ce grand a r t , & l ’a v o it déjà pratiqu é. A p r è s y avoir
e x c e llé lu i - m ême , i l en donna des le ço n s p ro fondes
dans fes liv re s de l ’ O ra te u r . J ’en vais e x tra
ire que lq u e s dé ta ils.
I l ne v eu t pas que l e Nombre de la p ro fe fo it
c e lu i des vers' ( car i l p a rle des vers métriques ,
dont tous le s pieds é to ient pretcrits ) j & une profe
ainlï cadencée eû t paru trop a r t ific ie lle . M ais comme
l a profe même a , de fa n a tu re , Sc fa len teu r , Sc
fa v i t e l f e , & fes mou v em en ts , & fes repos ; i l demande
que', fans i ’a ffu jettir., on en r è g le l a marche ,
fo it p o u r l a . fou ténir , fo it pour l ’a c c é lé r e r , fo it
•pour donner au c e rc le qu’e l l e do it pa rcourir l ’ é tendue
q u i lu i convient. Oratio , quonium tum
J la b ilis e jl tum volubilis , necejje ejl ejufmodi
naturam N umé ris contineri. Nam circulais ille...
încitatior Numé ro ipfo J'ertur & labitur , quoad
pervenuu ad, finem & in jijla t. Perfpicuum efl
igitùr N umé ris adjlriclam orationem ejfe debere,
carere verfibus. ( O rat. )
Qu an t à l ’efpèce de Nombre q ue r e ç o it la
p ro fe , i l d é c id e , contre le fentiment des rhéteurs
6c d’Ariftote. même , qu’ e l l e le s admet tous. E g o
autem fen tio omnes in oratione ejfs quaji per-
m ix to s & confitfos pedes. L ’iambe , JDeos , dans
l a lan g u e l a t in e , écoit l e p lu s commun. Magnam
enim partem e x iambis nojlra confiât oratio.
L e chorée , v.iufa , eft v ic ieu x dans l a définence
des phrafes , parce~qu’i l tombe fur la brève ; & C i cé
ro n p réfère l e fp o n d é e , campos : Habet Jlabilem
cuemdam & non expertem dignitatis gradum.
I l l e recommande furtout dans le s in c i f e s ou petite
s phrafes coupées : paucitatem enim pedum
gxavitatis fuez tarditate çompenfat. O r î l efl
imp ortant de donner aux incifes , lorfque la penfée
en eft rem a rq u a b le , u nN0TV-bre fenfible & frap an t:
Nib.il tam debet ejfe numerofum , quam hoc quod
tniniml a p p a r e t, & valet plurimum.
Mais fi le chorée fimple eft trop léger pour les
cortclufions de phrafes , i l y devient plus grave
lorfqu’ i l eft redoublé ; & Cicéron , en partant de
ce Nombre, cite un exemple de fes effets dans une
harangue de l ’orateur Carbon. O Marce D ru fe !
(patrem appellô : ) tu dicere fo leb a s facram ejfe
■ pempublicam 3 quicumque eam violavijfent ab
omnibus ejje ei poenas perfolutas. P a tr is diclum
Japiens\tementqs f i l i i comprobavit. Ce dichorée
pomprobayit, ajoute Cicéron , fit un effet prodig
ieux : & changez l’ojdre des paroles 3 dites,. çom-
probavit f i l i i temeritas , ce n’eft plus rien : jam.
n ih il e jl.
C e mo t temeritiis eft pourtant l e ppeon, qu’ Ar ift
to t e p réfère à tou s le s autres Nombres pour termine
r la p é r io d e . M a is C icé ro n n’eft pas de fon
av is ; & i l pen fe q ue le Cré tiq u e languidos , eft
a u moins aufli fa v ora b le . Cependant i l admet le s
deux poeons comme trè s -o ra to ire s : la lo n g u e &
le s trois brèves p ou r l e début de la période , défaite , cqmprimite ; 8c les. tro is brçvcs fuivi.es
de la longue pour les repos , domuerant fo iii-
pedes. Les poeons mêmes lui femblent d’autant plus
convenables à l ’Éloquence , qu’on les rencontre rarement
dans les vers. Pocon minimè e jl aptus
ad verfum^quo libentiàs eum recipit oratio.T els
font les éléments du Nombre.
Mais dans les vers i l faut que le Nombre foit
fenfible & foutenu d’un bout à l ’autre. Nam verjus
arqué prima Ù media & extrema pars attenditur ;
qui debilitatur , in quacumque fit. parte tituba-
tum. (D e Orat. ) Au lieu que dans la profe , non
feulement le Nombre n’a pas befoin d’être continu,
mais i l ne doit pas l ’être. C ’eft dans les points
éminents du difeours , dans les incifes remarquables,
( queè incijîm aut membratim efferuntur , ea vel
aptiffimè 'cadere debent), aux articulations des membres
, aux deux extrémités de la période , qu’i l doit
être placé j mais plus, fenfiblenient encore'dans les
phrafes correspondantes & fy m étr i que ment oppo-
fées , dans les antithèfes, dans les corrélations, dans
ce qu’on appeloit Jimiliter ca d en s , ou Jimiliter
defnens.
Nec numerofae^ ittpoemata , nec extrà Nume-
rum, ut ferma vulgi, ejfe debet oratio. AIterum nitnis.
ejl vinctuni, u t de induflriâ fa c tum appareat ;
alterum nimis dijfolu tum, ut pervagum & vul-
gare videatur. S it igitur permixta & temperata
Numéris , nec dijfolüta , nec tôt à numerofa ,
poeone m a x im é , fed reliquis Numéris etiam temperata
. . . . Multum intexeft utmm numérota
f i t y an p la n é è Numéris conjîet oratio. Alterum;
f i f it , intolerabile vitium ejl ; alterum Ji non
f i t , diffipata & inoulta & flu en s ejl 'oratio,
I l y avoit alors, comme aujour-dhui, des gens qui
ne croyaient point au Nombre de la période , 8c
c’eft de ceux-là que Cicéron difoit- nefeio quas
habeant aures. V o y e^ Période.
Il reconnoiffoit cependant que le ftyle périodique
& nombreux avoit une place plus libre 5c
plus marquée dans les difeours uniquement defti-
nés à inftruire & à plaire , dans les morceaux de
décoration, comme dans les é lo g e s , dans les narrations,
dans les deferiptions oratoires , ou l ’âme
n’étant attachée par aucun intérêt preffant, on ne
pouvoit captiver l ’attention que par le plaifir de
l ’o ie ille ; enfin le Nombre étoit comme l ’âme de
ce que nous appelons harangues : Nam quum is
e jl a\idhox, qui non vereatur ne compoftoe ora-
tionis infidiis fu a fid e s attentetur , gratiam
quoque habet oratori yoluptati auriutn fe rvienti.
Aum la plus harmonieufe des oraifons de Cic’éron
eft-cé la harange pour Marcellus.
Mais dans l ’Éloquepce du barreau, cette recherche
curieufe & continuelle du Nombre (croit nui-
fible à l ’Eloquence. I l ne doit ni en être exclus ,
ni trop y dominer, furtout dans les endroits pathétiques.
S i enim femper utare , quum fatietatêm
affert , tum quale f i t etiam ab .imperitis a g -
nofçitur. D e trahit preeterea aÇtionis. dQlorem ,
au fen
tL u fer t h um a n u m f e n f u m a c t o r i s , t o l l i t f u n d i t u s
v e r i ta t em .ô f id em .Cèpendant Cicéron avoue qu’i l l ’a
recherché très-fouvent avec le plus grand foin, & fin- .
gulièrement dans fes pérorai fous, mais lorfqu’ils ’ éroit
déjà rendu le maître de fon auditoire , ST que les
efprits obfédés & captivés n’ étoient plus anez en
état de prendre garde au preftige du N om b r e . I d
n o s f o r t a j f e n o n p e r f i c im u s , e o r ia t i q u id em f e z -
p ï j f im è f u m u s : q u o d .p lu r im i s l o c i s p e r o r a t io n e s
n o jlr a e v o lu i j f e n o s a t q u e a n im o c o n t e n d i j f e d é c
la r a n t . I d a u t em tu m v a l e t , q u u m i s q u i a u d i t
a b o r a t o r e j a m o b f e j f u s e j l a c t e n e tu r . N o n
en im i d a g i t u t i r t f id ie tu r & o b f e r v e t ; f e d j a m
f a v e t y p r o c e j f u m q u e v u l t , d i c e n d iq u e v im à d m i -
r a n s , n o n i n q u i r i t q u o d r e p r e h e n d a t .
Les mêmes N o m b r e s qui étoient prefciîts dans
les vers grecs & latins, 6c qui fe fefoient diftinc-
tement apercevoir dans leur profe oratoire , fe retrouvent
dans nos vers & dans notre profe. Et qui
ne reconnoît pas la mefure de deux vers françois
■ dans ces deux vers d’Horace ?
Quem tu Mclpomene fem e l
Pafcentem plaé id o lumine videris ?
Qui ne reconnoît pas la mefure des vers latins
dans c e s vers de Racine ?
Aux feux inanimés, dont fe patent les deux ,
Il rend de profanés hommages.
( V o y e \ Harmonie & V ers. )
Cependant i l faut l ’avouer , les mêmes Nombres.
font moins marqués dans notre profodie que dans
la profodie ancienne ; & fi quelque chofe peut
les décider à notre o r e ille , ce fera la Mufîque.
Mais un mal irrémédiable , & un défavantage auquel
notre langue eft condannée à l ’égard du
N om b r e , c’eft la barbarie de nos conjugaifons ,
toutes formées en dépit de l ’oreille.
On envie aux anciens .leurs inverfîons ÿ & ce
regret eft jufte I mais bien moins fondé qu’on ne
penfe. L ’un des grands avantages de l ’inverfion,
pour les anciens , étoit de terminer les phrafes par
le verbe. Mais pxefque tous les temps des verbes
donnoient de belles défînences, toutes les inflexions
en étoient n om b r e u f e s ; & e’eft la fource la plus
féconde de l ’harmonie de Cicéron.
Dans notre langue au contraire, o u ïe s termînai-
fons du verbe font fi défagréables qu*elles ne peuvent
pas même être fouffertes dans une profe
élégante , q u ’ i l s c o m m a n d a i e n t , q u e n o u s c o n -
f o n d i f j i o n s , q u ’ i l s e n t r e p r i j f e n t , q u e j e d é l ib é -
r a j f e , q u e v o u s d e l ib e r a jfie ^ , ^ c c . ou elles fe ré-
dnifent a la monotonie d’un participe indéclinable
avec le verbe auxiliaire $ ou elles font dénuées
d’accents & réduites à là mefure du c h o r é e , comme
dans } a im e , du f p o n d é e , comme dans j’ a im o i s , ou
«e l ’ iam b e comme dans y a t t e n d s . Si quelques'
G r a m m . E T L I T T É R A T ' T o m e I I .
temps confervent encore une foible empreinte de
l ’ ancien Nombre, comme y attendrai, jeju c com b e ,
je tenterais , rien n’eft fi rare j & quoique l ’invariable
définance des noms, dans notre langue , foit
une des caufes de notre indigence , i l n’en eft pas
moins vrai que le verbe eft , à l ’égard du Nombre,
ce que nous avons de plus ingrat. I l faut une
adrefle. continuelle pour le faire paffer dans la
foule des mots , Sc comme à l ’infu de l’oreille ,
quand nous voulons écrire en ftyle harmonieux.
Je fuppofe donc que nous euffions, comme les
latins , la liberté de l ’inverfion j nous ferions encore
de nos verbes ce que nous en.avons fait en
fuivant l’ ordre naturel des idées : nous les g iiffe-
rions à la dérobée 3 & nous emploierions à former
la partie’ oftenfible & dominante du difeours , les
noms , les-épithètes, les adverbes, qui dans notre
langue font comme imbus encore du Nombre des
langues éloquentes dont ils font dérivés.
Quelques exemples feront mieux fentir cette
vérité affligeante. Prenons d’abord la defeription
de la grotte de Ca lyp fo : «. E lle étoit tapiffée d’une
» jeune vigne qui étendoit également fes branches
» fouples de tous côtés. Le s doux zéphyrs con-
» fervoient en ce lieu , s malgré les, ardeurs du
» f o le i l , une délicieufe fraicheur. Des.fontaines,
» coulant avec un doux murmure fur des prés femes
» d’amaranthés Sc de violettes, formoient en divers
» lieux des bains auffi purs Sc aufli clairs que le
» criftal. M ille fleurs naiffames émaiiloient les
» tapis-verts dont la grotte étoit en ’ironnée ,& c ».
On voit que dans cés phrafes non feulement ce
n’eft pas le verbe qui fait le Nombre, mais qu’i l
ne l ’eût pas fa it , quand même notre uf.ige eût permis
de le tranfpofer 3 & la même chofe eft évidente
dans l'éloquence de Maffillori & de Boffuet,
comme dans la poéfie de Fénelon.
A u contraire, jetons les ieux fur les endroits
les plus nombreux de l ’ancienne Éloquence , Sc
nous reconnoitrons que le verbe eft le plus fou-
vent la paufe & l ’appui de la v o ix , foit dans le s
fiifpen fions , foit 'dans les définences.
E g o te y f i quid graviter a c c id e n t , ego te y in -
quamyFlacce, prodidero •’ me a de x ter a ilia y mea
fide s y me a promiJfa\ quum te , f i - rempublicam
confiervarémus, omnium bonorumproefidio , quoad
viveres. , mon modo munitum , f e d etiam ornatunt
fo r e pollicebar. -
Huicy huicmiferopuerOyVeflro acliberdrum vef-
trorum fu p p liç i y Indices , hoc ju d ic io , vivendi
prcecepta dabitis . . . . Q u i etiam me irttuetur,
me vultu a p p e lla t, meam quodammodo f ie n s
fiiletn implorât ; ac repetit eam quam ego p a t r i
fu o quondam , pro fa lu te patriae , fpopônderim
; dignitatem. Miferemini fam ilu z , Indices, mifere-
mini fo r tiffim i p a t ris , miferemini f i l i i : nomen
clarlfjîmum & fortiffimum vel generis , vel ve-
tu jla tis y vel hominis caufâ , reipublicae re*
firy a te (pro Fiacco. )
Q s î '}