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de Pline j elles méritent certainement nos rfigards
& nos éloges, parce qu’ elles viennent d’une aine
vraiment noble , épurée par tous les agréments p o f
lïhles de 1 e fp r it , du (avoir, & du goût. Cependant
on apperçoit, dans le charmant auteur des Lettres
dont nous parlons, je ne fais quelle ftérilité dans
les faits & quelle réferve dans les penfées , qui
décèlent la crainte d'un maître. Tous les détails
du difciple de Qu intilien, & toutes fes réflexions,
lie portent que fur la vie privée. Sa-politique n’a
rien de vraiment intéreflant; e lle ne dèvelope point
le reflort des grandes affaires , ni les motifs des
con feils > ni ceux des évènements publics.
Pline a obtenu les mêmes charges que Cicéron ;
i l s’eft fait une gloire de T'imiter a cet égard ,
comme dans fes études r Lee ta r is , écrit-il a un de
lès amis , Lee tari s quad honoribus e ju s infijiam,
quem æmulari in Jlu d iis cupio. Epift. iv , 8.. Neanmoins
, s i l tâcha de fuivre l ’orateur romain, dans fes
études & dans fes emplois, toutes les dignités dont i l fut
après lui revêtu n’ étoient que des dignités de nom ;
elles lui furent conférées par le pouvpir imp éria l, &
i l les remplit conformément aux vues de ce pouvoir.
En vain je trouve Pline décoré de ces vieux titres
de conful & de proconful ; je vois qu’i l leur manque
l ’homme d’É t a t , le magiftrat fuprême. Dans
le commandement de province, où Cicéron gou-
veraoit toutes choies avec une autorité fans Born
e s , ou des rois venoient recevoir lès ordres ,
Pline n ô fe pas réparer des bains , punir un elclave
fu g it if, établir un corps d’art j fans néceflaire,. juf-
qu à ce qu’i l en ait informé l’ empereur ; T u , domine
, lu i mande-t-il-, d ejpice, an inflituendum
pute s collegium fabrorum : mais Lépide , mais
Antoine , mais Pompée , mais C é fa r , mais O c tave
craignent & refpe&ent Cicéron ils le ménagent
, ils le courtifent, ils cherchent fans foccès
â le gagner & à le détacher du parti de Caflïus,
de Brutus, & de Caton. Q u elle difiance à cet égard
entre l ’auteur, dès Philip piques & l ’écrivain du pa-
negyrique de Trajan ! ( L e chevalier d e Ja U-
C O U R T . )
L ettre? socratiques , Littéral. Cfeff aïhÆ
qu’on nomme, chez l e s littérateurs , le Recueil de
diverfes L e ttr e s , au nombre de trente-cinq, que
Léon AUatius fit imprimer à Paris, l ’an 16 3 7 , en
grec , avec une vèrfion latine & des notes , fous le
nom de Socrate & de fes difciples. Les fèpt premières
Lettres font attribuées à ce philofophe
même ; les autres , à Antifthène, Ariffippe , Xéno-
phon , P la to n , &c. Elles furent reçues avec ap-
plaudiliement, & elles le méritent à plufieurs
égards. Cependant on a depuis confidéré ce Recueil
avec plus d’attention qu’on ne le fit quand i l vit
le jour : & M. Fabricius s’eft attaché a prouver que
ces Lettres font des pièces fuppofées, & qu’eues
font l ’oüvrage de quelques fopniftes plus modernes
<|ue les philofophes dont elles portent le nom
c eft ce qu i l tache d établir x tant par les caractères
I E f
f t y ï e , que par le filence des anciens : îe c&4
lebre Pearfon avoit déjà, dans fes V in d ic . Ig n a tii,,
■ pa r t. I I c h a p . i i , donné plufieurs raifons tirées
cfe la Chronologie , pour juftifier que ces Lettres
ne peuvent etre de Socrate & des autres philofophes
auxquels on les, donne : enfin c’eft aujourdhui
le fentiment général de la plupart des Savants. I l
eft vrai que M. Stanley fembie avoir eu déficit!
de réhabiliter 1 authenticité de ces L e ttr es , dans la-
vie des philofophes auxquels Léon Allatius les-
attribue ; mais le foin qu’a pris l ’illuftre anglois
dont nous venons de parler ,. n’a pu faire pencher,
la balance en fa faveur.
Cependant, quels que foient les auteurs des Lettres
fo c ra tiq u e s , on les lit avec plaifir , parce
qu’elles font bien écrites , ingénieufes> & intéref-
fantes : mais comme i l eft vraifemblable que la
plupart des leéteurs ne le s connoiffent guè re, j’en
vais tranferire deux pour exemple. L a première eft:
çe lle qu A riftippe, fondateur de la fe é te Cyrénaïque,,
écrit à Antifthène , fondateur de la feéte des cyniques
, a qui la manière de vivre d’Ariftippe dé—
plaifoit. E lle eft dans le ftyle ironique d’un bout
a 1 autre, comme vous l e verrez*
’ A r ïjïïpp e d Antifihène*
« Ariftippe eft malheureux au delà de ce qu«
» l ’on peut s’imaginer ; & cela peut - i l être a u -
» trement , réduit â vivre avec un tyran , à avoir.'
» une table délicate, à être vêtu magnifiquement,.
»• a. fe parfumer des parfums les plus exquis ? Ce-
»• qu i l y a d affligeant,. c’eft que perfonne ne veut-
» me délivrer de la cruauté de ce ty ran , qui. ne-
» me retient pas fur le pied d’un homme groflîec
» & ignorant, mais comme un.difciple de Socrate,-
» parfaitement inftruit de fes principes ; ce tyran»
»■ me fournit abondamment tout ce dont j’ai be-
»- fo in , ne craignant le jugement ni des dieu» ni-
»-• des. hommes ; & pour mettre le comble à mes.
» in fo r tu n e s i l m’a fait préfent de trois bel-les-
» filles fîciliennes & de beaucoup de vaifielle d’ar-
y> gent.
y> C e qu’i l y a de fâcheux encore., c’eft que-
» j ignore quand i l finira de pareils traitements*.
» C eft. donc .bien fait â vous, dfavo ir pitié de la-.
» mifere de vos- prochains ;. & pour vous en téï-
» moigner ma reconnoiflance, je me réjouis avec:
» vous du rare bonheur dont vous jo u ïfie z , & j’y,
» prends toute la part poflîble. Cofffervez- pour
» l ’hiver, prochain les figues & la farine de Crète
» que vous avez ;.ce la .vau t bien mieux que toutes
» les- richeftes du monde. Lavez-vous. & vous, dé-
» faltérez à la fontaine d’Ennéacrune ; portez hiver-
& été le même habit qu’i l fait, mal propre,
» comme i l convient à uiï homme qui. v i t dans la.
» libre république d’Athènes.
» Pour m o i, en venant dans un pays gouverné-
» par un monarque, je prévoyois bien que je ferois,
» expofé â une partie des maux que vous me. ||Jp
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peignez dans: votre Lettre } & 'â préfent les fy-
» raeufains , les agrigentins, les géléens , & en
» général tous les (Ici lie ns ont pitié de moi, en
» m admirant. Pour me punir d’avoir eu la folie
» de me jeter inconfidérément dans’ ce malheur ,
» je fouhaite d’être accablé toujours de ces mêmes
» maux, puifqu’etant en âge de raifon & inftruit
» des maximes de la fagene j je n’ai pu me ré-
» foudre à fouffrir la faim & la fo if , à méprifer la
» gloire , & â porter une longue barbe.
» Je vous enverrai provifion de pois , apres que v vous aurez . fait l ’Hercule devant - les enfants ;
» parce qu’on dit que vous ne vous faites pas de
» peine d’en parler dans vos difeours & dans vos
» écrits. Mais fi quelqu’un fe méloit de parler
» deN pois devant Denys j je crois que Ce fèroit
» pécher contre les lois de la tyrannie. Du refte,
» je vous permets d’aller vous entretenir avec Si-
» mon- le corroyeur, parce que je fais que vous
» n’eftimez perfonne plus fage que lui : pour m o i,
» qui dépends des autres, il ne m’eft pas trop per-
» mis de vivre en intimité ni de converfer fami-
» lièrement avec des artifans de ce métite ».
La fécondé Lettre d’Ariftippe , - qui eft adrefiee à
Arête fa fille , eft d’un tout autre ton ; il l ’écrivit
peu avant que de mourir, félon Léon Allatius : c’eft
la trente feptiè me de'Con Recueil. La voici:
« Télée m’a remis votre L e ttr e , par laquelle
» vous me follicitez de faire diligence pour me ren-
» dre d Cyrène , parce que vos affaires ne vont pas
» bien avec les magiftrats , & que la grande mo-
» deftie de votre mari & la vie retirée qu’il a
» toujours menée , le rendent moins propre d avoir
» foin de fes affaires domeftiques. Aufli tôt que- j’ai
r> eu obtenu mon congé de Denys , je me fuis mis
» en voyage pour arriver auprès de vous ; mais
» je fuis tombé malade d Lipara ou les amis de
» Sonicus prennent de moi tous les foins poffibies,
» avec toute' l ’amitié qu’on peut défirer quand- on
» eft près du tombeau.
» Quant a ce que vous me demandez, quels égards'
» vous devez à mes affranchis , qui déclarent qu’ils
» n’abandonneront jamais Ariftippe tant qu’il leur
» reftera des forces , mais qu’ils le ferviront toujours
» , aufli bien que vous ; vous pouvez avoir une en-
» tière confiance en eux, car ils ont appris de moi
» d n’être pas faux. Par raport d ce q.ur vous
» regarde pe fonnellement je vous confeille de
» vous mettre bien avec vos màgiftrat-s ; & cet
» avis vous fera utile , fi- vous ne défirez pas trop :
» vous ne vivrez jamais plus» contente que' quand
» vous mépriferez le fuperôu : car ils ne fonc pas
» aflez injuftes pour vous laifier dans la- nécefitté.
» I l vous refte deux vergers, qui’ peuvent vous
» fournir abondamment de quoi vivre ; & le Bien
» que vous ayez en Bernice vous fufHroit quand
» yous n’auriez pas d’autre revenu. Ce n’èft pas que
/ » je vous confeille de négliger les petites choies ;
» je veux.feulement quelles ne vous.caufent ni int
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» quiétude, ni tourment d’eipi-it, qui ne fervent de
» rien , même pour les grands objets. En cas qu i l
» arrive qu’après ma mort vous fouhaitiez de favoir
» mes fentimenls fur l ’éducation du jeune Ariftippe r
» rendez-vous d Athènes, & eftimez principalement
» Xantippe & Myrte , qui m’ont fouvent prié de
» vous amener à la célébration des myftères d’É-t
» leufis ; tandis que vous vivrez agréablement avec
» elles , laifle z les magiftrats donner un libre;
» cours à leurs injuftices , fi vous 13e pouvez les'
» en empêcher par vorre bonne conduite avec eux.
» Après tou t, I l s ne peuvent vous faire tort par:
» raport d votre fin naturelle.
» Tâchez de ybus conduire avec Xantippe &
» Myrto comme fe faifois autrefois avec Socrate ï
»• conformez-vous .a leurs manières; .l'orgueil feroit
» mal placé là. Si Tyroeîès , fils de Socrate, qui
», a demeuré' avec moi à Mégare , vient à Cyrène ,1
>> a y e z foin de l u i , & le traitez comme s^il étoit
» votre fils. Si vous ne voulez pas-allaiter votre
» fille , à caufe de l ’embarras que cela vous cau-
» feroit ,. faites venir la fille d’Eu boïs, d qui vous
» avez donné , à ma cônlidération , le nom de
» mère , & que moi-même j’ai, fouvent appelée
» mon amie.
» Prenez foin fbrtout du jeune Ariftippe,. pour-
» qu’ i l foit digne de nous , & de la Philofop hiè
» que je lui lâifie en héritage réel ; car le refte de
» fes biens- eft expofé aux injuftices des magif-
» trats de Cyrène. Vous ne me dîtes- pas du, moins
» que perfonne ait entrepris de vous enlever d la»
» Philofophiè. Ré jouïfiez - vous , ma chère F i l le ,
» dans la pofleflïon de ce tréfor & procurez - en
» la jouïflance à. votre fils-, que je fouhaite-roia
» 'qu’i l fut déjà le mien- : mais étant' privé de cette-
» confolation, je meurs dans l ’affûrancè que vous
» le conduirez fur les pas des gens de bien. Adieu %
» ne vous affligez pas a caufe dé m o i ». ( L e che—
v aller d e J. a u c o u r t . )
L e t t r e s d e s M o d e r n e s ' , Genre épïfl. N o s
Lettres modernes , bien différentes de Celles dont,
nous venons-de p a rler, peuvent avoir à leur louange
le ftyle fimple, libre, familier , v if , & naturel ; mais
elles ne contiennent que de petits fa its , de petites .
nouvelles , & ne peignent que le jargon d’un temps
& d’un fiècle où la fauffe politefle- a mis le men-
fbnge partout : ce ne font que frivoles compliments
de gens qui veulent fe tromper , & qui
ne fe trompent' point ; c'eft.- ml remplifihge d’idées
futiles de fociété’, que nous appelons devoirs. Nos
Lettres' roulent- rarement fu r de grands intérêts-,
fur de véritables fentiments , fur des épanchements
de confiance- d’amis , qui. ne fe déguifent rien &
qui cherchent a. fe tout dire ; enfin-, elles ont pref-
que toutes une efpèce de monotonie , qui. comr-
menee ,& qui- finit de même;
C e n’eft pas parmi nous qu’ i l faut agiter l a
queftion de Plutarque , f i la leéiure d’une Lettre