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Tous le fecours de la Lueur fe borne à faire
apercevoir & découvrir les objets $ la Clarté les
fait pleinement diftinguer & connoître ; la Splendeur
les montre dans leur éclat. ( L ’ abbé G l -
RARD. )
* L Y R I Q U E , adj. L e Poème lyr ique} chez
les grecs é to it , non feulement chanté, mais com-
pofé aux accords de la Lyre : c’eft là d’abord ce
qui le diftingue de tout ce qu’on appelle Poéfie
lyrique chez les latins & parmi nous. L e poète
étoit muficienj i l préludoit , i l s’animoit au fon
de ce prélude j i l le donnoit à lui-même la me-
fure , le"mouvement, la période muficalej les vers
naifloient avec le chant j & de là l ’unité de rythme,
de caractère , & d’exprelfion entre la mufique & les
vers : ce fut ainlî qu’une poéfie chantée fut naturellement
foumife au nombre & à la cadence ;
ce fut ainfi que chaque poète lyrique inventa, non
feulement le vers qui lui convint , mais â'uflï la
ftrophe analogue au chant qu’i l s’ étoit fait lu i-
même & fur leque l i l compofoit.
A cet égard le Poème lyrique ou l ’Ode , chez
les latins & chez lès nations modernes , n’a été
qu’une frivole imitation du Poème lyrique des
grecs : on a d i t , Je chante , & on n’a point
chanté j on a parlé des accords de la L y r e , &
on n’avoit -point de Lyre. Aucun p o è t e , depuis
Horace inclufivement, ne paroît avoir modelé fes
Odes fur un chant. Horace , en prenant tour à
tour les diverfes formules des poètes grecs, fernble
avoir fi fort oublié qu’une Ode dut être chantée ,
qu’ i l lu i arrive fouvent de laifler le fens fufpendu
a la fin de la ftrophe, où le çhant doit fe repofer,
comme on le voit dans cet exemple, fi fublime
d’ailleurs par les penfées & par les images :
jyijlrictus enjis çui fiiper impiâ
Cervice pendet, npn Jîoulce dapes
Dulcem elaborabunt foporem;
Non av'ium citharceque cantus
Somnum reducent : fomnus agrejiiutn
Lenis virorum non humiles domos
Faftid it, umbrofamque ripam ,
Non lephyris agît ata Tempe.
N os Odes modernes ne font pas plus lyr iq u e s ;
& à l ’exception de quelques chanfons bachiques
ou g alantes, qui fe rapprochent de l ’Ode ancienne
parce qu’elles ont été faites réellement
dans le délire /de l ’amour ou de la jo ie , & chantées
par le p oète aucune de nos Odes n’eft fufceptibie
de chant. O n a eflayé de mettre en mufique l ’Ode
de RoulTeau à la Fortune j c’étoit un mauvais
phoix : mais que l ’on prenne entre les Odes du
même poète , ou de Malherbe , ou de tel autre,,
ce lle qui a le plus de mouvement & d’images \
on ne réuflira guères mieux. ~
I 4 feule forme au| convienne au çhant , parmi
L Y R
nos Poéfies lyriques , eft ce lle de nos Cantates î
mais RoulTeau, qui en a fait de fi b e lle s , n’avoit
ni le fentiment, ni l ’idée de .la Poéfie mélique
ou chantante ; & fa Cantate de Circé , qui pafîe
pour être la plus fulceptible de l ’expreflion mu-
f ic a le , fera l ’écueil des compofiteurs. Métaftafe
lui fe'u l, dans fes Oratorio , a excellé dans ce
genre , & en a donné des modèles parfaits..
Mais le grand avantage des poètes lyriques de
la Grèce , fut l ’importance de leur emploi
la vérité de leur enthoufîafme.
L e rôle d’un poète lyrique , dans l’ancienne
Rome & dans toute l ’Europe moderne, n’a jamais
été que celui d’un comédien ; chez les grecs , au
contraire, c’ étoit une efpèce de miniftère pu blic,
religieux , p o litiq u e , ou moral.
Ce fut d’abord à la Re ligion que* la Lyre fut
contactée, & les vers qu’elle accompagnoit furent
le langage des dieux $ mais elle obtint plus de
faveur encore en s’abaiflant à louer les hommes.
L a Grèce étoit plus idolâtre de fes héros que.
de fes dieux j & le poète qui les chantoit le-.mieux ,
étoit fur de charmer, denivrer tout un peuple.
Les vivants furent jaloux des morts. : l ’encens qu’ils
leur voÿoient offrir ne s’exhaloit point en famée ;
les vers chantés à leur louange pafloient de bouche
en bouche , & fe gravoient dans tous lés efprits.
On vit donc les rois de : la Grèce fe difputer la
faveur des poètes , & s’attacher à eux pour fau-
ver leur nom de l ’oubli.
E t quelle émulation ne dévoient pas infpirer
des honneurs qui alloient jufqu’au culte ! Si l ’on ea
croit Homère , le plus fidèle peintre des moeurs, la
L y r e , dans la Cour des rois , faifoit les délices des
feftins , le chantre y étoit révéré comme l ’ami
des Mufes & le favori d’A p o llon : ainfi , l ’enthou-
fiafme des peuples & des rois allumoit celui des
poètes ; & tout ce qu’i l y avoit de génie dans
la Grèce fe dévouoit à cet art divin. Mais ce qui
acheva de le rendre important & grave , çe fut
l ’ufage qu’en fit la Politique , en l’aflbciant aveç
les lois pour aider à former les moeurs.
Ce n’étoit pas feulement à louer ladre fie d’un
homme obfcur , la vitefle de fes chevaux , ou fa
vigueur au combat de la lutte , mais à élever
l ’ame des peuples , que l ’Ode olympique étoit destinée
j Sç dans l ’éloge du vainqueur étoient rappelés
tous les titres de gloire du pays qui l ’avoït
vu naître > puiffant moyen pour exciter l ’émulation
dés vertus ! A in f i, née au fein de la jo ie , é le v é e ,
ennoblie par la Religion , accueillie & honorée
par l ’orgueil des rois & par la vanité des peuples ,
employée à former les moeurs , en rappelant de
grands exemples , en donnant de grandes leçons ,
la Poéfie lyrique avoit un caractère au fl! ferieux
que ^Eloquence même. I l n’eft donc pas étonnant-
qu’un poète , honoré à la Cour des r o is , dans le s
'temples des dieux, dans les folennités- de la, Grèçç
affemblée, fût écouté dans les Confeils & à la fête
des armées, lorfqu’animé lu i-m êm e par les fons de
fa Lyre y i l faifoit paffer dans les âmes, aux noms
de liberté , de g lo ir e , & de p a trie, les fentiments
profonds dont i l étoit rempli.
On ne veut pas ajouter foi au pouvoir de cette
Éloquence , fécondée de l ’harmonie , & aux tranf-
ports q u e lle excitoit en remuant l ’âme des peuples
par les reflorts les plus puiflants ; on ne veut
pas y croire, ' tandis qu’en Ita lie on voit encore
la Mufique , par la voix d’ un homme affo ib li, &
dans la «fiction la plus vaine , enivrer tout un
peuple froidement affemblé.
Suppofez au milieu de Rome , Pergolefe y la
Ly r e à la main , avec la voix de Timothee &
l ’Eloquence de Démofthènes , rapelant aux romains
leur ancienne fplendeur & les vertus de leurs
ancêtres ; vous aurez l ’idée d’un poète lyrique , &
des grands effets de fon art.
En voyant en chaire le millionnaire Bridaine ,
les yeux enflammés ou remplis de larmes -, le
front ruiffelant de fueur , faifant retentir les
voûtes d’un temple des fons de fa. voix déchirante,
& unifiant, à la chaleur du fentiment le plus
exalté , la véhémence de l ’aftion la plus éloquente
& la plus vraie ; je l ’ai fuppofé quelquefois
transformé en poète , & fortifiant, par les accents
d’une harmonie pathétique , les fentiments ou les
images dont i l frapoit l ’ame des peuples ; & j’ai
dit : T e l devoit être Epiménide au milieu d’Athènes,
Therpandre ou T yrtée au milieu de Lacédémone ,
A lcée au milieu de Lesbos.
L e poète lyrique n avoit pas toujours ce ca-
ra&è.re férieux ÿ mais i l avoit toujours un caractère
vrai : Anacréon chantoit le vin & les plaifirs ,
parce qu’i l étoit buveur & voluptueux ; Sapho
chantoit l ’amour , parce qu’ elle brûloit d’amour.
Ces 'deux fortes d’ivrefie ont pu , dans tous les
temps & dans tous les p a y s , infpirer les poètes :
mais dans quel autre pays que la Grèce la Poéfie
lyrique a - t-e lle eu fon cara&ère férieux & fublime-,
fi ce n’eft chez les hébreux & peut-être auflî dans
.nos climats du Nord , du temps des druides &
. des bardes î. - «
Chez les romains & parmi nous , Horace ,
Malherbe , Roufleau feignoient de- chanter fur
la Lyre : mais Orphée., Amphion ne feignoient
rien lorfqu’ils apprivoifoient les peuples, les raf-
fembloient, les engageoient à fe bâcir des murs ,
à vivre fous des lois : mais Therpandre, pour
adoucir les moeurs des lacédémoniens\ T y r t é e , pour
les ranimer & les renvoyer aux combat« ; Epiménide
, pour appaifer le trouble des; efprits &■ la
voix des remords , quand les athéniens fe croyoient
menacés , pourfuivis par les Euménides j Alcée
enfin , pour déclarer la guerre à la Tyrannie , &
rallumer dans l ’âme des lesbiens l ’amour de la
liberté , chantoient réellement aux accords de la
- L y r e y p eu t -ê t re même au fon des inftruments
analogues au cara&ère & à l ’intention de leur
chant.
Dans l ’ancienne Rome , une Poéfie éloquente
eût fouvent pu fe lîgmaler. Mais- un peuple, lon g
temps inculte , uniquement guerrier , peu curieux
de vers & de mufique , peu fenfible aux arts d’agrément
, & trop auftère dans fes moeurs pour fonger
à mêler fes plaifirs avec fes affaires, auroit trouvé
ridicule une Lyre dans la main des Brutus ou des
Gracques, ou dans ce lle de Marius : une Éloquence
mâle pour plaider fa caufe ,u n e épée pour la
défendre , voilà tout ce qu’i l demandoit j & un
tribun comme T y r t é e , ou un conful comme Epiménide
, venant foulever en chantant, ou calmer
le peuple romain, auroit été mal accueilli. V'oye\
P o é s i e .
Dans ce même article P o é s i e , nous avons
appliqué à l ’Italie moderne , ce que nous venons
de dire de -l’Italie ancienne ; & nous n’avons pas
diffimulé notre furprife, de voir que l ’É g life ait
négligé celui de tous les arts qui pouvoit le
plus dignement embellir fes folennités. V o y e \
H y m n e . Quant à l ’Ode profane , elle n’y a jamais
fait qu’un rôle fictif, fans objet & fans miniftère :
auflî les hommes de génie que l ’Italie a pu pro-
.duire dans ce genre fublime , comme Chiabrera &
C ru d e li, n’ayant à s’exercer que fur des fujets vagues
, n’ont-ils é t é , comme Horace , que de foi-
bles imitateurs de ces hommes paflionné^, q u i,
dans la Grèce , ajoutoient, aux mouvements de la
plus fublime Éloquence , le charme de la Poéfie &
la magie des accords.
En Efpagne nul encouragement , & auflî nul
fuccès pour le Lyrique férieux & fublime, quoique
la langue y fût difpofée. O n ne laifie pourtant
pas de trouver dans les poètes efpagnols
quelques Odes d’un ton élevé : ce lle de Louis de\
Léon fur l ’ invafion des maures eft remarquable ,
en ce que la fiétion en eft la même que l ’a llé gorie
du Camouens pour le cap de Bonne-Efpé-
rance. Dans le poète efp agn o l, plus ancien que
le portugais, c’eft le génie d’un fleuve qui prédit
la defeente des maures & la défolation de l ’E f -
pagne ; dans le Portugais , c’ eft le génie pro-
teâeur du promontoire des tempêtes & gardien
de la mer des Indes , qui s’élève pour en défendre
le paflage aux européens : l ’image eft agrandie j
niais l ’idée eft la même , & la première g loire
en eft a l ’inventeur.
L ’O d e , en Angleterre , a eu plus d’émulation
& plus de fuccès : mais ce n’eft encore là qu’un
enthoufîafme faétice. Si on y veut trouver l ’Ode
antique, i l faut la chercher dans les poéfies des
anciens bardes ; c’eft Oflïan qu’ i l faut entendre
gémifiant fur le tombeau de fon père & fe rappelant
fes exploits :
« A côté d’un rocher élevé fur la montagne
» & fous un chêne antique, le vieux O flïan , le
» dernier de la race de F in g a l, étoit aflîs fur
» la moufle ; fa barbe , agitée par le v en t , .fe