
entend, s’i l répète m a l, i l ne fera point compris,
ou bien on lui. fera connoître Ion erreur ? & à la
longue i l fe corrigera. C ’eft au contraire l ’erreur
de l ’oreille qui domine & qui altère le plus la
prononciation, lo rfqu’une nation adopte un mot
qui lu i elt étranger, & lorfque deux peuples différents
confondent leurs langages en fe mêlant. Celui
q u i , ayant entendu un mot étranger, le répète
mal , ne trouve point dans ceux qui i ’écoutént de
contradicteur légitime & i l n’a aucune raifon pour
le çorriger.
i<?°. I l réfulte de tout ce que nous avons dit
dans le cours de cet article , qu’une Étymologie
eft une fuppofition ; qu’e lle ne reçoit un caraétère
de vérité & de certitude que de fa comparaifon
avec le? faits connus , du nombre des ciiconftances
de ces faits qu’elle explique , des probabilités qui
en naiflent & que la Critique apprécie. Toute
circonftance expliquée, tout rapport entre le dérivé
& le primitif fuppofé, produit une probabilité ,
aucun n’eft exclus ; la probabilité augmente avec
le nombre des rapports, & parvient rapidement,
à la certitude. L e fens , le fo n , les conformes ,
les vo y elle s , la quantité , fe prêtent une force
réciproque. Tous les rapports ne donnent pas une
ég a le probabilité. Une Étymologie qui donneroi:
d un mot une définition exaéfce, l ’emporteroit fur
c e lle qui n’auroit avec lu i qu’un rapport métaphorique.
De? rapports fuppofés d’après des exemples,
cèdent à des rapports fondés fer des faits connus ;
lè s exemples indéterminés, aux exemples pris des
mêmes langues '& des mêmes -fiècles. Plus on
remonte de degrés dans la filiation des Étymolog
ies , plus le primitif éft loin du dérivé j plus
toutes les reffemblances s’altèrent, plus les rapports
deviennent vagues & fe réduifent à de Amples
pofïibilités , plus les fuppofitions font multipliées j
chacune eft une fource a incertitude : i l faut donc
le . faire Une lo i de ne s’en permettre qu’une à la
fois , & par conféquent de ne remonter de chaque
mot qu’à fon Étymologie immédiate ; ou bien i l
faùt qu’une fuite de faits inconteftables remplifïe
l ’intervalle entre l ’un & l ’autre, & difpenle dç
toute fuppofîtion. I l eft bon en général de ne fe
permettre que des fuppofitions déjà rendues vrai?
lemblables par quelques induÇtjons. O n dojt vérifier
par l ’hiftoire dès conquêtes & des migrations des
peuples, du' commerce, des arts , de l ’efprit humain
en 'généra l, & du progrès de chaque ' nation en
pa rticulier, les Étymologies qu’on ’établît fur les
mélanges des peuples & des langues ; par des
exemples connus, celles q if on tire des changements
du fens au moyen des métaphore? ; par la
connoiflance hiftorique & grammaticale de la prononciation
de chaque langue & de fes révolutions ,
icelles qu’on fonde fur les altérations de là prononciation
: comparer toutes les Étymologies fupr
pofées, foit avec la chofe nommée, fe! nature ,
les rapports, & fon analogie avec les différents
ê t r e s , foit avec la chronologie des altérations.
fecceflîves , & l ’ordre invariable des progrès de
l ’euphonie ; rejeter enfin toute Étymologie contredite
par un feul f a i t , & n’admettre comme
certaines que celles qui feront appuyées fur un.
très-grand nômbre de probabilités réunies.
io ° . Je finis ce tableau raccourci de tout l ’art,
étymologique par la plus générale des règles , qui
les renferme toutes, ce lle de douter beaucoup. O n
n’a point à craindre que ce doute produife une
incertitude univerfelle : i l y a , même dans le
genre étymologique, des chofes évidentes à leur,
manière ; des dérivations fi naturelles , qui portent
un air de vérité fi frapant, que peu de gens s’y
refufent. A l ’ égard de celles qui n’ont pas ces
caractères , ne vaut-il pas beaucoup mieux s’arrêter
en deçà des bornes de la certitude , que d’a ller
au delà ? L e grand objet de l ’art étymologique
n’eft pas de rendre raifon de l ’origine de tous les
mots fans exception , & j’ofe dire que ce feroit
un but aflez frivole. Cet art eft principalement
recommandable en ce qu’ i l fournit à la P hilofophie
des matériaux & des obfervations pour élever le
grand édifice de fe théorie générale des langues 5,
o r , pour cela i l importe bien plus d’ employer,
des obfervations certaines , que d’en accumuler un.
grand nombre. J’ajoute qu’i l feroit auffi impoflible
qu’inutile de connoître i Etymologie de, tous le s
mots j • nous avons, vu combien, l ’ incertitude augmente
dès qu’on eft parvenu à la trpifième ou
quatrième Etymologie , combien on eft obligé,
d’entafler. de fuppofitions, combien les pofïibilités.
deviennent vagues ; que feroît-ce , fi l ’on vouloir
remonter au delà ? & combien cependant ne
ferions-nous pas loin encore de la première im-
pofition des noms ? Qu’on réfléchine à la. multitude
de hafards qui ont fouvène préfidé a cette impo-
fition; combien de noms tirés de circonftances
étrangères à fe chofe , qui n’ont duré qu’un inftant>..
Ôç dont i l n’a refté aucun veftige. En voici un
exemple : un prince s’étonnoit, en traverfànt les
falles du palais ? de fe quantité de marchands,
qu’i l voyoit, Ç e qu’ i l y a de plus fingulier , lu i
dit quelqu’un de fe fe ite ., c’eft qu’on ne peut rien,
demander à çes gens-fe qu’ ils ne vous le fourniffent
fur le champ > 44 chofe n’eut - e lle jamais exifté.
L e prince rit ; on le pria d’en faire l ’effai. I f
s’approcha d’une boutique , & dit : Madame, vendez
vous des . , . f . des fa lb a la s ? L a marchande „
fens demander l ’explication d’un mot*qu’e lle enten-
doit pour 1a première fois , fui dit : O u i , Monseigneur;
& lu i montrant des prétintailles & des
garnitures de robes de femme , Voilà ce que vous
demandez ; c’ eft cela mçm.e qu’on appelle des
fa lb a la s . C e mot fut répété, & fit fortune. Combien
de mots doivent leur origine à des circonftances
auffi légères , & auffi propres à mettre en
défaut toute fe fagaefié des çtymologfftes? Concluons
dé tout ce que nous avons dit , qu’i l y a
des. Étymologies certaines , qu’i l y en a de
probables, & qu’pn peut toujours éviter l ’erreur ,
pourvu
pourvu qu’on le réfolve à beaucoup ignorer.
Nous n’avons plus , pour finit cet a r t ic le , qu’à
y 'joindre quelques réflexions fur inutilité des recherches
étymologiques , pour les difculper du
reproche de frivolité qu’on leur fait fouvent.
Depuis qu’on connoît l ’enchaînement général
qui unit toute les vérités ; depuis que l a r h i lo -
fophie ou plus tôt la raifon , par, fes progrès , a
fait dans les fciencés ce qu’avoient fait autrefois
les conquêtes des romains parmi les nations j
.qu’elle a réuni toutes les parties du monde littéraire
, & 'renverfé les barrières qui divifoient les
gens de Lettres en autant de petites républiques
étrangères les unes, aux autres, que leurs etudes
avaient d’objets . différents : je ne feurois croire
qu’aucune forte de recherches ait grand befoin
d’apologie. Quoi qu’i l en f o i t , le deveiopement
des principaux ufages de l ’ étude étymologique ne
peut être inutile ni déplacé à 1a fuite de cet article.
L ’application la plus’ médiate de l ’art étymologique
, eft la recherche des origines d’une langue
en particulier : le réfultat de ce tra v ail, pouffé
auffi loin qu’i l peut l ’ être fans tomber dans des
conjectures trop arbitraires , eft une partie effencielle
de Tanalyfe d’une lan gu e, c’eft à d ir e , de la
connoiffance complette du fyftême. de cette lan gu e ,
de fes éléments radicaux, de la çombinaifon dont
ils font fufoeptibles, &c. L e fruit de cette analyfe
eft la facilite de comparer les langues entre elles
fous toutes fortes de rapports , grammatical , phi—
lofophique , hiftorique , & c. O n font aifément combien
ces préliminaires font indifpenfables pour
feifir en grand & fous fon vrai point de vue la
théorie générale de la parole , & la marche de
l ’efprit humain dans la formation & les progrès
du langage ; théorie q u i , comme toute autre , a
he foin, pouf .n’être pas un roman, d’être continuellement
rapprochée des faits. Cette théorie eft
la fource d’où découlent les règles de cette
Grammaire générale qui gouverne toutes les langues
, à laque lle toutes les nations s’affujettiflent
en croyant ne fuivre que les caprices de l ’ufage ,
Sc dont enfin les Grammaires de toutes nos langues
ne font que des applications partielles & incom-
plettes,. L ’hiftoire philofophique de l ’efprit humain
en général & des idées des hommes, dont les
langues font tout à la fois l ’expreffion & là mefure ,
eft encore un fruit précieux de cette théorie. Je ne
donnerai qu’un exemple des fervices que l ’étude des
langues & des mots, corifidérée fous ce point de
v u e , peut rendre à la faine Philofophie, en détrui-
fant des erreurs invétérées.
Q n fait combien de fyftêmes ont été fabriqués
fur la nature & l ’origine de nos connoiffances ;
1 entêtement avec leque l on a foutenu que toutes
nos idées etoient innées; & la multitude innombrable
de ces etres imaginaires dont nos fcholaftiques
avoient rempli 1 univers, en prêtant une réalité
a toutes les abftra&ions .de leur efprit ; virtualités
CrKAMM. ET L lTTÉRAT. Tome II.
formalités, degrés métaphyfiques, entités , quid-
dités , &c. &c. &c. R ien , je parle d’après L ocke ,
n’eft plus propre à en détromper, qu’un examen
fuivi .de la manière dont les hommes font parvenus
à donner des noms à ces fortes d’idées abftraites
ou fpirituelles , & même à Ce donner de nouvelle
s idées par le moyen de ces mots. On les
voit partir des premières images des objets qui
frapent. les fens , & s’elever par degrés jufqu’aur.
idées des êtres invifibles & aux abftra&ions les
plus générales : on voit les échelons fur lefquels
ils fe font apuyés ; les métaphores & les analogies
qui les ont aidés ; furtout les combinai fons
qu ils ont faites de fignes déjà inventés ; & 1Jartifice
de ce calcul des mots par leque l ils ont
formé, compofé , analyfé toutes, fortes d’abftrac-
tions inacceffibles aux fens & a l ’imagination ,
précifémeut comme les nombres exprimés par
plufieurs chiffres fur lefquels cependant le calculateur
s’exerce avec facilité. O r de que l ufage
n’ eft pas,..dans ces; recherches délicates, l ’arc étymologique
, l ’art de' fuivre les expreffions ' dans
tous leurs paffages d’une fignifïcation à l ’autre , &
de. découvrir la liaifon fecrète des idées qui a
facilité ce pafïage? On me dira que la faine Mé-
taphyfique & 1 obfervation aflîdue des opérations
de notre efprit doit fuffire feule pour convaincre
tout homme fans p réjug é, que les idées , même
des êtres fp ir itu e ls, viennent toutes des fens : on
aura raifon ; mais cette vérité n’eft-elle pas m ifo ,
en quelque for te , fous les yeux d’une manière
bien plus frapante , & n’acquiert-elle pas toute
l ’évidence d’un point de f a i t , par l’Etymologie
fi connue- des mots fpiritus , animus , ,
rouakh , & c , penfée, délibération , intelligence ,
& c? I l feroit fuperflu de, s’ étendre ic i fur les Étymologies
de ce g en re , qu’on pourroit accumuler;
mais je crois qu’i l eft très - difficile qu’on ne s’en
occupe un peu d’après ce point de viîe : en effet,
l ’efprit humain , en fe repliant ainfi fur lui-même
pour étudier fa marche , ne peut - i l pas retrouver,
dans les tours fingulier? que les premiers hommes
ont imaginés pouf expliquer des idées nouvelles
en partant des objets connus, bien des analogies
très-fines & très-juftes entre plufieurs idées , bien
des rapports de toute efpèce que la néceffité,
toujours ingénieufe , avoit faifis, & que la parefle
avoir depuis oubliés ? N ’y peu t-il pas voir fouvenc
la gradation qu’i l a fuivie dans le paffage d’une
idée à une autre , dans l ’ invention de quelques
arts ? & par là , cette étude ne devient-elle pas
une hranche intéreffante de la Métaphyfique expérimentale
? S i ces détails fur les langues & les
mots dont l ’art étymologique s’occupe, font des
grains de feb le , i l eft précieux de le s ramaffer ,
puifque ce font des grains, de fable que l ’ efpric'
humain a jetés dans fa route, & qui peuvent fouis
nous indiquer la trace de fes pas. Indépendamment
de ces vues curieufes & philofophiques, l’étuda
dont nous parlons peut devenir d’une application.