
q ui eft néceïïaire nient la même partout : mais; dans
le détail des individus, on rencontre des différences,
qui font les fuites néce flaires des circonftances où
le font trouvés les peuples qui parlent ces Langue s ;
Sc ces différences conftituent un fécond caractère
diftinétif du génie des Langues.
Un premier point en quoi elles diffèrent à cet
éga rd, c’eft que certaines idées ne font exprimées
par aucun terme dans une L a n g u e , quoiqu’elles
ayent dans une autre des figues propres & très-
éhergiques. C ’eft que la nation qui parle une ^e
ces L a n g u e s , ne s eft point trouvée dans les con-
jon&ures propres à y faire naître ces idées , dont
l ’autre nation au contraire a eu occafîon d’acquérir
l a connoiffance. Combien de termes, par exemple ,
de la Taétique des anciens, foit g rec s, (bit romains,
que nous ne pouvons rendre dans la nôtre ,
parce, que nous ignorons leurs ufages ? Nous y
liippléons de notre mieux par des defcriplions
loujours imparfaites ; o u , fi nous voulons énoncer
ces idées par un terme, nous le prenons matériellement
dans la Langue ancienne dont i l s’a g i t ,
en y attachant les notions incomplettes que nous
en avons. Combien au contraire n’avons-nous pas
de termes aujourdhui dans notre L a n g u e , qu’i l ne
féroit pas poifible de rendre ni en grec ni en latin ,
parce que nos idées modernes n y écoiérit point
connues ? Nos progrès prodigieux dans les fciences de
raifonnement, Ca lcul , Géométrie , Méchanique ,
Aftronomie , Métaphyfîque , Phyfique expérimenta
le , Hiftoire naturelle , &c , ont mis dans nos
idiomes modernes une richefle d’expreffions, dont
les anciens idiomes ne pouvoient pas même avoir
l ’ombre. Ajoutez-y nos termes de Verrerie , de V é nerie,
de Marine , de Commerce, de Guerre , de
M odes, de Religion , &c ; & voilà une fource pro-
digieufe de différences entre les Langues modernes
Sc les anciennes.
Une fécondé différence des L a n gue s par rapport
aux diverfes efpèces de mots , vient de la
tournure propre de l ’efprit national de chacune
d’elles , qui fait envifàger diverfement les mêmes
idées. Ceci demande à être dèvelopé. I l faut remarquer
dans la lignification des mots deux fortes
d’idées conftitufives, l ’idée fpécifîque & l ’idée individuelle.
Par l ’idée fpécifîque de la lignification
des mots , j’entends le point de vue général qui ca-
raêtérife chaque efpèce de mots, qui fait qu’un mot
eft de te lle efpèce plus tôt que de te lle autre, qui
par conféquent convient à chacun des mots dé la
même efpèce , & ne convient qu’aux mots de'cette
feule efpèce. C ’eft la différence de ces points de
vue généraux, de ces idées fpécifiques, qui fonde
l a différence de ce que les grammairiens appellent
les parties d ’ oraifon , le nom , le pronom , l ’ad-
je é tif, le v erb e, la prépofition, l’adverbe., la
conjonction, & l ’interjeêtion : & c’eft la différence
des points de vue àçcefloires dont chaque idée
Spécifique eft fufceptible , qui fert de fondement
i la foudivifion d’une partie d’oraifon en fes efpèses
fubalterncs ; par exemple, des noms en fubf-
tantifs & abftraétifs, en propres & appella tifs,
&c. y o j e x N o m . Par l’ idée individuelle de la
lignification des mots , j’entends l ’idée fingulière
qui caraétérife le fens propre de chaque mot'; &
qui le diftingue de tous les autres mots de la
même efpèce , parce qu’e lle ne peut convenir qu’à
un feul mot de la meme efpèce. A in f i, c’eft à la
différence de ces idées finguiières que tient ce lle
j des individus de chaque partie d’oraifon, ou de
chaque efpèce fubalterne de chacune des parties
d’oraifon : & c’eft de la différence des idées accef-'
foires dont chaque idée individuelle eft fufceptible ,
que dépend la différence des mots de la même ef*
pèce q&e l ’on appelle fynonymes ; par exemple ,
en françois, des noms , pa u vr eté , indigence ,
d ife ttè , b e fo i t in é c e j j i t é y des adjeétifs, malin ,
mauvais , méchant , malicieuse; des verbes, f e -
courir , a id e r , a fjîjle r , &c. V oy é \ fur tous-ces
mots les fynonymes fra n ç o is de M. l ’abbé G i - ’
rard , & fur la théoriê générale des fynonymes,
l 1article S y n o n y m e s . On fent bien que dans
chaque idée individuelle , i l faut diftinguer l ’idée
principale Sc l ’idée acceffoire : l ’idée principale peut
être commune à plufieurs mots de la même efpèce ,
qui "diffèrent alors par les idées acceffoirés. O r
c eft juftemenî ici que fe trouve une fécondé fource
de différences entre les mots des diverfes Langue s.
I l y a telle idee principale , qui entre dans l ’idée
individuelle de deux mots de même efpèce appartenants
à deux Langues différentes, fans que ces
deux mots foient exactement fynonymes 1 un de
l ’autre : dans l ’une de ces deux Langues , cette idée
principale peut conftituer feule l ’idée individuelle,
& recevoir dans l ’autre quelque idée âccefloire;
ou bien s’a l l ie r , d’une part , avec une idée ac-
ceffoire , & de l ’autre , avec une autre toute différente.
L ’adjeêtif vacuus , par exemple , a dans le
latin une fignification très-générale , qui étoit en-
fuite déterminée par les differentes applications que
1 on en faifoit : notre françois n’a aucun adj'ettif
qui en foit le correfpondant exaêt; les divers adjectifs
dont nous nous fervons pour rendre le vacuus
des latins, ajoutent,.à l ’idée générale qui en
conftitue le fens individuel, quelques idées accef-
foires qui fuppo foient dans la langue latine des applications
particulières & des compléments ajoutés:
Gladius vàginâ yaçuus, une épée nue ; yagina
enfe v a cu a , un fourreau vide--; vacuus an im u s ,
un efprit libre , Scz. Voye\ H ypallage. Cette
fécondé différence des Langues eft un des grands
obftacles que l ’on rencontre dans la tradiiéiion,
& l ’un des plus difficiles à furmonter fans altérer
en quelque chofe le texte original; C ’eft auffi ce
qui eft caufe que jufqu’ici l ’on a fi peu réuffi à
nous donner de bons dictionnaires, foit pour les
Langues mortes , foit pour les Langues vivantes :
on na pas affez analylé les différentes idées partielles
, foit principales , foit acceffoirés , que l ’u -
fage a attachées à l a fignifica tion de Chaque mot $
& l’ on ne doit pas en être furpris. Cette analyfe
fuppofe , non feulement une logique sure & une
grande fagacité , mais, encore une leêture iinmenfe ,
une quantité prodigieufe de comparaifons de textes ,
& conféquemment un courage & une confiance
extraordinaires ; & par rapport à la gloire du fuccès,
un défîntéreflement qu’i l eft a u ffi rare que difficile
de trouyer dans les g e n s de Lettres , meme les
p l u s modérés. Voye^ D i c t i o n n a i r e .
$ . 11, Si les Langues ont des propriétés communes
& des caractères différenciels, fondés fur la
manière dont elles enyifagent la penfée qu elles fe
propofent d’exprimer ; on trouve de même, dans
l ’ufage qu’elles font de la voix , des j procédés
communs à tous les idiomes , & d’autres qui
achèvent de caraCtérifer le génie- propre de chacun
d’eux. A in f i, comme lés Langue s different par la
manière de deffiner l ’original commun qu’elles ont
a peindre, qui eft la penfée , elles diffèrent auffi
par le choix , le mélange , & le ton des couleurs
q u e lle s peuvent emp lo y e r, qui font les fons^articulés
de la voix. Jetons encore un coup d’oeil
fur les Langues confîdérées fous ce double point
de vue de reflemblance Sc de différence dans le
matériel des Ions. Les 'Mémoires de M. le prefi-
dent de Broffes nous fourniront ici les principaux
fecours.. -
i ° . Un premier ordre de mots que l ’on peut regarder
comme naturels , puifqu’ils fe retrouvent au
moins à peu près les mêmes dans toutes les L a n g u e s ,
& qu’ils, ont dû entrer dans le ' fyftême de la
Langue primitive , ce font les interjections, effets
néçeffaires -de la relation établie par la nature
entre certaines affeCtions de l ’âme Sc certaines parties
o r g a n iq u e s de la voix. V oy e \ I n t e r j e c t i o n .
C e font les premiers' mots , les plus anciens, les
plus originaux de la Langue primitive’ : ils font
invariables au milieu des variations perpétuelles
.des Langues ,* parce qu’en conféquence de la conformation
humaine, ils on t, avec l ’affeétion in té rieure
dont ils font l ’expreflion, une liaifon phyfique
, néceffaire & indeftmêtibie. On peut , aux
interjections, joindre dans le même rang les ac-
- cents , efpèce de chant joint à la parole , qui en
reçoit une vie & une activité plus grande | ce qui
eft bien marqué par le nom latin accentus , que
nous n’av.ons fait que francifer, Les accents font
effectivement l ’âme d è s mots , ou plus t ô t ils fônr
au difeours ce que le coup d’archet & l ’expreftion
font à la Muficjue; ils en marquent l ’e fp r it , ils lui
donnent le g oû t, c’eft à dire, l ’air de conformité
a v e c la vérité : & c’ eft fans doute ce qui a porté
les hébreux à leur donner un nom qui fignifie g o û t ,
faveur. Ils font le fondement de toute déclamation
orale , & l ’on fait affez combien ils donnent de
fupériorité au difeours prononcé fur le difeours
écrit. Car tandis que la parole peint les o b j e t s ,
l ’accent peint la manière dont celui qui parle en
eft affeété , ou dont i l voudroit en affefter les autres.
Us naiflent de la fenfibtiité de l ’organifation j
& c’eft pour cela qu’ils tiennent à toutes \g$ Langue s ,
mais plus .ou moins , félon, que le climat rend
une nation plus ou moins fufceptible , par la conformation
de fes organes , d’être fortement affeCtee
des objets extérieurs.. L a Langue italien ne, par
exemple, eft plus accentuée que la n ôtre; leur
fimple parole , ainfi que leur JVtufique , a beaucoup
plus de chant : c’eft qu’ils font fujets à fe paffionner
davantage; la Nature les a fait naître plus fen-
fibles ; les objets extérieurs les remuent fi fo r t , que ce
n’eft pas même affez de la voix pour exprimer tout
ce qu’ils fentent ; ils y joignent le g e fte , & parlent
de tout le corps à la fois.
Un fécond ordre de mots où toutes les L a n gu
es ont encore une analogie commune & des ref-
femblances marquées., ce font les mots enfantins,
déterminés par la mobilité plus ou moins grande
de chaque partie organique de l ’inftrument vo ca l,
combinée avec les befoins intérieurs ou la néceflité
d’appeler les objets extérieurs. En quelque pays
que ce fa it , le mouvement le pius facile eft d’ouvrir
la bouche & de remuer les lèvres ; ce qui
donne le fon le plus plein a , & l ’une des articulations
labiales b , p , v , f > ou m. De là , dans
toutes les Langue s , les fyliabes a b , p a , am ,
ma , font les premières que prononcent les enfants :
de là viennent p ap a , maman , & autres qiii ont
rapport à ceux-ci ; & i l y a apparence que les enfants
formeroient d’eux-mêmes ces fons dès qu’ils
v feroient en état d’articuler , fi les nourrices , prévenant
une expérience très-curieufe à faire , ne
les leur'.apprenoient d’avance : ou plus tôt les enfants
ont. été les premiers à les bégayer ; & les
parents, emprefles de lier avec eux un commerce
d’amour , les ont répétés avec complaifànce &
les ont établis dans toutes les Langues même les
plus anciennes. O n les .y retrouve en effet avec
le même fens , mais défigurés par les terminaifons
que le génie propre de chaque idiome y a ajouté
e s, & de manière que les idiomes les plus anciens
les ont cbnferves dans un é ta t , ou plus naturel',
ou plus aprochant de la nature. En hébreu
ab 3 en chaldéen abba , en grec awa., vdinà ,
TrcLTYip , en. latinpater , en français p ap a & p è r e ,
dans les îles Antilles ba ba , chez le hottentots bo\
partout c’eft la même idée marquée par l ’articulation
labiale. Pareillement en Langue égyptienne
am , ama , en Langue fyrienne ammis , répondent
exactement au latin parens ( père ou mère ). D e
là mamma ( mamelle ) , les mots françois maman ,
mère, &c. .Ammon , dieu des égyptiens , c’eft le
S o l e i l , ainfi nommé comme père de la nature j
les figures & les ftatues érigées, en l ’honneur du
fo le ii étoient nommées ammanim; & les hiéro-
roglyphes facrés - dont fe fenmient les prêtres,
lett res ammonéennes. L e culte du foie i l , adopté
prefque par tous les peuples orientaux , y a con-
lacré.. le mot radical am , prononcé, fuivant les
diff érents diale êtes, ammon , oman , omin , im an ,
&c, Im a n , chez les orientaux, fignifie D ie u ou