
A v o it - il lu le cinquième aélc A’A ty S ?
Quoi ! Sangaride eû moi te ! Atys eft fon bourreau!
Quelle vengeance, 6 dieux! quel fupplice nouveau !
Quelles horreurs font -comparables
Aiix horreurs que je fens !
Dieux cruels , dieux impitoyables
N ’êtes-vous tout-puiflànts,
Que pour faire des miférables?
Qu elle force ! quelle harmonie ! quelle incroyable
facilité ! Que ceux qui refufent à la langue
françoife d etre nombreufe & fonore, lifent ce poète ,
& q u ils décident. Perfbnue n’a croifé les vers &
arrondi la période poétique avec tant d’intelligence
& de gode $ & celui qui fera iufenfible à ce mérite
| ou n’aura point d’o r e i lle , ou n’aura pas la
première idee de la difficulté de l ’art de bien écrire
en vers. Mais ce qui manque aux poèmes de Quinault,
c eft la partie correfpondante au deffin régulier de l ’air
& au récitatif o b lig é , q u i , depuis L u l l i , a été porté
a un fi haut degré de beauté dans la Mufîque italienne.
V o y e i A i r , C hant lyrique, Récitat
i f , &c.
Dans les vers lyriques deftinés au récitatif libre
& fimple , on doit éviter le double excès d’un ftyle
ou trop diffus ou trop concis. L e s vers dont le ftyle
eft diffus font lents , pénibles à chanter, & d’une
exprèffion monotone j les vers d’ua ftyle coupé
par des repos fréquents , obligent le muficien à
brifer de même fon ftyle. C e la eft réfervé au tu-
multe^ des paffions, & par conféquent au récitatif
oblige t car alors la chaîne^ des idées eft rompue, &
2 chaque inftant i l s’élève dans l ’âme un mouvement
lubit & nouveau.
Un. grand tableau dont les traits font diftin&s &
fe fuccèdent rapidement, exige , comme la paf-
fio n , un ftyle concis & articulé. Par exemple ,
dans les beaux vers du début des Éléments ,
voyez comme chaque image eft détachéepar un fi-
lence : c’eft dans ces Menues de la voix que l ’har
monie va fe faire entendre.
le s temps font arrivés : ceffcz, trifte Chaos.
Paroiffez, Éléments. D ieu x , allez leur preferiae
l e . mouvement & le repos.
Tenez-les renfermés chacun dans fon Empire.
Coulez', Ondes, coulez. Vo le z , rapides Feux.
* Voile azuré des airs, embraffez la nature;
T erre, enfante des fruits, couvre-toi de verdure.
NaifTez, Mortels, pour obéir aux dieux.
Si au contraire les femiments ou les images que
l ’on peint font deftinés à former un air d’un deffin
continu & fim p le , l ’unité de couleur & de ton
eft effencielle au fujet même; & c’eft le va<nie de
l ’ëxpreffion qui facilitera le chant. Dans le iSémo-
phoon de Métaftafe, T im an te , qui frémit de fe
trquver le frère de fon fils , n’exprime fa pitié pour
l e malheur de cet enfant qu’en termes vagues • le
poète laine au muficien à dire ce qu’i l ne dit pas.
M ife ro p a rg o letto ,
I l tuo defiin non fa i ,
A h ! non g l i dite mai
Qual'era i l genitor.
Corne in un p o n to , o dio t
T u tto çangio d‘afpetto !
V o i fo j ïe i l mio d ile tto ;
V o i Jiete i l mio terror,
C ’eft à l ’accent de la nature â faire entendre quel
eft ce père , quel eft cet enfant malheureux.
P o u r q ue l ’ in t e l li g e n c e , entre le s deux a r t s ,
fû t p lu s p a r fa i te , on fent bien qu ’i l fe ro it â
fou h a ite r que l e p o è te fû t muficien lu i - même.
M a is s’ i l ne réunit pas le s deux t a le n t s , au
moins d o i t - i l a v o ir c e lu i de preffentir le s effets
de l a Mufîque j de v o ir q u e lle route e l l e a im e -
ro it à fu iv r e , fi e l le é to it liv r é e à e l l e - même j
dans q u e ls momens e l l e p reffe ro it ou ralentiront Tes
mouvements , q u e ls nombres & q u e lle s inflexions
e l l e em p lo ie ro it à exprimer t e l fentiment ou t e ll e
im a g e , & q u e l tour d’ expreffion lu i donne de p lu s
b e lle s modulations. T o u t c e la demande une o r e i lle
exercée , & de p lu s un comme rce in t im e , une com munication
• h a b itu e lle du p o è t e a v e c l e muficien.
M ais p e u t - ê t r e auffi l a nature a - t - e l le mis une
in t e llig e n c e fecrè te entre l e g én ie de l ’ un & l e
g én ie de l ’autre $ p eu t-être eft-ce au défaut de ce tte
Fympathie q u e nos p o è te s le s plu s cé lèb res n’ ont
p a s réuffi dans l e g en re ly r iq u e . I l eft v rai du moins
qu ’ en v o y an t l a P o é f ïe , médiatrice entre la nature
& l ’art , o b lig é e d’im ite r l ’une & de favorife r
l ’ autre , de prendre l e la n g a g e q u i conv ient l e
mieux à c e lu i - c i & qu i p e in t l e mieux c e l l e - là ,
de leu r mén ager en un m o t tous le s m o yens
de fe raprocher & de s’ em b e llir m u tu e llem en t, l e
ta len t du p o è te ly r iq u e au p lu s haut de gré do it
p a ro ître un p ro d ig e . Q u e ^ fera - ce donc fi l ’on
confidère l 'Opéra comme un p o èm e ou l a D a n f e ,
la P e in tu r e , & l a M éch aniqu e doivent concou
rir a v e c la P o é fie & la Mufiqu e à charmer
l ’o r e i lle & le s y e u x ? O r t e ll e eft l ’ idée hardie
qu’ en a v o it conçue l e fondateur d e notre théâtre
ly r iq u e ; & l ’on peu t dire qu’ en la concevant i l a
eu là g lo i r e de la r em p lir . UOpé ra ita lie n a v o it
commencé comme l e nôtre j. mais , p a r é con om ie ,
on y renonça b ien tô t au m e rv e illeu x . ( Voye\ L y r
iq u e ) . N o t r e an c ien th é â t r e , lo n g temps avant.
Q u in a u l t , a v o it e ffa y é de donner dans la T r a g é d ie
l e même gen re .1 de fp e é ta c le j mais non feulemen t
x e m e rv e illeu x é to it dép la cé , i l é to it burlefque :
on p eu t v o ir dans Y article Bienséance , q u e l é to it
l e la n g a g e de l ’A u ro re , de V é n u s , de C i r c é . V o i c i
comment le s p o è te s de ce tem p s - là é v oq u o ien t le s
démons :
Sus Belial, Satan ,& Mildefaut,
T.orchebinet, Saucierain , G ribau t ,
Francipoulain , Noricot', & Grain celle ,
Afmodeùs, St toute la fcquelle.
C e tte é v o ca tion "eft un p eu différente de c e l l e - c i ;
Sortez, Démons , fortez de la nuit infernale
Voyez le jour pour le troubler.
O n ju g e b ien q ue l e la n g a g e des démons n’é to it
pas moins différent de c e lu i - c i , que Q u in a u lt le u r a
fa it p a r le r :
Goûtons le feul plaifîr des coeurs infortunés \
Ne foyons pas feuls miférables.
I l eft donc bien certain qu’à tous égards Q u in a u lt
a été l e créateur de ce th é â t r e ,
Où les beaux vers, la Danfe , Ja Mufîque,
L’art de tromper les ieijx par les couleurs,
L'art plus heureux de féduire les coeurs,
De cent plaiiirs font un plaifîr unique.
L a D a n fe ne peu t avoir l ie u décemment que
dans des fête s ; e l l e eft donc effen c ie llem en t e x clu e
de l ’Opéra ita lien ,. g ra v e & t ra g iq u e d’un bout
à l ’autre. A u ffi le s b a lle ts qu’on y a introduits dans
le s entr’aéles font - i ls ab fo lam en t détachés du
fu je t , fouv ent même d’ un genre abfolument contraire
j & ce n’ eft a lo rs qu’un bifarre ornement.
D an s l ’Opéla françois , le s fêtes doivent ten ir à
l ’ aétion comme incidents au moins v raifemblables ;
& i l eft d ifficile , mais non pas im p o ffib le , de le s
y amener à p ro p o s . I l eft n atu re l q ue les P la ifir s ,
le s A m o u r s , & le s G râ c e s préfentent en danfant ,
a É n é e , le s armes dont V én u s lu i fa it don j i l eft
natu re l que le s démons , formant un c om p lo t fii-
nefte au repos du monde , expriment leu r jo ie par
des mouvements furieux & terribles.
I l y a des danfes de c u l t e , i l y en a de réjou ïf-
fance j le s unes fon t m y fté r ieu fe s ,.. le s autres fon t
an a lo g u e s aux moeurs. L e s fêtes d’une C o u r & c e lle s
d ’un hameau n’ont p a s l e même ca ra ô è re .
I l faut diftinguer en g én é ra l la danfe q u i n’eft
q ue d an fe, & c e lle qu i p e in t une aé tion . L ’une eft
floriffante fur notre théâtre : mais l ’ a u t r e , q u i peu t
a v o ir l ie u q u e lq u e fo is , n’a pas été a ffe z cu ltiv é e ;
& i l ex ifte en E u ro p e un homme de g én ie qu i lu i
.fait exprime r des tab leau x raviffants. Voye-^ Pantom
im e .
S ’ i l y a des e x em p le s de fête s ingénieu fèment
amenées , i l y en a b ien p lu s encore de fêtes p la cé
es m a l à p ro p o s . C e n’ eft pas feu lem en t fur la
fc èn e , c’ eft dans l ’âme des aéteurs & des fp e é la -
teurs , qu’ i l faut trouver p la c e à dés^réjouïffances.
D an s l’Opéra de Callirhoé, la d é fo la tio n règne
dans le s murs de C a llid o n :
Une noire fureur sranfporte les efprits ;
L e fils infortuné s’arme contre le père-;
Le père furieux perce le fein du fils}
L’eafant eû immolé dans les bras de fa more.
O r c’eft dans ce moment que les Satyres & les
Driades viennent célébrer la fête du dieu Pan ; &
la reine , pour confulter le dieu fur les malheurs
de fon peuple , attend que l ’on ait bien danfe.
Dans l ’a&e fuivant, Callirhoé vient d’annoncer
qu’e lle eft: la victime qui doit être immolée. Son
amant, au défefpoir, la la if fe , & court lu i- même â
l ’autel :
Le bûcher brûle ; & moi, j’éteins ta flamme impie
Dans le fang du cruel qui veut vous immoler . . •
J’attaquerai vos dieux, je briferai leur temple >
Dûc leur ruine m’accablerŸ
Dans ce moment les bergers des côteaux voifins
viennent danfer & chanter dans la p lain e, & C a llirhoé
affifte à leurs jeux. I l eft évident que , fi le fpefta-
teur eft dans l ’inquiétude & la crainte, ces fêtes
doivent l’ importuner ; & s’i l s’en amufe , c’eft qu’i l
n eft point ému.
Cette difficulté de placer des fêtes vient de ce
que le tiffu de l ’aétion eft trop ferré. I l eft de
l ’effence *de la Tragédie que l ’a<ftion n’ait point
de relâche , que tout y infpire la crainte ou la
p it ié , & que le danger ou le malheur des- per-
ïonnages intéreffants croiffe ^redouble de fcène en
fcène. A u contraire, i l eft, de l ’effence de l ’ Opéra
que l ’a&ion n’en foit affligeante ou terrible que par
intervalles, & que les paffions qui l ’animent ayent
des momens de calme & de bonheur, comme on
v o it , dans les jours d’o ra g e , des moments de féré-
nité. I l faut feulement prendre foin que tout fe
paffe comme dans la nature, que l ’efpoir fuccède
à la crainte , la peine au plaifir , le plaifîr à la
peine , avec la même facilité que dans le cours des
chofes de la vie.
Quinault n’a prefque pas une fable qu’on ne put
citer pour modèle de cette variété harmonieuse :
je me borne à l ’exemple de Y Opéra dJ' A ie e jle :
on y va voir réduite en pratique la théorie que
je viens d’expofer.
L e théâtre s’ouvre par les noces d’Alcefte &
d’Admète , & l ’allégreffe publique règne autour
de ces heureux époux. Lycomèdfe , roi de Scyros,
dêfefpéré de voir Alcefte au pouvoir de fon rival ,
feint de leur donner une fête ; i l attire Alcefte fur
fon vaiffeau , & l ’enlève aux yeux d’Admète &
d’Alcide. L e trouble & la douleur prennent la p lace
de la joie. Alcide s’embarque avec Admète, pour
aller délivrer Alcefte & punir fon raviffeur. L y c o -
mède , affiégé dans Scyros , réfifte & refufe c'e
rendre fa captive : l ’effroi règne durant i ’affaut.
Alcide enfin brife les portes , la v ille eft prife 5
Alcefte eft délivrée , ' & la joie reparoît avec
e lle . Mais à l ’inftant la - douleur lui fuccède :
on ramène Admète mortellement bleffé 5 i l eft
expirant dans les bras d’Alcefte. Alors A p o llon
defcend des cieux } i l annonce que , fi
quelqu’un veut fe dévouer à la mort pour lui-3
T 1 1 1 2.