
ces ternies fuppofe que la parole eft le moyen, & par
conséquent que le Langage eft oral. C ’eft par cette
nouvelle idée qu’ils diffèrent tous du mot Langage :
mais puifqu e lle leur eft commune, ils font encore à
cet égard fynonymes entre eu x, & i l faut chercher
les idées accefloires qui les diftinguent.
Une Langue eft la totalité des ufages propres
d’une nation, pour exprimer les penfées par la
parole. T o u t eft ufage dans les Langues ; le
matériel & la lignification des m o ts , l ’analogie
& l ’anomalie des terminaifons, la fervitude ou la
liberté des conftruétions ; le purifme ou le barba-
rifme des enfembles. Les mots en font confignés
dans, les diétionnaires ; l ’analogie en eft expofée
dans les Grammaires particulières de chacune.
S i , dans le Langage oral d’une nation, on ne
çonfidère que l ’expreflion des penfées par la parole
, d’apres les principes généraux &• communs à
tous les hommes , le nom de Langue exprime
parfaitement cette idée. Mais fi l ’on veut encore
y ajouter les vues particulières à cette nation,
& les tours finguliers qu’elles occafionnent né-
çeflairement dans leur manière de p a rle r , le
terme d‘Idiome eft alors celui qui convient le
mieux à cette idée moins générale & plus ref-
treinte. D e là vient que l ’on donne le nom d’Id io -
tifmes aux tours d’ élocution qui font propres à
un Idiome : e’eft dans cette propriété que confîftent
les fineffes & les délieatefîes ' de chacun ; & on
ne peut les apprendre que par la fréquentation
des honnêtes gens de chaque nation, ou par la
leéture aflidue & réfléchie de fes meilleurs écrivains.
'
S i une Langue eft parlée par une nation eom-
pofée de piufieurs peuples égaux, & dont les Etats
font indépendants lés uns des autres, tels qu’étoient
anciennement les grecs, & tels que- font aujourdhui
les italiens & les allemands; avec l ’ufagè général
des -mêmes mots & de la même fyntaxe, chaque
peuple peut avoir des ufages propres fur la prononciation
ou fur la déclinaifon des mêmes mots :
ces ufages fubalternes , également légitimes à
çaufe de l ’ égalité dés États Ou ils font autorifés ,
çonftituent les D ia le cte s de la Langue nationale.
S i , comme les romains autrefois & comme jes
françois aujourdhui, la nation eft une par rapport au
gouvernement, i l ne peut y avoir dans fa manière
de parler qu’un ufage légitime , celui de la Cour
& des gens de Lettres à qui e jle doit des encouragements.
Tout autre ufage qui s’en écarte dans
la prononciation , dans les terminaifons,- ou de
quelque autre façon que ce puifle ê tre, ne fait ni
une La n gue ou un Idiome à p a r t , ni un Dialecte
de la Langue nationale ; c’eft un P a t o i s , abandonné
à la populace des provinces; 8ç chaque
province a le fîen.
U n Jargon eft un Langage particulier aux gens
de certains états v ils , comme les gueux & les filous
fâ toute efoèçe ; ou ç’eft un compofé de façons de
parler qui tiennent à quelque défaut dominant de
i ’efprit ou du coeur, comme i l arrive aux petits-
maîtres , aux coquettes , &c. L e mot de jargon
fait donc toujours naître une idée de mépris, qui
ne fe trouve point à la fuite des termes précédents :
& fi on l ’emploie quelquefois pour défigner
quelque Langage bien autorifé , c’eft alors pour
marquer le cas qu’on en fait dans le moment,
plus tôt que celui qu’ i l en faut faire dans tous les
temps. L a queftion que j’ai entendu faire fi fouvent,
fi le françois eft une Langue ou un Jargon , me
paroît prefque un crime de lè fe -m a je fté nationale.
L e Langage fe fert 'de tout pour manifefter
les penfées. Les Langues réemploient que la
parole. Les Idiomes le font approprié exciufive-
ment certaines façons de parler qui rendent difficile
la traduction des penfées de l ’un en l ’autre. Les
Diale cte s produifept dans la Langue nationale des
variétés qui nuifent quelquefois à i ’imelligence, mais
qui font ordinairement favorables à l ’harmonie. Les
expreflions propres des P a to is font des reftes de
l ’ancien Langage national , qui , bien examinés,
peuvent fervir à en retrouver, les origines.
( A L B e a u z é e . )
* L A N G U E , f. f. Grarnm. Après avoir cenfuré
la définition du mot L a n g u e , donnée par Furetière ,
Frain du Tremblay [Tra ite des Langues , ch. i j . )
dit que « Ce que l’on appelle L a n g u e , eft une fuite
'» ou un amas de certains fons articulés,/ propres a
» s’unir enfenable , dont fe fert un peuple pour
» lignifier les chofes, & pour fe communiquer fes
» penfées ; mais qui font indifférents par eux-m|mes à
» lignifier une .chofe ou une penfée plus tôt qu’une
» autre ». Malgré la longue' explication qu’ i l
donne enfiiite des diverfes parties qui entrent dans
cette définition, plus tôt que de la définition même
& de l ’enfembie; on peut dire que cet écrivain
n’a pas mieux réuffi que Furetière à nous donner
une notion précife & complette de ce que c’eft
qu’une Langue. Sa définition n’a ni brièveté , ni
c la r té , ni vérité.
E lle pèche contre la ’brièveté , en ce qu’elle
s’attache à . dèvéloper dans un trop grand détail
relfence des fons articulés, qui ne doit pas être
envifagée fi explicitement dans une définition dont
les fons ne peuvent pas être l ’objet immédiat.
E lle pêche contre la clarté, en ce q u e lle
laifle dans l ’elp r it, fur la nature de Ce qu’on appelle
L a n g u e , une incertitude que l ’auteur même a.
fentie, & qu’i l a voulu difiïper par un chapitre
entier d’explication.
E lle pèche enfin contre la vérité, en ce qu’elle
préfente l ’idée d’un vocabulaire plus tôt que d’une
Langue. U n vpcabulaire eft véritablement la fuite
ou lamas des mots dont fe fert un peuple pour
lignifier les chofes & pour fe communiquer fe$
penfées. Mais ne faut-il que des mots pour confÛtuejç
tstuer une Langue ; & pour la {avoir, luffit-il
d’en avoir appris le vocabulaire? N e faut-il pas
•connoître le le ns principaL & les fens accefloires
qui conftituent le lèns propre que l ’ufage a attaché
a. chaque mot.; les divers fens figurés dont i l les a
rendus fufceptibles ; la manière dont i l veut qu’ ils,
foient modifiés, combinés, & aflortis pour concourir
à l ’expreffion des penfées ; jufqu’à quel point i l *
en aflujettit la conftruétion à l ’ordre analytique ;
c om m e n te n quelles occurrences, & à quelle fin
i l les affranchit de la fervitude de cette , conf»
truéUon ? Tout eft u fige dans les Langue s ; le
matériel & la, lignification des mots, l ’analogie
& l ’anomalie des terminaifons, la fervitude ou la
liberté des conftruftidns, le purifme ou le barba-
ïifme des enfembles. Ç ’eft une vérité fenlie par
tous ceux qui ont parlé de l ’ufage; mais une vérité
mal préfenrée, quand on a dit que l ’ufage étoit le
t.yran des Langues. L ’idée de tyrannie .emporte
chez noms ce lle d’une ufurpation injufte & d’un
gouvernement déraifonnable ; & cependant rien de
plus jufte que l’empire de l ’ufage fur quelque
idiome que ce ( o i t , puifque lui feul peut donner
■ à la communication des penfées, qui eft l ’objet de
la p a ro le , l ’univeiTalité néceflaire ; rien de plus
raifonnable que d’obéir à fes aécifiqns , puifque
fans cela on ne feroit pas entendu , ce qui eft le
plus contraire à la deftination de la parole.
L ’ulàge ri’eft donc pas le tyran des L a n g u e s ;
i l en eft le légiflateur naturel , n é c e f la ir e& ex-
clu fif : fes, déemons en font l ’eflence ; & je ffirois,
d’après c e la , qu’une Langue eft la tota lité des
ufages propres à une. nation pour exprimer les
penfées p a r la v o ix .
A P rès avoir ainfi déterminé le véritable fens du
mot L a n g u e , i l refte à jeter un coup d’oeil phi-
lofophique fur ce qui concerne les Langue s en
g én é ra l; & - i l me femble que cette théorie peut
fe réduire à trois articles principaux , qui traiteront
de l ’origine de la Langue primitive, de la multiplication
miraculeufe des L a n g u e s , & enfin de
l ’analyfe & de la comparaifon des Langue s en-
vifagées fous les a fp e ïts 'le s plus généraux, les
feuls qui conviennent à la philofophie , & par con--
féquent à l ’Encyclopédie. Ce qui peut concerner
l ’étude des Langue s fe trouvera répandu dans différents
articles de cet ouvrage , & particulièrement
a u mot Méthode.
A u refte , fur ce qui concerne les Langue s en
(général, on peut confulter piufieurs ouvrages com-
pofés fur cette matière: les differtations philologiques
de H. Schævius , D e origine Linguarum , &
quibu flam earurn attribuas ; une differtation de
Bomçhius , médecin dé Copenhague, D e confis
diverfitatis Linguarum ; d autres differtations de
Thomas Hayne , D e Linguarum harmoniâ , ou il
traite, des Langues en général , & de l ’affinité des
differents idiomes ; l ’ouvrage de Théodore Bibiian-
der , D e ratione commuai omnium Linguarum
& litterarum ; celui de Gefner , intitulé Mythri-
Gh a m m . e t L i t t é r a t . T en u I L
dates y qui a à peu près l e même o b je t , & ce lu i
de former de leur mélangé une La n gue univer-
felle ; le Tréfor de Vhifloire des Langues de cet
u n iv e r s , de C l . Duret; Y Harmonie étymologique
-des Langues , d’Étienne G u ich a r t; le tTraité des
Lan gue s, par Frain du Tremblay ; les R é fle x io n s
pnilofophiques fu r Vorigine des Langues , de
M. de Maupertuis ; & piufieurs autres obfervations
répandues dans différents écrits , q u i , pour ne pas
envilager directement cette matière , n’en renferment
pas moins des principes excellents & des vues
utiles à cet égard.
A r tK. I. Origine de la Langue primitive. Q u elques
uns ont penfé que les premiers hommes, nés
muets par le f a i t , vécurent quelque temps comme
les brutes dans les cavernes & dans les forêts 7
ifolés:, fans liaifon entre eux , ne prononçant que
des fons vagues & confus r jufqu’à ce que réunis
par la crainte des bêtes féroces, par la voix puif*
lante du befoin , & par la néceflîté de fe prêter
des fecouis mutuels, ils arrivèrent par degrés à articuler
plus diftinétement leurs fons, à les prendre,
en vertu d’une convention unanime , pour lignes de
leurs idées ou des chofes mêmes qui en étoient
les objets,, & enfin à fe former une Langue . C ’eft
l ’opinion de Diodore de Sic ile & de Vitruve ; &
elle a paru probable à Richard Simon ( H ift. cric,
du vieux T eft. h x iv . x y , & I I I . x x j ) , qui l ’ a
adoptée avec d’autant plus de hardiefle, qu’ i l a
cité en fa faveur S. Grégoire de N y fle ( Contra
E u n . JLII). L e P. Thomaflîn prétend néanmoins
que , loin de défendre ce fenliment, le {àint docteur
le combat au contraire dans l ’endroit même
que l ’on allègue ; & piufieurs autres paflages de
ce faint Père prouvent évidemment qu’i l avoit
fur cet objet des penfees bien différentes , & que
M. Simon l’entendoit mal.
« A juger feulement par la nature des chofes,
» dit M. Warburthon ( E jf . fu r les hyérog. c. 1 ,
» ^ . 48 , à la note ) , & indépendamment de la ré-
» v é la tion , qui eft un guide_pl"us sur , l ’on feroit
» porté à admettre l ’opinion de Diodore de S ic ile
» & de Vitruve ». Ce tte manière de penfer fur
la queftion préfente , eft moins hardie & plus cir-
confpeéte que la première : mais Diodqre & Vitruve
étoient peut-être encore moins répréhenfibles que
l ’auteur anglois. Guidés par les feules lumières
. de la raifon, s’i l leur échappait quelque fait important
, i l étoit très-naturel qu’ils n’en apperçuf-
ient pas les conféquences. Mais i l eft difficile de
concevoir comment on peut admettre la révélation
avec le degré de fou mi filon qu’elle a droit d’ex ig er,
& prétendre pourtant que la nature des chofes in -
finue des principes oppofés^ L a raifon & la révélation
fo n t , pour ainfi dire , deux canaux différents
qui nous tranfmettent les-eaux d’une même fource ,
& qui ne diffèrent que par la manière de nous les
préfenter. L e canal de la révélation nous met plus
près de la fource', & nous en offre une émanation
plus pure : celui de la raifon nous en tient plus