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Mais quoi qu’on faflc pou* en imp ofêr, i l eft rate
que Y Illujion foie trop forte ; on fait donc bien
a être févère fur ce qui intéreffe la vraifemblance ,
& de n’accorder à l ’art que les licences heùreufes
d où réfuite quelque beauté.
I l faut fe figurer qu’i l y a fans ceffe, dans l ’iiiii-
tat^pn théâtrale , un combat entre ia vérité & le
menfonge : affoiblir ce lle qui doit céder, fortifier
celui que l ’on veut qui domine , voilà lé point
où fe réunifient toutes les règles de l ’art par
raport à la vraifemblance , dont l ’ Illu jion eft
l ’effet.
Quant aux moyens q u ’on doit exclure , i l en
eft qui rendent l ’imitation trop effrayante 8c horriblement
vraie , comme lorique fous l ’habit de
l ’afteur qui doit paroître fe tu e r , on cache une
veille pleine de fang , & que le fang inonde le
théâtre ; i l en eft qui rendent groflïèrement &
baflement une nature dégoûtante , comme lorfqu’on
produit fur la Scène l ’ivrognerie & la débauche ;
i l en eft qui font pris dans un naturel infipide &
t r iv ia l, dont l ’unique mérite eft une plate vérité,
comme lorfqu’on repréfente ce qui 'fe pafie communément
parmi le peuple. Tout cela doit être
• interdit à l ’imitation poétique, dont le but eft de
p la ir e , non pas feulement à la multitude, mais
aux efprits les plus cultivés & aux âmes les plus
fenfiblés : fucçès. qu’elle ne peut avoir qu’autant
qu’elle eft décente, ingénieufe, digne en un mot
flu’un goût exquis & un fentiment délicat en chériffent
Y Illujion. Voye^ V r aisemb lance. ( M . M a r -
m o n t e l . )
* IM A G E , f. f. B e lles -L ettr e s . D ’après Longin*
on a compris fous le nom Y Image tout ce qu’ea^
Poéfie on appelle Defcriptions 8c Tableaux.
Mais en parlant du coloris du f ty le , on attache
à ce mot une idée, beaucoup plus précife ; & par
Image , on entend cette efpèce de Métaphore, q u i,
pour, donner de la couleur à la penfée., & rendre
un objet fenfible s’i l ne l ’ eft pas , ou plus fenfibfe
s’ i l ne l ’eft pas a ffe z , l e peint fous des traits qui
ne font pas les fiens, mais ceux d’un objet analogu
e.
L a mort de Laoco.on, dans l ’Énéide, êft un T a bleau
; la peinture des ferpents qui viennent l ’étouffer
, eft une Defcription ; Laocoon ardens, eft une
Image.
( fl II eft bien vrai que toute Defcription n’eft •
pas une peinture : l ’anatomifte, le méchanicien
décrivent & ne peignent pas ; & c’eft en fefant
cette diftinélion que Boileau a dit très-injuftement :
V ir g ile p ein t , & le Taffe décrit. Mais nous
parlons ici des Defcriptions animées par la Poéfie
ou ptfr l ’Éloquence. O r , dans ce fens, la Defcription
diffère au T ab le a u , en ce que le Tableau n’ a
qu’un moment & qu’un lieu fixe. A in f i, la D e f-
criptionpeut être une fuite de Tableaux ; le Tableau
peup êtjre un çojnpofé d’im ages ; Ylmage e lle -
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même peut former un Tableau. Mais Ylmage eft-
le voile m atériel d’une idée ; au lieu que la Defcrip-
tipn & le Tableau ne font le plus louvent que le
miroir de l ’objet même.
Toute Image eft une Métaphore ; mais toute
Métaphore n’ eft pas une Image. J1 y a des tranfi-
la.ions de mots qui ne préfentent leur nouvel objet
que tel qu’i l eftien lu i-m êm e , comme , par exemple
, la c le f d une voûte, le pied d’une montagne j
au lieu que l ’ expreftion qui fait Image , peint
avec les couleurs de fon premier objet la nouv
e lle idee a laquelle on l ’attache , comme dans
cette fenrence d’iphicrate : Une armée de ce rfs
conduite p a r un lion , e jl p lu s à craindre qu’ une
armée de lion s conduite p a r un c e r f ,* & dans
cette réponfe d’A g é fila s , à qui l ’on demandent
pourquoi Lacédémone n’àvoit point de murailles :
V o ïlà ( en montrant fes foldats ) les murailles dé
Lacédémone.
L Image fuppofe une reflemblance , renferme
une comparaifon ; & de la jufteffe de la compa-
raifon dépend la clarté , la tranfparence de Ylmage.
Mais la comparaifon eft fous-entendue , indiquée,
ou dèvelopée : on dit d’un homme en colère ,
■ Il rugit ; on dit de même, U e jl un lion ,• on dit
encore , T e l q u ’ un lion altéré de f a n g , &c. Il
rugit fuppofe la comparaifon ; c’ e jl un lion -, l ’indique
, te l qu’un lion , la dèvelope.
On demandera peut-être ; Qu elle reflemblance
peut - i l y avoir entre une idée métaphyfique ou
un fentiment m o ra l, 8c un objet matériel ?
^ i ° . Une reflemblance d’effet dans leu r manière
d agir fur i ’ame. Si , par exemple -, le génie d’un
homme ou fon éloquence débrouille dans mon
entendement le chaos de mes penfées, en diffipe
l ’obfcurité^, les rend diftin&es & fenfibies à mon
imagination , m’en fait apercevoir 8c faifir les ra -
ports; je me rappelle l ’effet que le f o l e i l , en fe
lev an t, produit fur le tableau de la nature $ je
trouve qu’ils font é c lore, l ’un à mes yeux, l ’autre
à mon efpric, une foule d’objets nouveaux , & je
dis^de ce génie créateur & 'fécond , qu’i l eft lu mineux,
comme je le dis du fole il. Lorfque je
goûte de i ’abfynthe, la fenfatiôn d’amertume que
mon ara.een reçoit , lui déplaît & lui donne, pour
la même boiflon , une répugnance prefque invincible.
S’i l arrive donc que le regret d’un bien que
j’ai perdu me caufe une fenfatiôn affligeante 8c
pén ib le , & une forte répugnance pour ce qui peut
me rappeler le fouvenir de mon malheur , je dis
de ce regret', qu’i l eft amer ; & l ’analogie de l ’ex -
preflion avec le fentiment, eft fondée fur la ref-
lemblance des affe&ions de l ’ame. L ’effet naturel
des pallions eft en nous bien fouvent le même que
celui des impreflions des objets du dehors : l ’amour.,
la colère , le défir violent , fait fur le fang l ’effet
d’une chaleur ardente $ la frayeur , celui d’un grand
froid. De là toutes ces Métaphores de brûler de
colère , d’impatience, & d’amourfcTêtre glaçé d’effroi,
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de. friflonner de crainte vo ilà ce que j’entends
par la reflemblance d’effet. C ’ eft fous ce rapo rt,
que me femble auffi jufte qu’ingénieufe la réponfe
de Marius-., à qui l ’on reprochoit d’a vo ir , dans
la guerre des cimbres,' donné le droit de bour-
geoifie .à Rome à mille étrangers qui s’qtoient
diftingués. Les lois , lui difoit-on, défendent pare
ille chofe. I l "répondit que le bruit des. armes
l ’avoit empéché d^eütendre ce que difoient les
lois.
• z ° . -Une reflemblance de mouvement. O n vient
de voir que la première'analogie des ‘Images
porte fur le caractère des fenfations. Celle-ci porte
lur leur durée, 8c leur fucceffion plus lente ou
plus rapide. Si nous obfervons d’abord une analogie
naturelle entre laprogrelfion de lieu & ia progreffion
de temps, entre retendue fucceffïve & l ’étendue
permanente , l’une peut doue être Ylmage. de l ’au-
« re , 8c le lieu nous peindra le temps. U n lourd
& muet de naiflance , pour exprimer le p a ffé ,
montroit l ’efpace qui étoit derrière lui ; & l ’efpace
qui étoit devant, pour exprimer l ’avenir.
Nous les défignons à peu près de même : L e s
temps reculés , J ’avance en â g e , ’ L e s années,
s ’ écoulent. Quoi de plus clair & de plus jufte
que cette Image dont fe fert Montagne ., pou f dire
q u ’i l s’occupe agréablement du paffé fans s’inquiéter
de l ’avenir ? L e s an s peuvent m’entraîner, mais à.
qeculons.
-Cette analogie eft dans la nature , parce que
les objets fe fuccèdent pour mort dans i ’efpace
comme dans la durée, 8c que ma penfée opère de
même pour- les concevôir dans leur)- ordre , foie
qu’ ils exiftent enfemble en divers lie u x , ou foit
que dans un même lieu ils, exiftent en divers
temps.
I l y a de plus ùne correfpondance naturelle
entre la viteffe 'ou la lenteur des mouvements du
co rps , & la viteffe d?ü la lenieur des mouvements
de l ’arae ; & en cela , Ifevphyfiqûë\8c lé moral ,
l ’intelleéluel & le fenfible ,"'6nt une'parfarte analogie
entre eux , & par conféquentun raport hàtürelleiiient
établi entre les. idées 8c les Images. V o y e z A n a logie.,
’ ' /" v ■ 7
Mais fouvent la facilité d’apercevoir une idée
fous une Image , eft un effet de l ’habitude &
fuppofe une convention. D e là vient que toute» 1-s Images ne peuvent n i. ne doivent être tfanf-
plantées d’une langue dans une autre langue | 3c '
lorfqu* on die qu’une Image ne fauroit fe traduire ,
ce n eft pas. cane la difette des mots qui s’y oppôfe',
que le défaut d’exercice dans là liaifon de deux*
1 ;e^s> Tonte Image tirée des coutumes étrangères,
n eft reçue parmi nous que par adoption ; & fi les
■ -■ j-o:1-» " I t S Pas habitués , le raport en fera
difticile a fiifir. Hofpitàlier exprime une idée claire
en rran'çois comme en la t in , dans fon acception
primitive j on d i t , L e s d ieu x ho jp ita lie r s , Un
peuple hofpitàlier mais cette idée ne nous çft
pas; au ez familière pour fe préfènter d’abord , à
■ Gr a m m . e t L ï t t é r a t . Tome I L
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propos, d’ un arbre. qui donne afyle aux voyageurs ;
aiu fi, Yumbràtnhdfpitâlem d’H o ra c e , traduit à
la lettre par un ombrage h ofpitàlier, ne feroic pas
entendu fans le fecours de la réflexion.
I l arri.ee aufll q u e , dans une lan gu e , l ’opinion
attache du ridicule ou de la baffeffe a des Image s,
q u i , dans une autre langue , n’ont rien que de noble
& de décent. L a M étaphore de ces deux beaux vers de
Corneille ,
Sur les noires couleurs d’un fi trille tableau,
Il faut paffer l’ éponge, ou cirer le rideau ,
n’auroit pas --été foutenable chez les romains, où
Y éponge étoit un mot fale.
Les anciens fe donnoient une licence que notre
langue n’admet pas : dès qu’un même objet fefoit
fur les fens deux impreflions fimultanées, ils attri-
buoient indiftinélement l ’une à l ’autre. Par exemple ,
ils difoient ~à leur choix , un ombrage f r a i s , ou
une fra îch eu r fombre-, fr ig u s opacum. : ils difoient
d’une forêt , qu’e lle étoit obfcurcie d’une noire
fra y eu r y au lieu de dire qu’elle étoit effrayante
p a r fo r t obfcurité profonde y caliganiem nigrâ
formidine lucum ,• c’eft prendre la caufe pour l ’effet.
Nous fournies plus difficiles j 8c ce qui pour eux
étoit une élégance , feroit pour nous un contre-
feus.
( fl Nous n’ avons pas laiffé d’imiter quelquefois
cette hardieffe. Racine a dit ,
De fes jeunes erreurs déformais revenu.
Les anciens ‘ atîribuoient auffi l ’ajffion même à ce
qui n’en étoit que le fujet paffif. Ils difoient , 1c
trait fuit de. la main, telum manu f i lg i t ; 8c nous
d-ifons comme eux , le coup p a r t l a parole
m’éçhape, le trait Lui échape de la main. )
T e l le Image eft claire;-comme erpreffion Ample
, qui s obfcurcit; dès qu’on veut l ’étendre.
S ’enivrer de louange , eft une façon de parler
familière s ’enivrer eft pris là pour un terme
primitif *, celui qui l’entend ne foupçonne pas qu’on
•lui préfente la louange confine une liqueur ou
■ comme un parfum. Mais fi : vous fuivez Ylmage ,
8c que vous difiez-, . U n roi s ’enivre des louanges
que lu i verfent les fla tteu r s , ou que le s fla tteu r s
lu i f o n t tefpirer y vous éprouverez que celui qui
a reçu .s’ enivrer de louange ffans, difficulté 5 fera
étonné .d’entendre,,, verfer la louange y refpirer la
louange y 8c qu’ i l aura béfoin de, réflexion pour
fent.ir que l ’un eft la fuite de l ’autre. L a difficulté
ou la lenteur de la conception vient alors de ce
que le terme moyen eft fous-entendu : verfer 8c
s ’ enivrer annoncent une liqueur-; dans refpirer 8c
s ’enivrer y c’eft une vapeur qu’on fuppofe. Qu e
la liqueur ou .la vapeur foi: expreffement énoncée ,
l ’analogie des termes devient claire & frapante par
le lien qui les unit. Un roi s ’enivre du p oifon de
la louange que lu i verfent les fla tteu r s ,* un roi