
<ians p a i - i - e 8c p a 't - i - 'o n s ? I l eft vrai qu’i l préprétend
que p a i - i - e feroit in in te llig ib le, & que
p a i - i - o n s .fèroit équivoque. Mais ces inconvé-
«ients-dà ne rendent pas impoflible la féparation
qu’ils fùppofent, & que l ’Anony me a lui - même
réalifee j ce ne font que des titres pour la rejeter
:*lans la prononciation ufuelle , mais ils en prouv
en t toujours la poffibiiité phyfique. A u furplus ,
fi p a i - i - e eft in in te llig ib le, c’eft que la véritable
prononciation du mot p a y e y eft défigurée en con-
ïequence- du vice de l ’orthographe , ou Y y , pa-
ioiflant repréfenter deux ü , induit à prononcer
p é - i e j au lieu que dans la vérité l ’on doit prononcer
p e e , comme à la fin du mot ép o p é e , &
conféquemment i l faut écrire p a i e . O n trouve dans
l e M i f a n t h r o p e ( III. i v . ) ■
Elle eft à bien prier exafte au dernier point,
Mais elle bac fes gens & ne les paye point ':
fi l’on tenoit encore 4 cette prononciation , qui
feroble avoir été en. uiage du temps de Molière ,
i l n’y auroit certainement pas plus d’obfcurité dans
le mot p a ï - i e prononcé en trois1 émillions,. au
lieu de p a i - i e prononcé en deux, qu’i l n’y en a
dans le fens des mots m i - e u x , h u - i l e , o u - i ,
prononcés en deux, au lieu de m i e u x , h u i l e -,
o u i , prononcés en une ■ feule j de part & d’autre
i l n’y aurait qu’une prononciation contraire à
l ’ufage, & vicieufe à ce feul titre'. Pour ce qui
eft de p a i - i - o n s , i l n’y a d’équivoque dans cette
prononciation décompofée , que pour ceux qui
manqueraient d’attention & de juftefle • : dans cet
é ta t , i l exprime fens équivoque un paiement pré-
fent j & pour énoncer un paiement palfé , i l faudrait
dire , eri décompofant, p c i i - i - i - ù n s , comme
i l eft clairement indiqué par la véritable orthographe
de p a y i o n s , qui a un i de plus que celle
de p a y o n s .
Mais fi on accorde a l ’Anonyme que fon i
m o u i l l é eft iiiféparable de la v o y e lle fuivante, i l
conviendra apparemment que cette inféparabilité
n’eft qu’accidentelle & uniquement fondée fur
la décifîon dé l ’ufage qui l ’ exigé pour l ’ exkéri-r
tude de la prononciation : i l ne feuroit prétendre
que cette inféparabilité foit d’une aéceflité phyfi-
que , après les exemples qu’i l vient dé donner
lai-même. O r la v o y e lle prépofitive de toute
diphthongue n’ eft pas moins inléparable dé la
v o y e lle poftpofitive, fens quoi elle né conftituè-
roit plus une diphthongue : fi , de ce que le prétendu
i m o u i l l é eft infeparable de la vo y e lle fui-
vante on peut conclure que c’ eft une confonne
véritable ; on peut donc dire la même chofe dé
la v o y e lle prépofitive de toute dipthongue.. « Si
» j’abandomrbis' mon premier feniimént , dit à ce
» fujet M. Harduin ( D i f f e r t a t . f u r l e s v o y e l l e s
» & f u r l e s c o n f o n n e s , ' 1 7 6 0 ' , ' p à g . ' ■ •éB ) y -ce
» fe ra it pour aller d’une extrémité à l ’autre : &
» je perife qu’i l faut néceffaircment de deux ehofes
» l’une j ou que Y ï tréma de n d ia d e foit maintenu
» dans fon ancienne qualification de Voyelle ; oi»
» que l ’on ne reconnoiffe plus aucune diphthongue ,
» & que l ’alphabet , indépendamment du j & du v ,
» foit augmenté de trois conlonnes , favoir i , u ,
» 8c o u , lorfque chacun de ces caractères eft fuivi
» d’une v o y elle qui fait partie de la même fyl-
» labe ».
Si l ’on en eft réduit à cette alternative , je.
crois que les partifens de l ’ i m o u i l l é aimeront
mieux le regarder comme v o y e lle , puifqu’en fou-
tenant même qu’i l eft confonne , ils avouent que
nul fon n’approçhe plus de la v o y elle i que cet i
prétendu m o u i l l é ,* ce font les propres termes de
l ’Anohyme & du P. Buffier : & aucun d’eux ne peut
en difconvenir , puifqu’ils veulent que ce foit une
confonne dans i e u x , & une v o y elle dans d i e u x ;
m a is , dit M. Harduin ( ib 'u l. à la n o te ) , „« fi je
» prononce l e s m a u x d ' i e u x , 8c l e s f a u x d i e u x ,
» ôc que je demande en quoi confifte la différence
» des deux i , que me répondra-t-on. » ?
II. Si nous paffons aux deux m o u i l lé s forts, je
trouve la même erreur provenant de la même
fource. 11' femble que Y i prépofitif de nos diph-
thongués doive partout nous faire illufion : c’eft
lui qui a trompé les grammairiens , qui l ’ont pris
pour une conionne & qui l ’ont nommé m o u i l l é
f o i b l e , dans les circonftances dont on vient de
parler-; & c’eft , je crois , le même i qui les trompé
encore fur nos deux prétendus m o u i l l é s f o r t s , que
notre orthographe repréfente communément par i l i
8c par g n .
i ° . Dans les mots f e u i l l a g e , f é m i l l a n t , g e n t
i l l e j f e , m o u i l l é , m e r v e i l l e u x , c a r i l l o n , ceux
qui parlent l e mieux ne font entendre à mon oreille
que l ’articulation ordinaire l fuivie des dipthongues
i a g e , i a t i t , i e j f e , i é , i e u x , i o n , dans lefquelles
la- voix prépofitive i eft prononcée foürdement 8t
d’une manière fi rapide, que la fituation d’organes
néceffaire à cette voix n’eft pas encore entièrement
formée , lorfque ce lle de la voix fuivante en prend
la place ; & ce ft de cette formation imparfaite que
naît la petite différence qui fait illufion aux grammairiens.
V o y e z nos femmes les plus Spirituelles ,
-8c qui ont l ’oreille la plus fenfible & la plus délicate
: fi elles n’ont apris d’ailleurs les principes
quelquefois bizarres & inconféquents de notre orthographe
u fu e lle , perfuadéès que l ’écriture doit
peindre la parole , elles écriront les mot* dont i l
s’agit de la manière qui leur paraîtra la plus propre
pour cara&érifer la fenfaübn que je viens
d’analyfer 5 par exemple , f e u l i a g e , f é m i l l a n t ,
g e n t i l i e j f e , m o u l i é , m e r v é l ie u x , c a r i l i o n . Si quelques
unes ont remarqué par haferd qu’on y met
deux I I précédées d’un i , elles feront de même ;
mais elles ne fe difpènferont pas de mettre un
fécond ï après. C ’eft le cri de la niature, qui ne
cède , dans les perfonnes inftru.ites, qu’à la con-
noiffance certaine d’un ufege contraire > & dont
l ’empreinte eft encore vifible dans l ’i qui précédé
les I I 1 quoique déplacé.
Dans les mots p a i l l e , a b e i l l e , v a n i l l e , f e u i l l e ,
r o u il le ; & autres terminés par i l l e quoique ta
lettre l ne foit fuivie d’aucune diphthongue é c r ite ,
on y entend clairement une diphthongue prononcée
i e . Ces mots ne fe prononcent pas tout a tait
çomme s’i l y avoit p a l i e u , a b é h e u , v m i l i e u ,
f e u l i e u , r o u li e u ; parce que dans la diphthongue
i e u la voix poftpofitive e u eft plus longue , plus
appuyée , & moins fourde., que le fçheva ou e
muet : mais pourvu qu’on mette dans la Pr0" 0IJ-
ciation de ces mots la rapidité qu <?>ge une d,Ph"
thongue , i l n’y a point d’autre différence.
. Dans les mots b a i l , o r t e i l , mi/{forte de grain ,
h u i f f e n o u i l , & autres terminés par la feule
confonne l prétendue m à ù i lU e , c eft encore pour
l ’oreille la même chofe que dans les precedents 5
la diphthongue ie y eft lenfible après 1 articulation
/: mais dans l or.tographe elle eft fuppnmee ,
comme le fehéva eft fupprimé à la fin des mots
h à l , m o r t e l , m i l ( nombre ) , f e u l , T o u l ( ville ) ,
©à. tous les grammairiens conviennent qu ii^ eft ne-
çeffairement fuppofé 8c même entendu. C eft une
fuite naturelle du principe établi ( v o y e \ A rticulation
) , qu’i/ e/2 d e V e j fe n c e d e t o u t e a r t i c
u la t i o n d e p r é c é d e r l a v o i x q u e l l e m o d i f i e ,
p a r c e q u e l a v o i x u n e f o i s é c h a p é e n e f p l u s e n
l a d i fp o f i t i o n d e c e l u i q u i p a r l e p o u r - e n r e c e v o i r
q u e l q u e m o d i f i c a t i o n .
I l me paraît donc affez vraifemblable que ce.
qui a trompé les grammairiens fur le point .dont
i l s’a g i t , c’eft l ’inexaftitude de notre orthographe
u fuel ro 5 & que cette inexaftitude eft née de la
difficulté qu’ on trouva peut-être , dans les^ commencements
, à éviter dans l ’écriture les équivoques
d’expreffion. Mais i l exifte un fa it , remarqué cent
fois , & dont on n’a pas tiré la conféquence la plus
naturelle & la plus vraie ; c’eft cette prononciation
foible lâche de ceux qui difent p a i e p o u r p a i l l e ,
f e u i a g e p o u i f e u i l l a g e , v e rm è ïe pour v e rm e i l , f e u i e
pour f e u . i l , &c.
M. Duclos dit que c’eft précifément fubftituer
le m o u i l l é f o i b l e au m o u i l l é f o r t : 8c i l me femble
, à m o i, que c’eft tout A m p lem e n t fupprimer
l ’articwlation / avant une diphthongue , qui a pour
voix prépofitive un i très-rapide , que M. Duclos
appelle m o u i l l é f o i b l e , mais que j ai prouvé être
toujours voyelle . I l en eft , dans ces mots., de la
fuppreftion de l , comme de la fuppreflion de r
dans les*mots p a t r o n , m a r r a in e , t a u r e a u , que
certains graffayeurs prononcent p a t o n , m a a in e ,
ta u e a u : on ne peut pas dire qu’ i l y ait ici aucune
fubftitution} i l n’y a qu’une fuppreflion de r , comme
i l n’y a qu’une fuppreflion de L dans les premiers
exemples : c’ eft de"part & d’autre le même effet,
parce que de part & d’ autre il' y a même raifon
ifle difficulté , les deux articulations étant ég^leceux
qui ont l ’organe moins libre & moins aéàif.
L ’origine de la plupart des mots où nous prononçons
la prétendue L m o u i l lé e eft une nouvelle preuve
de la vérité que j’établis -f- ils viennent de quelques
mots étrangers où fe trouvoit la fyllab c l i , fuivie
d’une v o y e lle } ainfi, a i l l e u r s vient d a l i o r f u m ,
b o u i l l a n t de b u l l i e n s , C o r n e i l le de C o r n é l i u s ,
f a m i l l e de f a m i l i a , f e u i l l e de f o l i u m , f i l l e de
f ï l i a , m e i l l e u r de m e l i o r , p a p i l l o n 8c p a v i l l o n
tous deux de p a p i l i o , qui a en latin les deux fens
de nos deux mots françois, & c .
C e dernier exemple eft cité par Henri Eftienne
dans fon excellent livre intitulé H y p o m n e f e s d e
l i n g u â g a l l i e â . I l y avance ( p a g . 63 ) l ’opinion
que je viens de dèveioper fur la prétendue l m o u i l lé
e ; cette dénomination même paroît n’avoir pas
été connue de fon temps , puifqu’on ne la trouve
ni dans fon ouvrage ni dans- la G r a m m a i r e f r a n -
ç o i f e de Robert Eftienne fon père : &.en e f fe t, i l
s’attendeit fi peu à la contradiéàipn, qu’i l fe contente
d’exp.ofer très - brièvement fe penfee , fens
entrer dans aucun détail de preuves ou de difficultés.
Nous trouvons la même do6trine dans une
lettre de Pafquier à Ramus. Je fais ces remarques
pour la fetisfaétion de ceux q u i , toujours en garde
contre les nouveautés, préfèrent l ’autorité des anciens
aux raifons des modernes.
C e lle s ’ qui m’ont décidé fur la nature de la
prétendue l m o u i l lé e , me portent à penfer de même
de notre g n : c’eft , je crois , l ’articulation n fuivie
d’une diphthongue , dont la voix prépofitive eft
un /. prononcé avec une extrême rapidité. Q u e lle
autre différence trouve-t-on , qure cette prononciation
rapide , entre i l d é n ia ( denegavit ) , & i l
d a i g n a ( dignatus eft ) } entre les terminaifons-
confonnantes de c é r ém o n ia l & de f i g n a l , de h a r
m o n i e u x 8c de h a r g n e u x 5 8cc ?
D ’ailleurs l ’étymologie de plufieurs de nos mots
où l ’on rencontre g n ^confirme ma penfee , puifque
notre g n répond à 7zz', quelquefois à -n e fuivi d’une
' vo y e lle dans le mot radical. B r e t a g n e vient de
B r i t d n n i a ; C a m p a g n e , de C à m p a n ia ; S a r d
a i g n e , de S a r d i n i a ; S e ig n e u r ( maître ) au (fi
bien que S é n i e u r ( l ’ancien de la maifon de Sor-
bonhe Y , de f e n i o r ; t e i g n e , de t i n e a ; l i g n e , de
U n e a ; a r a ig n é e , Î Y a r a n e a ; b o r g n e , de l ’ italien
b q r n e o qui a le même fens y c h a r o g n e , ou du
arec xapwv/a ( lieu puant ) , ou-de lad je é lif fa c-
! tice c a r o n iu s , dérivé de c a r o par le g énitif analogique
c a r o n i s , fyncôpé dans le génitif ufuel
c a r n i s ,• &c
Nos pères ont fi bien fenti l ’analogie de nos
deux prétendus m o u i l l é s f o r t s , & la neceflîte
d’ indiquer- dans tous deux la prononciation rapide
de Tz prépofitif de la diphthongue fuivante , qu’ils
avoient pris le parti d’écrire cet z avant g n comme
avant M B r e t a i g n e , c a m p a ig n e , m o n t a ig n e . .
Mais i l femble que les efpagnols ayent entrevu
la véritable prononciation , & qu ils ayent voulu,