gè re , à moins qu’elle n’y fut déjà difpofée par
lin ufage plus ancien 8c par un oubli antérieur de
fa langue naturelle. D ’ailleurs la durée que l ’on
accorde communément à la Langue hébraïque, eli
mie durée excefiîve, furtout pour une des langues
orientales, qui plus.que toutesles autres, fönt fofçepd-
bles d’altération. I l n’en faut point chercher d’autre
preuve*, que dans ce chaldéen même auquel on dit
que les juifs fe font habitués?dans leur captivité. I l
cîifféroir djès lors du chaldéen xd’Abraham : i l s’étoit
perfectionné & enrichi par des finales plus fo’nores,
6c par des expreffions empruntées, non feulement des
perles , des mèdes , & autres nations voifines , mais
aufîi d.es nations les plus éloignées ; témoin le
rPwSD'lD.ƒ umphoneiah , du iïj . chap. de D an ie l,
ir. y , i o , 15, mot grec qui, foès le temps de 1Cyrus,
avoir déjà pénétré a Babylone. Les hébreux eux-
mêmes n é s y furent pas plus tôt familiarifés, qu’ils
continuèrent a le corrompre de leur côté. L e chaldéen
d’Onkelos n eft plus le chaldéen d’Efdras; &
celui des paraphraftes, qui cont continué fes commentaires
, en diffère infiniment. S ’i l falloir donc
piger des révolutions qu’a-dû effuyer l e premier 'langag
e des ju ifs, par celles où a été expofé celui qui
pâlie pour avoir été leur fécond, à peine pourrions-
nous donner quatre .ou cinq fiècles d’intégrité & .de
durée a la langue de Moïfe. - .
I l eft vrai q u e , la Bible à la main , on effaierâ de
nous prouver , par les ouvrages des prophètes de
tous les âges antérieurs à la captivité-, que Y hébreu
de Moïfe n’a . point ceffé . d’être vulgaire .jufqu’à
cet évènement. Mais, par le même raifonnement,
ne tentera-t-on pas .aufli de nous prouver que le latin
a toujours été-vulgaire-, en nous montrant tous les:
ouvrages qui ont été fiacceHivernent, écrits en cette
langue depuis une longue fuite de fiècles ? I l fau-
droit être fans doute bien, prévenu o u , pour mieux
dire , bien aveugle , pour hafarder un te l paradoxe.
U n e langue peut être ce lle :des. lavants fans : être
ce lle du .peu ple; & c e .n e f l que; lorfqufelle n’ap-
partiént pins à ce dernier, qu’elle arrive à l ’im-
mutabilité; ce caractère effenciel des langues morl
tes ,, où les langues vivantes ne. peuvent jamais parvenir.
L a véritable induction que nous devons donc
tirer de cette longue fucceffion d’ouvrages tous écrits
dans le dialeéle de M o ïfe , c’eft qu’après lu i i l
a été le dialecte particulier des prophètes:, & q u e ,
de ..vu lg a ire qu’il, avoit été.dans, les -premiers
temps > i l n’a plus é t é . qu’une. dangue_:lavante ; 8c
peut-être même quune langue facrëe qui n e lse ft
plus altérée , parce, qu’elle s’eft confervee dans le
fan-chiaire.,: ou elle a été hors- des atteintes .de la
multitude, q u i , comme le dit l ’Écriture , s’habituoit
facilement' aux dialeétes & aux ufages des nations,
étrangères qu’e lle fréquentoit .Le génie de la Langue^
hébraïque eft tellement le ..même, dans tous des,
écrits des prophètes ,. quoique, xçmpofés en (des
âges fort diitanrs les uns des autres:, que, fi- lé ea-
ractère particulier de chaque écrivain ne le faifoit con-
goicre dans chaque liv r e ,o n penfetoit que tQus.çes
ouvrages nont été que. d’un feul temps & • d’une
m Piume : U t fe r è qui s g ut are pofij'et omnes.
tuos libros eodem tempore ejfe confcriptos. ( V o y e z
la note entière 1. ). L a conftru&ion, l ’appareil des
mots, la fyntaxe , le caractère de la langue enfin,
fedoplables & fi monotones, partout , qu’un
eipnt inquiet & fbupçonneux eh pourroit tirer des
çonlequences aufli contraires à l ’antiquité & a l ’intégrité
de. ces livres précieux , quemocre obfervation
le u r e f t a u contraire favorable. L ’immutabilité de
leur ftyle & de leur diétion , dont ce lle de Moïfe
a toujours été le modèle , s’efl: communiquée aux
faits & à la mémoire des faits ; & c’étoit le feul
‘ “ °yen de les tranfmëttre jufqu’à nous, malgré l ’in-
conftance & les égarements d’une nation capricieufe
& volage. Tous les fages de l ’Antiquité, qui o n t ,
auifi bien que le facerdoce hébreu, connu les avan-
tages des langues mortes, g n’ont point manqué de
le fervir de .même, dans leurs'annales, d’une langue
particulière & facrëe : ç’ëtoit un ufage général ,
que la re lig io n , d’accord en cela avec la politique ,
avpit établi chez tous les anciens peuples. L e o-énie
de. 1 Antiquité_ concourt donc avec la fortune* des
l^ngue^-. à- juftifîer nos réflexions. I l n’eft point
d ailleurs difficile de juger que la langue de Moïfe
avoit du le corrompre parmi fon peuple ; nous
avons, vu ci-devant, combien i l avoit négligé fes
libres , fon écriture, & fa lo i. L a même conduite
lui fit aufli négliger, fon langage ; l ’oubli de l ’un
etoit une fuite neçelfalrè de l ’autre. Pour nous
peindre les hébreux pendant les dix fiècles prefque
continus de leurs dëfordres. - & de leur idolâtrie ,
nou^ pouvons fans doute nous repréfonter.les guè-t
bres, aujourdhui - répandus dans l ’Inde avec les
livres de Z o ro a ftre, qu’ils confèrent encore fans
les pouvoir lire & fans les entendre ; ils n’ y. con-
noiflent que du. blanc & du .noir : & telle a du être,
pendant 1 idolâtrie d’Ifrael, la pofition du commun,
des juifs vis-a vis. des. livres: de leur jlégiflat.eur, Si
(1) Plùrimufn etiarh‘ ad perfècfionem Linguæ hebrææ fiac'it
ejufidetn -conjlantia ih omnibus libris veterisTèJîamehti. Mirât
us fapiffîmè fu i quoi tanta, f it Linguæ hebrææ conveniéntia
in omnibus libris veteris Tejiamenti, quum feiamus libros illo s
a divevjis viris, qui fape proprium Jlylum exprejferunt, dir
verfis temporibusy& divèrfis in loeis ejfe confcriptos. Scri-
batur liber a diverjis viris in eâdem civitate habitantibus
videbim'us ferè majorem differentiam in Ulo libró , vel
tefpeclu j t y l i , vel çopulationis litter arum y yel refpecla
atiarupi circuijijlantiarum , querm in totis Bibliis. Vérum f i
liber f it Jcriptuj, •v'erbi caufù , \ Teutpnio ér Frifio, vel
f i Intercédât inter ficriptores ' differentia mille ahnorum ,
quanta in ntultis libris vete fis Tejiamenti rejpeclu fçrîptionis
intercejfit ; ehéu ! "quanta ejfet differentia lingua ! Qui
unam feripturam intelligit , vix alteram intelligent : imp
erit tanta differentia, Ut vix allas cas linguas , ob d f fe -
rentiam temporis & loci ita diferepanzes , regulis Grammatica
& Syntaxeos cómvfehYridere pojjît. Verum in veterïTefià-
mçhto tanta eji conjîantia , tanta convènientia in- ' copulation?
litter arum & confiruclioné vocum , üt fieriv quia
patate pojfet omnes, illos ' libros eodpm tempore, iifdem • in
loeis , a diverfis tarnen authoribus ejfe confcriptos, fieifiden»
Philologus fiebræus, dijfert. ■ x g z i .
leur conduite préfênte nous fait conhoître à quel
point ils les confidèrent & les refpeélént aüjour-
dhui , leur conchü.e primi ive' doit nous montrer
quel a été pour ce religieux dépôt l ’excès de leur
indifférence. Jamais livres n’ont couru de plus grands
rifques de fe perdre & de devenir inintelligibles ;
& i l n’en eft point cependant fur lefquels la Providence
ait plus veillé c’eft fans doute uii miracle
qu’un exemplaire en ait été trouvé par le, faint roi
3ofias , qui; s’en fervit pour retirer pendant un temps
le peuple de fes défordres ; mais fi un Achab, une
J é za b e l, ou une Athalie les eut troùvés , qui doute
que ces livres, précieux n’euffent eu chez- les hébreux
le même fort qu’ont eu chez les romains les
livres de Numa , que le hafard retrouva, & que
la politique, brûla pour ne point changer la relig
ion , c’eft à dire, la fuperftition établie ?
C e fut vraifemblablement par le feul canal des
favants, des prêtres, & particulièrement des voyants
oit prophètes qui fe fuccédèrent les uns aux autres,
que la langue & les ouvrages de Moïfe fe font
confervés : ceux-ci fouis en ont fait leur étude , ils
y puifoient la lo i & la i fcience ,* & félon qu’ils
étoient bien ou mal intentionnés , ils égaroient les
peuples ou les retifoient; de; leurs égarements. L e
lan’gage du législateur devint pour eux un langage
facré , qui feul eat le privilège d’être employé dans
les annalés , dans des hymnes , & furtôut dans les
livres prophétiques, qui , après avoir été interprétés
au peuple ou lus en langue vulgaire , étoient
enfuite dépofés au fanttuaire pour être un monument
inaltérable vis à vis des nations futures que
ces diverfes prophéties ; dévoient un jour inté-
reffer.
O n nous demandera dans quel temps la langue
de Moïfe a célTé d’être en ufage parmi les hébreux
; c’aft ce qu’i l n’eft pas facile de déterminer :
ce n’eft .pas en un feul temps, c’eft en plufieurs ,
qu’une langue s’altère & fe corrompt. Nous pouvons
cônjeékirer ; cependant que ce fut .en grande
partie fous.les juges, 6c dans ces cinq ou fix fiècles
où la nation juive, meut rien de fixe dans fon gouvernement
& dans fa religion , & qu’e lle fuivoit
en tout fes délires & fes -caprices. Nous . fixons
motre conjecture à ces temps , parce que fous les
rois nous remarquons dans les noms propres un
génie & une tournure toute différente des anciens
-noms, fonores , emphatiques , & prefque tous com-
pofés ;;ils nom plus ce caractère antique, & cette
Simplicité des noms propres de tous les âges antérieurs.
Quoique notre remarque foit délicate , on
-en doit fentir la juftefle / parce que chez les anciens
les noms propres, n’ayant point été héréditaires
, ont dii toujours appartenir aux dialeCtes vulgaires
, & que la langue facrëe ou hiftorique n’ a
p u les changer en traduifant les faits. Nous pouvons
donc, de leur diffimilitnde chez les hebreux,, en tirer
cette conclufîon ,.que le génie de leur langue avoit
change, & changeoit d’âge en âge par la fréquentation
des diverfes nations dont ils ont toujours
été ou les alliés ou les efclaves. C ’eft de même
par le caraélère de la plupart de leurs non.s pro-^
p r è s d a n s les derniers fiècles qui ont précédé J. C ,
que l ’on juge aufli que les hebreux fe .font enfuite
familiarifés ayec le grec , parce que leurs noms,
dans les Machabées , & dans l ’hiftorien Josèphe ,
font fouvent tirés de cette langue. I l eft vrai que
ces deux ouvrages fon t, écrits en grec : mais, quand
ils le feroient en hébreu , leurs auteurs n’en au-
roient pu changer les, noms ; & dans l ’un ou l ’autre
texte , ils nous feryiroient de même, à' juger des
liaifons qu’avoient contractées les hébreux avec les
conquérants de l ’Afie.
Mais quelle a été la langue d’Ifrael après ce lle
de fon légiflateur., Sç avant le chaldéen d’Efdras Ôc
de Daniel ? c’eft ce qu’il, eft impoffible de fixe r;
ce ne pourrofit être au réfte qu’un dialecte particulier
de celle de Moïfe , corrompue par des
dialèCtes étrangers. Les dix tribus en avoient un
qui en diffëroit déjà, comme on le voit par le Pen-
tateuque famaritain, qui n’eft plus le pur hébreu
de la B ible ; & nous favons par Efdras, que les juifs,
prefque confondus avec les peuples yoifins avoient
adopté leurs différents idiomes,, & parloient les
uns. la langue, d’A z o t , & d’ autres- ce lle de Moab ,
d’Ammpn , C e la feul petit nous fuffire, avec ce
que nous avons dit ci-deflus, pour entrevoir toutes
lés • variations ,& les révolmicns’ de la Langue hébraïque
vulgaire pendant dix fièc lè s, & jufqu’au
temps où nous trouvons les juifs tout à fait fàmi-
liarifes & habitués au chaldéen : dès lors i l ne
pouvoit y avp.ir que bien du temps qu’ils avoient.
perdu l ’ufage de la langue de leurs a n c ê t r e s c a r ,
par les efforts qu’ils firent du temps d’Eforas pour
rétablir leur culte & leurs ufages Y i l eft à croire
cju’ils euffent-aufli tenté dè rétablir leixr lan g a g e ,
s’ i l n’eûtr été fufpendu que par le coürt ejpaeë de
leur- captivité. S’ils ont donc fur ce changement des
traditions contraires à nos obfcrvations , met:ons-les
au nombre, de tant d’autres anecdotes fans date. &
fans époque, qu’ils,ont inventées?& dont ils-veulent
.bien le fatisfaire.,
L a langue de Babylone, devenue ce lle de Judée,
fut,:aufli fujêtte à de femblablës révolutions : le s
juifs la parlèrent jufqu’à leur dernière ■ deftruCUon
par les romains ; mais ce fut en l ’altérant de génération
en génération, par un bizarre mélange de
fÿrien, d’a r a b e & de grec. Difperfés enfuite parmi
les nations , ils n’ont plus eu d’autre langue vulgaire
que ce lle des différents peuples chez lefquels
îis-fe fom- habitués- ; aujourdhui ils parlent francois
en F ran c e, & en allemand au delà du Rhin. L a
langue de Moïfe eft leur langue favante ; ils l ’apprennent
comme nous" apprenons le grec & le
la t in , moins pour la parler que pour s’inftruire de
leur lo i : beaucoup de juifs même ne la lavent point;
mais ils ne manquent pas d’en apprendre par coeur
les paflages qui leur fervent de prières journalières,
parce qu e , félon leurs préjugés, c’eft la feule langue
dans laq u e lle i ! convient de parler à la Divinité.