
auffi vive & auffi décidée. ( M o y e n s s û r s , & c ,
page 44 , éd it. 1757 .). « Une. phrafe latine
» d’un auteur ancien eft un petit monument d’an-
» tiquicé 3 fi vous décompofez ce petit monument
» pour le faire entendre , au lieu de le conftruire ,
» vous le détruifez : ainfi , ce que nous appelons
*> c o n f tn ic îio n , eft réellement une d eftru c ïion »■ .
Comment faut-il donc s’y prendre pour introduire
les jeunes gens à l ’ étude du latin ou du
grec ? V o ic i la méthode de M. Pluche & de
JVÏ. Chompré. ( V oy e z Méch. p a g e 154 & /hiv.
1. « C ’eft imiter la conduite de la nature, de
» commencer le travail des écoles par lire en fran-
» ç o is , ou par raporter nettement en langue vul-
î> gaire ce qui fera le fujet de la traduction qu’on
» va faire d’un auteur ancien. I l faut que les com-
■ s> mençants fâchent de quoi i l s’agit , avant qu’on
» leur faffe entendre le moindre mot grec ou latin.
» C e début les charme. A quoi bon leur dire des
» mots qui ne font pour eux que du bruit ? C ’eft ici le
» premier degré. . .
z . » L e fécond exercice eft de lire & de rendre
» fidèlement en notre langue le latin dont on a
» annoncé le contenu ; en un m ot, de traduire.
3. » L é troifième eft de relire de fiiite tout le
» latin traduit, en donnant à chaque mot le ton &
» l ’inflexion de la voix qu’on y donneroit danslacon-
» verfarion.
» Ces trois premières démarche» font l ’affaire
» du maître ; celles qui fuivenc font l ’affaire des
» commençants ». Difpenfons-nous. donc de les ex-
pofer ici ; quand les maîtres'lauront bien remplir
leurs fon dions, alors leur zèle , leurs lumières ,
& leur adreffe les mettront affez - en état de Conduire
leurs difciples dans les leurs. Mais effayons
l ’application de ces trois premières règles fur ce
difcours adreffé à Sp. Carvilius par fa mère. ( Cic.
de O rat. II. 6 1 Qu in prodis , mi S p u r i, ut
quotiefcumque gradum fa d e s , toties tibi tuarum
virtutum veniat in menfem ?
1. Spurius Carvilius étoit devenu boiteux d ’une
blenure qu’i l avoir reçue en combattant pour la
république, & i l avoir honte de fe montrer publiquement
en cet état. S i mère lui dit : Que ne
vous 'montrez-vous , mon f i s > afin que chaque
p a s que vous fe r e z Vous fa / fe fouvenir de votre
valeur ? .
J’ai donc imité la conduite de la nature : j’ai
rapoïté en français le difcours qui va être le fujet
de la tradudion, avec ce qui y avoit don' é lieu.
I l s’agit mainte natet du fécond exercice , qui con-
fifte , dit-on , à lire & à rendre fidèlement en
françois lé latin dont j’ai annoncé le contenu ; en
un mot , de traduire. C e mot traduire, imprimé
en italique , me fait foupçonner quelque myftère 3
& j’avc-iie que je n’avois jamais bien compris la ;
penfée de M. Plu ch e , avant que j’euffe vu la pratique
de M. Chompré dans 1 avertiffement de fon
introduction : mais avec ce fecours, je crois que m’y
voici.
z. Qu'm pourquoi ne p a s , prodis tu parois ,
mi mon, Spuri Spurius , ut q u e , quotiejeumque
combien de fo is , gradum un p a s , fa c iè s tu feras
toties autant de fois , tibi à t o i , tuarum tiennes ,
| virtutum des vertus, veniat v ienne, m d an s, mentem
l ’efprit.
L e troifième exercice eft de relire de fuite tout
le latin traduit , en d o n n an t à chaque mot le ton
& 1 inflexion de la voix qu’on y donneroit dans-
la converfation. On feroic tenté de croire que c’eft
eftedivement le latin même qu’i l faut relire de
fuite, & que ce ton fi recommandé eft pour mettre
les jeunes gens fur la voie du tour propre à notre
langue. Mais M. Chompré me tire encore d’embarras
, en me difant : « Faites-lui redire les mots
» f r a n ç o is fur chaque mot latin , fans nommer
» ceux-ci ». Reprenons donc la fuite de notre opération.
Pourquoi ne p a s tu parois , mon Spurius >
que combien de f o i s un p a s tu fe ra s y autant de
f o i s à toi tiennes des vertus vienne dans Vefprit T
Peut-on entendre quelque chofe de plus extraordinaire
que ce prétendu françois ? I l n’y a ni fuite
raifonnée, ni ufage connu , ni fens décidé. Mais
i l ne faut pas m’en effrayer 3 c ’eft M. Chompré
qui m’en ail lire [Avertiffement de V introduction ) ;
« V o u s v e r re z , d i t - i l , à l ’air riant des enfants
» qu’ils ne font pas dupes de ces mots ainfi placés
» à côté les uns des a u t r e s fé lo n ceux du. latin 3:
» ils Tentent bien que ce n’eft pas ainfi que notre
» langue s’arrange. Un de la troupe dira avec un
»-peu d’aide : Pourquoi ne puroîs-tu p a s , mon
» Spurius .-.. . . » Pardon, j’ai voulu fur votre
. paroie fuivre votre méthode : mais me voici arrête ,.
parce que je n’ai pas pris le même exemple que
vous. Permettez que je vous parle en homme, &
que je quitté le rôle que j’avois pris pour un inf-
tant dans votre petite troupe. Vous voulez que
je confçrve ic i le littéral de la' première traduction
, & que je le difpofe feulement félon l ’ordre
analytique 5 o u , fi vous i ’aimez mieux , que je
le rapproche de l ’arrangement de notre langue ?
A la bonne heure , je peux le faire 3 mais votre
jeune élève ne le fera jamais qu’ avec beaucoup-
d ’aide. K quoi voulez-vous qu’i l raporte ce que ?
où voulez-vous qu’ i l s’avife de placer des vertus
tiennes 3 Tout cela ne tient à rien , & doit tenir
à quelque chofe. Je n’y Vois qu’un remède, que
je puife dans votre livre même 3 c’eft de fupplèer
les ellipfes d è s ,la première traduction littérale.
Mais i l en réfulte un autre inconvénient : .avant t u ,
vous fuppléerèz in hune finem ( à cette fin ) j
après tuarum virtutum , vous introduirez le nom
memoria ( le fouvenir ) 3 que faites-vous en cela ?
RefpeCtez - vous allez le petit monument ancien
que vous avez entre les mains ? ne le.détruifez-vous
p a s , en le fürehargeant de pièces qu’on y avoit
jugées fuperflues ? Vous rompez un afforiiment de
fc-ns très-agréables 3 vous aftoibliffez l ’énergie de
l ’expreffion 3 vous faites perdre à cette .plirafe toute
fa faveur j vous l ’anéantilfez. Par là votre rpéthode
me paroît auffi repréhenfible que celle que
vous blâmez. Vous n’irez pas pour cela défendre
d’y fupplèer'les ellipfes 3 vous convenez qu’i l faut
de néceffité y recourir continuellement dans la langue
la tin e, & vous avez raifon : mais trouvez bon
que j’ en dilcute avec.vous la caufe. ' . '
L ’énonciation claire de la penfée eft le principal
-objet de la Parole -, & le féul que puiffe envifager
la Grammaire. Dans aucune langue , on ne parvient
à ce but que par la peinture fidèle de la
fucceffion analytique des idées partielles, que Io n
difringue dans la penfée par l ’abftraCtion : cette
peinture eft la .tâche commune de toutes les. langues
j elles ne différent entre elles que par le choix
des couleurs & par l ’entente. A in fi, l ’étude d une
lano-ue fe réduit à deux points, qui font , pour ne |
pas0quitter le langage figuré , la connoiflance des
couleurs qu’e lle em p lo ie , & la maniéré dont elle
le s diftribue : en termes propres, ce font le V o cabulaire
& la Syntaxe. I l ne s’agit point ici de
ce qui concerne le Vocabulaire, c’ eft une affaire
d’exercice & de mémoire rimais la Syntaxe merite
une attention particulière de la part de quiconque
veut avancer dans cette étude , ou y diriger les
commençants. I l faut obferver tout ce qui appartient
à l ’ordre analytique , dont la connoiflance
feule peut rendre la langue intelligible : ic i la
marche en eft fuivie régulièrement 3 là la phrafe s’en
écarte, mais les' mots y prennent des terminaifons ,
qui font comme l ’étiquette de la place qui leur
convient dans la fucceffion naturelle : tantôt la
phrafe eft pleine , i l n’y a' aucune idée partielle
qui n’y foie montrée explicitement 3 tantôt elle eft
e llip tiq u e , tous les mots qu’e lle exige n’y font pa s,
mais iis font défignés par quelques autres circonstances
qu’i l faut reconnoître.
Si la phrafe qu’i l faut traduire a toute la plénitude
exigible & q u e lle foit difpofée félon l ’ordre
é e la fucceffion analytique des idées , i l ne tient
plus qu’au Vocabulaire qu’elle ne foit entendue 3
e lle a le plus grand degré poffible de facilité :
e lle en a moins, . fi e lle eft elliptique , quoique
conftruite félon l ’ordre naturelj & c’eft la même
chofe , s’i l y a Inverfion à l ’ordre natu re l, quoiqu’elle
ait toute l ’intégrité analytique : la difficulté
eft apparemment bien plus grande, s’i l y a tout à
la fois ellipfe & Inverfion. O r c’ eft un principe
inconteftable vde la Didactique , qu’ i l faut mettre
dans la méthode d’enfeigner le plus de facilité
qu’ i l eft poffible. C ’eft donc., contredire ce principe
, que de faire traduire aux jeunes gens le latin
te l qu’i l eft forti des mains des auteurs , qui écri-
voient pour des hommes à qui cette langue étoit
naturelle 3 c’eft le contredire, que de n’en pas préparer
la traduCtion par tout ce qui peut y rendre
bien fenfible la fucceffion analytique. I ta & vos per
linguam nifi manifeflum fermonem dedèritis, quo-
inodo fe ie tur id quod dicitur ? eritis enim in aéra
loquentes. ( I. Corinth. x jv . 9 ) . M. Chompré
convient qü’i l faut en établir l ’intégrité, en fuppléant
les ellipfes 3 pourquoi ne faudrait - i l pas
de même en fixer l ’ordre , par ce qu’on appelle
communément la conftruction ? Perfonne n oie rait
dire que ce ne fut un moyen de p lu s , très-propre
pour faciliter l ’intelligence du texte : & l ’on e f t
réduit à prétexter que c’eft détruire l ’harmonie de
la phrafe latine 5 « que c’ eft empêcher l ’ore ille d’en
» fentir le caraCtère, dépouiller la belle latinité
» de fes vraies parures , la réduire à la pauvreté des
» langues modernes, & accoutumer l ’efprit à fe
» familiarifer avec la. rufticité». [Méch. des lang
u es , pa g e n 8 ) .
Eh ! que m’importe que l ’on détruife un affor-
timent de fons qui n’a ni ne peut avoir pour moi
rien d’harmonieux, puifque je ne connois plus les
principes de la vraie prononciation du latin ? Quand
je les connoitrois , ces principes, que m’importerait
qu’on laifsât fubfîfter l ’harmonie, fi elle m’empé*
choit d’entendre le fens de la phrafe ? Vous êtes
chargé de m’enfeigner la langue latine , & vous
venez arrêter la rapidité des progrès que je pourvois
y faire , par la manie que vous avez d’en
conferver le nombre •& l ’harmonie. LaifTez ce foin
à mon maître de Rhétorique 3 c’eft fon vrai lot :
le vôtre eft de me mettre dans fon plus grand jour
la penfée qui eft l ’objet de la phrafe latin e , 8c
d’écarter tout ce qui peut en empêcher ou en
retarder l ’intelligence. D épou ille z - vous de vos
préjugés contre la marche des langues modernes ,
& adouciffez les qualifications odieufes dont vous
fiétiiffez leurs procédés : i l n’y a point de rufticité
dans des procédés diâés par la nature, -& fuivis
d’une façon ou d’une autre dans toutes les langues j
& i l eft injufte de les regarder comme pauvres ,
quand elles fe prêtent à l ’expreffion de toutes le s
penfées poftibles 3 la pauvreté confifte dans la feule
privation du nécefTaire, & quelque fois e lle naît
de la furabondance du fuperflu. Prenez garde que
ce ne foit le cas de votre méthode , ou. le trop
de vues que vous embraffez pourrait bien nuire
à ce lle que vous devez vous propofer uniquement.
Servius, Donat , Prifcien, Ifidorë de Séville ,
comioiffoient auffi bien & mieux que vous les effets-
& le prix de cette harmonie dont vous m’embar-
raffez , puifque le latin étoit leur langue naturelle.
Vous avez vu cependant qu’ils n’y avoient
aucun égard , dès que ïInve rfion leur fembloic
jeter de l ’obfcurité fur la penfée : Ordo eft , di-
foient-ils^ & ils arrangeoient alors les mots félon
l ’ordre de la conftm&ion analytique , fans fe douter
que jamais ou s’avisât de foupçonner de la rufticité
dans un moyen fi raifonnable.
MM. Pluche & Chompré me répondront qtr’ils
ne prétendent poiut que l ’on renonce à l ’étude des
principes grammaticaux fondés fur l ’analyfe de la
penfée. L e fixième exercice confifte , félon M. Pluche
( Méchanique , p a g . 155. •), à rappeler fid è lement
a u x définitions , a u x in fle x io n s , &
a u x p etites règles élémentaires , les parties qui