
L ’Académie, dans fon Obfervation fur cette
Remarque l i p, ne trouve point condannable la
phrafe de Vaugelas, parce que l ’attribut, n’a j a m
ais eu ;de p a r e il, vient immédiatement après l'e
fu je t , fo n malheur* E lle ne trouve la phrafe vi-
eieufe & louche, que quand le fujet -de la fécondé
propontion eft éloigné de ton verbe 'par un grand
nombre de mots : comme, Je condanne f a p a -
rejfe ; & les fa u te s que f a nonchalance lu i f a i t
fa ir e en beaucoup d‘occafions, m’ ont toujours
paru inexcufables. Cette dernière phrafe eft bien
plus vicieufe fans doute que la première : mais fi
l ’on ne veut regarder que comme un fcrupule la
difficulté de V au ge la s , au moins faut-il convenir
que c’eft un fcrupule d’autant mieux fondé , que la
première , la plus importante, la plus néceffaire , &
ia plu's indifpenfable des qualités du difcours , c’eft
la perfpicuïté.
• Si un mot qui eft entre dèux autres peut fe
Taporter à tous les deux , i l en réfulte une phrafe
louche , comme en cettè période,, citée encore par
Vaugelas ( Rem. $ 45. ) « M a is comme j e pajferai
» pardeffus ce qui ne fe r t de rien , au jji veux -je
» bien particulièrement traiter ce qui me femblera
» néceffaire. L e bien fe rapporte à particulièrement,
» & non pas à v eu x -je ; c’eft pourquoi , pour écrire
» nettement, i l fa llo it mettre, au f i v eu x -je traiter
» bien particulièrement, & non pas , au jji veux-je
» bien particulièrement traiter ce qui me* fem -
r> blera néceffaire. »
P rene\ une ferme réfolution de porter cette
c roix , ou J. C. votre divin maître a bien
voulu mourir attaché pour Vamour de vous. « Ce
» mot oh , dit M. Andry de Boifregard, après le
1» verbe porter ( auquel i l n’ a toutefois aucun rap- » port ) , fait une équivoque,( ou plustôt rend Tex-
» preffion louche ) ; i l fem b ie , avant qu’on ait
» achevé de lire toute la phrafe, que cela veuille
» dire, qu’i l fau t porter cette croix dans l ’ endroit
» où &c : a infi, pour ôter l ’ambiguïté, i l falloit
» dire à laquelle au lieu de oh.» Jaimerois encore
mieux fu r laquelle.
L e temps a f a i t , dans chaque fiècle , préfent
de quelques vérités a u x hommes. ( Helvétius ) On
eft d’abord tenté de croire que préfent eft un
adjeôtif qui fe raporte à fiècle 5 au lieu que c’eft
un n om , complément du verbe a f a i t : i l falloit
dire , D a n s chaque f i è c l e l e temps a f a i t prè-
f e n t . J’ajoute que , pour donner au Tout un arrangement
plus harmonieux, en réfervant le complément
le plus long pour le dernier, i l eut été
mieux de dire , D a n s chaque 'fiè c le , le temps
a f a i t prefent a u x hommes de quelques vér-
rités.
L e père Bouhours, dans fa V ie de S . Ig n a c e ,
dit : Ignace parut fu r la brèche à la tête des
p lu s braves , & reçut les ennemis Vépée à la
main. - plette conftraCtion eft - louche. On fent
bien à I?P que l ’auteur met l ’épée à la main
d’Ignace : mais avec un peu moins d’attention ,
on pourroit croire auffi qu’i l parle des ennenüsJ
& l ’intelligence du leCteür n’eft pas . forcée par
l ’évidence du fens, comme les ieux par l ’éclat de
la lumière , ainfi que l ’exige Quintilien : i l falloit
d ire, & l ’épée à la main i l reçut les ennemis
avec vigueur ; j’ajoute ces deux derniers mots,
pour donner à la période une chute moins bruf-
què & plus nombreufe.
L ’auteur des Figures de la B ib le dit : M o ife
s ’ adreffa à D ie u , en tenant f e s mains étendues
, & formant ainfi la figur e de la croix ,
qui devoit •être un jo u r f i fa lu ta ir e , & f i redoutable
à nos ennemis. Ne. diroitToh pas que
f i fa lu ta ir e fe raporte à nos ennemis auffi bien
que f i redoutable, d caufe de la conjonction & ,
qui joint ces deux adjeCtifs ? Pour remédier à cet
inconvénient de la conftruétion., qui eft lou ch e ,
i l n’avoit qu’a dire , qui devoit etre un jo u r f i
fa lu ta ir e aux fidèles , & f i redoutable a leurs
ennemis.
L a Bruyère, dont à bien des égards on ne lau-
roit trop lire & trop méditer le s admirables Caractères
, a fouvent déparé ce bel ouvrage par les
négligences de fon élocution ; & Ton y . trouve
beaucoup de conftruétions louches , qu’i l auroit
pu aifément reCtifier. Je le remarque pour en prè-^
venir les jeunes g en s , à qui d’ailleurs j’en recommande
fort , non la-fimpie leCture, mais l ’étude
réfléchie.
I l d i t , en parlant de la baffe plaifanterie ;
E l le ne laiffe p a s de tenir la pla ce , dans leur
efprit & dans le commerce ordinaire , de quelque
chofe de meilleur. I l ^flevoit faire uti T o u t
indivifîble de ces mots , La p la ce de quelque chofe
de meilleur ; & c’elt parce que les derniers mots
font féparés des premiers *, qu’on n’en aperçoit
le raport que difficilement, & que la phrafe eft
louche-, i l fembie qu’i l veuille dire , le commerce
de quelque chofe de meilleur, ce qui eft
une abiurdité. I l devoit .dire : E lle ne laiffe p a s
de tenir la pla ce de quelque chofe de m e illeu r,
dans leur efprit. & dans le commerce ordinaire 3*
ou b ien , elle ne laiffe p a s , dans leur efprit &
dans le commerce ordinaire, de tenir la pla ce
de quelque chofe de meilleur.
I l dit ailleurs : Ceu x au contraire que la fo r -
tun e , aveugle fa n s ch oix & fa n s difeernement,
a comme comblés de f e s bienfaits , en jou iffen t
avec orgueil & fa n s modération. L e mot aveug
le paroît d’abord être un verbe ; & quand on continue
de lire , on voit que ce doit être un adject
i f : voilà ce qui eft louche. I l n’y avoit qu’à
dire : Ceu x au contraire que• la fortune , tou -
1 jours aveugle , a , fa n s ch oix & fa n s difeernement
, comme accablés de f e s b ien fa it s , &c.
En parlant du mot Car , i l s’explique .ainfi :
S ’i l n ’eût trouvé de *la protection parmi les gens
p o l i s , n’ é to it-il p a s banni honteufement d ’une-
langue à qui i l a rendu de f i longs fiervices,
fa n s gu’ on sû t quel mot lu i fubflititer• I l fem-j.
M e , par cette conftruCtiotî , que les fervices de
Car ont été rendus à la langue françoife , fans
qu’on sût quel mot lu i fubftituer ;• cependant on
veut dire qu’i l en eût été banni, . fans qu’on sût
quel mot lui fubftituer. Je remarquerai encore une
autre incorrection , d ’une langue à q u i; i l faut
à laquelle , parce que qui avec une prépofition ne
doit s’employer qu’avec relation à des perfonnes
ou à des êtres perfonnifiés. L ’auteur auroit donc
bien fait de dire : S ’ i l n’ eût trouvé de la p r o tection
parmi les gens p o lis , ne lui fe r o it- il p a s
arrivé, après avoir rendu, à. notre langue de f i
lon gs fervices , d ’en être banni honteufement,
fa n s qu’ omsût quel mot lu i fub ftitue r ?
Maffillon , dans fon f e r mon fu r l ’ Incarnation ,
vers le commencement de la lèçonde partie , s exprime
ainfi : jQ u ’ efi-ce qu’ être membre de J. C ?
C ’eft être animé de fo n efprit ; '. . . ne p a s cher-
cher f a confolation en ce monde comme lui. L e
matériel de cette phrafe dit très-clairement, contré
l ’intention de l’orateur, que J. C. cherchoit
f a confolation en ce monde ; parce que le comme
ne rappelle que l ’idée du verbe précédent, & non pas
ce lle de la négation : c’eft ainfi que Tondit, Sénèque
11’ étoit p a s éloquent comme Cicéron, c’eft à dire ,
comme Cicéron étoit éloquent. L ’orateur auroit
donc dû fubftituer à la phrafe négative un tour
pofitif équivalent , & dire, par exemple, renoncer
comme lui à chercher f a confolation en ce
monde.
Mais pourquoi tant d’exemples'? mon 'intention
e f t - e ll e d’affbibiir l ’admiration du Public pour c es
écrivains originaux ? Non , je ne prétends qu’ inf-
pirer beaucoup de cirçoriipeClion à quiconque ôfe
écrire :
En vain vous me frapez d’un fon.mélodieux,
Si le terme eft impropre ou le tour vicieux.
Boileau.
( M . B e a u z é e .)
(N . ) . L O U C H E , É Q U IV O Q U E , AM PH I-
B O L O G IQ U E . S y n . Ces trois mots défignent également
un défaut de netteté provenant d un double
fen s , & c’eft en quoi iis font fynonymes ; mais ils
indiquent ce défaut de .diverfes manières, qui les
différencient.
C e qui rend une phrafe louche , vient de la
-difpofition particulière des mots qui la compofent,
lorfqu’ils fembient, au premier afpett, avoir un
certain raport, quoique véritablement iis en ayent
un autre. V oy e^ l ’ article précédent.
C e qui rend une phrafe équivoque, vient de
1 indétermination eflencieile à certains mots , lo r f qu’
ils font employés de manière que l ’application
actuelle n’en eft pas fixée avec allez de précifion.
V oy e \ É q u i v o q u e , ad j.
- Toute phrafe louche, ou équivoque eft par là
meme amphibologique. C e dernier terme eft plus
géné ral, & comprend fous foi les deux premiers J
comme le genre comprend les efpèces : toute
exprefllon lufceplible de deux fens differents eft
amphibologique., félon la force du terme ; les
deux autres ajoûlent , à cette idée principale , l'indication
des caufes qui doublent le lens.
D e quelque manière qu’une phrafe foit amphibologique
, elle a l ’efpèce de vice la plus cdn-
dannable ; puifqu’elle pèche contre la nette té,
qui eft, félon Quintilien & fuivant la raifon, la
prèmière qualité du difcours : i l faut donc corriger
ce qui eft lou che, en rectifiant la conftruétion ; &
éclairer ce qui eft équivoque, en déterminant d’une
manière bien précife l ’application des termes généraux.
Voye-[ Équivoque, A mbiguïté, D ouble
se n s . ( M . B e a u z é e . ) -
(N . ) L O U R D , P E S A N T . Synonymes.
L e mot Lourd regarde plus proprement ce qui
charge le corps ; celui de P e fa u t a un raport
plus particulier à ce qui charge l’ eïjprit. I l faut de
la force pour porter l ’u n , & de la fupériorité de
génie pour foutenir l ’autre.
L ’homme' foible trouve lourd ce que le robufte
trouve léger ; l ’àdminiftration de toutes les affaires
d’un État eft un fardeau bien pe fant pour un feul-
( L ’ abbé G iRARD. )
L ’abbé Girard vient de comparer ces ternies ,
en prenant l ’un dans lé fens propre ., & l ’autre
dans le fens figuré j mais on peut les comparer ,
en les prenant tous deux ou dans le fens primitif
ou dans le fens figuré.
Dans le premier fens tout corps eft p e fan t ,
parce que la Pê fan teu r eft la tendance générale
des corps vers le centre : niais on ne peut appeler
lourds que ceux qui ont une Pe fa u teu r confidé-
rable , relativement ou, à leur malfe ou à la force
qu’on y oppofe. L e léger n’eft l ’oppofé que du
Lourd ; & ce n’eft que par extenfion que quelque-?
| fois on l ’oppofe au P e f a n t .
Différents hommes .porteront des charges plus
ou moins pefantes , à raifon de la différence de
leurs forces : mais un homme foible trouvera trop
lourd un fardeau qui ne paroît à un homme vigoureux
qu’une charge légère.
Dans le Cens figuré, & quand i l s’agit de T efprit 9
i l me fembie que le mot de Lourd enchérit encore
fur celui de P e f a n t : que l ’efprit p e f a n t conçoit
avec p e in e , avance lentement, & fait peu de
progrès ; & que l ’efprit lourd ne conçoit r ie n ,
n’avaiice point , & ne fait aucun progrès.
L a médiocrité eft l ’apanage, des efprits pefants -,
mais on peut en tirer quelque parti y la ftupidité
êft le caractère des efprits lourds , on ne peut en
rien tirer.' (M . B e a u z é e . )
( N . ) L U E U R , 'S P L E N D E U R , C L A R T É .
Synonymes.
L a Lueur eft un commencement de C la r té , & la
Splendeur en eft la perfection : ce’ font les trois
différçnts degrés de l ’effet de la lumière,