
fuivît pas ce plan général , 8c que fon ouvrage
ne devînt pas (Vune utilité eiTencielle à ceux qui
s’occuperont à perfectionner la foible efquifle que
nous publions.
E lle n’aura pas oublié fans doute de défigner
nos gallicifnies, ou les différents cas dans lefquels
i l arrive à notre Langue de s’écarter dès lois de
la Grammaire générale raifonnée j car un idiotifme
ou un écart de cette nature, c’eft la même chofe.
D ’où l ’on vo it encore qu’en tout i l y a une me- ^
fure invariable & commune , au défaut de laquelle
on ne connoît rien , on ne peut rien apprécier
ni rien définir : que la Grammaire générale raifonnée
eft ic i cette mefure : & que, fans cette
Grammaire, un dictionnaire de La n gue manque de
fondement ; puifqu’i i n’y a rien de fixe à quoi on
puiiTe raporter les cas embarraffants qui fe préfen-
tent ; rien qui puiffe indiquer en quoi confifte la difficulté
; rien qui défîgne le parti qu’i l faut prendre ;
rien qui donne la railon de préférence entre plufîeurs
folutions oppofées j rien qui interprète l ’ul'age ,
qui le combatte ou le juftine, comme cela fe peut
fouvent. Car ce feroit un préjugé que de croire que, la
La n g u e étant la bafe' du commercé parmi les boni
mes , des défauts importants puiffent y fobfifter
lo n g temps fans être aperçus & corrigés par
ceux qui ont l ’efprit jufle & le coeur droit. I l eft
donc vraifemblable que les exceptions à la lo i
générale qui relieront, feront plus tôt des abréviations,
des énergies , des euphonies , & autres agréments
légers , que des vices confiderables. O n parlé
fans ceffe 5 on écrit fans ceffe ; on combine les
idées & les lignes en une infinité de manières
différentes ; on raporte toutes çes çombinaiforis
au joug de la Syntaxe univerfelle ; 011 les y affuf-
jettit tôt ou tard , pour peu qu’i l y ait d’inconvénient
à les en affranchir ; & lorfque cet affer-
viffement n’a pas lieu , c’ eft qu’on y trouvé un
avantage qu’ i l eft quelquefois difficile, mais qu’i l
feroit toujours impoffible de dèveloper fans la
Grammaire raifonnée , l ’Ana logie & l ’É tym o lo g ie
que j’appellerai les ailes de l ’art de parler, comme
on a dit de la Chronologie & de la Géographie ,
que ce fout les yeu» de l ’Hiftoire.
Nous ne finirons pas nos obfervations for la
L a n g u e , fans avoir parlé des fynonymes. O n les
multipHeroit à l ’infini, fi on ne commençoit par
chercher quelque lo i qui en fixât le nombre. I l
y a dans toutes les Langues des expreffions qui
ne diffèrent que par des nuances très - délicates.
Ces nuances n’ echapent ni à l ’orateur ni au poète
q ui çonnoiffent leur langue j mais i l les négligent
à tout moment j l’ un contraint par la difficulté
de fon a r t , l ’autre entrainé par l ’harmonie du fien.
C ’eft de cette confidération qu’on peut déduire la
lo i générale dont on a befoin. I l ne faudra traiter
comme fynonymes que les termes que la poéfie
prend pour tels , afin de remédier à la confufîon
qui s’introduiroit dans la L a n g u e , par l ’indulgence
que l ’on a pour la rigueur des lois de la Verfîfication.
I l ne faudra traiter comme fynonymes que
les termes que l ’art oratoire fobftituq, indiftinélément
les uns aux-autres , afin de remédier à la
confufion qui s’introduiroit dans la L a n g u e , p a r l e
charme de l ’harmonie oratoire , qui tantôt préfère
& tantôt facrifie le mot propre , abandonnant le
jugement du bon fens & de la -raifon , pour fe
foumettre à celui de l'o re ille j abandon qui paroît
d’abord l ’extravagance la plus raanifefte & la plus
contraire à l'exaCtitude & à la vérité , mais qui
devient, quand on y réfléchit, le fondement de
la fineffe^ du bon g o û t , ee_la mélodie du ftyl’e ,
de fon unité, & des autres qualités de l'élocution,
qui feules affurent l ’immortalité aux productions lit téraires.
L e facrifice du mot propre ne fe fefant
jamais que dans les occafïons où i ’efprit n’en eft
pas trop écarté par l ’expreffion méloaieufe J alors
l ’entendement le fupplée , le difcours fe 'reCtifie,
la période demeure harmonieufe : je vois là chofe
comme e lle eft ; je vois de plus le caractère de
l ’auteur , le prix qu’i l a attaché lui - même aux
objets dont i l m’entretient, la paffion qui l ’anime:
le fpeCtacle fe Complique , fe multiplie , & en
même proportion l ’enchantement s’accroît dans
mon efprit ; l ’ oreille eft contente , & la vérité
n’eft point offenfée. Lorfque ces avantages ne pourront
fe réunir, l ’écrivain le plus harmonieux, s’i l
a de la jufteffe & du g o û t , ne fe réfoudra jamais
à abandonner le mot propre pour fon fynonyme.
I l en fortifiera* ou affoiblira la mélodie 3 l ’aid,e
d’un correétif j i l variera les temps , ou i l donnera
le change à l ’oreille par quelque autre fîneffe. Indépendamment
de l ’harmonie, i l faut encore laiffer
le mot propre pour un autre, toutes les fois que
le premier réveille des idées petites , baffes , 6b-
feènes , ou rappelle des fenfations défagréables.
Mais dans les autrès circonftances , ne feroit - i l
pas plus à propos , d ira -1-on , de laiffer au le c teur
le foin de foppïéer le mot harmonieux, que
celui de foppïéer le mot propre ? Non ; quand i l
feroit auffi facile à: l ’oreille , le mot propre étant
donné , d’entendre le mot harmonieux , qu’à l ’ef-
p r i t , le mot harmonieux étant donné, de trouver
le mot p ropre. I l faut -, pour que l ’effet de la Mù-
fique foi't produit, que la Mufique foit entendue :
elle ne fe luppofe point j e lle n’eft r ien , fi l ’oreille
n’ en eft pas réellement affeCtée.
O n recueillera toutes les expreffions que nos
grands poètes & nos meilleurs orateurs auront
employées & pourront employer indiftinCtemenfc.
C ’eft fortouf la Poftérité qu’i l faut avoir en vue :
c’eft encore une mefure invariable. I l eft inutile
de nuancer les mots , qu’on ne fera point tenté
de confondre quand la Langue fera morte. A il
delà de cette limite , l ’art de faire des fynonymes
devient un travail auffi inutile que puéril.
Je vQudrois qu’on eût deux autres attentions
dans la diftinCtion des mots fynonymes. L ’uiie
de marquer, non. feulement les idées qui différencient,
mais celles encore qui“font communes :
l ’abbé
Fabbé Girard ne s’eft affervi qu’ à la première
partie de cette lo i ; cependant ce lle qu’i l a n ég ligée
, n’eft ni moins eiTencielle ni moins difficile,a .
remplir. L ’autre, de choifir fes exemples de manière
qu’en expliquant la diverfité des acceptions ,
on exposât en même temps les ufages de la nation
, fes coutumes , fon caraCtère , fes vices , les
vertus, fes principales tranfaCtions , & c , & *qu e
la mémoire de fes grands hommes , de fes malheurs
, & de fes profpérités, y fût rappelée ; i l n’en
coûtera pas plus de rendre un fynçnyme utile ,
fenfé , inftruCtif , & vertueux , que de le faire
contraire à l ’honnêteté ou vide de fens.
Ajoutons à ces obfervations un moyen Ample
& raifonnable d’abréger la nomenclature &
d’éviter les redites. L ’Académie françoife l ’avoit
pratiqué dans la première édition de fon DiCtion-
naire \ & je ne penfe pas qu’elle y eût renoncé
en faveur des lecteurs bornés , fi elle eût confidére
combien i l étoit facile de les fecourir. C e moyen
d’abréger la nomenclature,.c’eft de ne pas diftribùer,
en plufîeurs articles féparés , ce qui doit naturellement
être renfermé fous un feul. F au t- il qu’un
dictionnaire contienne autant de fois un mot ,
qu’i l y a de différences dans les vues de l ’efprit ?
l'ouvrage devient infini, & ce fera néceffairement
un chaos de répétitions. Je ne ferbis donc de
■ précipitable , précipite r, précipitant , précipitation
, p r éc ip ité , pré cip ice, & de toute autre ex-
preffion femblable -, qu’un a r tic le , auquel jé ren-
verrois dans tous les endroits où l ’ordre alphabétique
m’offiriroit des expreffions liées par une même
idée générale & commune. Q u ant aux différences,
le fobftantif défigne ou la chofe, ou la perfonne,
ou FaCtion , ou la fenfation , ou la qualité , ou
le temps , ou le lieu j le participe, FaCtioncon-
fidérée ou comme p o ffib le, ou comme préfente,
ou comme paffée j l ’infinitif , FaCtion relativement
à un agent , à ùn lieu , à un temps quelconque
indéterminé. Multiplier les définitions félon
toutes ces faces , ce n’eft pas définir les termes ;
c eft revenir for les mêmes notions à chaque face
nouvelle qu’un terme préfente. N ’eft-il pas évi-
.dent que ce qui convient à une expreffion confi-
dérée une fois fous ces points de vue différents ,
convient à toutes celles qui admettront dans la
Langue la même variété ?
Je remarquerai que , pour la perfection d’un
idiome , i l feroit à fouhaiter que les termes y euflent
toute la variété dont ils font fufceptibles. Je dis
dont ils fo n t fufceptibles ; parce qu’i l y a des
verbes , tels que les neutres , qui excluent certaines
nuances : ainfi, aller ne peut avoir l ’adject
i f allable. Mais combien d’autres dont i l n’en eft
pas ainfi , & dont le produit eft limité fans raifon
, malgré le-befoin journalier & les embarras
d’une^ difette, qui fe fait particulièrement fentir
aux écrivains exaCts & laconiques •? Nous difons
ac cu fa teur, acçufe r, accufation , accufanc, ac-
cufe j 8ç nous ne difons pas accufable , quoiqu’^#-
Ç -R AM M . E T L i t t é r a t . T o iu t 2 2<
cu fib le foit d’ufage. Combien d’adjeCtifs qui ne
fe meuvent point vers le fobftantif, & de fobf*
tantifs qui ne fe meuvent point vers FadjeCtif 5
V o ilà une fource féconde , où i l refte encore k
notre Langue bien des richeffesà puifer. I l feroit
bon de remarquer, à chaque expreffion , les nuances:
qui lui manquent , afin qu’on osât les foppïéer des
notre temps;,' ou de crainte que , trompé dans
la fuite par l ’Analogie , on ne les regardât comme;
des manières de dire en u-fage dans le bon fiècle«
(M . D i d e r o t . )
( ^ (N ) N ou s joindrons ici un F R AG MER T quitta,
contient que des réflexions générales fu r 1er
nature & le caractère des Langues ; Vauteur
n’ a p a s eu le temps d ’y mettre p lu s de fu ite .
& de méthode.
I. C ’eft fans doute une recherche de pure curio-*
fité que de remonter à l ’origine du langage. IZ
feroit cependant intéreffant de connoître comment
fe font formées les Langue s. L ’intelligence humaines;
nè s’eft montrée plus puifiante dans aucune de fes in-<
vendons ; mais peu t-être avons-nous l ’efprit trop.'
exercé & trop raffiné pour être en état de devine^
aujourdhui comment l ’efprit de l ’homme fauvagè^
a dû procéder dans fes premières découvertes.
J. J. Rouffeau dit quelque part que le langage^
a eu pour principe, non les befoiiis de l ’homme ^
mais fes paffions 5 i l établit cette diftinétion foc,,
une obfervation fine , mais bien fobtile. Quand,
on a dit que le befoin avait appris à l ’homme^
fauvage à former des fons pour faire connoîtreï
à fon femblablable fes fentiments & fes pen se s «-
on a entendu fans doute les befoins moraux?
comme les befoins phyfiques.
II. L ’homme n’a pas commencé par p a r le r , maisf
par crier. L a parole foppofe dés Ions articulés.
Des mouvements violents & fobits de frayeur 4
d’étonnement, de douleur, ou de jo i e , lui ont ar-*
raché des c r is , diverfement modifiés felon la na-^
ture & le degré de fentiment qui les produifoit.
Ces cr is, répétés en différentes occafïons & pai3
différents individus , devinrent des Agnes commun^
qui firent bientôt connoître diftinctement à chaque;
individu de la même fociété les affections qui lest
infpiuoient : les enfants répétèrent , par imitation ^
ceux de leurs père & mère C e fut d’abord un,
langage dè fam ille , mais non articulé.
Çes cris nè fe bornèrent pas long temps à expri-é
mer des affections violentes ; ils fervirent bientôt'
à exprimer des fentiments plus doux, des befoinst
habituels ; à indiquer des objets phyfiques , le;
f o l e j l , la mer , des arbres, des animaux, & c . Laf
mère eut un cri pour appeler fon enfant ; i l y en
eut' pour annoncer l ’aproche d’un bête féroce
le bruit du tonnerre , la tempête , &c.
Çes voix n’étant point articulées , ne pouvoienf
être diftinguées que par les modifications pa rtie^