
forte de féconde nature, auffi difficile à vaincre que
la nature même.
Dans la déclamation , la Monotonie eft oppofée
à un autre défaut, qui confifte à chanter Les vers ,
c’eût à dire , à les prononcer en s’arrêtant régulièrement
à chaque hémiftiche j foit que le fens
l ’exige foit qu’i l ne l ’exige pas , & à en prononcer
les finales avec la même inflexion de voix.
Je crois ne pouvoir eonfeiller rien de mieux a
ceux qui fe deftihent ou qui font appelés à parler
en p u b lic , que la le£ture réfléchie de deux ouvrages
qui me paroiffent un peu trop dédaignés ou
oubliés. L ’un eft in titulé> Traité de Vaélion de
L orateur, ou de la prononciation & du gefie ;
P a r is , 16^7. 11 eft de Michel le Faucheur, mi-
niftre de la Religion prétendue réformée , & a été publié par M. Conrart, le premier fecrétaire
perpétuel de l ’Académie francoifè. L e fécond eft
le Traité du récitatif dans la lecture , dans
Vaction publique , dans la déclamation, & dans
le chanti Paris, 1707 ; par M. de Grimareft.
Ces deux petits volumes réunis p'euvent fournir un
corps d’obfervations & de principes utiles , & fuffi-
fants pour diriger la prononciation dans toutes les
circonftances.
II. Dans le fécond féns , la Monotonie eft un
défaut de variété dans la manière d’écrire , une
uniformité toujours la même dans l ’élocution , dans
le tour des phrafes , dans, l ’ufage des figures 5 en
un m o t , une manière d’écrire ou de parler , qui
ne change jamais fes tours ni fès nuances, & qui
ne fait aucune différence entre le didactique &
l ’oratoire , entre la prière & le commandement,
entre le raifonnement & le féntiment, entre la
lettre familière & le difeours pu b lic, &c. Boileau
condanne avec juftice la Monotonie du ftyle. ( A r t
p o ét. I . 69— 78. )
Voulez-vous du Public mériter les amours ?
Sans cefTe en écrivant variez vos difeours:
Un ftyle trop égal & toujours uniforme
En vain brille à nos ieux , il faut qu’il nous endorme:
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours fur un ton femblent pfalmodier.
Heureux qui dans fes vers fait, d’une voix légère,
PafTer du grave au doux, du plaifanr au révère ï
Son livre , aimé du Ciel & chéri des lecteurs,
Eft fouvent chez Barbin entouré d’acheteurs.
( M . B e a u z é e . )
(N.) M O Q U E R IE ,R A IL L E R IE , P L A IS A N T
E R IE . Synonymer.
C e font trois manières de s’expliquer fur quelque
fuje t, qui tiennent de l ’iron ie, & qui diffèrent
entre elles tant par le motif qui les fonde que
par l ’effet qu’elles produifent.
L a Moquerie fe prend en mauvaife part; la
R a iller ie peut être prife en bonne ou en mauvaife
pa rt, félon les circonftances; la Plaifanterie en
foi ne peut être prifé qu’en bonne part.
L a Moquerie eft une dérifîon qui vient du
mépris que l’on a pour quelqu’un ; elle eft plus
offenfante même qu’une injure , qui ne fuppofe
que de la colère. L a Railler ie eft une dérifîon
qui défapprouve Amplement, & qui tient plus de
la pénétration d’efprit que de la févérité du jugement
: e lle peut être offenfante , fi elle tend à
découvrir ou à exagérer les vices du coeur, à dé-
prifer les qualités d e - l’efprit auxquelles on a des
prétentions; hors d e là elle peut même être agréable
a celui qui en eft l ’objet. L a P laifante rie eft un
badinage fin & délicat fur des objets peu intéreffants ;
l ’ effet ne peut en être que de réjouir , pourvu que
l ’ufage en foit modéré.
L a Moquerie eft outrageufe ; la Railler ie peut
être innocente , obligeante , ou piquante ; la P la i fanterie
eft agréable, fi elle eft ingénieufe ; & fade ,
fi elle manque de fel. ( M. BEAUZÉE ).
* M O R A L IT É , f. f. B elles-Lettre s . Poéfie.
Q u elle eft la fin que la Poéfie fe propofç ? Il
faut l’avouer, le plaifîr. S’i l eft vicieux , i l la
déshonore ; s’i l eft vertueux, i l l ’annoblit ; s’i l eft
pur , fans autre utilité que d’adoucir de temps en
temps les amertumes de la v i e , de femer les fleurs
de l ’illufion fur les épines de la vérité , c’eft encore
un bien précieux. Horace diftingue , dans la
Poéfie , l ’agrément fans utilité , & l ’utilité fans
agrément : l ’un des deux peut fe paffer de l ’autre ,
je l ’avoue ; mais cela n’eft pas réciproque, & le
Poème didactique même a befoin de plaire pour
inftruire avec plus i/’attrait. Mais qu’à l ’afpeét des
merveilles de la nature , plein de reconnoiflance
& d’amour , le génie , aux aîles de flamme, fe rapproche
de la divinité par le défir d’être le bienfaiteur
du monde; qu’ami paffionné des hommes,
i l confacre fes veilles à la noble ambition de les
rendre meilleurs & plus heureux ; que dans l ’âme
héroïque du poète l ’enthoufîafme de la vertu fe
mêle a celui de la g lo ire ; c’eft alors que la Poéfie
eft digne de cette origine célefte qu’elle s’eft donnée
autrefois.
Ainfî , toute Poéfie un peu férieufo doit avoir
fon objet d’utilité , fon but moral ; & la vérité de
fentimentou de réflexion qui en réfulte, l ’impreffiou
falutaire de crainte , de pitié , d’admiration , de mépris
, de haîne, ou d’amour qu’elle fait fur l ’âme ,
eft ce qu’on a p pe lle M o r a lit é .
Quelquefois la M ora lité fe préfentc dire élément,
comme dans un Poème en préceptes ; mais
le plus fouvent on la laiffe à déduire , & l ’effet
n’en eft que plus infa illib le, lorfque l e mérite de
l ’avoir faifîe trompe & confole la vanité , que le
précepte auroit bleffée : c’eft l ’artifice de l ’Apologue ;
c’eft, plus en grand, celui de laTragédie&de l ’Épopée.
Nous avons fait v o ir , en parlant de la T rag éd ie ,
comment elle eft une leçon de mqeurs.
Dans l ’Épopée, la M ora lité n.’eft pas toujours auffi
1 fenfible ni auffi généralement reconnue.
L e Boffu veut que ce Poème , pour être moral,
foit
foit compofé comme l ’A pologue. « Homère dit-
» i l , a fait la foble & le deffin de fes Poèmes
» fans penfer à ces princes ( A ch ille & U ly ffe ) ,
» & enfuite il leur a fait l ’honneur de donner leurs
» noms aux héros qu’i l avoit feints». Homère fe-
ro it , je crois , bien furpris d’entendre comme on
lui fait compofér fes Poèmes. Ariftote ne le feroit
pas moins , du fens qu’on donne à fes leçons. « L a
» Fable, dit ceph ilo foph e, eft la cooepofition des
» chofes ». O r deux chofes compofent la F a b le ,
dit le Boffu ; la vérité qui lu i fert de fondement,
& la fiéfciôn qui déguife la vérité & qui lui donne
la forme de fable. Ariftote n’a jamais penfé à ce
déguifement. I l ne veut pas que ^la fa b le enye-
lop e la vérité, i l veut qu e lle 1 imite. Ce n eft
donc pas dans l ’a llé g o r ie , mais dans lim ita t io n ,
qu’ i l en fait confifter i ’éffence. L e propre de l ’allégorie
eft que l ’efprit y cherche un autre fens
que celui qu’elle préfente. O r dans la 'qu e re lle
d’A ch ille & d’Agamemnon , le fens littéral &
fimple nous fatisfait auffi pleinement que dans la
guerre civile entre Céfar & Pompée. L e fens moral
de l ’Odyffée n’eft pas plus myftérieux : i l eft
direct, im m é d ia ta u f f i naturel enfin que dans un
exemple tiré de l ’H ifto ire; & ' l ’abfence d’U ly f f e ,
prife à la lettre , a toute fa Moralité. L a peine
inutile que le Boffu s’eft donnée pour appliquer
fon principe à l ’Énéide , auroit du l ’en diffuader.
Qu i jamais, avant lui, s’étoit avifë de voir dans l ’action
de ce Poème « l ’avantage d’un Gouvernement
doux & modéré fur une conduite dure , févère, & qui
n’infpire que la crainte ? » V o ilà où conduit l ’efpri.t
de fyftême. On s’aperçoit que l ’on s’égare, maison
ne veut pas reculer.
L ’abbé Terraffon veut que , fans avoir égard à
la M o r a lité , on prenne pour fujet de l ’Épopée
l ’exécution d’un grand deffin; & en conféquence il
condanne le fujet dè l ’Iliade , qu’ i l appelle, une
inaction. Mais la colère d’A ch ille ne produit-elle
pas fon effet, & l ’effet le plus terrible , par l ’inaction
même de ce héros ? C e n’eft pas la colère
d’A ch ille en elle-même , mais la colère d’A ch ille '
fa ta le a u x g r e c s , qui fait le fujet de l ’ Iliade. Si
par elle une armée triomphante paffe tout à coup
de la g loire de vaincre à la honte de fuir , &' de la
plus brillante profpérité à la plus affreufe défolation ;
l ’a&ion eftsgchnde & pathétique.
L e Taffe prétend qu’Homère a voulu démontrer
dans Hector, que c’eft une chofe très - louable que
de défendre fa patrie ; & dans A ch ille , que - la
vengeance eft digne d’une grande âme. L e quali
opinioni effendo per f e probabili non ver iffin ili,
e per Vartificio d>ILomero divenneroprobabiliff me e proyatijfimê e fim ilijfm e a l vero. Homère n’a
penfé à rien de tout cela : car , i ° . U n a jamais été
douteux qu il fu t beau de fervir la patrie, & 2,0. i l n’a
jamais été utile de perfuader qu’i l fût grand de fe
venger foi-même.
I l eft encore moins raifonnable de prétendre que
l ’ Iliade foit l ’éloge d’A ch ille ; c’eft vouloir que
Ç r a m m . e t L l t t é r a t . T om ll.
le Paradis perdu foit l ’éloge de Satan. U n pané"
gyrifte peint les hommes comme ils doivent être i
Homère les peint comme ils étoient. A c h ille & la
plupart de fes héros ont plus de vices que de vertus,
& l ’Iliade eft plus tôt la fatire que l ’ap ologie de la
Grèce.
Je ne fais pas pourquoi l ’on cherche dans l ’ Iliade
une autre M o r a l it é que ce lle qui fe préfente naturellement
; ce lle que le poète annonce en débutant
, & qu’i l met encore dans la plainte d’A c h ille
à fa mère après la mort de fon ami Patrocle.
« A h I périffent dans l ’univers les contentions &
» les querelles ! puiffent - elles être bannies du
» féjour des hommes & de celui des dieux , avec
» la colère qui renverfe de fon affiette l ’homme le
» plus fage & le plus modéré, & q u i, plus douce
» que le m ie l , s’enfle & s’augmente dans le coeur
» comme la fumée ! Je viens d’en faire une cruelle
» expérience par ce funefte emportement où m’a
» précipité l ’injuftice d’Agamemnon ».
O u voit ici bien clairement que la paffion ,
pour avoir fa M o ra lité , doit être funefte à celui
qui s’y livre. C ’eft un principe qu’Hpmère feul a
connu parmi les poètes anciens ; & s’i l l ’a n égligé
à l ’ égard d’Agamemnon, i l l ’a obfervé à l ’égard
d’A chille .
Lucain eft furtout.recommandable par la hardieffe
avec laquelle i l a choifi & traité fon fujet aux ieux
des romains , devenus efelaves , & dans la Cour de
leur tyran.
Proxima quid foboles , aut quid meruere nepotes
In regnum nafci ? P avide num gejjïmus arma? '
Teximus an jugules ? Alieni poena timoris
In nojlrâ cervice fedet.
C e génie audacieux avoit fenti qu’i l étoit naturel
à tous les hommes d’aimer la lib er té, de
détefter qui l ’opprim e, d’admirer qui la défend : i l
a écrit pour tous fes fiècles ; & fans l ’éloge de Néron,
dont i f a fouillé fon Poème, on le croiroit d’un ami
de Caton.
L e but de la Henriade eft le même, en un point,
que celui de la Pharfale.; mais i l embraffe de
plus grandes vues. A l ’effroi des guerres civiles ,
que 1 un & l ’autre Poème apreunent à détefter ,
fe jo in t , dans l ’exemple de la ligue , la jufte
horreur du fanatifme & de la fuperftition, ces
deux tifons de la difoorde , ces deux fléaux de
l ’humanité. I r o y e\ É p o p é e .
( ^ Dans quelques - unes de nos tragédies , la
M o r a l it é eft exprimée à la fin de l ’aétion : ce lle
de jSémiramis eft impofànte :
Par ce terrible exemple aprenez rous du moins.,
• Que les crimes cachés ont les dieux pour témoins.
. Plus le coupable eft grand., plus grand eft le fupplice.
R ois, tremblez fur le trô ne, & craignez leur juftice.
Les comédiens fe permettent de fupprimerces beauu
C CGC