
ont pu pour éviter ce reproche ; rien de plus fec que
les E x tra it s qu’ils nous donnent , qon feulement
des livres fcientifîques, mais des ouvrages littéraires.
Nous ne parlerons point des E x tr a it s dont
l ’ignorance & la mauvaife foi ont de tout temps
inondé la Littérature, O n voit des exemples de
tout ; mais i l en eft qui ne doivent point trouver
place dans un ouvrage férieux & décent, & nous
ne devons nous occuper que des journaliftes efti-
inables. Quelques - uns d’entre eux , par égard
pour le P u b lic , pour les auteurs,. & pour eux-
mêmes , fe font une lo i de ne parler des ouvrages
qu’en hiftoriens du bon ou du mauvais fuccès ,
ne prenant fur eux que d’en expofer le plan dans
une froide analyfe. C ’eft pour eux que nous ha-
fardons ici quelques réflexions que nous avons
faites ailleurs fur l ’art des E x t r a i t s , appliquées
au genre dramatique , comme à celu i de tous qui
eft le plus généralement connu & le p lus légèrement
pritiqué.
L a partie du fentiment eft du reffort de toute
perfonne bien organifée ; i l n’eft befoin ni de
combiner ni de réfléchir pour lavoir fi l ’on eft
ému , 8c le fuffrage du coeur eft un mouvement
fubit & rapide : le Public a cet égard eft donc un
excellent juge. L a vanité des auteurs mécontents
peut bien le retrancher fur la légèreté françoife ,
ii contraire à l ’illu fion , & fur ce caractère enjoué
qui nous diftrait de la fituation la plus pathétique,
pour laifir une allufion ou une équivoque p la i-
iante. L a figure, le ton , le gefte d’un aCteur, un
bon mot placé à propos, ou te l autre incident plus
étranger encore a la pièce , ont quelquefois fait
rire où l ’on eut du pleurer : mais quand le pathétique
de. l ’aétion eft foutenu, la plâilànterie ne fe
loudent p o in t; on rougit d’avoir r i , & l ’on s’abandonne
au plaifir plus décent de verfer des larmes.
L a fenfibilité & l ’enjouement ne s’excluent point ;
& cette alternative eft commune aux françois avec
les athéniens, qui n’ont pas laiffé de_ couronner
Sophocle. Les françois frémilTent à Rodogune, &
pleurent à Andromaque : le vrai les touche, le
beau les fidfit ; & tout ce qui n’exige ni étude ni
réflexion, trouve en eux de bons Critiques. L e
journalifte n’a donc rien de mieux à faire que de
rendre compte de l ’impreffion générale pour la
partie du fentiment. I l nen eft pas ainfi de la partie
de l ’art : peu la connoilfent, & tous en décident;
o n entend fouvënt raifonner la-defîus, & rarement
parler raifon. O n lit une infinité 8 E x tr a it s &
jde Critiques des ouvrages de Théâtre : le jugement
fur le Cïd eft. le feul dont le goût foit fatisfait ;
encore n e f t - e e quune Critique de détail , où
ï Académie avoue qu’elle a fuivi une mauvaife méthode
en fur/ant la méthode de Scudéri. L ’Académie
écoit un juge éclairé, impartial, & p o li ; peu.
de perfonnes l ’ont imitée. Scudéri étoit un cenleur
malin , greffier , fans lumières', fans goût ; i l a eu
fient imitateurs.
Les plus fages, effrayés des difficultés que pre-
fente ce genre dç Critiqu e, ont pris njodéftemenc
le parti de ne faire des ouvrages de Théâtre que
de limples analyfes : c’eft beaucoup pour leur commodité
particulière, mais ce n’eft rien pour l ’avantage
des Lettres. Supposons que leur E x tra it
embraffe & develope tout le defTein de l ’olivrave ,
qu’on y remarque l ’ufage & les rapports de chaque
fil qui entre dans ce -tiffu; l ’analyfe la plus
exacte & la mieux détaillée fera toujours un rapport
infiiffifant, dont l ’auteur aura droit de fe plaindre.
Rappelons - nous ce mot de R a c i n e Ce qui
me dijîingue de P radon, c’ e jl que j e f a i s écrire :
cet aveu eft fans doute trop modefte; mais i l 'e f t
vrai du moins que nos bons auteurs diffèrent plus des
mauvais par les détails & le co lo r is , que par le
fonds & l ’ordonnance.
Combien de fituations, combien de "traits, de
caractères , que les détails préparent , fondent ,
adouciffent , & qui révoltent dans un E x t r a it ?
Qu’on dife fimplement du Mifanchrope, qu’i l eft
amoureux d’une coquette, qui joue .cinq ou fix
amants à la fois ; qu on dife de Cinna , qu’i l co-n-
feille à Augufte de garder l ’Empire, au moment
ou i l médité de le faire périr comme ufurpateur ;
quoi de plus choquant que ces difpàrates ? Mais
qu on life les fcènes où le Mifimthrope fe reproche
fa paffion à lu i-m êm e, où Cinna rend raifon de
fon defTein à Maxime , on trouvera dans la nature
ce qui choquoit la vraifemblance. I l n eft point de
couleurs qui ne fe marient : tout l ’art confifte a ies
bien nuancer ; & ce font ces nuances qu’on néglige
de faire âppercevoir dans les linéaments d’un E x trait.
On croit avoir allez f a i t , quand on a donné
quelques échantillons du ftyle ; mais ces citations
font très-équivoques, & ne laiffent préfumer que
très-vaguement de ce qui les précède ou les fu it ,
vu qu i l n’eft point d’ouvrage _où l ’on ne trouve
quelques endroits au deffus ou au deffous du ftyle
général de l ’auteur.. O n eft donc injufte fans le
vouloir , peut-être même par la crainte de l ’être ,
lorfqu’ on fe borne au fimple E x tr a it 8c a l ’analyfe
hiftorique d’un ouvrage de Théâtre. Que penferôit-
on d’un critique q u i , pour donner une idée du
S. Jean de Rap h a ë l, fe borneroit à dire qu’i l eft
de grandeur naturelle, porté fur une aig le , tenant
une table de la main gauche, & une plumé de
la main droite ? I l eft des traits fans doute dont la
beauté n’a befoin que d’être indiquée pour être
fende: te l e ft, par exemple, le cinquième a£te
de Rodogune ; tel eft le coup de génie de ce peintre
, q u i, pour exprimer la douleurd’Agamemnon
au fkcrifice d’Iphigénie, l ’a repréfè.nté le vifage
couvert d un voile :. mais ces traits font aufïi rares
que précieux. L e mérite le plus général des ouvrages
de Peinture, de Sculpture, de Poéfie , eft
dans T exécution; & dès qu’on fe bornera â la fimple
analyfe d’un ouvrage de goût pour le faire
çonnoître , on fera auffi peu railonnable que fi
Ton précendoit , fur un plan géométral, faire juger
de 1 architecture d’un palais. On ne peut do'nc
s’interdire équitablement, dans un E x t r a it littéraire
, les réflexions & les remarques irréparables
i e la bonne Critique. O n peut parler en fimple
hïftorien des ouvrages purement didactiques ; mais
on doit parler en homme de goût des ouvrages
de goût. Suppofons que l ’on eut à faire \ E x t r a it
de la tragédie de Phèdre ; croiroit-on avoir bien
inftruit le P u b lic , fi ,p a r exemple , on avoit dit de
lafcène de la déclaration de Phèdre à H ippolyte :
« Phèdre vient implorer la protection d H ip -
» polyte pour fes enfants , mais elle oublie a fa
» vue le defTein qui l ’amène : le coeur plein de fon
» amour, elle en laifTe échaper quelques ■ marques.
»H ip p o ly te lui parle d eT h e fe e , Pliedre croit le
»revoir dans fon fils; elle fe fertde ce détour pour
» exprimer la paffion qui la domine. Hippolyte
» rougit & veut fe retirer; Phèdre lé retient, cefle
» de diffimuler, & lui avoue en même temps la
»ftendreffe q u e lle a pour l u i , & l ’horreur qu’elle a
» d’elle-même».
, Croiroit-on de bonne foi trouver dans fes lecteurs
une imagination allez vive pour fiippléer
'aux détails qui font de cette efquiüe un tableau
admirable ? Croiroit-on les avoir mis à portée de
donner à Racine les éloges qu’on lui auroit refufés,
en ne parlant de ce morceau qu’en fimple hiftorien ?
Quand un journalifte fait à un auteur l ’honneur
de parler de lu i , i l lu i doit les éloges qu’il
mérite, i l doit au Public les Critiques dont 1 ouvrage
eft fufceptible , i l fe doit à lu i-m êm e un
ufage honorable de l ’emploi qui lui eft confié :
cet ufage confifte â s’établir médiateur entre les
auteurs & le Public ; à éclairer poliment l ’aveugle
vanité des uns, 8c à rectifier les jugements précipités
de l ’autre. C ’eft une tâche pénible & difficile ; mais
avec des talents , de l ’exercice, & du zè le , on
peut faire 'beaucoup pour le progrès des Lettres;,
du goût,. & de la raifon. Nous l ’avons déjà dit,
la partie du fentiment a beaucoup de connoifteurs,
la partie de l ’art en a p e u , la partie de l ’efprit
en a trop. Nous entendons ici par e fprit, cette perf-
picacité qui analyfe tout & même ce qui ne doit pas
être analyfé.
^ chacun de ces juges fe renfermoit dans les
bornes qui lui font preferites', tout feroit dans
Tordre : mais celui qui n’a que de T e fp r it , trouve
plat tout ce qui n eft que len ti; celui qui n’eft
que fenfîble, trouve froid , tout ce qui n’eft que
penfé ; & celui qui ne connoît que l ’art , ne fait
grâce ni aux penfées ni aux fentiments, dès qu'on
a péché contre les règles : voilà pour la plupart
des juges. Les auteurs, de leur côté, ne font pas
plus équitables; ils traitent de bornés ceux qui
n*ont pas été frapés de leurs idées , d’infenfibles
ceux qu’ils n’ont pas émus, & de pédants c.eux
qui leur parlent des règles d e l ’art. L e journalifte
eft témoin de cette difîention , c’eft à lui d’être le
conciliateur. I l faut de l ’autorité, .dira-t-il : oui
Hns doute; mais i l lui eft facile d’en aquérir.
Qu i l fe donne la peine de faire quelques E x traits,
ou i l examine les caractères & les moeurs
en philolophe, l e plan & la contexture de l ’in-
îngue en homme de l ’art, les détails & le ftyle
en homme de g o û t : à ces conditions, 'qu ’i l doit
être eri état de remplir , nous lui fommes garants
de la confiance générale. Ce que nous venons de
dire des ouvrages dramatiques, peut & doit s’appliquer
à tous les genres de Littérature. ( V oy e \
C ritique. )
O n a calculé qu’à lire quatorze heures par jo u r ,
i l faudroit • huit-cents ans pour épuifer ce que la
bibliothèque du roi contient fur i’Hiftoire feulement.
Cette disproportion défefpérante de la durée
de la vie avec la quantité dès livres , dont chàcun
peut avoir quelque chofe d’iméreflant, prouve la
néceffité des E x tr a it s . C e travail bien dirigé
feroit un moyen d’occuper utilement, une multitude
de plumes que l ’oifiveté rend nuifîbles ; 8c bien
des g en s, qui n’ont pas le talent de produire , avec
l ’intelligence que la nature donne , & le goût qui
peut: sfaquérir , réuffiroient à faire des E x t r a it s
précieux. C e feroit en Littérature un atelier public
, où les défoeuvrés trouveroient à vivre en
travaillant : les jeunes gens commenceroient par là ;
& de cet atelier i l fortiroit des hommes inftruics 8c
formés en différents genres.
I l n’y a point de fi mauvais livres dont on ne
puifTe tirer de bonnes chofes, difent tous les gens
d’efprit & de goût. I l n’y a pas non plus de fi
bon livre, dont on ne puifTe faire un E x t r a it
malignement tourné, qui défigure l ’ouvrage &
l ’aviliffe : c’eft le miférable, talent de ceux qui
ri’en ont aucun; c’eft l ’induftrie de la baffe malignité
, 8c l ’aliment le plus fàvoureux de l ’envie
c’eft par cette leéture que les fots fe vengent de
l ’homme d’efprit qui les humilie , & qu’ils goûtent
le plaifir fecret de le voir humilié à fon tour. Ç ’eft
là qu’ils prennent l ’opinion qu’ils doivent avoir
des productions du genie , le droit de le juger
eux-mêmes , & des armes pour l ’attaquer. De là
vient que , dans un certain monde, les plus chéris
de tous les écrivains, quoique les plus méprifés,
font des barbouilleurs de feuilles périodiques, qui
travaillent les uns honteufement & en fecret & le s
autres à découvert avec une fière impudence , à
dénaturer par leurs E x tr a it s les productions du
talent. O n reproche à Bayle d’av.oir fait d’excellents
E x t r a it s de mauvais liv res, & d’avoir trompé les
lecteurs par l ’intérêt qu’i l favoit prêter aux ouvrages
les plus arides; les Critiques dont nous parlons
o-nt trouvé plus facile de dépouiller que d’enrichir
, & le reproche qu’on fait à Bayle eft le feul
qu’ils ne méritent pas.
Suggon V ijiejfo fio r, ne prati Hiblei,
uépe benigna e vipera crudele ;
E fecondo gVinfiinti, o buoni, o rei,
l'u n a in tojio i l converte } & l'altra in melle. (M . M a r .*
MONTEZ.)
E X U B É R A N C E , f. f. B e lle s Le ttres. En Rhétorique
& en matière de Style , ce mot fignifie, une
abondance inutile & fu p e r flu e , par laque lle on
emploie beaucoup plus de paroles qu’i l n’en faut
pour exprimer une chofe. V o y e \ Pléonasme.