
s’en écarter par une Angularité d’objet non convenable
, c’eft être bigarre ; par inconftance ou changement
fubit de go lit , c’eft être capricieux ; par
une certaine révolution d’humeur ou façon de pen-
f e r , c’eft être quinteux ; par groffièreté de moeurs
& défaut d’éducation, c’eft être bourru.
L e Fantafque dit proprement quelque chofe de
difficile ; le Bigarre, quelque chofe d’extraordinaire;
le Capricieux, quelque chofe d’arbitraire; le Quinteu
x y qnelque chofe de périodique ; le B o u r ru ,
quelque chofe de mauflade. ( L'ab bé G lR A R D . )
F A R C E , f. f. B e lle s Lettres. Efpêce de comique
grofiler, ou toutes les règles de la bien-
féance, de la vraifemblance & du bon fens, font
également violées. L ’abfurde & l ’obfcene font à la
Farce, ce que le ridicule eft a la Comédie.
O r on demande s’i l eft bon que ce genre dè fpec-
tacle a it, dans un État bien p o lic é , des théâtres
réguliers & décents. Ceux qui protègent la Farce
en donnent pour raifom, q u e , puifquon y va , on
s’y aniufe; que tout le monde n’eft pas en état de
goûter le bon comique; & qu’i l faut laifler au Public
le choix de fes amufements.
Que l ’on s’amufe au fpeâracle de la F arce, c’eft
un fait qu’on ne peut nier. L e peuple romain dé-
fertoit le théâtre de Térence, pour courir aux bateleurs
; & , de nos jours , JVIérope & le Méchant ,
dans leur nouveauté, ont à peine attiré la multitude
pendant deux mois , tandis que la Farce la plus
monftrueufe a foutenu fon fpeèîacle pendant deux fei-
fons entières.
I l eft donc certain que la partie du Public dont
le goût eft invariablement décidé pour le Vrai,
l ’u tile , & le beau, n’a fait dans tous les temps que
l e très-petit nombre , & que la foule fe décide pour
l ’extravagant & l ’abfurde. A in fî, loin de difputer a
la Farce les fuccès dont e lle jouit, nous ajoûte-
rons que-, dès qu’on aime ce fp e& a c le , on n’aime
plus que celu i-là ; & qu’i l feroit auffi furprenant
qu’un nomme qui fait fes délices journalières de ces
groflières abfurdités , fût vivement touché des beautés
du Mifanthrope & d’Athalie , qu’ i l le feroit de voir
unhomme nourri dans la débauche fe p laire à la fo-
eiété d’une femme vertueufe.'
O n v a , dit-on, fe délaffer à la Farce ; un fpeéla-
c le raifonnable applique & fatigue l ’efprit ; la Farce
amufe, fait rire , & n’occupe point. Nous avouons
qu’i l eft des efprits, qu’une chaîne régulière d’idées
& de fentîmerits doit fatiguer. L ’efprit a fon libertinage
& fon défprdre ; i l doit fe plaire naturellement
où i l eft plus à fon aife; & le plaifîr machinal & g re f fier
qu’i l y prend fens réflexion, émouffe en lui le goût
de l’honnête & de l ’utile : on perd l ’habitude de réfléchir
comme ce lle de marcher ; 8c l ’ame s’engourdit 8c
s’énerve, comme le corps , dans une oifive indolence.
L a Farce n’exerce ni lè goût ni la raifon : de là vient
q u e lle plaît à des âmes pareffeiifes ; 8c c’eft pour
pela même que ce fpeéiacle eft pernicieux, S’i l
n’avoit rien d’attrayant,, i l ne feroit que mauvais.
Mais qu’importe, dit-on encore, que le Public
ait raifon des’amufer? ne fuffit-il pas qu’i l s’amufe ?
C ’eft ainfî que, tranchent fur tout ceux qui n’ont réfléchi
fur rien.- C ’eft comme fi on difoit : Qu’importe
la qualité des aliments dont on nourrit un
enfant, pourvu qu’i l mange avec p laifîr ? L e Public
comprend trois clafles : le bas peuple, dont le goût
8c l ’efprit ne font point cultivés 8c n’ont pas be-
foin de l ’être , mais qui dans fes moeurs n’eft déjà
que trop corrompu 8c n’a pas befoin de l ’ être encore
par la licence des fpe&acles ; le monde honnête
8c p o l i , qui joint a la décence des moeurs
une intelligence épurée 8c un fentiment délicat de
bonnes chofes, mais qui lui-même n’a que trop
de pente pour des plaifîrs aviliffants ; l ’état mitoyen,
plus étendu qu’on ne penfe , qui tâche de s’approcher
par vanité de la clafle des honnêtes g ens, mais
qui eft entxainé vers le bas peuple par une pente
naturelle. II s’agit furtôut de favoir* de quel côté
i l eft le plus avantageux de décider cette clafle
moyenne 8c mixte. Sous les tyrans 8c parmi les e n claves
> la queftion n’eft pas douteùfe : i l eft de la
politique de rapprocher l ’homme des bêtes, p u if
que leur condition doit être la même, 8c qu’elle
•exige également une patiente ftupidité. Mais dans
une conftitution de chofes fondées fur la juftice 8c
la raifon, pourquoi craindre d’ étendre les lumières,
8c d’ennoblir les fentiments d’une multitude de citoyens
, dont la profeflîon même exige . le plus
fouvent des vûes nobles,, des fentiments honnêtes ,
un efprit/ cultivé ? On n’a donc nul intérêt politique
à entretenir dans cette clafle du Public l ’amour dépravé
des mauvaifes chofes.
L a Farce eft le fpe&acle de la groflière populace
; 8c c’ eft un plaifîr qu’i l faut lui la iffe r , mais
dans la forme qui lu i convient, c’ eft à dire, avec
une groffièreté innocente, des tréteaux pour théâtres,
8c pour felles des carrefours : par l à , i l fe trouve à
la bienfëance des feuls fpeélateurs qu’i l convienne
d’y attirer. L u i donner des felles décentes'8c une
forme régu lière, l ’orner de Mufîque , de danfes ,
de décorations agréables, 8c y fouffrir des moeurs
obfcènes 8c dépravées , c’eft dorer les bords de la
coupe où le Public va boire le poifon du vice & du
mauvais goût.
Dans le temps que le fpe&acle françois étoit
compofé de moralités 8c de fotifes, la petite pièce
étoit une Farce ou comédie popula ire, très-fîmple
8c très-courte, deftinée à délaffer le fpe&ateur du
férieux de la grande pièce. L e modèle de la Farce
eft l ’Avocat Pathelin , non pas te lle que Brueys l ’a
remife au Théâtre, mais avec autant de naïveté 8c
de vrai comique. Toutes ces fcènes , qui dans la
copie nous font rire de fi bon coeur, fe trouvent
dans l ’original facilement écrites en vers de huit
fyllabes , 8c très-plaifamment dialoguées. U n morceau
dé la fcène de Pathelin avec le Berger fijffit pour
en donner l ’idée.
P a t h e l i n .
Or viens çà, parle . . . qui es-cuî
Ou demandeur ou défendeur î
l e B e r g e r .
J’ ai à faire à un entendeur,
Entendez-vous bien, mon doux Maiftre?
A qui j’ai long temps mené paiftre
Les brebis , 8c les lui gatdoye.
Par mon ferment, je regardoye
Qu’ il me payoit petitement.
Dirai-je tout ?
P a t h e l i n .
Dea fûrement-,
A fon confeil doit-on tout dire.
l e B e r g e r .
Il eft v ra i, 8c vérité , Sire ,
Que je les lui ai aflommées,
Tant que plufîeurs fe font pâmées
Maimefois , 8c font cheutes mortes,
Tant fuffenr-elles faines 8c fortes :
Et puis je lui faifois entendre,
Afin qu’il ne m’en peuft reprendre,
Qu’ils mouroient de la clavelée :
Las ! fai.r-il, ne foit plus meflée
Avec les autres, gette-là.
Volontiers, fais-je. Mais cela
Se faifoit par une autre v oie}
Car par faint Jehan,, je les mangeoye ,
Qui faYOye bien la maladie.
Que voulez-vous que je vous die î
J’ai ceci tant continué ,
J’en ai affommé 8c tué
T ant, qu’ il s’en eft bien apperçu;
Et quand il s’eft trouvé" déçu
M’aift Dieu, il m’a fait efpier ,
Car on les ouift bien crier . . .
Je fais bien qu’il a bonne caufe :
Mais vous trouverez bien la claufe
Se voulez, qu’il l’aura mauvaife. -
P a t h e l i n .
Par ta f o i , feras-tu bien aife î
Que donras-tu, fijerenverfe
Le droit de ta partie àdverfe ,
Et li je te renvoyé abfouz?
l e B e r g e r .
Je ne vous payerai point enfoulz,
Mais en bel or à la couronne.
P a t h e l i n .
Donc , tu auras ta caufe bonne.
. Si tu parles, on te prendra
Coup à coup aux polirions ;
En un tel cas, conférions
Sont lï très-préjudiciables
' Et nuifent tan t, que ce font diables.
Pour ce , Yecy que tu feras,
J’a toft , quand on t’appellera,
Pour comparoir en jugement,
Tu ne répondras nullement
Fors bée, pour rien que l’on te die.
Ce petit prodige de l ’a r t , où le fecret du comique
de caractère & du comique de fituation étoit
découvert, eut la plus grande célébrité. Après l ’avoir
traduit en vers françois ( car i l étoit d’abord écrit
en profe ) , on le traduifit en vers latins pour les
étrangers qui n’entendoient pas notre langue. I l
fembleroit donc que dès lors on avoit reconnu la
bonne Comédie ; mais jufqu’au Menteur & aux Pré-
cieufes ridicules, c’eft à dire, durant près de deux
fiècles , cette leçon fut oubliée.
Dans lés Farces du même temps , i l y avoit peu
d’intrigue & de comique , mais quelquefois des naïvetés
plaifentes , comme dans ce lle du Savetier qui
demande à Dieu cent écus, & qui lu i dit de-fe mettre
à fe p lace.
Beau Sire, imaginez le cas,
Ec que vous fulfiez devenu
Ainfi que moi pauvre 8c tout nu ,
Et que je fulfe Dieu, pour voir:
Vous les voudriez bien avoir.
A u bas comique de la F a r c e , avoit fuccédé le
genre infîpide & plat des Comédies romanefques 8c
des Paftorales ; & .ce lu i-ci, plus mauvais encore ,
faifoit regretter le premier. On y revenoit quelquefois
: Adrien de Montluc donna une Farce en
16 1 6 , fous le nom de Comédie des proverbes, où
i l avoit réuni tous les quolibets de fon temps,lefî-
quels font prefque tous encore ufités parmi le bas
peuple ; & en c e la , cette Farce eft un monument
précieux. En voici des échantillons.
ci L a fortune m’a bien tourné le dos, moi qui
» avois feu & lieu , pignon fur ru e , &une fille belle
» comme le jour ! A qui vendez-vous vos coquilles ?
» à ceux qui viennent de Saint-Michel ? Patience paffe
» fcieiice. Marchand qui perd ne peut rire ; qui
» perd fon bienperdfon fang. Je reflemble à chie-en-
» lit , je m’en doute. I l n y fongea non plus qu’à
» fa première chemife. I l eft bien loin , s’il court
» toujours. I l vaut mieux fe taire que de trop par-
» le r . T u es bien heureux d’être fait, on n’en fait
».plus de fi fot. Je n’aime point le bruit, fi je ne
» le fais. Je veux que vous cédiez vos riottes * &
» que vous foy ez comme les deux doigts de la
» main ; que vous vous embra/ïïez comme frères ;
» que vous vous accordiez comme deux larrons en
» fo ire ; & que vous foyez. camarades comme co-
» chons. Je ne fais comment mon père eft fi coiffé