
q u i ls aprenoient au leéteur , dans une heure emplo
y é e comme i l fa u t , ce qui leur avoit peut-être
coûté dix ans de foin & de travail. T e ls font les
L iv r e s qu’Horàce regarde comme dignes d’ être ar-
rofés d’huile de cèdre , lin en d a cgdro , c’eft à dire,
dignes d’être confervés pour l ’inftruétion de la Pof-
terité. Les chofes ont bien changé de face : des
gens qui n’ont rien à dire, ou qu’à répéter des
chofes inutiles ou déjà dites mille fo is , pour com-
pofer un L iv r e , ont recours à divers artifices ou
Jlratagêmes : on commence par jeter fur le papier
un deilin mal digéré, auquel on fait revenir tout
ge qu’on fait, & qu’on fait mal ; traits vieux ou nouveaux
, communs ou extraordinaires , bons ou mauvais
, intéreflants ou froids & indifférents , fans ordre
& fans ch o ix , n’ayant d’autre attention , comme'
le rhéteur Albutius , que de dire tout ce que l ’on
peut fur un fu je t, & non ce que l ’on doit. Cura-
b a n t, dit Bartholin , eum A lb u t io rhecore, de omni
ça u fc j f c r ib e r e , n on q iiæ d ebebant-, f e d q uæ p o -
te ra h t, ( V o y è% Salmuth. a d P a n ç ir o l . p a n . i ,
t ic . X L I I , p a g . 144. G uilan d, D e p a p y r . memb.
24. Reimm. Id e a fy f iem a n t . lit t e r . p a g . 19 $ .
B a r th o li, D e Vuom o d i l i t t . p . 11 p . 318. )
U n auteur moderne a penfé, qu’en traitant un
fujet, i l étoit quelquefois permis de faifir le s o c -
cafîons de détailler toutes les autres connojffances
u’on peut a v o ir , & les ramener à fon deffein,
ar exemple, un auteur qui écrit fur la goutte ,
pomme a fait M. A ig n a n , peut inférer dans fon
ouvrage la nature des autres maladies , & leurs remèdes
; y entremêler un fyftême de Médecine, des
maximes de Th éo lo g ie , & des règles de Morale.
C e lu i qui écrit fur l ’art de bâtir, imitera Cara-
m u e l , qui ne s’eft pas renfermé dans ce qui concerne
uniquement l ’Architeélure , mais-qui a traité
en même temps de plufieurs matières de T h éolog
ie , de Mathématiques , de Géographie, d’H if-
toire , de Grammaire, &ç. En forte que , fi nous
ajoutons foi à l ’auteur d’une pièce inféree dans
Jes oeuvres de Caramuel, fi Dieu permettoit que
toutes les foienees du monde vinffent à être perdues
, on pourroit les retrouver dans ce feul L iv r e .
M a is , en bonne f o i , eft-ce là faire ce qu'on app
e lle des L iv r e s ? ( V oye\ Aignan , T r a i t é d e l a
g o u t t e , P a r i s 1707. J o u r n a l d e s S a v a n t s ,
tom . X X X IX .. p a g . 41 1 & f u i v . A r c h i t , c iv i l,
r e c ta y o b liq u a . C o n jid . n e l temp. de J e ru f. 3 v o l.
i n - f o l . V e g e v . 1678. J o u rn a l d e s S a v a n t s ,
fom . x , p a g . 348. N o u v . répu bl, d e s L e t t r e s ,
tom. 1 , p a g : 103. )
Quelquefois les auteurs débutent par un préambule
ennuyeux , & abfolument étranger au fu je t ,
ou communément par une digreflion qui donne lieu
à une féconde ; 8ç toutes deux écartent tellement
l ’efprit du fuje t, qu'on le perd de vue : enfuite
on nous accable de preuves pour une chofe qui
0 en a pas befoin ; on forme des objections auxquelles
perfonne n’eut pu penfer; & pour y répondre
, on eft fouyent |brçé cje faite uqe cftffertation
en forme, à laquelle on donne un titre par-*
ticulier ; & pour alonger davantage, on y joint le
plan d’un ouvrage qu’on doit faire , & dans lequel
on promet de traiter plus amplement le fujet dont
i l s’a g i t , & qu’on n’a pas même effleuré. Q u elquefois
cependant on difpute en forme ; on entafïe
raifonnements fur raifonnements, conféquences fur
confequences ; & l ’on a foin d’annoncer que ce font
des démonftrations géométriques , mais quelquefois
l ’auteur le penfe & le dit tout feul ; enfuite on
arrive a une chaîne de conféquences auxquelles on
ne s’attendoit pa s; & après dix ou douze corollaires
, dans lefquels les contradictions ne font
point épargnées , on eft fort étonné de trouver,
pour conclufion, une propofition ou entièrement
inconnue, ou fi éloignée qu’on l'a voit entièrement
perdue de vue , ou enfin qui n’a nul raport
au fujet. L a matière d’un pareil L iv r e eft vraifem-
blablement une bagatelle ; par exemple , l ’ufage de
la particule E t , ou la prononciation de Y ê ta g r e c ,
ou la louange de l ’âne , du p o rc , de l ’ombre , de
la folie , ou de la p arefle, ou l ’art |de boire , d’aimer
, de s’habiller , ou l ’ufage des éperons, des
fouliers , des gants , & c .
Suppofons , par exemple , un L iv r e fur les g a n t s ,
Sç voyons comment un pareil auteur difpofe fon
ouvrage. Si nous confidérons fa méthode, nous
verrons qu’i l commence â la manière des lulliftes ,
& qu’i l débute par le nom & l ’étymologie du
mot g a n t , qu’i l donne non feulement dans la langue
où i l é c r it , mais encore dans toutes celles
qu’i l fait ou même qu’ i l ignore , foit orientales ,
foit occidentales, mortes ou vivantes , dont i l a des
Dictionnaires ; i l accompagne chacun de- ces mots
de leur étymologie refpeétive , & quelquefois de
leurs compofés & de leurs dérivés , citant pour
preuve d’une érudition plus profonde les Dictionnaires
dont i l s’eft aidé j fans oublier le chapitre
ou fe m o t , & la page. Du nom i l pafTe à la chofo
avec un travail & une exactitude confidérables,
n'oubliant aucun des lieux communs, comme la
matière , la forme , l ’ufage , l ’abus , les acceffoires,
les conjonétifs , les disjonCtifs , & c , des gants. Sur
chacun de ces points i l ne fe contentera pas du
nouveau, du finguljer, de l ’extraordinaire ; i l épui-
fera fon fujet , & dira tout ce qu’ i l eft poflible
d en dire. I l nous aprendra, par exemple , q ue le s
g a n t s pré fe rv en t le s m a in s d u f r o i d , & prononcera
que , f i Von eccpofe J e s m a in s a u f o l e i l f a n s
g a n t s , on s* e x p o f e à l e s a v o ir p e rd u e s de ta ch e s
d e rou jfeu r ; que f a n s g a n t s on g a g n e d e s eng
e lu r e s en h iv e r ; que d e s m a in s crevaffées p a r
d e s en g e lu r e s f o n t d é fa g r éa b le s à la v û e , ou
(\\ie.ces c r eva fie s c a u fen t de l a d ou leu r . ( V oy e-[
Ni.colaï , D i f q . de cty ro te cam m u fu & a b u fu .
G ie f s . 1702. N o u v . républ. d e s L e t t r e s , A o û t
1702 , p a g . 158 & f u i v ; ) Cependant cet ouvrage
part d'un auteur de mérité, & qui n’eft point fin-
gulier dans fa manière d’écrire : né peut-on pas
dire que tous les auteurs fombeqt daus çe défaut
liaffi bien que M. N i.co laï, les uns p lu s , les autres
1 L a . forme ; ou la méthode d’un Livre dépend de
l ’efprit & ,du deffein.de l ’auteur, qui lui applique
quelquefois des comparaifons fingulières. L ’un fup-
pofe que. fon Livre eft un chandelier à plufieurs
branches., dont chaque chapitré eft une bobèche.
LVoye-ç W olf. B ib l. hebr. tojn. l l l , p ag. <>87. )
L ’autre, le compare à . une porte brifée qui s’ouvre
à deux battants pour introduire, le leéteur dans une
dichotomie. (R. Schabfaï, Labra dormientium apud
W o lf . tib. cii. in p rtxf. p a g . ,12. )
- Waltherus re-garde .fon Livre , Officina publient
comme une boutique ; en confequence , i l divife
.& arrange fes matériaux fur plufieurs tablettes , &
confidère le leCteur. comme un chaland. Un autre
compare le fien à un arbre qui a un tronc;, des
branches , des fleurs, & des fruits. Les vingt quatre
lettres de l’alphabet formant les branches, les différents
mots tenant lieu de fleurs, & cent vingt discours
qui font inférés dans ce Livre en étant comme
l e fruit. Caflïau. à S . E liâ : Arbor opinionum omnium
moralium qiyz e x trunco p u llu la n t , tô t
ramis quot fu n t litter ce alphabed s, cu jü s flores
f u n t verba, fru c tu s fu n t 120 concidnes, Ôte. P'enet.
1,688 i f o L (V o y e z G io n u di P arm a, ann. 1688
p a g . 60. )
Nous n’avons rien d’affuré fur la première origine
dés L ivres. D e tous ceux qui exiftent, les
Livres de Moïféi font inconteffablement les plus
anciens ; mais Scipion , Sgambati, & plufieurs autres
foupçonnent que ces mêmes Livres ne font
pas les plus anciens* de tous ceux qui ont exifté ,
& qu’avant le déluge i l y en a eu plufieurs d’écrits
par Adam , Seth , Enos , Caïnan, Enoch , Mathufa-
lém , Lam e ch jN o é & fa femme,C am, Japhet &
fo femme, outre d’autres qu’on -croit'avoir été écrits
par les démons ou par les anges. Orna même des
ouvrages probablement foppofés fous tous ces no-ms^
dént quelques modernes-ont rempli les bibliothèques
, & qui paffent pour des rêveries d’auteurs
ignorants , ou impofteürs , ou mal intentionnés.
( V o y è \ les Mém. de V A ca d . des B e l l . Lettr.
tome v i , page 32 ; tome• V l l \ l , page 18.
Sgambat', A r ch ivlv e t. te f i t F abriciüs Cod. p feude-
p îg . vet. tefi. paffim. Heuman , V ia ad hijl. litt.
c'i iij , pariig. l ï l , p ag. 19 ). 1 '
'L e 'L iv r e d’Énoch eft même cité dansl’ epitre de _
Si Jude, ver f 14 & 15 , fur quoi quelques-uns fe
fondent .pour prouver la réalité, des Livres avant
l e déluge. Mais le Livre que cite cet apôtre eft
regardé'par les auteurs anciens & modernes, comme
un Livre imaginaire ou du moins apocryphe.
/ V oy e z Saalbach, fehed . d èL ib .y e t .p a r a g . 42.
Reimm. Idea f y f l . ant. litt. p a g ;. 233.)
L e s poèmes d’Homère fo n t , de .tous les Livres
profanes, les plus anciens qui foient paffés jijfqu’à
npus. Et on les regardoit/ comme tels dès le temps 4ê Sextüs-Empiricus '.( V oy e$ Fabric. B ib l. g rate.
E T L i t T EU A T . Tome I L
L ïb . I ,- e . j , p a r t . I , tom. 1 , p a g . 1 ) ; quoique
les. auteurs grecs faffent mention d’environ foixante
dix L iv r e s antérieurs à ceux d’Homère , comme
les L iv r e s d’Hermès , d’Orphée -, de Daph né, ’
d’Horus , de Linus , de Mutée , de Paiamède,
de Zoroaftre, & c : mais i l ne nous refte pas le
moindre fragment de la plupart de ces L iv r e s ,
ou ce qu’on nous donne pour tel eft généralement
regardé comme fuppofé. L e P . Hardouin a porté *
fes prétentions plus loin , en avançant que tous les *
anciens- Livres , tant grecs que latins , excepté
pourtant'Cicéron , P lin e ; lés Géôrgiques de V irg
ile , les Satires & les Épi très d’Horace, Hé ro- .
dote & Homère , avoient été fuppofés dans le trei- •
zièrne fiècle par une fociéfé de Savants , fous la
direction d’un certain Séverus-Archontius. (Harduini,
D e n umm . h erod iad. m p r o l. A c l .e r u d . L i p f a n n .
17 10 , p a g . 170.) .•
On remarque que les plus anciens L iv r e s des
grecs font en vers ; Hérodote eft le plus ancien
de. leurs auteurs qui ait écrit en profe, & i l étoit
de quatre-cents ans poftérieur à Homère. L e même
ufage. fe remarque prefque chez toutes les autres
nations, & donne, pour ainfi p a rle r , le
droit d’aineffe à la Poéfîe fur la Profe , au moins
dans les.monuments publics* ( V o y e \ Struv . G eog r .
lib. I. Heuman , L ib . cit. parag. 20 , p . 5 0 ;
p a r a g . 21 , p a g . 52. V o y e z auffi l ’a r t . P o é s ie . )
. On s’eft beaucoup plaint de la multitude pro-
digieufe des L iv r e s , qui eft parvénue à un tel
degré , que non feulement i l eft impoflible de.les
lire-tou s , mais même d’en favoir le nombre 8c
d’en connoître les titres. Salomon fe p la ig n o it , i l
y a trois-mille ans , de ce qu’on compofoit fans
fin des L iv r e s ; les Savants modernes ne font ni
plus retenus ni moins féconds que ceux de fon
temps. I l eft plus facile , dit un des premiers ,
d’épuifer l ’Océan que le nombre prodigieux de
L iv r e s , , & de compter les grains de fable que
les volumes qui exifteçt. On ne pourroit pas lir'e
tous les L iv r e s , dit un autre , quand même on
auroit la; 'conformation que Mahomet donne aux
habitants de fon paradis , où. chaque homme aura
foixante-dix-mille têtes.* chaque tête foixante-dix-
mille bouches, dans chaque bouche foixante-dix-mille
langues, qui parleront toutes foixante-dix-mille langages
différents. Mais comment ce nombre s’augmente
t-il ? Quand nous confidérons la multitude de
mains qui font employées à écrire , la quantité de
copiftes .répandus dans l ’Orient, Occupés à tranferire le
nombre prefque infini de preffes qui roulent dans l ’Occident;
i l femble étonnant que le monde puiffe fuf-
fire à contenir. ce que produifent tant de caufes.
L ’Angleterre eft encore plus remplie de L iv r e s
qu’aucun autre pays , puifqu’outre fes propres pro-
: du étions, e lle s’eft enrichie , depuis quelques années
, de celles « des pays voifins. Le s italiens &
les françois fe plaignent que leurs meilleurs L iv r e s
font enlevés par les étrangers.. I l femble , difent-
i l s , que c ’e f t le deftin des provinces qui compo-
Q î î