
q u 'il fit à la réception de Thomas Corneille & de
B e rg e re t , eft admirable : fes deux lettres contre Port-
R o y a l , fes petites épigrammes ,fes préfaces , fes cantiques
, tout eft marqué au bon coin.
Ajoutons que le G én ie , dans la force même de
l ’â g e , n’eft pas de toutes les heures , & que fur-
tout i l craint les approches de la v ieille fie. Corn
eille , dans fes meilleures piè ce s, a d’étranges
inégalité s; & dans les dernières, c’eft un feu prefçne
éteint.
Au contraire , Y Efprit ne dépend pas fi fort des
moments : i l n’a prelque ni haut ni bas : & quand
i l eft dans un corps bien fain ; plus i l s’exerce,
moins i l s’ufe. Racine n’a point d’inégalité marquée
; & la dernière de fes pièces, A th a lie , eft fon
chef-d’oeuvre.
• On me dira que Racine n’ eft point parvenu ,
comme C o rn e ille, jufqu’ à une vieiileffe bien avancée.
Je l ’avoue : mais que conclure de là contre
ma dernière obfervation ? Car l ’âge où Racine pro-
duifit A th a lie , répond précifément à l ’ âge où Corn
eille produifit OEdipe ; & par conféquent la vigueur
de l ’E fp r it fuBfiftoit encore toute entière dans Racine
, quand l ’aétivité du Génie commençoit à décliner
dans Corneille.
Mais de tout ce que j’ai dit, i l ne s’enfuit pas
que Corneille manque à’E fp r i t , ou Racine de
Génie . C e font deux qualités inféparables dans les
grands poètes : l ’une feulement l ’emporte dans
celui-ci 5 l ’autre, dans celui-là. O r i l s’agiffoit de
lavoir par où Corneille & Racine dévoient être
caractérifés ; & après avoir vu ce que les critiques
ont penfé fur ce fu je t, j’en fuis revenu au mot de
M . le Duc de Bourgogne , petit-fils de Louis X I V ,
que Corneille étoit plus homme de Génie ; Racine,
plus homme d’E fp r it. ( L ’abbéd ’ O l i v e t . )
( N . ) G É N IE , G O U T , S A V O IR . Synon.
Dans les A r t s , i l ne faut pas confondre ces trois
termes : ils expriment des chofes entièrement différentes,
mais qui s’entr’aident & reviennent à l ’unité.
L e Génie eft cette pénétration, ou cette force
d’in tellig en c e, par- laq u e lle un homme faifit vivement
une chofe faite ou à fa ire , en arrange en
lui-même le p la n , puis la réalife au dehors, & la
produit, foit en la faifant comprendre par le difcours
ioit en la rendant fonfible par quelque ouvrage de fa
main.
L e G o û t , dans les Belles - Lettres comme en
toute autre ch ofe, eft le fentiment du beau, l ’amour
du b o n , l ’acquiefèement à ce qui eft bien.
Enfin le Savoir eft, dans les A r t s , la recherche
exacte des règles que fuivent les artiftes, & la com-
paraifon de leur travail avec les lois de la vérité & du
bon fens.
L e Génie vient au monde avec nous. Chacun a
un tour d* efprit qui lu i eft particulier, comme i l
a un tour de vifàge qui diffère des traits d’autrui.
Chacun a fa mefure d’in tellig en ce, & une pente
prelque invincible pour un certain genre de t ra v a il,
plus tôt que pour un autre. L e Génie ne peut
guères demeurer o if if ; i l faut qu’i l fe déclare.
I l n’en eft pas tout à fait de même de ce qu’on
appelle Goût ; i l fe peut aquérir. C e lu i en qui
le fentiment du beau eft naturellement jufte , peut
ne le point produire au dehors ni l ’exercer faute
d’occafîon. C e lu i qui en montre le moins, peut
1’éyeiller ou le voir naître en lu i par la culture.
I l n’y a perfonne qui n’aquière quelque fenfibilité
& plus ou moins de difcernement, par la dextérité
d un bon maître , par la comparaifbn fréquente
qu’on lui fait faire des bons ouvrages, & par la
confiante habitude de juger de tout fùivant des rè1-
gles fenfées &lumineufes : c’eft le Savoir qui les lui
affemble.
L e Savoir n’ eft naturellement donné à perfonne ;
c’eft le fruit du travail & des enquêtes. O n aquiert
en écoutant les maîtres, én étudiant les réglés
que les autres f u i v e n t , & en faifant chacun à part
fes propres remarques. L a fcience eft toute e n t iè r e
dans l ’entendement. I l y a loin d’elle au Goû t :
mais le Goût en eft aidé & affermi. L a force de
celui-ci eft dans le fentiment, & dans l ’agrément
de l ’impreffion que le beau fait peu à peu fur
nous.
Un homme qui demeuroit froid devant les
gravures d’Édelink, de Pefne, & de Sadeler , ou qui
voyoit du même oeil les eftampes hiftoriques de
Gérard Audran & les images de Malbouré , peut
revenir de fon indifférence ou de fa méprife. Quel-*
qu’un lui confeilie d’apprendre les principes du défi-
fin ; i l profite des lumières des grands maîtres,
foit en les écoutant foit en,les lifant ; on lu i fait
toucher au doigt en quoi celui-ci e x c e lle , en quoi
cet autre pèche ; le bon fens & la raifon lu i découvrent
l ’exaélitude des bonnes règles , & leur
fondement dans la nature ; i l les applique à te lle
& telle gravure, à tel & tel tableau ; le difcernement
s’affermit par la comparaifbn du beau avec le
médiocre & avec le mauvais ; le plaifîr & le fentiment
fuivent : voilà le Goût ou la fuite du Sa-
i voir.
Comme on peut donc enfeigner les fciences,
on peutauffi donner des leçons de G oû t; & i l n’eft
jjoint rare de voir un homme, auparavant infenfible
a la beauté des ouvrages de l ’a r t , devenir par degrés
amateur, connoiffeur, & bon juge.
I l n’y a que le Génie qui ne puiffe s’aquérir ni
s’enfeigner ; & quoiqu’i l doive beaucoup à la bonne
culture , i l ne faut point attendre de riches productions
de celui à qui le Génie manque. C ’eft aux
hommes forts & vigoureux à fe préfenter aux »exercices
violents : un tempérament foible en feroit plus
tôt accablé que fervi ; mais i l peut être fpeCtateur &
juger des coups.
D e ces trois facultés la moins commune eft le
Génie : la plus ftérile , quand elle eft feule , eft
le Savoir : la plus défirabfe de toutes eft le Goût i
parce qu’i l met le Süvoir en oeuvre , qu’i l empêche,
les écarts ou les chutes du Génie , & qu’i l eft la bafe
de la gloire des artiftes.
C e qui nous eft poffible à l ’égard du G én ie , eft
de le faire v a lo ir , ou d’en réparer la modicité par
d autres avantages. O n l ’aide, en ôuvrant partout
des é co le s , où s’enfeignent les éléments de chaque
fcience. Nous avons beaucoup de fecours pour
aquérir les règles, dont la connoiffance fait le
Savoir. Mais les leçons de Goû t font moins communes.
Cependant les principes du Goû t étant la
fource des plaifirs de l ’efprit & de la jufteffe qui
fe trouve dans les opérations du G é n ie , perfonne
ne peut raifonnablemenr négliger de s’en inftruire ;
& iis demandent fi peu d’efforts pour être entendus ,
qu ils doivent naturellement faire partie de la première
culture. ( M . P l u c HE. )
( N . ). G É N IE , T A L E N T . Synonymes.
Ils naiffent tous les deux a^ec nous, & font une heu-
reufe difjpofition de la nature pour les arts & pour
les emplois : mais le Génie paroîc être plus intérieur
, & tenir un peu de l ’efprit inventif; le Talen
t femble être plus extérieur, & tenir davantage
d’une exécution brillante.
O n a le Génie de laPoéfie & de la Peinture. On
a le Talent de parler & d’écrire.
T e l qui a du Génie pour compofer, n a point de
Talent pour débiter. ( U abbé G i r a r d . )
G É N IT I F , f. m. C ’eft le fécond cas dans les langues
qui en ont reçu •* fon ufage univerfel eft de préfenter
le nom comme terme d’un raport quelconque , qui
détermine la lignification vague d’un nom ap peilatif
auquel i l eft fubordonné.
Ainfi , dans lumen f o l i s , le nom fo l i s exprime
deux idées : l ’une principale , défignée furtout par
les premiers éléments du m o t , f o l ; & l ’autre ac-
ceffoire , indiquée par la terminaifon is : cette
terminaifon prefente ici le fo le i l comme le terme
auquel on raporte le nom ap peilatif lumen. ( la
lum iè re ) , pour en déterminer la lignification trop
vague par la relation de la lumière particulière dont
on prétend parler , au corps individuel d’où elle
émane ; c’eft ic i une détermination fondée fur le raport
de l ’effet à la caufe.
L a détermination produite par le G é n it i f peut
eftre fondée fur une infinité de raports différents.
Tantôt c’eft le raport d’une qualité à fon fujet,
fortitud o regis ; tantôt du fujet à la qualité , puer
eg reg ioe indolis-, quelquefois c’eft le raport dé
la forme a la matière, vas auri ; d’autres fois de
la matière a la forme, aurum va f is . Ici c’ eft le
raport de la caufe d l ’effet , Creator mundi ; l à ,
de 1 effet a la- caufe , Ciceronis opéra. Ailleurs
c eft le raport de la partie au T out , p e s montis ;
de 1 efpece a 1 individu , oppidum An tiochltz ;
du contenant au contenu , modius frum e n ti,* de
la chofe poffédée au poffeffeur, bona civium ; de
l ’a&ion à l ’objet , metvs fu p p lic ii ; &c. Partout
le nom qui eft au G é n it i f exprime le terme du
raport ; le nom auquel i l eft affocié en exprime
l ’antécédent ; & la terminaifon propre au G é n it i f annonce
que ce raport qu’e lle indique* eft une idée
déterminative de la lignification du nom antécédent.
Cette diverfité des raports auxquels le G é n it if
peut avoir tra it, a fait donner à ce cas différentes
dénominations, félon que les uns ont fixé plus que
les autres l ’attention des grammairiens. Les tins
l ’ont appelé P o j f e f f if parce qu’i l indique fouvent l e
raport de la chofe poffédée au poffeffeur , praediunt
Terentii; d’autres l ’ont nommé P a tr iu s ou P a te r -
n u s , à caufe du raport du père aux enfants, Cicero
pater Tu lliæ ; d’autres U xor iu s , à caufe du raport
de l ’époufe au mari, He cloris Andromacjie•
Toutes ces dénominations pèchent en ce qu’elles
portent fur un raport qui ne tient point dire&e-
ment à la lignification du G é n i t i f , & qui d’a illeurs
eft accidentel. L ’effet général de ce cas eft
de fervir à déterminer la lignification vague d’un
nom ap peilatif par un raport quelconque donc
i l exprime le terme ; c’écoit dans cette propriété
qu’i l enfalloit prendre la dénomination , & on l ’au-
roit appelé alors D é te rm in a tif avec plus de fondement
qu’on n’en a eu à lui donner tout autre
nom. C e lu i de G én it if a été le plus unanimement
adopté, apparemment parce qu’i l exprime l ’un des
ufages les plus fréquents de ce cas ; i l naît du
nominatif, & i l eft le générateur de tous les cas
obliques , & de plufieurs efpèces de mots : c’eft
la remarque de Prifcien même ( lib. v , de ca fu ) :
G en itiv u s , d it- il, naturale vinculum generis p o f—
f i d e c n a f c i t u r quidem a nominativo, générât
autem omnes obliquos fequentes ; & i l avoit dit
un peu plus haut : Generalis videtur effe hic ca-
fu s Genitivus , e x quo fe r è omnes derivationes ,
& maxime apud grascos, fo len t fie r i. En effet ,
'les fervices qu’i l rend dans le fyftême de la formation
s’ étendent à toutes les branches de ce fyftême. V o y e£
F ormation.
I. Dans la dérivation grammaticale, le G é n it i f
eft la racine prochaine des cas obliques : tous fuivent
l ’analogie de fa terminaifon , tous en confer-
vent la figurative. A in f i, homo a d’abord pour G é -
n it if hom - in - i s , où l ’on voit o du nominatif
changé en in - is ; is eft la terminaifon propre de
ce cas , in en eft la figurative : or la figurative in
demeure dans tous les cas obliques, la feule terminaifon
is y eft changée ; h om -in -is , h om -in -i,
hom-in-em, hom-in-e , hom-in-es, hom - in - um ,
hom-in-ibus. D e même de temp-or- i s , G é n it i f
de tempus, font venus tem p -o r -i, temp - or - e ,
temp-or-a , temp-or-um, temp-or-ibus. C ’eft par
une fuite de cet ufage du G é n i t i f , que ce cas a
été choifî comme le figne de la déclinaifon. V o y e z
D éclinaison. C ’eft l e fignal de ralliement qui
rappelle à une même formule analogique tous les
noms qui ont à ce cas la même terminaifon. I l eft
* V t