liff
UJ !
IP
conçoit peut-être pas lui-même aufli nettement qu’i l
le faudroit.
V o ic i un exemple, tiré du roman dé la princefTe
de Clèves. Cette vue f i longue é.; f i prochaine de
la mort y firent paraître à madame de Clèves les
chofes de cette v i e , de cet oe il f i différent dont
on les voit dans la Jante. Aidé par» les circonf-
tances plus que par les pa roles , on devine plus
tôt la penféc qu on ne l ’entend ; & l ’on fent bien
qu’e lle n’éfoit pas entièrement digérée dans l ’efpric
même de l ’auteur, quand i l crut l ’exprimer iiir
le çapier. Cette vite . . . fir en t paroître , eft un
lolccifme qui v ien t, non de l ’ignorance ou du
mépris des règles, mais de l ’embarras où étoit
l ’écrivain, qui ne favoit plus de quoi i l avoic parlé.
Cette vûe J i longue & fi prochaine de la mort ,
n’a pas un fens qui puiffe fatisfaire 5 on fent que
c’étoit la mort qui étoit prochaine , & non pas la
v ue. F i t p a roîtr e . . . de cet oe il ; quelle phrafe ï
F i t paroître les chofes de cet oe il f i différent
dont on le s voit dans la fa n t ê ; cela fait entendre
que madame de Clèves vit alors les chofes
comme on les voit dans la fanté , manière de voir
bien différente de ce lle dont on les voit dans la
maladie : fi l ’auteur a voulu le “dire ain fi, i l ex-
travaguoit j s’i l a voulu dire le contraire, qui eft
plus raifonnable, fa phrafe eft une abfurdité. & un
contre-fens. Je foupconne que fon intention étoit
d e d ir e : Cette vue y f i long temps f ix é e fu r Une
mort prochaine , f i t envifager à madame de C lives
les chofes de cette vie , d ’un oe il bien différent
de celui dont on les voit dans la fan té. '
Dans le Glorieux ( I V . 1. ) , Pafquin répond à
L ifc tte :
Cela m’eft très-facile ; & je vais vous décrire
Ce fuperbe château, pour que vous.en jugiez ,
Et même beaucoup mieux que fi vous le voyiez.
D ’abord ce font fept cours , encre feize courtines.. .
Avec deux tenaillons placés fur trois collines . . .
Qui forment un vallon , dont le foin met s’étend
Jufques fur .. . un d on jon ... entouré d’un étang.. .
Et ce donjon placé juftement. .. fous la zone . . .
Par crois angles fai lants forme le pentagone.
C ’eft un G alimatias affecté : on fent que Pafquin
cherche à en impofer par de grands mots, faute
de capacité pour faire une defeription vraifem-
blable 5 i l fait très-bien que fon difeours n’a pas de
fens. Mais l ’auteur du roman de la princefTe de
Clèves croyoit bien dire, & ne s’entendoit pas.
A u refte, qu’ i l échape à quelqu’un une phrafe
obfcurcie par le G a lim a tia s , c’eft un effet de la
foibleffe humaine’ , & i l n’y a rien ni de fort étonnant
ni d’impardonnable. Mais qu’un écrivain ne
s’exprime prefqae jamais autrement, ou que ce foit
prefque une faute chez lu i s’i l lui arrive d’ être
c la ir , c’eft unechofe révoltante. V o ic i , par exemp
le , le Galimatias le plus com p le t, le plus fu iv i,
le mieux foutenu, dans une lettre tirée du recueil de
celles de l ’abbé de S. Cyran.
jEftimant partout de grande importance , j e
ne d is p a s les omijfions, mais les moindres in-
termijfions , f o i t en actions J'oit en paroles , de
l am itié j & n ’étan t p a s de l ’opinion de ceux
qui croient que les contemplatifs ont Vemportement
fu r ie s autres en V exercice de toutes forte s
de vertus , ayant toujours p lu s aimé Vaction
que la parole , & la parole que la méditation
& l ’entretien fo lita ir e en amitié : j e p u is néanmoins
dire furement que j e n’ a i p o in t fa i l l i en
cette occafion, & que la ca ufe .d e mon retardement
vous fe ra aufji agréable qu’ eût été une
lettre écrite avec p lu s de diligence j d ’ autant
q u e , défirant une f o i s pour-tou tes vous dire ,
avec une expreffîon égale- au f o n d de ma penfée ,
de quelle fa ç o n j e prétends m’être donné à vous y
j ai f a i t au contraire des excellents peintres qui
ont de la peine a rabattre leur imagination ,
n ayant jam a is p u relever la mienne au p o in t oit
mon reffentiment vouloit la loger.
Ce qui a f a i t que , dans cet e j l r i f de mon
coeur & de mon e fp r it , qui n approche jam a is
p a r ces conceptions de f e s mouvements, j ’ ai
mieux aimé me taire quelque temps, attendant
le détour & la rencontre de ces efprits épurés
qui aident à former de hautes Imaginations ,
que , voulant dire quelque chofe, le dire avec
diminution & au préjudice de la fource de mes
paffions ; où. i l eft feulement lo ijib le , quand elles
naiffentdu vrai amour y d ’avoir fa n s crainte de
reproche quelque fo r te d ’ ambition.
T a i p r is la. plume j & comme f i j ’ eujfe voulu répandre
l ’encre fu r le papier y j ’ ai, écrit tout d’ une
traite ce qui s ’ enfuit.
C ’e fi à vous à voir f i j ’ a i été f i heureux que
celui qui rencontra à repréfenter en colère & p a r le
j e t dupinceau une belle écume.
P o u r vous affûrer de moi. y M o n f i e u r & en
ju g e r à l ’ avenir certainement & d ’une même f a çon
y j e vous veux dire que vous trouverez toujo
u r s mes actions p lu s fo r te s que mes paroles ;
que d is fie y que mes paroles ! que mes conceptions,
que mes affections & mes mouvements intérieurs :
car tout cela tient du co rp s , & h ’ efi p a s fu j f i -
fa n t pour fendre témoignage d ’ une chofe trés-
fp ir itu e lle , vu que l ’ imagination qui eft corporelle
fie trouve dans les mouvements de l ’ affection
: de forte que j e ne prétends p a s que vous -
rne ju.gie\ que p a r une chofe p lu s p arfaite & qui
ne tient rien de ces chofes-là, qui fo n t mêlées de
corps y de fa n g , de fum é e s , & d ’imperfections ;
parce qu’ i l me refie dans le centre du coe u r ,
avant qu’ i l s ’ ouvre & f e dilate , & pour s ’ émouvoir
vers vous [il produife des efprits , des conceptions
y des imaginations , & des paffions ,
quelque chofe de p lu s excellent que j e fe n s comme
un p o id s affectueux en moi-même, & que j e
m W m
ifà f e produire n i éclore de peur d ’expofer u n fa im
germe.
J ’aime mieux le nommer ainfi à mes f e n s , à.
me$ fan tôm e s , à mes paffions , qui terniffent
auffitôi & couvrent comme de nuées les meilleures
productions de l ’ame : ( i bien q u e , pour
me donner à vous en la p lu s grande pureté qui
f e p uiffe , voire qui f e puiffe imaginer y j e ne
veux p a s me donner à v o u s n i p a r imaginations
y ni p a r conceptions y ni p a r paffions , ni
p a r a f f ?étions>, n i - p a r le ttr e s , ni p a r parole s ' ; •
tout ce la étant inférieur à ce que j e f e n s en mon
coeur y & f i relevépar- de{fus toutes chofes y au’accordant
a u x anges dans ma philofophie la vûe
de .ee qui eft clos , ce qui nage , p ou r le dire a in f i,
Ju r le coeur y i l n ’y a que D ie u fe u l qui connoiffe le
fo n d & le. centre.
Moi-même qui vous offre le mien y n ’y vois
prefque rien que j e puiffe défigner. p a r un nom ,
& n y cd n n o is que cette vague & in d é fin ie y mais
certaine & immobile propenfion que j ’ a i à vous
aimer & honorer j laquelle j e n ’a i garde de déterminer
p a r quelque chofe ». afin que j e me persuade
que j e f u i s dans l ’ infinité, d’une radicale
affection y j ’a i prefque dit fubftanci&lle , ayant
égard à quelque chofe de divin & à l ’ordre de
D ie u y où l ’ amour eft fub fian çe ; puifqiie j e prétends
qu’elle eft in fu fe eh la fub fian ce du coeur y
dont le centre efi La quinteffence de t’ arne , qui
étant infinie 'en temps & en vertu d ’ agir comme
celui f o n t elle eft l ’im a g e , j e p u is dire hardiment.
que j e f u i s capable d’ opérer envers vous p a r
affeéîion comme D ie u opéré envers les hommes j.
me demeurant toujours p lu s de puiffance d ’agir
& d aimer e fficacement y que j e n’ aurai paru en-
avoir p a r mes actions : à caufe de quoi j e les
retranche y aufji bien que les imaginations & le
refie y comme incapables de vous rendre témoï-
gn a ge de la difpofition que j ’ a i en votre endroit,
& de la p a r t que vous aveij en mon âme, q u i ,
étants indivifible , f e donne toute p a r la moindre
de f e s partie s o u n e f e donne p a s du tout.
t Ç ec écrivain, qui femble avoir voulu épaiïïir les
tenebres de fes penfées par l ’énorme longueur de
fes périodes , que j’ai diftinguées ici par des alinéas,
étoit pourtant l ’oracle d’un parti foutenu par des
gens d efprît 5 5c i l y étoit prefque regardé comme
un prophète. C ’eft à un pareil prophète que doit
s’adrefïer cette excellente leçon de Maynard :
Mon am i, chafle bien loin
Cette noire rhétorique -
Tes .ouvrages ont befoin
D ’un devin qui les explique.
•Si ton efprit veut cacher
Les belles chofes qu’il penfe ;
Dis-moi, qui peut t’empêcher
De refervir du filence L
Ce n’eft pas a f le z , pour éviter le G alimatias,
d’entendre les règles de la Grammaire , & de fa voir
donner à fa phrafe une conftruélion régulière te
lumineufe : i l faut encore avoir la fagefie de ne
vouloir parler que de ce qu’on fait bien ; parce
qu’on ne peut rendre d’une manière nette , c la ir e ,
& diftinéle , que des idées nettes, précifes, ôc conçues
diftin élément.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penfer ;
' Selon que notre idée eft plus ou moins obfcure,
L’expreffion la fuit ou moins nette ou pl-.:s.pure;
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement.
Et les mots pour le dire arrivent aifément.
B o ilea u -, Ar t. Poét, I . 150— 154.
Mais quelle eft l ’origine du mot G alimatias ?
« Ce- mot-, à mon'avis ', dit M. H u e t , ( voye^ le
Dictionnaire étymologique de Ménage, 1730 )
» à' été formé dans les plaidoyers qui fe fefoient
» autrefois en latin. I l s’agifToit d’un coq apparte-
» nant à une des parties, qui s’appeioi: M atth ia s :
» l ’avocat, à force de répéter fouvent les mots de
» G a llu s & de M a t th ia s , fe brouilla j & au lieu
» de dire G a llu s Matthice, dit G a lli M a tth ia s .
» Ce qui fit ainfi nommer dans la, fuite les difcôurs
» embrouilles ». Az" no è vero, èbene troyato. ( M .
B e a u z é e . ) ■ ’
(N.) G A L IM A T IA S , PHÉBU'S. Synonymes.
C e font des façons de parler qui , a force d’affectation
, répandent de l ’embarras &. de l ’obfcurité
dans le difeours. Q u elle différence y a-t-il entré l ’un
& l ’autre ?
L e G a lim a t ia s , eft-il dit dans le Dictionnaire
de l ’Académie , eft un difeours embrouillé & confus,
qui femble dire quelque chofe & ne dît rien.
Parler P h é b u s , c’eft exprimer, avec des termes
trop figurés & trop recherchés, ce qui doit être dit
plus Amplement.
« L e G a lim a t ia s , dit Bouhours ( Manière de
bien p en fe r , D i a l . i v . ) , » renferme une obfcurité
» profonde , & h’a de foi-même nul fens raifon-
» nable. L e Phéb us n’eft pas fi obfcur, & a un
» brillant qui fignifie ou femble fignifier quelque
» chofe : le fo le il y entre d’ordinaire ; & c’ eftpeut-
» être ce q u i , en notre lan gu e , a donné lieu au
» nom de P h éb u s . C e n’eft pas que quelquefois le
» Phéb us ne devienne obfcur , jufqu’ à nêtre pas
» entendu \ mais alors le G alim atias s’y jo in t , ce
» ne font que brillants & que ténèbres de tous
» côtés ».
Tous ceux qui veulent parler de ce qu’ils n’entendent
p o in t , ne peuvent pas manquer de donner
dans le G alimatias ; parce qu’on ne peut rendre
d’une manière nette , claire, & diftinéte , que des
idées nettes, précifes, .& conçues diftinCtement.
Ceux qui, fans avoir étudié les .grands maîtres
de l ’art ni approfondi le ’ goût de* la nature, prétendent
fe diftinguer par une élocution brillante,