
q u e m u t r i s q u o t i d i a n i s v i r g in u m l& m e n t a t i o -
n i b u s d e v e fl.r o j u d i c i o c om m o v e r i .
5°. Pour qu’une période .coule avec facilité &
avec égalité , i l faut .éviter avec foin tout concours
de mots & de lettres qui pou-rroient être défagréa-
bles , principalement la rencontre fréquente des
confonnes dures , comme A r s f t u d i o r u m , r e x
X e r x e s ; la reffemblance de la première fyllabe
d’un mot avec la dernière du mot qui le précède,
comme R e s m ih i invifæ v i f ce f i a i t ; la fréquente
répétition de la même lettre ou de la même fy llab e ,
çomme dans ce vers d’Ennius ,
A f r i c a , terribili tremit horrida terra tumultu ;
& l'afTemblage des mots qui finiffent de même,
comme : A m a t r i c e s , a d j u t r i c c s , p r oe f t ig i a t r i c e s
f u e r u n u
Enfin , la dernière attention q u'il faut a v o ir ,
eû de ne pas tomber dans le Nombre poétique ,
çn cherchant le Nombre oratoire, & de faire des
vers en penfant écrire en profe ; défaut dans lequel
Cjcéron lu i-m êm e eft tombé quelquefois j par
exemple quand i l dit : Quum Loquitur , tarai
fle tu s gemitufque jjUbanu
Quoique ces principes femblent particuliers à
la langue latine , la plupart font cependant ap plicables
à la nôtre : car pour n’être point aflujéttie à
l ’obfervation des brèves & des lon gu es , comme le
grec 8ç le latin j e lle n’en a pas moins fon harmonie
propre & particulière, qui réfulte des cadences
tantôt graves & lentes , tantôt légères
& rapides , tantôt fortes & impétueufes , tantôt
douces & coulantes, que nos bons orateurs fa-
vent diftribuer dans leurs difeours & varier félon
Ja différence des fujets qu’ils traitent. C ’eft dans
leurs ouvrages q u i l faut la chercher & l ’étudier.
( A n o n ym e . )
■ ( N . ) N o m b r e . B e l l e s - L e t t r e s . En Poé-
fie & en Éloquence on appelle ainfi le mouvement
qui rélulte d’une lucceffion de fyllabes
réunies dans un petit efpace de temps diftinét &
limité. Ç u i d q u i d e f t q u o d f u b a u r iu m m e n fu r am
a l i q u a m c a d it , Numerus v o c a tu r . ( Orat. ) Ce
petit efpace eft divifé à l ’oreille en parties a li-
quotes ou unités de temps ; 8c félon que chaque
fyllabe occupe une ou deux de ces parties de leur
temps commun, elle eft brève ou longue. L ’ef-
pace de temps q u e lles occupent enfemble eft ce
qu’on ap pelle m e fu r e j l ’articulation de la mefure
eft ce qu’on appelle c a d e n c e ; l ’égalité ou l ’inég
a lité des fyllables réunies, & , fi elles font inégales
, leurs diverfës combinaifons font la diverfité
des N o m b r e s . D i f t i n l î i o , & e e q u a l iu m & f o e p e v a -
r io r u m in t e r v a l lo r u m p e r e u f f io , Numerum e f f i c i t .
j( D e Orat. ) U n efpace de temps divifé en quatre
parties aliquotes, peut être occupé par depx, par
îrojs , ou par quatre fy llab e s , c eft à dire , par
-deux longues, par une longue 8c deux brèves comb
lé e s de trois façons, 8c par quatre brèves de
fu ite . A in f i , dans l a même m e fu r e , i l y a cinq Nombres à forme r.
D an s le s vers l e Nombre 8c l e pied fon t fyn0-
nimes. M a is l e p ied métrique n’a v o it guè res que
qua tre temps ; & l e Nombre o ra to ire en a v o if dav
an ta g e . L e pccon, par e x em p le > étoit comp ofé
d ’une lo n g u e & de trois brèves , & vice verfâ ; & le critique d’une brève entre deux lo n g u e s . A in f i , la
mçfure de l ’un & de l ’autre é to it de cinq temps.
Mais le s Nombres oratoires décompofés fë rédui-
foien t aux pieds métriques , qu’ on d iv ifo it en trois
efpèces : f a v o i r , c e lle où l e pied é to it formé de
deux parties é g a le s , com m e l e fpondée & l e dact
y le ; c e lle ou l ’une des deux parties n 'éto it que
l a m o itié de l ’a u t r e , comme l ’iam b e& le chorée ;&
c e l l e où d’un cô té , i l y a v o it d'excédent une m o itié de
l a m o itié du t o u t , comme dans l e poe o n . Nullus eft
N um e rus extrà poëticos adhibetur ad pedes . . . . pes qui N umé ro s partiturin tria . . . Paeoequoanl i'.s , dactylus ,* duplex , iambus ; fefqui ( O r a t . ) ^
L e s pieds ou Nombres du v ers é to ien t preferits.
C om m e n t fe fa i t - i l donc que de deux vers latins
de l a même m e fu r e , le s uns foien t fi nombreux ,
& que le s autres l e fo ien t fi peu, ? P a r e x em p le ,
dans ce s vers d’H o ra c e :
Qui fitMcecenas t ut nemo, quam fibi fortem
S eu ratio dederit feu fors Objecerit, illâ
Contentug vivat, laudet diverfa fequentesi
p o u rq u o i l e Nombre n’ eft - i l pas auflî fenfible
à l ’o r e i lle qu ’i l l ’eft dans ces vers de V i r g i l e ?
A t trépida , & coeptis immanibus effera Dido ,
Sanguineam volvgns aciem, maculifque trementes
Intérfufa gênas , & pallida mort? futurâ.
E f t - ce la différente contexure des Nombres &
le u r m é lan ge qu i er\ eft la çaufe? C e la fans doute
y contribue. M ais de deux vers fpondaïques d’un
bout à l ’au tre , l ’un a du Nombre & l ’autre n’ en
a pa s. Q u e l ’o r e i lle com p a re ce vers de V i r g i l e ,
Belli ferratos rupit Saturnin pofies,
a v e c ce v ers d’H o r a c e ,
Qui fit , Moecenas. , ut nemo , quam fibi fortem. . .
l a forc e du rh y thm e dans l ’ u n , & fa n u llité dans
l ’a u t r e , ne fo n t-e lle s pas trè s - fe n f ib le s ?
Prenons de mênje deux vers d a& y liq u e s j c e lu
i - c i d’H o r a c e ,
Militia eft potior : quid enim ? concurritur, horee. , .
& c e u x - c i de V i r g i l e ,
Inde ubi lara dédit fonitujn tuba , finibus omnes t
Haud mora, profiluere fuis. Fgr’u cethera clamor :
ne lent-on pas l a m êm e différence ?
Enfin, prenons deux vers du même poète & du
même rhythme y l ’un- à côté de l ’autre j
Ille gravem dura terram qui vertit aratro. . .
Perfidus hic caupo, miles, nauteeque per omnes :
le premier n’eft: - i l pas bien plus nombreux que
le fécond ? Deux vers avec les mêmes pieds peuvent
donc n’avoir pas le même Nombre j & voici
pourquoi.
i °, C ’eft: qu’i l y a dans les langues une pro*
fbdie naturelle , 8c une profodie de convention j
8c que l ’une eft beaucoup plus fenfible à l ’oreille
que l'autre* L a profodie naturelle eft donnée par
la qualité des. fon s, par le méchanifme de la par
o le ., quelquefois- par l ’analogie du mot avec
l’id ée, le fentiment > & fur-tout l ’image. L a p ro -
fbdie artificielle & de fantaifie n’eft analogue ni>
au phyfique ni au moral de l ’expreiïion : ce n’eft
point la nature , c’eft le pur caprice de fu fa g ’e
qui l ’a preferite. Mon oreille 8c mon âme font
également indécifes fur le mouvement de ces mots ,
contra mercatof elles ne le font pas de même
fur le mouvement de ceu x -c i, Navim jaclantibus-
auftris , & enepre moins fur l ’analogie des fons
avec la penféé dans ces mots de V irg ile , Trépida,
& coeptis immanibus effera D id o .
i ° . C ’eft quç les Nombres étant bien placés ,
ils Ce fortifient par leur conftrafte , par leur enchaînement
, par leur impulfion commune. Seu-
patio d ederit, ^ feu fo r s o bjecerit, font deux incidentes
inanimées dans les fons comme dans la
penfée $ c’eft de la froide profe comme de la
froide raifon. Mais ces membres de phrafe, fa n -
■ guineam volvens aciem y maculifque , trementes
interfufoe gênas p a llid a morte fu t u r â , font ,
pour l ’oreille comme pour l ’âme , une accumulation
de force qui l ’ébranle profondément.
3°" C ’eft que le Nombre n’eft jamais fi fenfible
que lorfque fa cadence profodique fe trouve
coïncidente avec le repos ou la fufpenfion du fens $•
& en cela le rhythme de 1-a profe & celui de nos
vers a un avantage marqué fur le rhythme des vers-
anciens, où la ponctuation n’étoit prefque jamais
confultée. ( Voye-^ C ésure. ) Cependant i l arrivoit
que , par fentiment , les poètes obfervoi-ent cette
correfpondance ; & alors le Nombre du vers de-
venoit un Nombre oratoire , c’eft à dire , marqué
par les repos naturels de la voix. On peut le voir
dans ces vers de V irg ile .
Olli inter fefe magna vi brachia tollunt
In numerum . . . . . . .
Ilia graves oculos conata attollere , rurfus
Déficit : i nfixum Jlridet fub peelore vulnüs.
Ter fefe attollens cubitoque innixailevavit;
Ter revolttta toro eft : oculifque en;antibus alto
Quafivit calo lucem , ingemuitçue repertâ.
Qu’on oublie la parité & la continuité des Nombres
, & que l ’on prononce ces vers , félon leurs
ponctuation , comme une profe libre 5 e lle n’aura
que le défaut d’être trop nombreufe & trop belles
& ce fecret de donner à fes versindépendamment
de leur contexture métrique , le mouvement le
plus analogue à l’impulfion du fentiment , au caractère
de la penfée ou de l ’image, & en même temps
le mieux marqué par les fufpenfions 8c les repos-
du fen s, ce fe c re t, dis-je, que Virgile, a eu parmi-
.les Poètes latins comme Cicéron parmi les profiteurs
, eft ce qui donne ,.fi fîngulièrement, fi émi--
a em r a e n tà fes vers, un charme auquel l ’oreille
de toutes les nations-eft fenfible , malgré l ’ex--
trêxne altération qu’éprouve, dans la bouche d’un-
anglois, d’un françois, d’un-allemand, 1 c Nombre
métrique des vers latins.
Concluons de là que ce n’eft point en-fcandarrfc
les v e r sm a i s en les prononçant, qu’on fent læ
puiffance du Nombre. Les petits élans & les p etites
paufes q u i , dans la feandaifon, divifent les-
mefures , font une cadence faCt-ice. L a feule ca--
dence donnée par la nature eft ce lle qui eft mar-'
quée par les repos du fens ; 8c les intervalles de-
ces repos , quel que foit le rhythme du vers , feront
toujours la mefure du Nombre. Ainfi , pour en?
fentir l ’e f fe t , ce n’eft ni- uiï , ni deux, ni trois-
pieds feulement qu’i l faut entendre c’eft la- phrafe
8c bien fouvent d’un vers à l ’autre on fent le Nombre
qui fe preffe , s’ac célère, & s’accroît jufqu’às
fon repos. M afcu lijq ue trementes— inté rfufa gênas
y & p a llid a morte fu tu râ .
Cette théorie du Nombre que je viens d’appliquer.
aux vers y eft encore plus convenable à la-
profe. Mais une profe libre eft-elle fufceptible de-
Nombre ? 8c peut i l y avoir quelque règle dans-
l ’art de l ’y introduire 8c de l ’y placer à propos ?■
Les grecs furent lo n g temps à s’en apercevoir :
mais dès que les rhéteurs en eurent fait l ’effai-y
8c qu’Ifocrate , en- modérant l ’ufage du Nombre
oratoire en eut fait fentir la puiffance ; les orateurs
, Efchine, Démofthène, les philofophes, T h é o -
phrafte & Platon , les hiftoriens, Xénophon , T h u -
cidide, fe faifirent avidement de ce moyen de captiver
l ’oreille de celui des peuples du monde quh
fut le plus docile à l ’empire des fens.
Che z les romains la Poéfie fut tardive , & plus
tardive que l ’Éloquence, à s’emparer du pouvoir
du Nombre. Le s vers fén air e s de Pacuvius de-'
Plaute , & de Térence, n’avoient pas même l ’harmonie
d’une profe variée & nombreufe. Comico--
nùn fe n a r ïi, profiter fimïlitudinem fe rm on is , f i e
fæ p e fu n t abjecli ut nonnunquam vi% in his-
Numerus & verfus inte llig i fioffit. ( Cic. O ra t.)
E f lorfque Lucrèce, le premier des poètes latins
qui ait donné au vers hexamètre de la magnificence
& du Nombre , publia fon Poème , i l y
avoit long temps que Craffus & Marc - Antoine-
avoient apris du rhéteur Carnéade le fecret de communiquer
le pouvoir du Nombre à l ’Éloquence.
Cicéron, âgé alors de trente-cinq an s , poiTcdoit