pas la trifteffe du laboureur qui nous touche.
D e la même fource naît cet intérêt univerfel
répandu dans la Poéfie, le plaifîr de nous trouver
partôut avec nos femblables, de voir que tout
le n t , que tout penfe , que tout agit comme nous :
ainfi , le charme du ftyle figuré confifte à nous mettre
en fociété avec toute la nature, & à nous intéreffer
à tout ce que nous voyons par quelque retour fur
nous-mêmes.
Une règle confiante & invariable dans le ftyle
poétique , eft donc d’animer tout ce qui peut l ’être
avec vraifemblance. .
Non feulement fa c t io n & la végétation , mais
le M o u v em e n t accidentel, & quelquefois même
la forme & l ’attitude des corps dans le repos ,
fuffifent pour l ’illufion de la métaphore. O n dit
qu’un rocher fufpendu menace 3 on dit qu’i l eft
touché de nos plaintes : on dit d’un mont fourcil-
le u x , qu’i l va défier les tempêtes 3 & d’un écueil
immobile au milieu des flots , qu’i l brave N ep tune
irrité. D e même lorfque dans Homère la
flèche vole avide de fàn g , ou qu’e lle difeerne &
choifit un guerrier dans la mé lé e , comme dans l e
Poème du Taffe , fon aétion phyfique donne de
la vraifemblance au fentiment qu’on lui attribue :
cela répond à la penfée de Pline l ’ancien 3 « Nous
» avons donné des aîles au fer & à la mort ».
Mais qu’Homère dife des traits qui font tombés
autour d’Ajax fans pouvoir l ’atteindre , qu’épars
fur la terre, ils demandent le fang dont ils font
privés , i l n’y a dans la réalité rien d’analogue à
cette penfée. L a p ie r r e im p u d e n t e du même poète ,
& le l i t e f f r o n t é de Defpréaux manquent aufli
de cette vérité relative qui fait la jufteffe de la
métaphore. I l eft vrai que dans les livres faints le
giaive des vengeances céleftes s 3e n iv r e Ù f e r a f fa fz e
d u f a n g : mais au moyen du merveilleux tout
s’anime 3 au lieu que dans le fyftême de la nature ,
la vérité relative de cette efpèce de métaphore
n’eft fondée que for l ’illufion des fens. I l faut donc
que cette illufion ait fon principe dans les apparences
des chofes.
I l y a un autre moyen d’animer le fty le 5 &
celui-ci ■ eft commun à l ’Éloquence & à la Poefie
pathétique. C ’eft d’adreffer ou d’attribuer la parole
aux abfents, aux morts , aux chofes infenfibles 3
de lès v o ir , de croire les entendre & en être en-^