
confifte dans une connoiffance raifonnée de te lle &
te lle matière : mais cette opinion , pour être affez
commune , n’ en eft pas moins fauffe. L a Philofo-
phie n’eft proprement que l ’habitude de réfléchir &
de raifonner, o u , fi Ton veut, la facilité d'approfondir
& de traiter les arts & les fciences..
Suivant cette idée fimple de la vraie Philofo-
p h ie , elle peut , elle doit même fe commencer
dès les premières leçons de Grammaire , & fe
continuer dans tout le refte des Études. Ainfi, le
devoir & l ’habileté du maître confiftent à cultiver
toujours plus l'intelligence que la mémoire ; à former
les difciples a cet efprit de difcuifion & d’examen
qui caraélérife l ’homme philofophe ; & à
leur donner, par la leéture des bons livres & par
les autres exercices , des notions exaéfes & fuffifantes
our entrer d’eux - mêmes enfuite dans la carrière
es fciences & des arts. I l faut en un mot fondre
de bonne heure , identifier, s’ i l eft pofïible, la Phi-
lofophie avec les Humanités.
Cependant, malgré cette habitude anticipée de
réflexion & de raifonnement , i l eft toujours cenfé
qu’ i l faut faire un cours de Philofophie ; mais
i l ferait a fonhaicer pour les écoliers & pour les
maîtres, que ce cours fut imprimé. L a diétée ,
autrefois néceffaire , eft devenue , depuis l ’impref-
ü o n , une opération ridicule. En e ffe t, i l feroit
beaucoup plus commode d’avoir une Philofophie
bien méditée & qu’on pût étudier à fon aife dans
un l iv r e , que de fe fatiguer à écrire de médiocres
cahiers toujours pleins de fautes & de lacunes.
Nous nous fervons avec fruit de la même Bib le ,
de la vulgate qui eft commune à tous les catholiques
; on pourrait avoir de même fur les fciences
des traités uniformes, compofés par des hommes
capables , & qui travailleroient de concert à noiis
donner un corps de doétrine auffi parfait qu’i l eft
pofïible : le tout avec l ’agrément & fous la direction
des fupérieurs. Pour lors , le temps qui fe
perd à diéfér s’emploierait utilement à expliquer
£c à interroger : & par ce moyen , une feule claffe
de deux heures & demie tous les jours , hors les
dimanches & fêtes , fuffiroit pour avancer raifonna-
blement ; ce qui donnerait aux maîtres &aux difciples
le temps de préparer leurs leçons & de varier leurs
Études.
I l y a plus à retrancher dans la L o g iq u e , qu’on
n’y fauroit ajouter ; i l me femble qu’on en peut
dire à peu près autant de la Métaphyfique. L a
Morale eft trop négligée ; on pourrait l ’ étendre &
l ’approfondir davantage. A l ’égard de la Phyfique,
i l en faudrait auffi beaucoup élaguer ; négliger ce
qui n’eft que de contention & de curiofité, pour fe
livrer aux recherches utiles & tendantes à 1 economie.
E lle devrait embraffer , je ne dirai pas l ’Arithmétique
& le s éléments de Géométrie, qui doivent
venir lo n g temps auparavant, mais l ’Anatomie , le
Calendrier , la Gnomoniquë , &c. le tout aceompagné
des figures convenables pour l ’intelligence des
matières.
On expoferoit les queftions clairement & comme
hiftoriquêment., donnant pour certain ce qui eft
conftamment reconnu pour tel par les meilleurs
philofophes ; le tout appuyé des preuves & des
réponfes aux difficultés. Tout ce qui n aurait pas
certain caractère d’évidence & de certitude, ferait
donné Amplement comme douteux ou comme probable.
A u refte, loin de faire fon capital de la
difpute & de perdre le temps à réfuter les divers
fentiments des philofophes, on ne difputeroit jamais
fur les vérités connues, parce que ces controverfes
font toujours déraifonnables & fouvent même
dangereufes. A quoi bon foutenir thèfe fur l ’exif-
tence de D ie u , lur fes attributs, fur la liberté de
l ’homme, la fpiritualité de l ’a-me , la réalité des
corps, &c ? N ’avons - nous pas fur tout cela des
points fixes auxquels on doit s’en tenir comme a
des vérités première^ ? Ces queftions devraient être
expofées nettement dans un cours de Philofophie ,
où l ’on raffembleroit tout c'e qui s’eft dit là-deffus
de plus folide , mais où elles feraient traitées d’une
manière pofitive, fans qu’i l y eut d’exercice réglé
pour les attaquer ni pour les défendre, comme i l
n’en eft point pour difputer fur les propofitions de
Géométrie.
I l eft encore bien des queftions futiles que l ’on
ne devrait^ pas même agiter. L e premier homme
a - t - i l eu la Philofophie infufe? L a Logiqu e eft-
elle un art ou une fcience ? Y a - 1 - i l des idées
fauffes ? A-t-on l ’idée de l ’impoffiblè ? Peut - i l y
avoir deux infinis de même efpèce ? Enfin l ’uni-
verfel à parte rei, “le futur contingent, le malum
quâ malum, la divifibilité' du continu, &c. font
des queftions également inutiles & qui ne méritent
guères l ’attention d’un bon efprit.
U n cours bien purgé de ces chimères fcholafti-
quë s, mais fourni de toutes les notions intéref-
fantes fur l ’Hiftoire naturelle, fur la Méchanique
& fur les arts utiles , fur les moeurs & fur les lo is ,
fe trouverait a la portée des moindres Étudiants .; &
pour lors , avec le feul fecours du livre & du pro-
reffeur, ils profiteraient de tout ce qu’i l y a de
bon dans la faine Philofophie : le tout fans fe
fatiguer dans la répétition machinale des arguments
, & fans faire la dépenfe ni l ’étalage des
thèfes , q u i , a le bien prendre , fervent moins à
découvrir la vérité qu’à fbmenteil’efprit de p a rti, de
contention, & de chicane.
Comme le but des fôutenants eft plus tôt de faire
parade de leur Étude & de leur fa c ilité , que de
chercher des lumières dans une difpute éclairée ,• ils
fe font un point d’honneur de ne jamais démordre
de leurs aliénions , & moins occupés des intérêts
de la vérité que du foin de repouffer leurs affail-
lan t s ,ils emploient tout l ’art de la fcholaftique &
toutes les reffources dé leur génie , pour eluder
les meilleures objections, & pour trouver des faux-
fuyants dont ils ne manquent guères au befoin; ce
qui entretient les efprits dans une difpofition vicieufe,
incompatible avec l ’amour du v r a i, &par conféquent
nuifibfe au progrès des fciences.
Je ne voudrais donc que peu ou point de thèfes :
j ’aimerais mieux des examens fréquents fur les divers
traités qu’on fait apprendre ; examens réitérés, par
e x emple, tous les trois mois , avec ^’attention de
répéter dans les 'derniers ce qu’on aurait vu
dans les précédents : ce ferait un moyen plus
efficace que les thèfes, pour tenir les écoliers en
ha le ine, & pour prévenir leur négligence. En effet,
les thèfes ne venant que de temps à autre, quelquefois
au bout de pluficu rsannées, i l n’eft pas
rare qu’on s’endorme fur fon É tu d e, & cela parce
qu’on ne voit rien qui preffe : on fe promet toujours
de travailler dan's la fuite ; mais comme on
n’eft pas preffé & que l ’on voit encore bien du
temps devant fo i , lapareffe le plus fouvent l ’emporte
; infenfiblëment le temps co u le , la tâche augmente
, & à la fin on fe tire comme on peut.
Les examens fréquents dont je viens de parler
ferviroient à réveiller les jeunes gens. C e feroit
là comme le prélude des examens généraux &
décififs que l ’on fait fubir aux candidats, & qui
font toujours plus redoutables pour eux que l ’épreuve
des thèfes. A u furplus, i l conviendrait, pour le
bien de la^ chofe & poür ne point déconcerter les
fiijets mal a p ropos ,- de s en tenir aux traités aéluels
dont on feroit l ’objet de leurs Étu de s -, de les
examiner fur cela feul & le livre à la main ,
fans chercher des difficultés éloignées non contenues
dans l ’ouvrage dont i l s’agit. Que ces traités
lulient bien complets & bien travaillés, comme on
le fuppofe , ils contiendraient tout ce que l ’on peut
fouhaiter fur chaque matière ; & c’eft pourquoi un
elève poffédant bien fon livre , & répondant
deflus pertinemment, devrait toujours être cenfé
capable, & comme tel admis fans difficulté.
I l règne fur cela un abus bien digne de réforme.
U n examinateur, à tort & à travers, propofe des
queftions inutiles , des difficultés de caprice , que
1 Etudiant n’a jamais vues & fur lefquelles on le
mot aifement en défaut. C e qu’i l y a de plus fâcheux
encore & de plus affligeant, c’eft que les
hommes n’eftimant d’ordinaire que leurs propres
opinions, & traitant prefque tout le refte d’ignorance
ou d’abfùrdité , l ’examinateur' rapporte tout
a fa manière de penfer ; i l en fait en quelque
iorte un premier principe & la commune mefure
de la do&rine & du mérite. Malheur au répondant
qui a fucé des opinions contraires,; fouvent avec
bien de 1 E tu d e & du talen t, i l ne viendra pas à
bout de contenter fon juge. O n fait que Newton
f llc° le s étant préfentés à l ’examen , furent tous
les deux refufés; & cela,chacun dans un genre où
u égaioir des lors ce qu’i l y a vo itd e plus célèbre en
Europe. ; .
I l vaut donc mieux qu’im difciple ait fa tâche
connue & déterminée, & que rempliffant cette
tâche , i l puifFe être tranquille 8c sûr du fuccès ;
avantage qu’on n’a pas à préfent.
Quoi qu’i l en f o i t , ceux qui dans l ’éducation
propofée quitteraient leurs É tu d e s vers l ’âge de
quatorze ans , ne fe trouveraient pa s, comme au-
j ° ^ h u i , dans un vide affreux de toutes les con-
noiffances qui peuvent former d’utiles citoyens :
ils feroient dès lors au fait de l ’Écriture & du C a lcul
, de la Géographie & de l ’Hiftoire , &c. A
l ’égard du latin , ils entendraient fuffifamment les
auteurs claffiques ; & les traductions perpétuelles
qu’ils auraient faites de vive voix & par écrit
pendant bien des années , leur auraient déjà donné
du fty le & du goût pour écrire en ffançois. D ’ailleurs
ils connaîtraient, par une fréquente ieCture ,
nos hiftoriens & n ps poètes ; & ils auraient même ,
pour la plupart, une heureufe habitude de réflexion
& de raifonnement, capable de leur donner
une entréç facile aux langues étrangères & aux
fciences les p lus relevées. Ainfi , quand ils n’auroient
pas beaucoup d’acquis pour la compbfi i^ja latine „
ils ne laifferaient pas d’en être au point où doivent
être des enfants deftinés à des emplois difficiles :
au lieu que dans l ’éducation préfente , fi l ’on ne
reuffit pas dans les thèmes & les v e r s , on ne
reuflît dans rien; & dès là , quelque génie qu’on
ait d a ille u r s , on paffe le plus fouvent pour un
fujet inepte, ce qui peut influer fur le refte de la
vie.
~ u ^uv.auuu, ix ciL vniDie qu n s
feraient de bonne heure au point de capacité né-
ceffaire pour être admis enfuite parmi les gens
polis & lettrés , puifqu a l ’âge de dix-fept ou ’Six-
huit ans , ils auraient, outre les étymologiesorè^
qùes, une profonde intelligence du latin & beaucoup
de facilité pour la compofition françoife ; ils
auraient de plus lÉcriture élégante, & l ’Arithmétique
, la G éométrie, le Deffin, & la Philofophie ,
le tout joint a un grand ufage de notre Littérature.
Le s gens qui brillent le plus de nos jours avoient-
üs plus d’acquis à pareil âge ? Combien d’illuftres
au contraire qui font parvenus plus tard à ce né-
ceffaire honnête & fuffifant, malgré l ’application conf-
tante qu’ils ont donnée à leurs Études i
Q u e l peut donc enfin & quel doit être le but
de la réforme propofée? C ’èft de rendre facile &
peu couteufè , non feulement la Littérature latine
& françoife , mais encore plufieurs autres exercices
autant ou p lus utiles, & qu’i l eft prefque impoffible
de lier avec la pratique ordinaire ; c’eft d’éviter
aux parents la perte affligeante de ce que leur coûte
une éducation manquée; & c’eft enfin d’épargner
aux enfants les châtiments & le dégoût, qui font prefque
infeparables de l ’inftitution vulgaire.
refte, je l a i dit ci-devant & je crois pouvoir
le répéter i c i , l ’éducation doit être l ’appren-
tiflage de ce qu’i l faut favoir & pratiquer dans le
commerce de l a focieté. Qu ’on juge à préfent de
1 éducation commune; 8c qu’on nous dife fi les
C z