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a confacré le nom d’un Baraballo d e G a e fa ,q u î ,
fe vantant de compofer impromptu des vers aufti
bons que ceux de Pétrarque , prétendit avoir droit
d’être couronné, comme lu i, a\i Capitole. L é o n X
eut l ’air de céder à cette ridicule prétention. Paul
Jove , dans la vie de ce pape , a décrit en détail
la pompe comique avec laquelle on de voit, par
dérifîon , procéder au couronnement de Baraba llo.
Mais la cérémonie ne fut poinik*achevée , parce
que l ’éléphant fur lequel étoit monté le poète ,
ne voulut point fe prêter à la plaifanterie , &
refufa conftamment de paffer le pont S. Ange.
Le s Improvifateurs en langue latine fem-
blent avoir difparu après le règne de Léon X : à
cette époque tous les meilleurs efprits. commencèrent
à écrire univerfellement en langue vulgaire ,
lç s Improvifateurs les imitèrent ; & la race de
c.eu?-çi n’en devint que plus féconde. L a lifte en
eft fort uombreufe ; nous ne citerons , dans la
fo u le , que les deux qui ont eu le plus de célébrité.
L e premier eft Silyio Antoniar to , né a Rome
ea 1 5 40, de parents fort ob'fcurs , & que fes talents
ont élevé à la dignité de cardinal. I l étoit fort
lavant dans les langues anciennes, & verfé dans
toutes les fciences. Son talent pour improvifer le
fit nommer Poetin o. Dans un grand feftin, où
étoit le cardinal Giannangelo de Médicis, Silvio
lu i prédit, en improvifant > qu’i l parviendroit à la
’ thiare; & la prédiction fut accomplie : ce cardinal a
été pape fous le nom de Pie IV .
Mais le plus célèbre des Improvifateurs a été
le cavalier P e r f e t t i , fur leque l nous allons entre):
dans quelques détails, d’apres une vie de ce poète
très-bien écrite en latin par M. l ’abbé Fabroni.
Bernardin P e r fe tti naquit en 168o a Sienne ,
q u i femble être le fol naturel des Improvifateurs.
I l étoit d’une famille noble du pa ys, & i l fut élevé
avec beaucoup de loin. L a nature l ’avoit dëftiné
à la Poéfie : à l ’âge de fept ans i l compôfa des^
fonnets qui furent trouvés pafla|>lesj & ce fut a
cette époque qu’on le vit un jour le livrer 4 fon
talent naturel , & réciter d’abondance une fuite de
vers italiens allez bons pour étonner ceux qui l ’en-*
tendirent. Ge prodige , ' dit M. l ’abbé Fabroni que
nous ne ferons guères que traduire , fe répéta plu-
fieurs fois, foit a la table de fa mère foit au milieu
de fes condifciples. Cet inftincf excita en lui le goût
de l ’étude Sç de i ’inftruâtion.
I l commença paj: fe nourrir des1 beautés de la
Poéfie. la tin e , fans J.e goût de laque lle la Poéfie
italienne eft fans fubftançe & fans force. I l fut
tout ce qui avoir été écrit jufqu alors fur les règles
de l ’Art. Une étude continuelle des meilleurs
ouvragés tofçans orna fa mémoire de toutes les
rjchefles dont ifs abondent 5 i l fe les appropria.
I l y avoit alors à Sienne un Xmprovifctteur
iiommé Jean-B aptifie B in d i. Cet homme, diftingué
pat les grâces Sc la finelTe de fon efprit, parloir
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en vers aufti facilement que les autres parlent en
profe. P e r fe t t i l ’entendit, Sc les applaudiflements
qu i l lui vit prodiguer éveillèrent au fond de fon ame
le défir de la gloire : i l voulut aufti fixer fur lui lés
regards.
I l s’eflaya d’abord en préfence de quelques amis,
& avec tant de fuccès, qu’ils l ’engagèrent bientôt
à fè produire au grand jour. Un é v è n em e n t fin-
gulier acheva de l ’enhardir. P e r fe tti avoit c o u tu m e ,
pendant l ’été , de fe promener le foir dans les rues
avec fes amis, qui lui fprmoient un cortège nombreux.
Une fois s’étant mis à chanter les louanges
de quelques citoyens illqftres à Sienne, fans-avoir
d’autre but que de s’amufer , i l fe fentit tout à
coup faifi dun tel enthoufiafme , qu’ i l prononça
une fuite de vers fublimes, qui couloieht commé*
un torrent. Cette fcène caufa un étonnement général;
Sc P e r fe tti fut reconduit chez lui en triomphe.
Engagé dans cette c a r r i è r e i l envifagea les
difficultés , & fentit qu’un homme qui s’annonce
pour traiter fur le champ en vers toutes fortes dé
lujets, de manière que les objets foient peints avec
les traits, les couleurs, & l ’expreflion de la Poéfie,
doit être verfé dans toutes lès fciences , dans, tous
les arts : aufti ne crut-il pas qu’i l lui fut permis
de rien ignorer. O n peut donc le citer Comme
théologien , philofophe , mathématicien , jurifcon-
fu lte , anatomifte , médecin : fes'fons étoient com-
pofés, pour ainfi dire , du fuc de toutes les con-
noiffances. I l poffédoit furtout l ’Hiftoire ; & i l
en citoit les traits fi à propos , qu’on eût dit que
tous les fiècles pafles étoient préients à fes yeux.
Lorfqu’i l étoit à Rome, on lui propofa de s’exercer
fur un point de Th éo lo g ie des plus abftrairs. I l
féconda ce fujet fec & aride ; i l rèlévâ les traits
d’érudition qu’i l y fema , par des couleurs fi agréables
, que' tous les théologiens qui étoient préfents,
entre autres Bernard Vargas , jéfuite efpagnoi ,
avouèrent qu’ils n’avoient jamais rien entendu dé
pareil.
I l exifi.e , dit M. F ab ron i, encore plufieurs
perfonnes q ui l ’ont entendu fouvent , & qui affilèr
e n t qu’elles ne l ’ont jamais vu h é f i te r fur rien , Sc
que jamais on n’a pu apercevoir les bornes de fon
érudition.
A cette étendue de connoiflances, P e r fe t t i joignoic
les grâces d’un coloris qui lui étoit propre , 8c
qui donnoit un nouvel être aux objets. qu’i l pei-
gn oit.
Avant que de commencer, i l demandoit un fujet
aux choix des auditeurs. I l entroit en matière par
une invocation relative à la circonftance. Son récit
étoit clair ; i l répandoit fur le$ chofes tous les
ornements dont elles étoient fufceptibles ; enfin i l
favait inftruire , plaire , & touchçr; Sc comme i l
avoit une mémoire incroyable t i l retraçoit à la
fin , en peu de vers , tout ce qu’i l avoit dit. En
improvijant , i l lu i arrivoit ce que Platon rapporte
du poète Ion : i l paroiftbjç tjanfportç d’unQ
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fittfeur divine , de cette fureur qui agitoit les cory- •
ban:es. Ses yeux s’ailumoient, fes 10urcils fe fron-
çoient, fa poitrine oppreffée laiffoit. à'peine agir
la refpiration ; en un m o t , i l avoit tous les fymp-
tômès de ces ac cè s, fans lefqueli» Démocrite l ’ab>-
déritain difoit qu’on ne pouvoir être grand poète.
Lorfque Perfevti fe livroit aux infpirations de
fa verve , i l étoit obligé de boire de temps' en
temps un peu d’eau , moins pour fe ràfraichir ,
que pour tempérer l ’ardeur de ion ame. Lorfqu’il
avoit fin i, i l reftoit fans mouvement Sc à demi-
mort. I l paffoit la nuit qui fuivoit, fans dormir;
& c e n’étoit qu’après un long intervalle de temps,
que l ’agitation véhémente de fon fang fe ca l-
nioit. ; ..t • : .7 i /.T' • " •* . • ' * '
II récitoit dès vers en chantant , pour fe ménager
le temps de penfer Sc pour s affûter de la
mefure; i l fe fefôit même accompagner par un
joueur de guitare ,s qui fe régloit lur les différentes
efpèces de vers? Perfbnne n’ignore avec quel
pouvoir la Poéfie s’infinue dans toutes les facultés
de l ’ame , lorfque la Mufique lui fert de véhicule;
tant ces deux Arts s’accordent enfemble , tant ils
fe‘ fécondent mutuellement ! I l n’eft pas étonnant
qu’autrefois les mêmes hommes fuffent poètes &
muficiens.
Le s Improvifateurs fe piquent de réciter leurs
vers avec une certaine célérité ;- & ils croiroient
non feulement fe déshonorer en demeurant cou rt,
mais même en paroiflant héfiter. Pour P e r fe t t i ,
lorfqu’i l étoit en proie â fon accès poétique , les
paroles fe preffoient avec tant de rapidité , que
le j oueur de guitare avoit peine â le fuivre.
L è fp è c e de vers pour laquelle i l avoit le plus
de g o û t, étoit le vers à huit pieds, que quelques
italiens appellent épique , & qui eft le plus difficile
de tous ; i l employoit cependant quelquefois une
mefure plus aifée. A u re lte , i l fembloit avoir en fa
difpofirion toutes fortes de rhythmes : la rime, docile
pour lui , fe plioit à fa volonté.
L e jour le plus.glorieux pour P e r fe tti fut celui
où i l reçut au Capitole la couronne poétique. Ce
Tut dans le fécond voyage qu’i l fit â Rome, à la
fuite de la princeflfe Violante de Bavière. L e fàint
Siège étoit alors occupé par Benoît X III. Malgré
le peu de goût de ce pontife pour la P o éfie, toutes:
les merveilles qui lui avoient été raportées de P e r f
e t t i ^ le lui avoient fait juger digne du laurier ; en
conféquence i l ordonna que P e r fe tti feroit fes preuves
en public.
v Au jour marqué, en préfence ; de plufieurs juges
qui avoient prété ferment , on lui propofa dou\e
jit je t s relatifs à la Théologie , À la P k y fiq u e,
aux Mathématiques , à l a Jurifprudehce , à la
M o ra le , â la Poéfie , à la Médecine , à la G ym-
naflique, , enfin a toute la Phiiofbphie. 11 fortit aveci
gloire de cette : redoutable épreuve ; & =tbut lei
monde convint qu e , fi jufqu’alors i l 'avoit • furpafle
tous les poètes de fon genre, i l venoit, ce jou r -là ,
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d e f é fù r jja Ï Ï e r lu i -m ê m e . C ’ e f t a in f i q u e p r o n o n -
c è r e n t l e s j u g e s , & l e t r io m p h e d e P e r f e t t i fu t
a r r ê té .
C e b e a u jo u r é tan t a r r i v é , P e r f e t t i , m o n t é fu t
u n c h a r d o r é & t r a în é p a r d e fu p e r b e s c h e v a u x ,
• f u iv i d u p o m p e u x c o r t è g e q u ’ o n t o rd in a i r em e n t l e s
c o n fe r v a teu r s du p e u p l e r om a in dans l e s c é r ém o n ie s *
p u b l i q u e s , p a r t i t d e 1 ’A r c h i g y m n a f e p o u r m o n t e r
a u C a p i t o l e , a u m i l i e u d’ u n e m u lt itu d e in c r o y a b l e
. d e fp e f t a t e u r s . I l e n t r a dans l a f a l l e du C a p i t o l e
1 a u x a c c lam a t io n s : d u p e u p l e . L o r f q u ’ i l fu t a u x
p ie d s d e M a r ia F r a n g i p a n i , fé n a te u r d e R o m e , c e
. m a g i f t r a t l u i m i t u n e c o u r o n n e d e la u r ie r fu r l a
t ê t e , e n lu i a d r e f fa n t c e s p a r o l e s :
« D i g n e c h e v a l ie r , c ’ e f t fo u s l e s a u fp i c e s d e
I » n o t r e f o u v e r a in p o n t i f e B e n o î t X I I I , q u e je m e t s .
» fu r v o t r e t ê t e c e f y m b o l e g l o r i e u x d e l a g l o i r e
» p o é t iq u e : r e c e v e z - l e c om m e u n e p r e u v e d e
» l a r é u n io n d e s fu f t r a g e s p u b l i c s , Sc c om m e u n
» g a g e d e l a fa v e u r f in g u l i e r e d e f a S a in t e t é » .
J e a n Ç r e f c em b in i l ’ a y a n t e n fu i t e in v i t é à f a i r e
h o m m a g e a u x m u fe s d’ un h o n n e u r d o n t i l l e u r é t o i t
r e d e v a b l e ., i l l e fit e n p r é f e n c e d e V i o l a n t e , d e s
c a r d in a u x , & d e l a p r em iè r e N o b l e f f e . L ’ h o n n e u c
q u ’ i l v e n o i t d e r e c e v o i r é t o i t d ’ au ta n t p lu s f l a t t e u r ,
q u ’ i l n’ a v o i : p o in t é té p r o d i g u é . I l n ’a v o i t é t é a c c
o r d é q u ’à d e u x h om m e s d’u n m é r i t e r a r e , à P é t
r a r q u e & a u T a f f e : e n c o r e c e d e rn ie r n e j o u ï t - i l
p a s d u t r io m p h e q u i l u i a v o i t é t é d é c e rn é ; f a m o r e
in o p in é e l é l u i e n v ia .
L e t i t r e d e c i t o y e n r om a in q u i f in a c c o rd é à
P e r f e t t i , Sc l e d r o it d’ a jo u t e r l a c o u r o n n e d e l a u r ie r
à fe s a rm e s , m i r e n t l e c o m b l e a u x d i f t in & io n s
q u ’i l a v o i t r e ç u e s . O n f r a p a à R o m e & dans d’a u t r e s
e n d r o it s d e s m é d a i l le s p o r t a n t fo n em p r e in t e ; i l y
é t o i t r e p r é fe n té l a c o u r o n n e fu r l a t ê t e . L a v i l l e
d e S ie n n e , q u i v o y o i t r e j a i l l i r fu r e l l e l ’é c l a t d e s
h o n n e u r s a c c o rd é s à u n d e fe s c i t o y e n s , a r r ê ta ,
dans u n e d é l ib é r a t io n p u b l i q u e , q u ’ o n r e n d r o it d e s
a c t io n s d e g r â c e s a u f o u v e r a in p o n t i f e .
C e q u i a jo u t o i t à l a g l o i r e de P e r f e t t i , c ’ e f t l a
m o d e f t ie q u ’ i l c o n fe r v o i r a u m i l i e u d e tan t d’h o n n
e u r s & d e fu c c è s ; C e t h o m m e , q u i jo u ï f f o i t d’ u n e
: fi g r a n d e c é l é b r i t é , q u e l ’ o n m e t to i t n o n f e u l e m
e n t a u d e f lu s d e to u s l e s Im p r o v i f a t e u r s , m a is
m êm e a u d e ffu s d e to u s c e u x q u i a v o ie n t jam a i s
i b r i l l é d ans l a m êm e c a r r i è r e , n e f e p e rm i t jam a i s
l e m o in d r e m o t q u i la i f s â t v o i r l e f e n t im e n t d e f a f u -
p é r io r i t é .
C l ém e n t X I è l e v o i t u n jo u r ju fq u ’ au c i e l l e
g é n ie d e P e r f e t t i . I l fit a u S . P è r e c e t t e r é p o n f e
m o d e f t e : « C e t a v a n t a g e , q u e l q u ’ i l f o i t , e ft u n
» b ie n f a i t d e D i e u , q u i m’ a d o u é d e l ’ e fp r ic p o é -
» ; t iq u e , c om m e i l d o u a ja d is d e l a p a r o l e l ’ a n im a l
» q u e ■ m o n to i t B a l a a m . N o u s n’a v o n s ' p a s t r o p
» l i e u d e n o u s g lo r i f ie r d e c e q u e n o u s te n o n s d’u n
» a u t r e » .
I l n’ a v o u lu l a i f l e r a u c u n é c r i t ; i l e x i f t e f e u le m
e n t q u e lq u e s m o r c e a u x , p r i s p a r d e s c o p i f t e s