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d’ inviter leurs enfants & leurs frères à fe rendre
dio-nes d’eux 3 & de mettre en ufage, pour la con-
folation des pères & des mères , les raifons les plus
capables de diminuer le fentiment de leurs pertes.
Platon , qui nous préfente l'image d'un difeours
parfait dans le genre dont i l s’a g i t , l ’avoit vrai-
lemblablement formé fur l ’éloge funèbre que Péri-
clès prononça dans cette occafion.
I l plut tellement-, qu’on choifit dans la fuite
les plus habiles orateurs pour fons ces fortes $ O rai;
on leur accordoit tout le temps de préparer
leurs difeours j & ils n’oublioient rien pour
répondre à ce qu’on attendoit de leurs talents.
L e beau choix des expreflions , la variété des tours
& des figures , la brillante harmonie des phrafes
feioient, fur l ’âme des aüditeurs, une impremon de
joie & de furprife qui tenoit de l ’enchantement.
Chaque citoyen s'appliquait en particulier les
louanges quon donnoit a tout le Corps des citoyens
j & fe croyant tout â coup transformé en
un-autre homme , i l fë paroiffoit à lui-même plus
grand , plus refptâ able , & jouïffoit du plaifîr
flatteur de s’imaginer que les étrangers qui afïuïoient
à la cérémonie , avoiént pour lui les mêmes fen-
timents de refpeét & d’admiration. Limpreflion
duroit quelques jours, & i l ne fe détachoit qtu avec
peine-de cette aimable illufion , qui l ’avoit comme
tranfporté ‘ en quelque forte dans les îles fortunées.
T e l le é to it , félon Socrate , l ’habileté des orateurs
chargés de ces éloges funèbres. C ’ eft ainfî qu’à la
faveur de l'Eloquence leurs di{cours pénétroient
jufqu’au fond de l ’âme, & y caufoient ces admirables
tranfports.
L e premier qui harangua à Rome aux funérailles
des citoyens , fut Valérius - Publicola. Po-
ly b c raconte qu’après la mort de Junius-Brutus,
fon co llè gu e , qui avoit été tué le jour précédent
â la bataille contre les étrufques, i l fit apporter
icn corps dans la place publique & monta fur la
tribune, ou i l expofa les belles avions de fa vie.
L e peuple , touché , attendri, comprit alors de
que lle utilité i l peut être à la République de récom-
penfer le mérite , . en le peignant avec tous les
traits de l ’Éloquence. I l ordonna fur le champ ,
que le même ufage feroit perpétuellement obfervé
à la morfdes grands hommes qui auroient fendu
des fervicés importants à l ’État.
Cette ordonnance fut exécutée, & Quintus-Fabius-
JVIaximus fit l ’ O r a i f o n f u n è b r e de Scipion. Souvent
les enfants s’aquittoient de ce devoir , ou
bien le Sénat choififloit un orateur pour compofer
l ’éloge du mort. Augufte , à l ’âge de douze ans ,
récita publiquement 1 éloge de (on àieul , & prononça
celui de Germanicus fon neveu , étant empereur.
Tibère fui vit le même exemple pour fon
fils ; & Néron , à l ’égard de l’empereur Claude fon
prédécefleur.
Sur la fm de la République , l ’ufage s’établit
chez les romains de faire 13Oraifon funèbre des
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femmes illuflres qui mouroient dans un âge un peu
avancé. L a première dame romaine qui reçut cct
honneur fut Popiiia , dont Craffus fon fils prononça
YOraifon funèbre. Céfar étant quefteur fut
le premier qui fit c e lle de fa première femme ,
morte jeune. Cicéron écrivit aufli i’éloge de Porcia,
foeur de Caton , mais i l ne le prononça pas.
I l réfulte de ce détail que l ’invention des Orai- fons funèbres paroît appartenir aux romains 3 ils
ont du moins cet avantage d’en avoir étendu la gloire avec plus de juftice & d’équité que les grecs.
>aùs Athènes on ne louoit qu’une forte de mérite,
la valeur militaire j à Rome toutes fortes de vertus
étoient honorées dans cet éloge public ; les p olitiques
comme les guerriers , les hommes comme
les femmes -, avoient droit d’y prétendre ; & les
empereurs eux - mêmes ne dédaignèrent point de
fmononst e'fru fnuèrb lrae st.ribune , pour y prononcer des Orai-
Après cela , qui douteroit que cette partie de
l ’art oratoire n’ait été pouflee à Rome jufqu’à
fa perfçétion î Cependant il y a toute apparence
qu’elle y fut très-négligée 3 les rhéteurs latins
n’ont laifle aucun traité lur cette matière, ou n’en
ont écrit que très-fuperficiellement. Cicéron en
paij.e comme à regret, parce qu e , d i t - i l , les O r a i f
o n s f u n è b r e s ne font point partie de l ’Éloquence 3
N o j lr a e la u d a t io n e s f e r i b u n t u r a d f u n e b r em c o n -
c io n em , quer. a d Orationis la u d em m in im è a c c o m -
m o d a ta e j l . Les grecs au contraire aimoient paf-
fionnément à .s’exercer en ce genre 3 leurs Savants
écrivoient continuellement les O r a i f o n s f u n è b r e s
de Thémiftocle , d’Ariftide , d’Agéfilas , cTÉpami-
nondasr, de P h ilip p e , d’ Alexandre , & d’autres
grands hommes. Epris de la gloire du bel efprit,
ils laifloient au vulgaire les affaires & les procès 3
au lieu que les romains, toujours attachés aux anciennes
moeurs, ignoroient ou méprifoient ces fortes
d’écrits d’appareil. ( Le chevalier d e J A v C O U R T . )
en OFrraanicseo.n f u n è b r e , Hijîoire de VÉloqiience Difeours prononcé ou imprimé à l ’honneur
funèbre d’un prince , d’une princefle j.ôu d’ une
perfonne éminente par la naiflance , le rang , ou la
dignité dont elle jouïffoit pendant fa vie.
On croit que le fameux Bertrand du Guefclin ,
mort en 1 380 , & enterré à S. Denis à côté de nos
fruonièsbj 'reef t le premier donf on ait fait YOraifon dans ce royaume ; mais cette Oraifon n’a
point paffe jufqu’à nous : ce n’eft proprement
qu’à la renaiflance des Lettres qu’on commença d’appliquer
l ’art oratoire à la louange des morts
illuflres par leurs a étions. Muret prononça à Rome
en latin YOraifon funèbre de Charles IX . Enfin ÿ
fous le fiècle de Louis X I V , on vit les françois
exceller en ce genre dans leur propre langue ; &
Bofluet remporta la palme fur tous fes concurrents.
C ’eft dans ces fortes de difeours que doit fe déployer
l ’art de la parole j les attions éclatantes nsj
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doivent s’y trouver louée s, cpie quand elles ont des
motifs vertueux 3 & la gravite de l ’Évangile n’y doit
tien perdre de fes privilèges. Toutes ces conditions
fe trouvent remplies dans les Oraifons de l ’évêque
de Meaux.
II s’appliqua de bonne heure , dit V o lta irç ,
i ce genre d’Éloquence , qui demande' -de l ’imagination
& une grandeur majeftueufe qui tient un
peu à la Poéfie , dont i l faut toujours emprunter
quelque chofe , quoiqu’avec diferétion , quand on
tend au fublime.. VOraifon funèbre de la reine
mère, qu’i l prononça en 1667 , lui valut l ’évéché
de Condom : mais ce difeours n’étoit pas encore
digne de lui , & i l ne fut pas imprimé. L ’éloge
funèbre de la reine d’A n g leter re, veuve de Charles
I , qu’il fit en 1669 , parut prefque en tout
un chef-d’oeuvre. Les fujets de ces pièces d’É lo quence
font heureux , à proportion des malheurs
que les morts ont éprouvés. C ’eft en quelque façon
comme dans les tragédies , où les grandes infortunes
des différents perfonnages font ce qui inté-
reffe davantage.
L ’éloge funèbre de Madame , enlevée à la fleur
de fon âge & morte entre fes bras, eut le plus
grand & le plus rare des fuccès , celui de faire
verfer des larmes à la Cour. I l fut obligé de s’arrêter
après ces paroles. « O nuit défaftreufe, nuit
» effroyable i, où retentit tout à coup comme
» un-éclat de tonnerre cette étonnante n ou ve lle,
» Madame fe meurt, Madame ejl morte , &c. ».
L ’auditoire éclata en fanglots, & la voixy de l ’orateur
fut interrompue par fes foupirs & par fes
larmes.
Bofluet naquit à Dijon en 16 1 .7 , & mourut
à Paris en 1704. Ses Oraifons funèbres font celles
de la reine mère , en 1667 3 de la reine d’Angleterre
, en 1669 j de Madame , en 16703. de là
rein e, en 16843 de la princefîc palatine , en
168? 3 de M. le T e l l i e r , en 16863 & de Louis
de Bourbon prince de Condé, en 1687.
Fléchier ( Efprit ) , né en 16 3 a , au comtat d’A v ignon
^ évêque de Lavaur & puis de Nifmes ,
fmonorst feunn è1b7 rt eos,. eft furtout connu par fes belles Orai
Les principales font celles de la
ducheffe^de Montaufier, en 167 a 3 de M. de T u -
renne , en 16793 du premier préfident de Lamoign
o n , en 16793 de reine, en 16833 de M .le
T e l l i e r , en 1686 3 de madame la dauphine., en
1690 3 & du duc de Montaufier dans la même
année.
Mafcaron( Jules) , né à M ar fe ille , mort en 1734»
évêque d’Agen en 1703. Ses Oraifons funèbres
font ce lle d’Anne d’A u triche, reine de France,
prononcée ëh 1669 3 celle d’Henriette d’Angleterre ,
duchefle d’ Orléans ; ce lle du duc de Beaufort 3 ce lle
du chancelier Séguier 3 & ce lle de Turenne. Les Oraifons funèbres que nous venons de citer , balancèrent
d’abord celles de Bofluet : mais aujour-
dhui elles ne fervent qu’à-faire voir combien -Bof-
fuet étoit un grand homme.
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Depuis cinquante ans , i l «e s’eft point elevé
d’orateurs a côté de ces grands maîtres, & ceux qui
viendront dans la fuite trouveront la carrière remp
lie. Les tableaux des mifères humaines, de la vanité
, de la grandeur , des ravages de la m d rt, ont
été faits par tant de mains habiles , qu’on eft réduit
à les copier ou à s’égarer. Auflï les Oraifo
n s funèbres de nos jours ne font que d’en-
nuyeufes déclamations de fophiftes , & , ce qui eft
pis ençore, de bas éloges , où l ’on n’a point de
honte de trahir indignement la vérité. H i j l . unvù.
de Voltaire , tome V I I . ( L e chevalier DE J A U -
C O U R T . )
O R A L , adj. Gramm. Dans l ’ufage ordinaire T
• O ra l veut dire qui s ’expofe de bouche ou de vive
v o ix j & on l ’emploie principalement pour marquer
• quelque chofe de différent de ce qui eft
écrit : la tradition orale , la tradition écrite.
En grammaire , c’eft un adjeftif qui fert à distinguer
certaines voix ou certaines articulations des
autres éléments femblables.
Une voix eft orale , lorfque l ’air qui en eft la
madère fort entièrement par l ’ouverture de la bouche
, fans qu’j l en reflue rien par le nez : une
articulation eft o rale , quand elle 11e fait refluer
par le nez aucune partie de l’ait dont elle modifie
le fon. T ou te voix qui n’eft point nafale eft
orale ; c’eft la même chofe des articulations.
O n appelle auflï voyelle ou çonfonne orale ,
toute lettre qui lepiifente ou une voix orale ou une
articulation orale. V oy e \ L e t t r e , V o ï e l l e ,
N a s a l . ( M. B eauzée. )
( N .) O R A T E U R , f. m. ( B e lle s Lettres, art.
orat. ) Pour fe former une idée complette de
Y Orateur, i l faut confîdérer fes moeurs, fes talents,
fes lumières.
I .Moeurs , ou caractère de VOrateur. I l femble
que dans tous les temps l ’eftiine publique , attachée
à la perfonne de YOrateur, ait dû être la compagne
inféparable de l ’Éloquence. Et en effe t, fi la bonne
f o i , la droiture., la fincérité, l ’auftère probité de
celui qui parle eft connue , fa caufe eft recommandée
par fa perfonne 3 & avant même qu’i l ait
ouvert la bouche, on eft à demi perfuadé. Si le
droit qu’ i l défend ne lui ctoit pas connu ; fi ce qu’i l
veut perfuader n’étoit pas vrai , n’étoit pas jufte 3
fi ce qu’i l va louer n’etoit pas louable 3 fi l ’homme
qu’i l accufe n étoit pas criminel 3 fi le confeil
que donne un citoyen fi fa g e , fi vertueux, n’étoit
pas ce qu’i l y a de plus utile & de plus honnête
i l n’auroit garde de profaner fon miniftère 3 le parti
qu’i l embrafle doit être le meilleur. Ainfî raifonne
'ou doit raifonner l ’opinion , la confîdération publique
, en faveur de l ’homme de bien , connu, révéré
comme tel.
Si au contraire la conduite , les moeurs, le ca-
raètècc d’un Lonune éloquent l ’ont rendu mépri-
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