
juüf eft-il le feul qui, par un bienfait particulier de
la Provid.nce , aie lieureufement confervé cette c le f
de les annales par le fecours de quelques livres
ponctués qui auront éphapé aux diverfes déflations
de leur patrie : mais quant à l a plupart des autres
nations, i l n’eft que trop vraifemblable qu’i l a été
pour elles un temps fa ta l, où elles ont perdu tout
moyen de relever l ’édifice de leur hiftoire. I l fallut
enfuite recourir à la tradition ; i l fallut évertuer l ’ imagination
pour déchiffrer des fragments d’annales
toutes écrites en confonnes 5 & la privation des
exemplaires ponétués, prel'que tous péris avec ceux
qui les avoienc fi myftérieufement gardés, donna
néceffairement lieu à une fcience n ou ve lle, qui fit
refpeéter les écritures non ponctuées , & qui en répandit
le goût dépravé chez divers peuples : ce fut
de deviner ce qu’on ne pouvoit plus lire ; & comme
l ’appareil de 1 écriture & des livres des anciens fages
avoic quelque claofe de merveilleux, ainfi que tout
ce qu’on ne peut comprendre , on s’en forma une
très-haute idée : on n’y chercha que des choies fu-
blimes , & ce qui n’y avoit jamais été fans
doute , comme la Médecine univerfelle , le grand
oeuvre, fes fecrets , la M a g ie , & toutes ces fciences
occultes que tant d’efprits faux & de têtes creufes
ont fi longtemps cherchées dans certains chapitres
de la B ib le , qui ne contiennent que des hymnes,
ou des généalogies , ou des dimenuons de bâtiment.
I l en fut aufli de même quant â l ’hiftoire générale
des peuples Sc aux hiftoires particulières des grands
hommes. Les nations qui dans des temps plus anciens
avoient déjà abufé des fymboles primitifs &
des premiers hiéroglyphes pour en former des
êtres imaginaires qui setoient confondus avec des.
êtres ré e ls , abusèrent de même de l ’écriture fans,
confonnes, & s’en fervirent pour compofèr ou amplifier
les légendes de tous les fantômes populaires.
T ou t mot qui pouvoit avoir quelque raport de
figure à un nom connu, fut cenfé lu i appartenir ,
& renfermer une anecdote effencielle fur le per-
fonnage qui l ’avoit porté : mais comme i l n’y a pas
de mots écrits en fimples confonnes qui ne paillent
offrir plufieurs valeurs, ainfi que nous l ’avons déjà
d i t , l ’embarras du choix fit qu’on les adopta toutes,
& que l ’on fit de chacune un trait particulier de
fon hiftoire. Cet abus eft une des lources des plus
vraies & des plus fécondes de la F ab le ; & voilà
pourquoi les noms d’O rp h é e , de Mercure, d’Ifis, &c.
font allufion chacun à cinq ou fix racines orientales
qui ont toutes la fingulière propriété de nous
retracer une anecdote de leurs legendes : ce que
nous dilons de ces trois noms , on peut le dire de
tous les noms fameux dans les mythologies des
nations. D e là font provenues ces variétés fi fréquentes
entre nos étymologiftes, qui n’ont jamais
pu s’accorder, parce que chacun d’eux s’eft affectionné
à la raeine q u l l a faille j de là l ’incertitude
où ils nous ont laiffés , parce qu’ils ont tous eu
raifon en particulier , 8c qu’i l a paru néanmoins im-
poftible de les concilier enfemble. I l n’étoit cependant
rien de plus facile ; & piiifque les Volfius, les
Bochart, les Huet, les Leclerc , avoient tous eu des
fuftiages en particulier , au lieu de fe critiquer les
uns les autres , iis dévoient fe donner la rnain, 8c
concourir à nous découvrir une des principales fources
de la Mythologie , & à nous dévoiler par là un
des fecrets de l ’Antiquité. Nous nommons ceci un
fecret, parce qu’ii en a été réellement un dans l ’art
de compolèr & d’écrire dans les temps où le défaut
d invention 3c de génie, autant que la corruption
des monuments hiftoriques, obiigeoit les auteurs à
tirer les anecdotes de leur roman des noms même
de leurs perfonnages. Ce fecret, à la vérité , ne
couvre qu’une abfurdité : -mais il importe au monde
de la connoître ; & pour nous former à cet égard
une jufte idée du travail des anciens en ce genre ,
& nous apprendre les moyens de le décompofer ,
il ne faut que contempler un cabaiifte méditant
fur une bible non ponctuée : s’i l trouve un mot qui
le frape, il i’enviiage fous toutes les formes , il le.
tourne & le retourne , il Fanagrammatife, & par
le fecours des voyelles arbitraires il en épuife tous
les fens poffibles, avec lefquels il-conftruir quelque
fable ou quelque myftérieufe abfurdité ; ou, pour
mieux dire, il ne fait qu’un pur logogryphe, dont
la clef fe trouve dans le mot dont il s’eft échauffé
l’imagination , quoique ce mot n’ait fouvent par
iui-mème aucun raport à fes iilufions. Nos logo-,
gryphes modernes font fans doute une branche de
cette antique cabale , & cet arc puéril fait, encore
l ’amufemenc des petits e{pries. Telle a été enfin la
véritable opération des fabuliftes & des romanciers
de l ’antiquité, qui ont été* en certains âges les
feuls écrivains & les feuis hiftoriens de prefque
toutes les nations. Ils abusèrent de même des écritures
myftérieufes que les malheurs des temps avoient,
difperfées par le monde , & qui fe trouvoient fé-,
parées des voyelles qui en avoient été la clef primitive.
Ces fiècles de menfonge ne finirent en particulier
chez les grecs , que vers les temps où
les voyelles vulgaires ayant été heureufement in-,
ventées , l’abus des mots devint néceffairement plus
difficile & plus rare : t>n fe dégoûta infenfiblement
de la Fable ; les livres fe transmirent fans altération
: peu à peu l’Europe vit naître chez elle l ’âge
de l’Hiftoire, & elle n’a ceffé de recueillir le fruit,
de fa précieufe invention, par l ’empire de la fcience
qu’elle a toujours poffédé depuis cette époque.
Quant aux nations de l ’Afie , qui n’ont jamais
voulu adopter les lettres voyelles de la Grèce ,
comme la Grèce avoit adopté leurs confonnes , elles
ont prefque toujours confervé un invincible penchant
pour le myftère & pour la Fable; elles ont eu dans,
tous les âges grand nombre d’écrivains cabaliftiques,
qui en ont impofé par de graves puérilités 8c par
d’importantes bagatelles ; & quoiqu’il y ait eu des,
temps où les ouvrages des européens les ont éclairés
à leur tour, & leur ont fervi de modèle pour com-
pofer d’excellentes chofes en différents genres, ils
ont affeété toujours dans leur diûion des métathèfes
ou
ou anagrammes ridicules, des allufions 8c des jeux
de mots ; 8c la plupart de leurs livres nous pré-
fentent le mélange le plus bifarre de ces penfeçs
hautes & fublimes qui ne leur manquent pas , avec
un ftyle affeété 8c puéril.
Cette hiftoire des points-voyelles nous offre fans
doute la plus forte preuve que l ’on puiffe- donner
de leur inditpenfable néceffté. Nous avons vu dans
quelles erreurs font tombées les nations qui les ont
perdus par accident, ou négligés par ignorance 8c
par mauvais goût. Jetons actuellement les yeux
fur cet heureux coin du monde où cette même écriture.,
qui n’étoit pour une infinité de peuples qu une
écriture du menfonge & du délire , étoit , pour le
peuple juif 8c fous la main de l’Efprit faint, l ’écriture
de la fageffe 8c de la vérité.
On né peut douter que Moïfe , élevé dans les
arts & les fciences de l’Egypte., ne fe foit particulièrement
fervi de récriture' ( 1 ) ponctuée pour
faire connoître fes lo is , 8c qu’il n’en ait- remis, à
l ’ordre facerdotal qu’il inftitua , des exemplaires -
foigneufement écrits en confonnes & en points-
voyelles , pour perpétuer par leur moyen le fens &c l'intelligence d’une loi dont il avoit fi fort 8c
fi fouvent recommandé l’exercice le plus exad 8c
la pratique la plus févère. Ce fage légiflateur ne
pouvoit ignorer le danger des lettres fans voyelles j
il ne pouvoit pas non plus ignorer les fables qui
en étoient déjà iffues de fon temps : il n’a donc pu
manquer à une précaution que l’écriture de fon fiècle
exigeoit néceffairement , & de laquelle dépendoit
le fuccès de fa légiflation. Il y auroit même lieu
de croire qu’il en répandit au (fi des exemplaires
parmi le peuple, puifqu’il en a ordonné à tous la
leéture & la méditation affidue ; mais il eft difficile
à cet égard de penfer que les copies en ayent été
fort fréquentes , attendu que fans le fecours de l ’im-
preffion on n’a pu, dans ces premiers âges. & chez
un peiîple qui fourniffoit 600,000 combattants,
multiplier les livres en raifon des hommes : nous
ne devons fans.doute voir-, dans ce précepte, que
l ’ordre de fréquenter aflidûment les inftruélions publiques
& journalières, où les prêtres faifoient lalcélure
& l ’explication de cette loi. On nous répondra fans
doute que chaque ifraélite étoit obligé dans fa jeu-
neffe de la tranferire-, & que les enfants des rois
n étoient pas eux-mêmes exempts de ce devoir.
Mais fi cette remarque nous fait connoître la véritable
étendue du précepte de Moïfe, il y a toute
apparence qu’il en a été de l ’obfervance de ce précepte
comme de celle de tant d’autres , que les hébreux
n’ont point pratiqués , & qu’ils ont négligés
ou oubliés prefque auffitôt après le premier com-
(1) Comme le langage de l’Égypte n’ a été qu’un dialefte
affez femblàble aux langues de Phénicie & de Paleftine ,
on -conje&ure que l’écriture a dii être aufli la même. Ceci
eft d'autant plus vraifemblable, que les hébreux écrivent
de droite à gauche , ainfi qu’écrivoient les égyptiens félon
Hérodote.
G r a m m . e t - L i t t é r a t . Tome I I .
mandement qui leur en avoit été fait : on fait que
leur infidélité fur tous les points de leur loi a été
prefque aufli continue qu’inconcevable. Conduits par
Dieu même dans le defert, iis y négligent la cir-
concifion pendant 40 ans ; 8c toute la génération de
cet âge mérite d’y être exterminée. Sont-ils établis
en Ghanaan? ils y courent fans ceffe de Mo loch à
Baal, & de Baal à Aftaroth. Quipourroit le croire»
les defcéndants même de Moïfe fe font prêtres'
d’idoles.' Sous les rois , leur frénéfie n’a point à
peine de relâche : dix tribus abandonnent Moïfe
pour les veaux de Betkel ; & fi Juda ren.re quelquefois
en lui-même, fes idolâtries 1 enveloppent aufli
dans la ruine d’Ifraël. Pendant dix fiècles enfin , ce
peuple idolâtre 8c ftupide fut prefque femblàble
en tout aux nations incirconcifés, excepté qu’ il avoic
le bonheur de pofféder un livre précieux qu’il négligea
toujours, 8c une loi fainte qu il oublia au.
point que ce fut-une merveille fous Jofias de trouver
un livré de Moïfe j 8c que fous Efdras il^ fallut renouveler
la fête des tabernacles, qui n’avoit point été
célébrée depuis Jofué. La conduite des juifs dans
tous les temps qui ont précédé le retour de Baby—
lone , eft donc un monument confiant de la rare te
où ont dû être les ouvrages de fon premier législateur.
Délaiffés dans l ’arche & dans le fanttuaire
à la garde des enfants d’Aaron , fceux-ci, qui ne
participèrent que trop fouvent eux-mêmes aux-de-
for dr es de leur nation , _ prirent fai« doute aufli
l ’efprit myftérieux des miniftres idolâtres : peut-
être en n’en laiffant paroître. que des exemplaires
fans voyelles pour fe rendre les maîtres ■ & Les arbitres
de la loi des peuples, contribuerent-ils a la
faire méconnoître & oublier ; peut-etre. ne s en fèr-
voient-ûls dès lors que pour la recherche des chofes
occultes , comme leurs defeendanrs le font encore ,
& ne le firent-ils fervir de même qu’à des études
abfurdes 8c puériles , indignes de la majefte Sc dç la
gravité de leurs livres. Ge foupçon ne le jullifie
que trop, quand on fe rappelle toutes les antiques
fables dont la Cabale s’aucorife fous les noms de
Salomon & des prophètes; & il doit nous .faire entrevoir
quelle fut la raifon pour laquelle Ezechras
fit brûler les ouvrages du plus fa vaut des .rois : ceic
que les efprits faux & luperftnieux abufoient fans
Joute dès lors de fes hautes & fublimes recherches
fur la nature , comme ils abufent^ encore de fon
nom 8c des écrits des prophètes qui 1 ont fuivi oix
précédé. Au refte , que ce fort l ’idolâtrie d lfraël
qui ait occafionné la rareté des livres de Moife „
ou que leur rareté , ait occahonné cette idolâtrie,
il faut encore ici; convenir que la nature même de
l’ écriture a pu occaiionner lune & 1 autre.. Jamais
cette antique façon de peindre la parole en abrégé
n’a été faite dans, fon origine pour être commune
& vulgaire parmi le peuple : récriture uns voyelles
eft une .énigme pour lui ; 6c celle meme
qui porte des points-voyelles peut être fi iacile-
ment altérée dans fa ponftuation & dans toutes les
.minuties grammaticales, quil a dû y avoir un granj»