
ce qui frape les ieux , à peine s’en trouve-t-il un
qui fâche dèveloper ce qui fe paife au fond de
lam e . L a plupart connoiflent aflez la nature pour
avoir imaginé , comme Racine , de faire exiger
d’Ore fte, par Hermione, qu’i l immolât Pyrrhus
à l ’autel ; mais quel autre qu’un homme de génie
auroit conçu ce retour fi naturel & fi fublime ?
Pourquoi l’aflafliner? qu’a-t-il fait ? à quel titre ?
Qui te l’a dit ? ;
Le s alarmes de Mérope fur le fort d’Égifte , fa
douleur , fon défefpoir à la nouvelle de fa mort ,
la révolution qui fe fait en elle en le reconnoif-
ïa n t , font des mouvements que Ja nature indique
â tout le monde ; mais ce retour fi v r a i, fi pathétique:
Barbare, il te relie une mère.
Je ferois mère encor fans to i, fans ta fureur.
Ce t égarement où l ’excès du péril étouffe la crainte
dans 1 a me d’une mère éperdue :
Eh bien, cet étranger, c’eft mon.fils, c’eft mon fang. '
Ces tra its, dis-je, ne fe préfentent qu’à un poète
qui-eft devenu Mérope par là force de l ’illufîon. 31 en eft de même du Q u ’ i l mourut du v ie il Ho race
, & de tous ces mouvements fublimes dans
leur f im p l i c k é , qui femblent , quand ils font placés
, être venus s’offrir d’eux-mêmes. Lorfque le
vieux P riam, aux pieds d’A c h ille , dit en fe comparant
à Pélée : «^Combien fuis-je plus malheureux
» que lui ? Après tant de calamités, la fortune ioe -
» périeufe m’a réduit à ofer ce que jamais mortel
» n’ofa avant moi : ' elle m’a réduit à baifer la main
» h om i c id e & " teinte encore du fang de mes en-
•» rants ». O n fe perfuade que , dans la même fîtua-
t io n o n lui eut fait t e n i r le même langage : mais
cela ne paroît fï fîmple, que parce qu’on y voit la
nature ; & pour l a peindre avec cette vérité, i l faut
l ’avoir, non pas fous les y e u x , non pas en idée ,
mais au fond de l ’ame.
C e fenriment, dans fon plus haut degré de chaleur
, n’eft autre chofe que l ’enthoufiafme : & fï
onappelie ivrejfe , délire, ou fu r eu r , la perfüa/ïon
que i ’on n’eft plus foi-même , mais celui que l ’on
fait a g ir , que rl ’on n’eft plus où l ’on e f t , mais
préfent à ce qu’on veut peindre ; l ’ënthoufïafme eft
tout cela. Mais on fe tromperoit f i , fur la foi de
C icé ron , l ’on attendoit tout des feules forces de
la nature 8c du fouffle divin, dont i l fuppofe que
les poètes font animés: Po'étçim naturâ ip fâ va ler e ,
. & mentes viribus e xç itari, & quafi divino quodam
fp ir itu ajflari.
I l faut avoir profondément fondé . le coeur humain
pour en faifïr avec précifion les mouvements
variés & rapides, pour devenir foi - même*dans la
vérité de la nature , Mérope , Hermione, Priam,
& tour à tour chacun des perfonnag.es que l ’on
fait parler & agir. C e que Platon appelle M a n ie ,
füppofe donc beaucoup de fageffe ; & je doute que
L ocke & Pafcal fuffent plus philofophes que Racine
& Molière. Caftêlv etro définjt la Poéfie pathétique :
Trovamento e ejfercitamento déliaperfona inge-
niofa , e non délia fu r io fa .
N on , fans doute : l ’enthoufîafme n’eft pas une
fureur vague & aveugle ; mais c’eft la paffion du
moment, dans fa . vérité , fa chaleur naturelle:
c’eft la vengeance , fi l ’on fait parler Atrée ; l ’amour
, fi l ’on fait parler Ariane ; la douleur
& l ’indignation, fi l ’on «fait parler Philo Aète. I l
arrive fouvent que l ’Imagination du poète eft
ftap ée, & que fon coeur n’eft pas ému.* Alors i l
peint vivement tous les fignes de la paffion, mais
i l n’en a point le langage. L e T a f f e , après' la
mort de Clorinde , avoit Tancrède devant les yeux ;
auffi l ’a - t- il peint comme d’après nature :
Paltido , fied d o , muto, e- quajî privo
D i movimento, al marmo g lio c ch i affijji j
■ Sll fin fpargendo un lagrimofo rivo-, ..
In un languido ahinvè proruppe.
Mais pour le faire p a rler , ce n’ét.oit pas aflez de
le voir , i l falloit être un autre lui-même ; & c’eft
pour n’avoir pas été dans cette pleine illufion , qu’i l
lui a fait tenir un langage peu naturel.
’ ( ^ V irg ile au contraire avoit en même temps, & 1 Imagination frapée , & l ’ame remplie de fon
objet, & l ’une & l ’autre profondément émues , lorf-
qu’i l a peint 8c fait parier Didon dans ,ces beaux
vers i
T alia dicéntem jamdudum averfa tuetur,
Hue illuc volvens oçulos ; totumque pereïrat
Luminibus tacitis, & fie accênja projatur :
Hectibi diva parens , generis nec Dardànus autort
P e r f i d e &c. )
L ’homme du monde qui pouvoit le mieux parler de
l ’enthoufiafme, M. de Voltaire, nous dit q u e l’enthou-
fiafme raifbnnable eft le partage des grands poètes.
Mais comment Eenthoufïafme peut-il être gouverné
par le raifonnement ? V o ic i fa réponfê : « Un poète
» defline d’abord l ’ordonnance de fon tableau;la raifon -
» alors, tient le crayon. Mais veut>il animer fes
» perfonnages & leur donner le caractère des
» paffions? alors Y Imagination s’échauffe, l ’en-
» thoufiafme agit ; c’eft un courfier qui s’emporte
» dans la carrière , mais fa carrière eft régulière-
» ment tracée. I l le compare au grand Condé ,
» qui méditoit avec fag effe, & combattoit avec.
» fureur». (M . M a RM on t e l .).
(N.) IM A G IN E R , S ’IM A G IN E R . Synonym,
L ’identité du verbe peut induire en erreur bien
des -gens fur le choix de ces deux termes, qui ont
cependant des différences confidérables, tant par
raport au fens que par raport à la Syntaxe.
Imaginer, c’eft former quelque chofe dans fow
efprit ; c’eft en quelque forte créer une idée , en
être l ’inventeur.
S’imaginer, c’eft tantôt fe repréfenter dans l ’ef-
p r ic , tantôt croire & fe perfùader quelque chofe.
Imaginer ne peut jamais avoir pour complément
immédiat qu’un nom ; mais S 'imaginer peut être
fuivi immédiatement d’un nom, d’un infinitif, 8c d’une
propofition incidente..
Ce lu i qui imagina les premiers caraAères de
l ’alphabet , a bien des droits à la reconnoiflance du
genre humain.
Les efprits inquiets Y imaginent d’ordinaire les
chofes tout autrement qu’elles ne font.
. L a plupart des écrivains polémiques i imaginent
avoir bien humilié leurs adverfaires , lorsqu’ils
ont dit beaucoup d’injures .' c’eft une méprife grof-
fière ; ils fe font avilis eux-mêmes.
O n s’imagine qu’on aura quelque jour le temps
de penfer à la mort ; & fur cette fauffe aflùrance,
on paffe fa vie fans y penfer. ( M . B e a U Z É E . )
* IM I T A T I F , IV E , adj. Grammaire. Qui
fert à Y imitation. C ’eft le nom général que l ’on
donne aux verbes adjeAifs qui. renferment dans leur
lignification un attribut d’imitation.
Ces verbes-, dans la langue grèque , font dérivés
du nom même de l ’objet imité, auquel on donne
la terminaifon verbale /Ç«<v , pour caraAérifer
1 imitation : àrr<x/^e<v, de clttikqs ; , de
oïxtAoî ; BapGa.pîÇtfi , de &ctf>£a.pôs, &c. L a terminaifon
Ifyti pourroit bien venir elle-même de l ’ad-
je A if ms , .pa r eil , femblable , qui femble fe
retrouver, encore à la terminaifon des noms terminés
én ury.os, que les latins rendent par ifmus ,
& nous par i f me , comme archa'ifme , néologifne ,
hellénifme , &c. I l me femble, par cette raifon
même , que l ’on pourroit les appeler aufli'des noms
im itatifs .
Nous avons confervé en françois la même terminaifon
imitative , en l ’adaptant feulement au
génie de notre lan g u e , tyrannifér , la t in ife r ,
franc ifer . Anciennement on écrivoit tyrannisera
la tiniser, fra n c is e r , comme on peut le voir au
Traité de la Grammaire fr a n ç . de R. Eftienne,
imprimé en i $65» (p . 4 1 . ') ; & cette orthographe,
étoit plus conforme que la nôtre , & à notre prononciation
& à l ’étymologie. Par quelle fantaifîe
l ’avons-nous altérée ?
Les latins ont fait pareillement une altération
a la terminaifon radicale , dont ils ont changé le s
en f f > attic ijfare, f c i l i j f i r e . , patrijfare. Voffius
( Gramm. lat. de derivatis ) remarque que les,
latins ont ^ préféré la terminaifon latine, en or à
la terminaifon grèque en ijfa r e , & qu’en confé-
quence ils ont mieux aimé dire groecari que grae-
ciffare.
Si j ofois propofer une conjecture contre rafler-
. tion d un. fi lavant homme, je dirois que cette
différence de terminaifon doit avoir un fondement
plus raifbnnable qu’un fîmple caprice ; & la réalité
de l ’exiftence des deux mots latins grcecijfare &
groecari , eft une preuve de mon opinion , d’autant
plus certaine , que l ’on fait aujourdhui qu’aucune
langue n’admet une exaCte fynonymie. I l me paroît
aflez vraifemblable_ que la terminaifon ijfare
n’exprime qu une imitation de langage , & que la
terminaifon ari exprime une imitation de conduite ,
de. moeurs : atticijfare ( parler comme les athéniens
) , patrijfare ( parler en père ) , groecari
( boire comme les grecs ) , vulpinari ( agir en
renard , rufer. ) Les vfcrbes im ita tifs de la première
efpèce ont une terminaifon a& iv e , parce ;
que Y imitation de langage n’eft que momentanée,
& dépendante de quelques aâtes libres qui fe fuc-
cèdent de loin à lo in , ou même d’un feul aAe.
A u contraire les verbes im ita tifs de la fécondé
efpèce ont une terminaifon paffive ; parce que Y imitation
de conduite & de moeurs eft plus habituelle ,
plus continue, & qu’elle fait même prendre les
paffions qui caraAérifent les moeurs , de manière
que le flijet qui imite e ft , pour ainfi dire , tranf-
formé en l ’objet imité : groecari ( être fait grec ) ,
vulpinari ( être fait renard ) : de forte qu’i l eft a
préfumer que ces verbes , réputés déponents à caufe
de la manière aAive dont nous les traduifons , &
peut-être même à caufe du fens a& if que les latins
y avoient attaché , font au fond de vrais verbes
paffifs , fi on les confidère dans leur origine &
lelon le véritable fens littéral. Dans la réalité ,
les uns & les autres , à raifon de leur fignification
ufuelle , font des verbes aAifs , abfolus ; a A i fs ,
parce qu’ils expriment l ’aAion d’imiter ; abfolus ,
parce que le fens en eft complet & défini en f o i ,
& n’exige aucun complément extérieur.
Remarquons que la terminaifon latine en ijfare
ne fuffit pas pour en conclure que le verbe eft
im ita tif: l ’aflonance feule n’eft pas un guide suff
dans les recherches analogiques ; i l faut encore
faire attention au fens des mots & à leur véritable
origine. C ’eft en quoi i l me femble qu’a manqué
Scaliger ( D e cauf. ling . la i. cap. cxxiij j, lorf-
qu’i l compte parmi les verbes im ita tifs le verbe
cyaihijfare : ce n’eft pas qu’ i l ne fente qu’i l n’y
a point ici de véritable imitation ; Neque en im ,
d i t - il, aut imitamur aut fequimur Çyathum :
mais i l aime pourtant mieux imaginer une M é to - ‘
nyrnie, que a abandonner l ’idée Y imitation qu’i l
croyoit voir dans la terminaifon. L e verbe grec
qui correfpond à cyathijfare, c’eft x v a 6 , 8c
non pas xva0/Ç«v., comme les vrais im itatifs ; ’
ce qui prouve que l ’aflonance de cyathijfare avec
les vçtkes j mi tdt i f s eft purement accidentelle , 8c
n’a nul trait à Yimitation.
( J’appellerai auffi phrafes imitatives, ce lle s ‘
qui fon t, d*uis la prononciation, un bruit, leque l
imite en quelque manière le bruit inarticulé dont
nous nous fervirions par inftinA Naturel, pour donner
l ’idée de la chofe que la phrafe exprime avec des
mots articulés.
P p 2.