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d’aucune forte de différence dans le fens. L ’adje&if
dénote la qualité du nom fubftantif; mais les différences
relations qu’i l peut recevoir dans l ’occa-
f îo n , ne font aucune' différence dans fes qualités.
Si les déclinaifons des Langue s anciennes font
fi compliquées , leurs conjugaifons le font davanta
g e encore; & l ’embarras ou l ’embrouillement
des unes & des autres eft fondé fur le même principe
, c’ eft à dire , fur la difficulté de former, dans
l ’origine du lan g ag e , des termes abftraits & généraux.
Le s verbes doivent être nécelfairement du même
Hg:e que les premiers mots qu’on créa dans la formation
des Langues. O n ne peut exprimer aucune
affirmation , fans l ’affiitance de quelque
v e i^ . Nous ne parlons jamais que pour dire
qu’une chofe eft ou n’eft pas; mais le mot qui
défîgne ce qui forme le fujet de notre affirmation
doit toujours être un verbe.
Les verbes imperfonnels font probablement l ’ ef-
£èce de verbes qui fut inventée la première.
éhomme ignorant & fimple ne peut analyfor
fes idées ; i l eft incapable de diriger fon attention
fur les details d’un évènement ou d’un objet : i l
ne voit que l ’enfemble des objets & des évènements :
le s premiers mots de fa Langue auront, eu le
caractère de fes idées ; un foui mot aura repréfonté
un objet & un évènement tout entier : & tels font
précifément les verbes imperfonnels p lu it , il
p le u t , n in g it , i l n e ig e , to n a t , il^ tonne, Lacet,
i l fait jo u r , turbatur, i l y a confufion ; chacun
de ces mots annonce un évènement, un fait tout
en t ie r , fans le divifer dans les parties abftraites
métaphyfîques, qui conftituent la phrafo dans les
L a n g u e s formées. Ces phrafos, au contraire,
jile x a n d e r ambulat , Alexandre fo promène,
jd lexan der f e d e t , Alexandre eft affis, &c. divifent
l e fait comme fi elles le partageoient en deux
p a rtie s, la perfonne ou le fu je t , & l ’attribut ou
l a matière du fait qu’on affirme du fujet. M a is ,
dans le vrai , l ’idée ou le concept d’Alexandre
fe promenant, eft auffi parfaitement & auffi complètement
un fimple concept que celui d’Alexandre
ne fo promenant pas. C ’eft pourquoi la divifîon
de ce fait en deux parties', eft a la fois artificielle
& un effet de l ’imperfeétion du lan g ag e, q u i ,
dans cette occafion, ainfi que dans plufieurs autres,
fupplée , par un certain nombre de mots , à un foui
en même temps, qui pourroit exprimer a la
fois toute la matière du fait qu’on prétend affirmer.
Chacun peut remarqner combien cette expreffion
p lu it eft fimple & naturelle ; & , au contraire ,
combien ce lle-ci , imber d ec id it, i l tombe de la
p lu ie , ou tempeftas eft p lu v ia , le temps eft pluvieux
, font compofëes & compliquées. Dans
ces deux dernières phrafos , l ’évène.ment fimple
ou la matière du fait eft artificiellement coupé
& divifé ; dans la première, en dpux , & dans
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l ’autre en trois parties ; le fens eft dans chacune
exprimé par une forte de circonlocution grammaticale
, dont la force & l ’énergie eft fondée fur
une certaine analyfo métaphyfique des parties
conftituantes de l ’idée exprimée par le mot p lu it.
I l eft donc probable que les premiers verbes, peut-
être même que les premiers mots, dont on ait fait
ufage dans les commencements de la formation
du lan g a g e , ont été ces fortes de verbes imperfonnels.
C ’eft pourquoi les grammairiens hébreux,
à ce qu’on m a d i t , ont obforvé que les racines
hébraïques, d’où dérivent tous les autres mots,,
font tous des verbes , & des verbes imperfonnels. :
I l eft aifé de' concevoir comment, dans les progrès
du langage , ces verbes imperfonnels devinrent
perfonnels. Suppofons-, par exemple, que ce met
venity il v ien t, fût , dans fon origine, imperfonnel,
& qu’i l défignât, non la venue de quelque chofe
en général , ainfi qu’i l le défîgne à préfont, mais
la venue d’un objet particulier, tel que le iion.;
fuppofons encore que les premiers inftituteurs du
langage , qui dévoient être des fauvages, fo eriaf-
font à haute voix les uns aux autres, en voyant
venir à eux cet animal, V e n i t , c’ eft à dire , le
lion vient : alors ce mot exprimoit un évènement
complet, fans l ’affiftance d’aucun autre mot. Lorfque
enfuite le langage eut fait de plus grands progrès,
& qu on eut commencé à donner des noms aux
fubftantifs particuliers ; chaque fois que ces mêmes
hommes voyoient quelque autre objet terrible venir
à eux , ils dévoient naturellement ajouter le nom
de cet objet au mot venit ,• & ils dévoient s’é c rier,
V en it urfus , V en it lupus. O n en fora venu ainfi
par degrés à faire fignifier au mot venit l ’arrivée
de tout objet redoutable , & non l ’arrivée du lion
exclufi/ement. C e mot exprimoit donc alors , non
la venue d’un objet pa rticulier, mais la venue
d’un objet d’un genre particulier. Devenu enfuite
plus général dans fa lignification, i l ne pouvôit
plus lon g temps défigner quelque objet particulier
& diftinft, par lui-même & fans l ’affiffanee d’un
nom fubftanétif qui put forvir à déterminer préci-
fément fa fignification : alors le voila verbe per-
fonnel, d’imperfonnel qu’ il étoit. Nous pouvons
imaginer aifément comment i l put devenir encore
plus étendu dans fa fignification, lorfque la fociété
eut fait plus de progrès, & comment i l vint enfin
à fignifier l ’approche 'de quelque chofe que ce
fo i t , bonne, mauvaifo , ou indifférente, ainfi qu’i l
la défigne aujourdhui.
C ’eft probablement a peu près de cette manière
que la plupart des verbes font devenus perfonnels ,
& que les hommes ont appris par degrés à couper
& à divifer prefque tous les évènements en un
grand nombre de parties métaphyfîques , exprimées
par les différentes parties doraifon différemment
combinées dans les membres divers de • chaque
phrafo & de chaque idée (1).
(1) Cçmme la plus grande partie des'verbes exprime#^
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ï l femble que les hommes^ ayent fuivi la même
marche dans les progrès qu’ils ont faits, & dans
l ’art d’écrire & dans l ’art de parler. Lorfqu ils
commencèrent la première fois à chercher des caractères
pour rendre leurs idées par. éc rit, chaque
Caractère exprimoit un mot tout entier. Mais le
nombre des mots étant prefque infini, la mémoire
fo trouva furch'argée & accablée par la multitude
des caractères qu’i l falloit retenir..La neceftite leur
enfeignâ donc a divifer les- mots' dans leurs éléments
, & à inventer des caractères qui reprefen-
taffent, non les-mots eux-mêmes,1 mais les éléments
dont ils étoient compofés. En conféquence
de cette invention, chaque mot particulier vint a
être repréfonté, non par un foui carâCtere, mais
par une .'multitude de caraCtères ; & l ’expreffion
du mot, dans l ’écriture,» devint beaucoup plus
embarraffée & plus compliquée qu auparavant.
Mais quoique chaque mot en particulier fo
trouvât, par cette manière , ‘ repréfenté par un
plus grand nombre de caraCtères, la Langue en
général fo troiivà exprimée par un nombre beaucoup
plus p e t it ; & vingt quatre lettres environ
furent fuffifantes, p o u r 1 tenir la place de cette
multitude imrnenfe 1 de caraCtères qu’on exi'geoit
précédemment.
"" C ’eft ainfi que , dans l ’Origine du lan g a g e , un
foui mot repréfontoit un événement tout entier.
C e procédé pa ro ît. le plus fim p le , mais i l multip
lie les noms à l ’infini, parce que des évènements
à peu près fomblables étoient rendus par
des mots différents ; on fut donc obligé de divifer _
chaque évènement en ce qu’on appelle fes éléments
métaphyfiquès, & d’inftituer des mots ,qui annon-
•çaffent moins le s événements que les éléments
dont ils étoient compofés. L ’expreffion de chaque
évènement particulier devint de cette manière
plus compliquée & plus embarraffantè mais le
fyftême entier de là Langue devint plus cohérent,
plus l i é , & plus facile à retenir & à comprendre. ;
L es hommes ont été conduits à ces changements
par la nature ou par le befoin. .
Lorfque les verbes, après ,avoir été imperfonnels
dans' l ’or ig in e , furent ainfi devenus perfonnels par ■
la divifîon de l ’évènement, en fes éléments meta- ■
aujourdhui , non un évènement , mais l’attribut d’un
évènement, Sc demandent par conféquent un fujet ou un >
nominatif, afin.de rendre leur fignification complétée ;
il y a des grammairiens qui, pour n’aypir pas fait attention
à ce progrès de la nature, & pour vouloir rendre
univerfelles 8c fans exception les règles communes qu’ils
ont établies , o. t prétendu que tous les verbes deman-
ooient un nominatif exprimé ou fousenteodu. Ils.,ont
en conféquence mis leur efprit à la torture pour trouver
un nominatif quelconque à ce petit nombre de verbes ,
qui, en exprimant un évènement complet , ne peuvent
évidemment en admettre aucun. Pluit , par exemple,
fuivant SanSius ,. fignifie .pluvia p lu it , c’eft à dire , la pluie
pleut. Voyez Sandù Minerya, 1.3 , ch. 1, ( L’éditeur. )
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phyfiques, i l eft naturel de fuppofor quon du
d’abord en faire ufage à la troifième perfonne du
fingulier. Jamais verbe n’eft pris imperfonneUement
dans la Langue angloife, ni «wême, a ce que je crois,
dans aucune autre Langue moderne que je connôiffe.
Mais dans les Langues anciennes,. toutes les fois
qu’un verbe eft plis imperfonnellement, i l eft-
toujours à la troifîème perfonne du fingulier. L a
termlnaifon de ces verbes qui font encore au-
jourdhui iiffperfonnels, eft toujours la même que
ce lle de la troifîème perfonne au fingulier des
verbes perfonnels. On peut conclure de ces c ir -
conftances & de la nature même de la chofe , que
les verbes devinrent d’abord perfonnels dans ce que
nous appelons aujourdhui la .troifîème perfonne
du- fingulier* Mais comme l ’évènement ou la matière
du f a i t , exprimée par un verbe, peut égalem
e n t s’affirmer ou de la perfonne qui parlé , ou
de. la perfonne à qui l ’on pa rle, ou enfin d’une
troifîème perfonne ou d’un troifîème objet, i l devint
néçeffaire de trouver quelque méthode qui •
exprimât ces deux relations particulières de l ’évènement.
Dans l ’an g lo is , comme dans le françois ,
ceci fo fait ordinairement en. m ettait ce que l ’on
appelle des pronoms perfonnels devant le mot
général qui exprime l ’évènement affirmé. Je viens y
tu v ien s , i l vient', l ’évènement d’être venu , dans
la première de ces phrafos, eft affirmé de la pejr-
fonne qui parle ; dans la fécondé , de ce lle à qui
l ’on parle ; dans la troifième , de quelque autre
objet ou de quelque autre perfonne. O n peut
croire que les premiers inftituteurs • du langage
' auroient. dû faire la même chofe; & qu’en mettant
de l a même manière les deux premiers pronoms
perfonnels. devant la même terminaifon du verbe
qui exprimoit la troifième perfonne du fingulier,
ils auroient pu dire , ego v e n it , tu v e n it , auffi
bien que ille ou illu d venit ; & je ne doute pas qu’ ils
n’euflent procédé.- ainfi, fi , dans le temps qu’ils
eurent la première occafion d’exprimer, ces relations!
du verbe, ils avoient eu dans leur Langue
dés. mots fomblables â ceux-ci , e g o ou tu.
Mais i l n’eft point du tout probable que de* tels
mots fùffent connus dans ce premier période du
langage dont'nous tâehbns de décrire ici l ’hiftoire.
Quoique l ’ufage nous les ait rendus aujourdhui
familiers, ils expriment des idées extrêmement
abftraites & métaphyfîques. L e mot j e , par
. exemple , eft un mot d’une efpèce fort particulière.
T ou t ce qui parle peut fo défigner lui-
même par ce pronom perfonnel. L e mot j e eft
donc un terme g én é ral, qui peut devenir tour à
tour le nom de tous ceux qui parlent ou écrivent.
C e - mot diffère cependant de tous les autres termes
généraux, en ce que les objets qu’i l énonce ne
forment aucune efpèce particulière d’objets diftin-
gués des autres. L e mot j e ne dénote p o in t , ainfi
que le mot homme , une clafle particulière d objets
feparés des autres par des qualités fpéciûques qui
I leur foient propres ; bien loin d’être le nom d une