
C e n’eft pas faute de docilité, c’eft faute dé per-
fuafion : puifque les D ifcou r s qu’on prononce aux
réceptions des académiciens, dans les chaires, & en
cent autres occafions, peuvent avoir l ’appareil le
plus éclatant fans être ni Harangués ni O raiforts
; 8c que , dans une convention l'ecrette ou
dans un Tête-à-tête , on peut haranguer au lieu de
difcourir» Leur eenfure n’a été fondée que fur ce
qu ils ont penfé que le mot Difcours etoic placé
dans le fens général, où i l marque tout ce qui
part de la faculté de la P a ro le, & non dans le fens
particulier d’un JDifcours préparé. Mais quelle
apparence qu’on puifle le prendre dans un autre fens
que dans c e lu i- c i, pour le mettre en comparailbn
& en faire un fynonyme avec le mot de Harangue ?
C e préliminaire po fé , voici comment je crois devoir
caraéiérifer ces mots.
L a Harangue en veut proprement au coeur }
e lle a pour but de perfuader & d’émouvoir : fa
beauté confite à être vive , forte, & touchante. L e
D ifco u r s s’adreffe dire été ment à l ’efpritj i l fe pro-
pofe d’expliquer & d’inftruire : fa beauté eft d’ être
c la i r , jufte, & élégant. L ’ Oraifon travaille à prévenir
l ’imagination , fon plan roule ordinairement
’ fur la louange ou fur la critique .--fa beauté confite
à être noble, délicate , & brillante.
L e capitaine fait à fes foldats une Harangue ,
pour les animer au combat. L ’académicien prononce'
un D ifcou r s , pour dèveloper ou pour foutenir un
fyftême. L ’orateur prononce une Oraifon funèbre ,
pour donner à l ’affemblée une grande idée de fon
iiéros.
L a longueur de la Harangue ralentit quelquefois
le feu de faction. Les fleurs du Difcour s en
diminuent fouvent les grâces. L a recherche du merveilleux
dans l ’ Oraifon fait perdre l ’avantage du
vrai. ( JJ abbé GlRARD. )
( N . ) H A R D IE S SE , A U D A C E , E F F R O N T
E R IE . Synonymes.
I l y a, dans la Hardiejfe, quelque chofe de mâle 5
dans Y Au dac e , quelque chofe d’emporté 5 & dans
T Effronterie , quelque chofe d’incivil.
La ' Hardiejfe marque du courage & de l ’aflùrance.
U A u d a c e marque de la hauteur & de la témérité.
i* E ffronterie marque de l ’impudence.
Uneperfonne hardie parle avec fermeté 5 ni la qualité
, ni le rang, ni la fierté de' ceux à qui elle adreffe
l e difcours, ne la démontent point. Une perfbnne
audacieufe parle d’un ton élevé 5 fon humeur hautaine
lu i fait oublier ce qu’elle doit à fes fupé-
rieurs. Une perfonne effrontée parle d’un air in-
folent ; fon peu drducation fait qu’elle n’obferve
ni les ufages de la politefTe, ni îës’devoirs de l ’honnêteté
, m les régies de la bienféance.
L a Hardiejfe eft de nfife auprès des Grands j les
gens timides pafTent chez eux pour des lots. U A u dace
nuit aux fubalternes \ Tes fupérieurs veulent
de la foumiffion , & rendent toujours de mauvais
fervices à ceux qui n’ont pas affez refpeété leur
autorité. U Effronterie fait qu’on déplaît à tout le
monde , & qu'on paffe chez les honnêtes gens pour
être d’une v ile naiflance.
On n’eft guère propre aux grands emp lois, fi
l ’on n’eft un peu hardi. Un homme d’un caractère
audacieux peut fervir à infulter l ’ennemi.
Un effronté n’eft bon qu’à faire rougir ceux qui
l ’emploient.
11 me femble que la Hardiejfe eft pour les grandes
qualités de l ’ame, ce que le reffort eft pour les
autres pièces d’une montre j e lle met tout en mouvement
fans rien déranger : au lieu que l ’A u d a c e ,
fembiable à la main impétueufe d’un étourdi, met
le défordre. & le fracas dans ce qui étoit fait pour 1 accord & pour l ’harmonie. A l ’égard de Y Effronterie
, elle n’a^it point du tout fur les grandes qualités
, parce qu elles ne fe trouvent jamais enfemble ;
fon influence ne regarde que ce qu’i l y a de mauvais
j elle répand fur les défauts de l'ame un coloris
qui les rend encore plus laids qu’ils ne le font par
eux-mêmes. V oy e \ E ffro nté , A u d a c ie u x ,
H a rd i , & les Remarques nouvelles fur la langue
françoife , par Bouhours , tome i cr, Hardiejfe 9
Audace. ( L ’ abbé G i r a r d . )
H A RM O N IE D U S T Y L E , f. f. B e lle s -L e ttres
, Poéfie . L ’Harmonie d u f iy le comprend le
choix & le mélange des fons, leurs intonations,
leur durée, le difcernement & l ’emploi du nombre, la
texture des périodes, leur coupe, leur enchaînement
, enfin toute l ’économie du difcours relativement
à l ’o r e ille , & l ’art de difpofer les mots , foit
dans la profe foit dans les vers, de la manière la
plus convenable au caractère des idées, des images,
des fentiments que l ’on veut exprimer.
Les recherches que je propofe fur cette partie
méchanique du ftyle , & les effais que l ’on fera
pour y exercer fon oreille & fa plum e , doivent être,
comme les études du peintre, deftinées à ne pas
voir le jour. Dès qu’on travaille férieufèment, c’eft
de la penfée qu’on doit s’occuper, & des moyens
de la rendre avec le plus de force , de clarté , de
précifion qu’il, eft poflible. F ia t quafi Jlruclura
quoedam, nec t amen fia t operosè : nam effet, quum
in fin itu s , tum vue ri lis labor. Cic.
C ’eft par l’analyfe des éléments phyfiques d’une
langue qu’on peut voir à quel point elle eft fuf-
ceptible S Harmoniey mais ce travail eft celui du
grammairien. L e devoir du p o è te , de l ’hiftorien,
de l ’orateur, eft de fe livrer aux mouvements de
fon ame. S’i l pofsède fa langue , s’ il a exercé fon
oreille au fentiment de Y Harmonie , fon ftyle
peindra fans qu’i l s’en aperçoive, & l ’expreifion y
viendra d’elle-même s’accorder avec la penfée.
Une oreille excellente peut fuppléer à la réflexion
j mais avant la réflexion, perfonne n’eft sur
d’avoir l ’oreille délicate & jufte. L e détail où je
m’engage peut donc avoir fon utilité.
Dues fu n t res quce permutant au r e s , dit C icéron
j Jonus (S* numcrus.
On peut confidérer dans les voyelles le fon pu r,
l ’articulation , l ’ intonation.
Les voyelles ne font pas toutes également pleines
& brillantes \ le fon de l ’<z eft le plus éclatant de
tous, & la vo ix , comme pour complaire à l ’o reille,
le choifit naturellement : la preuve en eft dans les
accents indélibérés d’une voix qui prélude , dans les
cris de furprife, de douleur, & de jo ie .Virg ile con-
noifloit bien la prédilection de l’oreille pour le fon
de Ya t. lorfqu’i l l ’a répété tant de fois dans ce vers
fi mélodieux :
Mollia luteolâ pingit vaccinia calthâj
êc dans c e u x -c i, plus doux encore :
. . . Vél mixta rubent ubi lilia multâ
Alba rofâ , taies virgo dabat ore colores.
Ces vers prouvent que Voflius a tort de reprocher
au fon de Ya de manquer de douceur ( fua vitate
f'erè deflituitur ) y mais i l a raiftn quand i l ajoute ,
magnifieejuiâ, aures propemodum p ercellit.
L e fon de Yo eft p le in , mais grave : poiir le
rendre plus clair dans le chant, on y mêlé du fon
de Y a , comme lorfqu’on veut éclater fur volt y IV,
plus foible & moins volumineux , s’éclaircit de même
dans l ’é ouvert en aprochant du fon de Y a y Y i eft
plus g r ê le , plus délicat que IV y Y eu eft v a g u e ,
mais fonore ; Y ou eft plus grave , mais moins foible
que Yu y IV muet ou féminin eft à peiné un fon.
O , fonum quid^em habet vajlum. & aliquâ ra-
tione magnificum y longe tamen minus, quam A :
nulla hdc aptior Vuterà ad Jignificaiidum ma-
gnorum animalium & ingentium corporum , feu
vocem , f e u fonum.
E , non quidçm gravem , fe d tamen clarum fa t i s
& elegantem habet fonum : E , vocalis magis f o -
nora & magnifica quam O , minus quam A j
quum & fonum habeat obfcuriorem , & propemo-
âum in îpfis fa u c ib u s fepultum.
I. N u lla eft clarior voce illâ : in levibus & ar-
g u tis ufum habet proecipuum.
Infimum dignitatis gradum tenet U vocalis .
ïfaac Voflius.'1 . -■ ..T
Dans les v oyelles doubles , le premier fon nfétant
que pa ffager, l ’oreille n’eft fenfiblement affe&ée
que du fon final, fur lequel la voix fe déploie.
L ’ effet de la nazale eft de terminer le fon fondamental
par un fon fu g itif & harmonique qui réforme
dans le nez-:' ce fon fugitif donne plus d’éclat
à la v o y elle ; i l i a foutient, i l l ’élève, & caraCtérife
l ’Harmonie bruyant e,.
Z-uclantcs vetitos tcmpejlatefque fonoras.
Virg.
. J ’en(ends l’airain tonnant de ce peuple barbare.
Voltaire,
O n voit dans le premier exemple combien V ir g
ile a déféré au choix de l ’oreille en employant
l ’épithète fo n o ra s , qui n’eft point analogue a 1 i -
mage imperio premit ÿ en l ’emp loyant, dis-je, préférablement
à rebelles , f rementes, minaces , que
l ’image fembloit demander. C’eft la même rairoa
du volume de l ’o , qui le lui a fait employer tant
de fois dans ce vers,
Vox quoque per lucos yulgo ex audita jilentec
Ingens.
L ’abbé d’O liv e t décide brève la v o y elle nazale
à la fin. des mots , comme dans turb an, d e jiin ,
Caton. i l me femble au contraire que le retentiffement
de la nazale en doit ,prolonger le fon , du moins
dans la déclamation foutenue, & par-tout où la
voix a befoin d’un apui.
L a réfonnance de la nazale eft interrompue par
la fucceflion immédiate d’une v o y e lle , à moins que
l ’on n’afpire celle-ci pour laifler retentir c e lle - ia r.
tyran-inflexible , dejlin-ennemi y mais cet hiatus
que l ’on a permis en Poéfie, eft peut-être le plus
dur à l ’oreille , & celui de tous qu’on doit éviter
avec le pUls de foin.
Obfervons cependant que moins la nazale eft.
fonore , plus il eft aifé de l ’éteindre , & par confé-
quent moins l ’afpiration de la v o y elle fuivante eft
dure à l ’oreille : aufli fe permet-on plus fouvent la
liaifon d’une v o y e lle avec les nazales on 8c u n ,
qu’avec les nazales an 8c en : leçon u tile y.commutz
a to u s , font moins durs que main habile , océan
irrité. Boileau lui-même a dit :
■ Le chardon importun hécifla nos guérets.
Dans les monofyllabes, le fon de la n azale, pour
éviter l ’afpiration , fe réduit à une v o y e lle p u re ,
fuivie de Yn conforme, qui s’en détache pour le Uer
avec la vo y e lle fuivante : Y u n -& Vautre, Vo*n-
aime , en-ejl—i l ? ( Dans ce dernier exemple l e qui
précède Y n , a pris le fon d e ltz bref.)Toutefois i l eft
mieux de conferver à la nazale la liberté de retentir,
en ne la plaçant devant une vo y e lle que dans les
repos & les fens fufpendus. I l n’y a que L a Motte
qui n’ait pas fenti la durete de ce vers :
Et ie‘ mien incertain encore. -
C ’eft peu de confulter , pour le ch o ix , la beauté
des fons en eux-mêmes ; i l faut encore y obferver
un mélange , une variété qui nous flatte. La* monotonie
eft fatigante, même dans les panages , a
plus forte raifon dans les repos. Ce n’eft pas que le
même fon répété ne plaife quelquefois. Q u elle
douceur , quelle grâce , dit Cicéron, ne fen:-on pas
dans ces compofés, infipientem , iniquum , tricipi-
tem ! au lieu qu’i l trouve de la rudefle dans in fa -
pientem , inoequum , tricapitem •' mais cette exception
ne détruit pas la règle qui oblige a varier
l i P D d i.