philofophe autant qu’homme de Lettres. Au ffi,- dans
l'ancienne Grèce ,. l'érudition polie & le profond
favoir faifoient le partage des génies du premier
•ordre. EmpéJocle,, Epieharme , . Farménide , Ar-
•clielaüs ,. font célèbres parmi les poètes comme
parmi les philofophes. Socrate-cultivoit également
la Philo fophie , PÉioquence , & la Poéfie. Xéno-
•phon , fon difciple , fut a llier dans fa perfonne
l'orateu r, l ’hiftorien, & le favant, avec' l'homme
•d'Etat, l ’homme de guerre, & l'homme du monde.
A u feul nom de P la ton , toute l'élévation -des.
fciences & toute -l'aménité des Lettres fe préferr-
tent à- l ’efprit. Ariftote , ce génie univerfel, porta
la lumière,, & dans tous les genres de Littérature,
& dans, toutes-les parties des fciences. P lin e , Luc
ien , & les autres écrivains font l'é lo g e d'Éra-
tofthène, & en parlent comme d'un homme qui
avoit réuni avec le plus de gloire les Lettres
& les fciences.
Lucrèce , parmi les romains * employa le s mules
latines à chanter les matières philofophiques. Var-
ïon , le plus lavant dé fon pays , partageoït fon
loifir entre la Philo fophie, FHifto ire, l ’ étude des
Antiquités, les recherches de la Grammaire, & les
délaflements de laP o é lie . Brutus étoit philofophe ,
orateur, & pofledoit a fond la Jurifprudence. C i céron
, qui porta jufqu’au prodige l'union de l ’Éloquence
8c de la Philofophie , déclaroit lui-même
^ue , s’i l avoit un rang parmi les orateurs de fon
ttècle , i l en étoit plus redevable aux promenades
de l'Académie , qu'aux écoles des rhéteurs. Tant i l
eft vrai que la multitude des talents eft néceffaire
pour la perfeétion de chaque talent particulier,
& que les Lettres & les fciences ne peuvent fouf-
■ frir de divorce.
Enfin , f t l ’homme attaché aux fciences & l'homm
e de Lettres ont des liaifohs intimes par -des intérêts
communs & des b e fo in s mutuels, ils fe conviennent
encore par la reflèmblance de leurs occupations
par la fiipériorité des lumières, par la
nobleffe des vues , & par leur genre de vie honn
ê te , tranquille, & r e t iré .-
J’ôfe donc dire fans préjugé en faveur des Le ttres
& des fciences , que ce font elle s ’ qui font
fleurir une nation , & qui répandent dans le coeur
des hommes les règles dé la droite raifon, & les
ïemences de douceur , de vertu, & d'humanité ,, fi
néceflaires au bonheur de la fociété;
Je conclus avec Raoul de P re fle sd an s fon vieux
langage du xive. fièd e , que « Ociofité , fans
» Lettres & fans fcience , eft fépulture d’homme
» v i f ». Cependant le goût des Lettres , je Cuis
bien éloigné de dire la paffion des L e ttr e s , tombe
tous les jours davantage dans ce pa ys; & c’ eft un
malheur dont nous tâcherons de dévoiler les eau fes
au mot L it té ra tur e, { le Chevalier de Ja u -
court.)
L ettre , Épitre , Missive , L it t . Les Le ttres
des grecs & des romains- avoient ,■ comme les
nôtre s, leurs formules : voici celles que les greC$
mettaient au commencement de leurs miiïivés.
Philippe roi de Macédoine à tout magiftraf a-
fa lu t j & pour indiquer le terme g r e c , x a *fÉ,v* L e s
mots %aipe<v, lvTrpctrïu»lvyimiuiy dont ils fe fervoient,»
8c qui fignifioient jo ie , prospérité, fa u t é , étoient
des efpèces de formules affeCtées au fbyle épifto-
la ir e , & particulièrement à la décoration du fron-
tifpi.ee de chaque Lettre.
Ces fortes d e formules ne fignifioient pas plus-1
en elles-mêmes , que ne fignifient'celles de nos L e ttres
modernes ; c'etoient de vains compliments d’étiquette.
Lorfqu’on écrivoit à- quelqu'un y on lu i
fouha itoit, au moins en-apparence, la f a m é , par
vyialniv, la profpéritë par ,s la jo ie 8c la
Satisfaction par x««/!«”*
Comme on mettok à la tête des L e ttr e sy %eti
ivjrpà.rCnv, vyutlna ; on m e t t o i t à la fin , ifowso y
Ivicv-xs: 8c quand on adreffoit fa Lettre à plûuéurs-
tfpoeâ'«, lvrvxtiri y portez-vous bien , fo y e z heureux p
ce qui équivaloit ( mais plus fenfément) à. nôtres
formule , votre très-humble fèrviteur
S’i l s’agiffoit de donner des exemples de leurs;
Lettres y je vous citerois d'abord ce lle de Philippe*
à A r ifto te , au fujet de la naifiance d'Alexandre.-
« Vous- favez que j’ai un fils ; je rends grâ'ces-
» aux dieux, non pas tant de me l ’avoir donné r
» que de me l'a vo ir donné du vivant d’Ariftote_
» J'ai lieu de me promettre que vous formerez
)> en lui vin fiiccefleur digne de n o u s 8c un ro i
» digne de la Macédoine ». Ariftote ne remplit pas-
mal les efpérances de Philippe.- V o ic i la Lettre que
fon élève , devenu maître du monde., lui- écrivit
fur les débris du trône de Çyrus.-
«t J'apprends que tu publies tes écrits acromarr
» tiques. Qu elle fupériorké me refte -t-il mainte^--
» nant fur les autres hommes 1 Les hautes fciences;
» que tu m’as enfeignées ,.vont devenir communes.;;
»■ & tu n'ignores pas cependant, que j'aime encore.
» mieux furpaffer les hommes par la. fcience des;
»- chofes fublimes que par la puiflance- Adieu ».
Les romains ne firent qu’ imiter les formules des:
grecs dans leurs L e ttres; elles finifioient de même-
par le mot v a le , p o r te z- vous■ bien ; elles com—
mençoient femblablement par le nom de celui qui.
les écrivoit, & par. celui de la perfbnne à .qui;
elles étoient adreflees. O n obfervoit feulement, lo r f qu'bn
écrivoit a une perfbnne d'iin rang fùpérieur,,
comme a un c o n f ia i g u . a un empereur , de m e t t r e ;
d’abord le nom d u confiil ou de l ’empereur.
Quand un confiai ou un empereur écrivoit, i l mettoit
toujours fon nom avant celui de la perfonne à qui’
i l éc rivoit Les Lettres des empereurs,. pour les*
affaires d’importance y étoient cachetées eTun- double
cachet- y
Les fuccefleurs d’Augufle ne fe contentèrent pas
de fouffrir qu’on leur donnât le titre de feïgneurs
dans les Lettres qu'on leur adreffoit, mais ils-
agréèrent qu'on joignît à leur nom les épithètes
«îagtùfiques de très-grand, très-a.ugujîe, lr è s -Ü -
honnaire, invincible, & ƒ 'acre. Dans le corps de la
L e t t r e , on employoit les termes de votre clémence
votre p ié t é , & autres femblables. Par cette nouv
e lle introduction de formules inouïes jufqu’a lo r s, 31 arriva que le ton noble épiftolaire des romains
fous la. république j ne reconnut plus fous les empereurs
d’autre ftyle que celui de la baflefle & de
l a flatterie. ( L e chev. D E J a u c o u r t . )
L e t t r c d e s A n c ie n s , Litté ra l. L ’ufage d é-
«crire des Lettres y des épi très , des billets , des milîî-
v e s , des. dépêches, eft auffi ancien que 1 écriture;
.»car on ne peut pas Coûter que, des que les hommes
curent trouvé cet a r t , ils n en ayent profite pour
communiquer leurs penfees a des perfbnnes élo ignées.
Nous voyons dans L’Iliade { liv . V I . v. 6s> ) ,
Bellérophon porter une Lettre de Proétus à Jo-
batès. I l feroit ridicule de répondre que c’étoit un
cod ic ille , c’eft à dire , de fimples feuilles de bois
couvertes de cire & écrites avec une plume de
métal : car quand on écrivoit des cod icilles, on
-écrivoit fans doute des Lettres ; & même ce codic
i lle en feroit une efienciellement, fi la définition
cjue donne Cicéron d’une épitre eft jufte , quand i l
bit que fon ufàge eft de marquer à la perfonne à
qui e lle eft adreflee des chofes qu’i l ignore.
Nous n’ avons de vraiment bonnes Lettres que
ce lles de ce même Cicéron & d’autres grands
hommes de fon temps, qu’on a recueillies avec
le s fîennes , & les Lettre s de Pline : comme les
premières furtout fbnt admirables , & même uniques
, j’efpère qu’on me permettra de m’y arrêter
quelques moments.
I l n’ eft‘ point d’écrits qui faflent tant fie plaifîr
que les Lettres des grands hommes ; elles touchent
l e coeur du leéteur , en déployant celui de l ’ écrivain.
Le s Le ttres'de s beaux génies , des Savants
profonds , des hommes d’É ta t , font toutes ettimëes
clans leur genre different; mais i l n’ ÿ eut jamais
fie co lle& io n , dans tous les genres, égaie à ce lle
de Cicéron, foit qu’on confîdère la pureté du f ty le ,
l ’importance des matières , ou l ’éminence des personnes
qui y font intéreflees.
Nous avons près de m ille Lettres de Cicéron ,
q ui fubfiftent encore., & qu’i l fit après l ’âge de
quarante ans : cependant ce grand nombre ne fait
q u ’une petite partie , non feulement de Celles qu’il
•écrivit, mais même de celles qui furent publiées
après fa mort par fon fecrétaire Tyron . I l y- en a
plufietirs volumes qui fe font perdus ; nous n’avons
plus le premier volume des Lettres de ce grand
homme a Lucinius-Çalvus:; le p r em ie r volume de
ce lle s qu’i l adreflà à Q . Axius; le fécond volume
-de fes Lettres à fon fils ; un autre fécond volume
fie fes Lettres à Cornélius-Népos ; le troifième
livre de celles qu’il écrivit à Jules-Céfar, à O c tave
, a Panfa ; un huitième volume de femblables
fe ttre s a Brutùs ; '& un neuvième à A . Hirtius.
Mais ce oui reud les Lettres dç ÇicérQja ttçsprécïeufes,
c’eft qu’i l ne les deftina jamais à être
publiques ~8c qu’i l n’en garda jamais de copies :
ainfi , nous y trouvons l ’homme au naturel, fans
déguifement & fans affectation ; nous voyons qu’il
parle â Atticus avec la même franchife qu’i l fe
parloit à lui-même, & qu’i l n’entre dans aucune
affairé fans l ’avoir auparavant confulté.
D ’ailleurs , les Lettres de Cicéron contiennent
les matériaux les plus authentiques de l hiftoire de
fon fiè c lé , & dévoilent les motifs de tous les
grands évènements qui s’y paffèrent & dans le f-
quels i l joua lui-même un u beau rôle.
Dans fes Lettres familièrés , i l ne court point
après' l ’élégance ou le choix des termes; i l prend
le premier q ui fe préfente, & qui eft d’ ufage dans
la converfation : fon enjouement eft a i fé , naturel ,
& coule du fujet ; i l fe permet un jo li badinage,
8c même quelquefois des jeux des mots : cependant
, dans le reproche qu’ i l fait à Antoine d’avoir
montré une de fes Lettres , i l a raifon de
lui dire : « Vous n’ignoriez pas qu’i l y a des
» chofes bonnes dans notre fociété , q u i , rendues
» publiques , ne font que folles ou ridicules ».
Dans fes Lettres de compliments, & quelques-
unes font adrefiees aux plus grands hommes qui
vécurent jamais , fon défir de plaire y eft exprimé
de la manière la plus conforme à la nature & â
la raifon', avec toute la délicateffe du fentiment
& de la diétion; mais fans aucun de ces titres pompeu
x, de ces épithètes faftueufes , que nos triages
modernes donnent aux Grands & qu’ ils ont marqués
au coin de la politefle , tandis qu'ils ne présentent
que des reftes de barbarifme , fruit de la
fervitude & de la décadence du goût.
Dans fes Lettrés politiques, toutes fes maximes
font tirées de la profonde connoifiance des hommes
& dès affaires. I l frappe toujours au b u t,
prévoit le danger, & annonce les évènements : Quoe
nunc ufu v en iun t, cecinit ut vates , dit Corùé-
lius-Népos
Dans fes Lettres de recommandation, c’eft la r
bienfaifance , c’ eft le coeur , c’ eft la chaleur du fentiment
qui parle. Voyez L ettres de recommandation.
Enfin, les Lettres qui compofent le recueil donné
fous le nom de Cicéron, me paroiffent d’un prix infini
en ce point particulier, que ce font les feuls
monuments qui fubfiftent de Rome libre : elles fou-
pirent les dernières paroles de la liberté mourante.
L a plus grande partie de ces L e t tr e s ont paru ,
fi l ’on peut parler ainfi, au moment que la république
étoit dans la crife de fa ruine, & qu’i l
fa llo it enflammer tout l ’amour qui reftoit encore
dans le coeur des vertueux & courageux citoyen«
pour la défenfe de leur patrie.
Les avantages de cette conjoncture fauterçnt aux
ieux de ceux qui compareront ces Lettres av«c
ce lles d’un des plus honnêtes hommes & des plus
beaux g.énies qui fe montrèrent fous le rçgne des
empereurs. O n voit bien que j’entends les Lettres
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