Mémoires de M. Falconet fur les Étymologies
de la langue françoife ( Mémoires de l Académie
des belles Lettres , tome XX ) , & furtout l'ouvrage
curieux & inftruérif du préfident de Brofles,
intitulé : Traité de la formation méchanique des
langues & des principes phyjiques de l'Étymologie.
Nous conclurons donc cet article, en difant avec
Quintilien : N e q uis igitur tam parva fa ft id ia t
elementa, . . . quia interiora velut fa c r i hujus
adeuntibus apparebit multa rerum fu b t i l ita s ,
quoe, non modo acuere ingénia ■> fe d exercere a ld f-
fimam quoque eruditionempojjït. ( M . T u r g o t .)
É T Y M O L O G IQ U E . ( A r t )*L ittérature. C ’eft
l'art de remonter à la fource des mots, de débrouiller
la dérivaifon , l ’altération, & le dégui-
fement de ces mêmes mots, de les dépouiller de
ce q u i , pour ainfi dire , leur eft étranger , de
découvrir les changements qui leur font arrivés, &
par ce moyen de les' ramener à la fimplicité de leur
origine.
I l eft vrai que les changements & les altérations
. que les mots ont foufferts font fi fouvent
arrivés par caprice ou par hafard, qu’i l eft aifé
de prendre une conjecture bizarre pour une analo
g ie régulière. D ’ailleurs , i l • eft difficile de retourner
dans les fiècles paffés , pour fuivre
tou te s 'le s variations & les viciffitudes des langues.
Avouons encore que- la plupart des lavants
qui s*attachent à l ’ étude étymologique, ont le
malheur de fe former des fyftêmes, fùivant lefquels
ils interprètent, d’après leur deflein particulier, les
mêmes mots, conformément au fens qui eft le plus
favorable à leurs hypothèfes.
Cependant , malgré ces inconvénients, l 'A r t
étymologique ne doit point paner pour un objet
frivole , ni pour une entreprife toujours vaine &
infruétueufe. Quelque incertain qu’on fuppofe cet
A r t , i l a , comme les autres, fes principes & fès
règles. I l fait une partie de la Littérature , dont
l ’ étude peut être quelquefois un fecours ' pour
éclaircir l ’origine des, nations, leurs migrations ,
leur commerce, & d’autres points également obf-
curs par leur antiquité. D e p lu s , on ne fauroit
débrouiller la formation des mots, qui fait le
fondement de V A r t , fi l’on n’en examine les relations
avec l e caraélère d e l’efprit des peuples & la difpofi-
tion de leurs organes \ objet fans doute digne de
l ’efprit philofophique.
Concluons que V A rt étymologique ne peut être
roéprifé, ni par rapport à fon objet qui fe trouve
lié avec la connoiffance de l ’homme , ni par rapport
aux conjeClures qu’i l partage avec tant-d’autres arts
néceffaires d la vie.
Enfin, il- n’eft pas impoffible, au milieu de
l ’incertitude & de la sèchereffe de l ’ étude étymologique
, d’y porter cet efprit philofophique qui
doit dominer partout, & qui eft le fil de tous
les labyrinthes. V oy e \ l'ar ticle Étymologie.
( L e çhçvalier d e J a U COURT,)
E U . Grammaire. I l y a quelques obfervationS
a faire fur ces deux lettres , qui le trouvent l ’une
auprès de l ’autre dans l ’écriture.
i° . E u j quoique écrit par deux caractères ,
n’indiquent quun Ion fimpie dans les deux fyllabes
du mot heureux y dit M. l ’abbé de Dangeau , Opufc;
p a g . io ; & de même dans f e u y peu , & c . , & en
grec a tlytm , fe r tile -.
Non me carminibus vincet, nec thracius Orphcus».
Virg, ecl. iv.' j j . ,
où la mefure du vers fait voir qu’ Orpheus n’eft que
de deux fyllabes.
L a Grammaire^ générale de Port-royal a remarqué
i l y a lon g temps, que E U e fl un fo n
fimpie y quoique nous Vécrivions avec deux
voyelles y chap. r. Car qui fait la v o y elle ? c’eft
la fimplicité du fo n , & non la maniéré de défigner
le fon par une ou par plufieurs lettres. Les italiens
défignent le fon ou par le fimpie caraCtère u ; ce
qui n’empêche pas que ou ne foit également un fon
fimpie , foit en italien foit en francois..
Dans la diphthongue au contraire on entend le
fon particulier de chaque vo y e lle , quoique ces
deux fons foient énoncés par une feule emiffion
de voix -, i - é , p i t ié ; u - i , nuit , bruit ,
f r u it : au lieu que dans f e u , vous n’entendez ni
T e ni Vu; vous entendez un fon particulier, tout
à fait différent de- l ’un & de l ’autre & ce qui
• a fait écrire ce fon par des caractères, c’ eft q u i l
eft formé par une difpofition d’organes à peu près
femblable à ce lle qui forme Ve & à ce lle qui
forme Vu.
z°. E u y participe paffif du verbe avoir. O n à
écrit heu d’ habitus ; on a aulli écrit fimplement u ,
comme on écrit a , i l a ; enfin on écrit communément
eu , ce qui a donné lieu de prononcer e-u;
mais cette manière de prononcer n’a jamais été
générale. M. de C a lliè rë s , de l ’Académie françoife
, fecrétaire du cabinet du feu roi Louis X IV ,
dans fon Traité du bon' & du mauvais ufage des
manières de parler y dit qu’ i l y à bien des cour-
tifans & quantité de dames qui difent j 'a i eU\
qui e f t , d i t - il, un mot d’une feule fyllabe , qui
doit fe prononcer comme s’ i l n’y avoit qu’un u.
Pour m o i , je crois q u e , puifqué Ve dans eu ne
fert qu’a groffir le mot dans l ’écriture , on feroit
fort bien de le fupprimer, & d’écrire u , comme
on écrit i l y a y à y 6 ; & comme nos pères écri-
voient fimplement i , & non y , ibi. Villehardouin,
pag. 4 , maint confeil i ot , c’eft à dire , y eut ; &
pag. 63 , mult i ot.
30. E u s’ écrit par o cu , dans oeuvre y foeitfr,
boe u f y oeuf. O n écrit communément oe il y & l ’on
prononce e u il; & c’eft ainfi que M. l ’abbé Girard
l ’écrit.
4°. Dans nos provinces méridionales , communément
les perfonnes qui, au lieu de leur idiome ,
parlent françois , difent j 'a i veu , j 'a i creu,
p ourveu , f e u r , & c , au lieu' de dire vu , cru ,
pourvu y f u r , &c ; ce qui me fait croire qu’on
a prononcé autrefois j 'a i veu ; & c’eft ainfi qu’on
le trouve écrit dans Villehardouin, & dans V i-
genère. Mais aujourdhui qu’on prononce v u , cru _,
& c ; le prote de Poitiers m êm e, & M. Reftaut
ont abandonné la Grammaire de M. l ’abbé Regnier,
& écrivent fimplement échu, mu , f u , vu , v o u lu ,
bu y pourvu y &c. Grammaire de M. Reftaut,
fixième édit. page 138 & 139. [M . E u M ars A ïs. )
EU PH ÉM IE ,^f. f. B e lle s Lettres.
mot compofé de lv-, bien y & <pn/*< , j e d is ; nom
des prières que les lacédémoniens adrefïoient aux
dieux : elles étoient courtes & dignes du nom
q u e lle s portoient, car ils leur demandoient feulement
ut pulchra bonis adderent : « qu’ils
pufient ajouter la gloire a la vertu ». Renfermer
en deux mots toute la Morale des philofophes grecs,
pour en faire l ’objet de fes voeux , cela ne pouvoit fe
trouver qu’ à Lacédémone (Le chev. DE J À U CO U R T .)
EU PH ÉM ISM E , f. m. £vtp«w/£r(u,o’f , de lu , bieny
heureufement, & de cp»A , j e dis. UEuphémifme
eft un t rop e, puifque les mots n’y fpnt pas pris
dans le fens propre ; c’eft une figure par laquelle
on déguifè à l ’imagination des idées qui 'font ou
peu honnêtes, ou delàgréables , ou t-riftes , ou
dures ; . & pour cela on ne fe fert point, des ex-
preflions propres qui exciteroient dire élément ces
idées. O n fubftitue d’autres termes qui réveillent
di-reélement des idées plus honnêtes ou moins dures:
on voile ainfi les premières à rimagination,, on
l ’en diftrait, on l ’enT écarte ; mais par les adjoints &
les circonftances,. l ’efprit entend bien ce qu’on a
defiein de lui faire entendre.
I l y a donc deux fortes d’idées qui donnent lieu
de recourir à l 'Euphémifme.
i ° . Le s idées déshonnêtes.
x egara ci es idees deshonnetes, on peut ot
fèrver que, quelque refpeétable que foit lanatur
^ | divin auteur , quelque utiles & quelqu
necenaires même que foient les penchants que 1
nature nous donne, nous avons à les 'régler \ l
i l y a bien des occafions où le fpeélacle direé
des objets & celui des aérions nous émeut, nous trou
ble, nous agite. Cette émotion , qui n’eft pasTeffe
libre de notre volonté , & qui s’élève fouvent ei
nous maigre nous-mêmes, fait que ,lorfquenous àvon
a parler de ces objets où de ces aérions , nou
avons recours à VEuphémifme ; par là nous ménageons
notre propre imagination & ce lle . di
ceux a qui nous parlons, & nous donnons un freii
aux émotions' intérieures. C’eft une pratique établii
dans toutes les narions policées , où l ’on connoît 1;
I decence & les égards.
| j k c° n<* » pour ce qui regarde les idée
• C f e y aéfagréables, ou triftes , il eft évident que
| orfqu elles, font, énoncées direétement par le:
fermes propres deftinés à les exprimer, elle:
caufent une impreffion défagréable qui eft bien
plus vive que fi l ’on avoit pris le détour de l ’Euphémifme.
I l ne fera pas inutile d’ajouter ici quelques
autres réflexions & quelques exemples , en faveur
des perfonnes qui n’ont pas le livre des trop es,
ou i l eft parle de VEuphémifme , article i< ,
p a g . 164.
} Les perfonnes peu inftruites croient que les latins
n’avoient pas la délicatefle dont nous parlons ; c’eft
une erreur.
I l eft vrai qu’aujourdhui nous avons quelquefois
recours^ au la t in , pour exprimer des idées dont
nous n ofons pas dire le nom propre en françois ;
mais c eft que , comme nous n’avons appris. les
mots latins que dans les liv re s , iis fe préfentent
a nous avec une idée acceftoire d’érudition & de
leéhire qui s’empare d’abord de l ’imagination ;
e lle la partage , elle l’envclope , e lle écarte l ’image
déshonnête & ne la fait voir que comme fous
un voile. C e font deux objets que l ’on préfente
alors a l ’imagination , dont le premier eft le mot
latin qui couvre l ’idée obfcène qui le fuit j au
lieu que , comme nous fommes accoutumés aux
mots de notre langue , l ’efprit n’eft pas partagé :
quand on fe fert des termes propres, i l s’occupe
directement des objets que ces termes fignifient.
11 en écoit de même à l ’égard-des grecs & des
romains 3 les honnêtes gens ménageoient les termes,
comme nous les ménageons en françois 3 & leur
fcrupule allpit même quelquefois h lo in , que
Cicéron nous apprend qu’ils évitoient la rencontre
des fyllabes qui , jointes enfemble , auroient pu
réveiller des idées déshonnêtes. Cum nobis non
d ic itu r , f e d nobifeum ; quia , f i ica diceretur >
obfceniàs concurrerent litteroe. (O r a to r , x lv . 154.)
Cependant je ne crois pas que l ’on ait poftpofe
l a ^prépofition dont parle Cicéron , par le motif
q u i l en donne3 fa propre imagination l ’a.féduit
en cette occafion. II y a en eft et bien d’autres
mots, tels que tenus , enim ,ve ro-, quoque , ve ,
que pour &*, ,& c , que l ’on place après les mots
devant lefquels ils devroient être énoncés félon
l ’analogie commune. C ’eft une pratique dont il
n’y a d’autre raifon que la coutume , du moins
feion la conftruérion u fu e lle , dabat liane licen-
tiam confuetudo. ( Cicér. orat. x lv j . 135. )
C a r , félon la conftruérion fignificative, tous ces
mots, doivent précéder ceux qu’ ils fuivent ; mais
jîour ne point contredire cette pratique , quand i l
s agit de faire la conftruérion fimpie, on change ver à
ta. f e d , & au lieu de enim , on dit nam , &c. î
Quintilien eft encore bien plus rigide fur les
mots obfcènes ; i l ne permet pas même VEuphémifme
y parce q u e , malgré le voile dont V E u phémifme
couvre l ’idée obfcène, i l n’ empêche pas
de l’ apercevoir. O r i l ne faut p a s, dit Quintilien-,
que, par quelque chemin que ce puifle être , l ’idée
obfcène. parvienne à l ’entendement.,. P our moi ,.
pourfuit-il, content de la pudeur romaine, je la.