
ration d’un enfant , d'un v ieillard , d’un animal,
d’une plante , de la fumée ; ce lle d un forpenc rep
lié en ce r c le , un oe il , une main , quelqu’aucre
partie du corps, un inftrument propre a la guerre
ou aux arts, devinrent autant d’expreflions , d i-
xnages, o u , lî l ’on veut, autant de mots , q ui, mis
à la fuite l ’un de l ’autre , formèrent un aifeours
fuivi.
Bientôt les égyptiens prodiguèrent partout les
Hiéroglyphes : leurs colonnes, leurs obeiifques, les
murs de leurs temples, de leurs p a la is , & de leurs
fépultures, en furent furchargés. S ils érigeoient une
Ihitue à un homme illuftre, des fymbolcs tels que
nous les avons indiqués , ou qui leur étoient analogues
, taillés fur la ftatue même, en traçoient
l ’hiftoire. D e femblables caractères peints fur les
momies, mettoient chaque famille en état de re-
connoître le corps de fes ancêtres ; tant de monuments
devinrent les dépofitaires des connoinances
des égyp:iens.
Us employèrent la méthode hiéroglyphique de
deux façons ; ou en mettant la partie pour le tou t,
ou en lubftituant une chofe qui avoir des qualités
femblables à la place d’une autre. L a première
efpèce forma Y Hiéroglyphe curiologique ; & la fécondé
, 13Hiéroglyphe tropique : la lune , par exemp
le , étoit quelquefois repréfentée par un demi-
cercle , quelquefois- par un cynocéphale. L e premier
Hiéroglyphe eir curiologique , & le fécond
tropique : ces fortes de Hiéroglyphes étoient d’ufage
pour divulguer ; prefque tout le monde en con-
noiffoit la lignification dès la tendre enfance.
L a méthode d’exprimer les Hiéroglyphes tro->
piqu es par des propriétés fimilaires , produifit
des Hiéroglyphes fym b o liq u e s , qui devinrent à la
longue plus ou moins cachés & plus ou moins
difficiles à comprendre. A in fi, l ’on repréfenta l ’É gypte
par un crocodile & par un encenibir allumé,
avec un coeur deffiis. L a fimplicité de la première
repréfentation donne un Hiéroglyphe fym -
Jrolique affez c la ir ; le raffinement de la dernière
offre un Hiéroglyphe fymbolique vraiment énigmatique.
Mais auffitôt que par de nouvelles recherches
on s’avifa de compofer les Hiéroglyphes d?un myf-
térieux affemblage de ehofes différentes, ou de leurs
propriétés les moins connues, alors l ’énigme devint
inintelligible a la plus grande partie de la
nation. A u ffi, quand on éut inventé l ’art de l'éc riture
, l ’ufàge des Hiéroglyphes fe perdit dans la
fo c ié té , au point que le Public en oublia la figni-
fication. Cependant les prêtres en cultivèrent pré-
cieufèment la connoiflance , parce que toute la
fcience des égyptiens fe trouvoit confiée à cette
forte d’écriture. Le s lavants n’eurent pas de peine à
la faire regarder comme propre à embellir les
monuments publics , où Io n continua dé l ’emloyer
; & les prêtres virent avec plaifir qu’ infetffilement
ils réfteroient feuls dépofitaires d’une écriture
qui confervoit les fecrets de la religion.
V o ila comme les Hiérog lyphes, qui dévoient
leur naiffance à la néceffiré, & dont tout le monde
avoir l’ intelligence dans les commencements ,,
fe changèrent en une étude pénible , que\ le
peuple abandonna pour l ’écriture , tandis que
les pi êtres la cultivèrent avec foin & finirent par
la rendre facrée.
Mais je n’ai pas tout dit ; les Hiéroglyphes furent
la fource du culte que les égyptiens rendirent
aux animaux, & cette fource jeta ce peuple dans une
efpèce d’idolâtrie. L ’hiftoire de leurs grandes divinités
, ce lle de leurs rois & de leurs legiflateurs,
fe trouvoit peinte en Hiéroglyphes , par des figures
d’animaux & autres reprélentations ; le fymbole
de chaque dieu étoit bien connu par les peintures
& les fculptures, que l ’on voyoit dans les temples
& fur les monuments confàcrés a la religion. Un
pareil fymbole préfentant donc d l ’elpric l ’idée du
dieu, & cette idée excitant des fentimènes relig ieux,
i l falloit naturellement que les égyptiens dans leurs
prières fe tournaflenc du côté de la marque qui
lervoit a le repréfenter.
C e la dut ftirtoùt arriver, depuis que les prêtres
égyptiens eurent attribué aux caractères hiéroglyphiques
une origine divine , afin de les rendre encore
plus refpeCtables. C e préjugé qu’ils incul-r
quèrenc dans les âmes , introduire. néçeflairement
une dévotion relative pour ces figures fymboliques ;
& cette dévotion ne manqua pas. de fe changer en
adoration directe, auffitôt que. le culte de l’animal
vivant eut été reçu. N e doutons pas due les prêtres
n’ayent eux-mêmes favorifé cette idofatrie.
Enfin, quand les caractères hiéroglyphiques furent
devenus facrés, les gens fuperftitieux les firent graver
fur des pierres précieufes , & les portèrent en façon
d’amulette & de charmes. Cet abus n’eft guère plus
ancien que le culte du dieu Séraphis , établi fous
les Ptolomées : certains chrétiens natifs d’Égypte >
qui avoient mêlé plufieurs fuperftitions païennes
avec le chriftianifme , font les-premiers qui firent
principalement connoître ces fortes de pierres,
qu’on appelle abraxas ; i l s’en trouve dans les
: cabinets des curieux, & on y voit toutes fortes de
caractères hiéroglyphiques.
Aux abraxas ont fuccédé les talifmans , efpèce
de charmes , auxquels on attribue la même efficace
, & pour leiquels on a. aujourdhui la plus
grande eftime dans tous les pays fournis à l ’empire
au grand Seigneur , parce qu’on y a joint comme
aux abraxas les rêveries de l ’Aftrologie judiciaire.
Nous venons de parcourir avec rapidité tous le s
changements arrivés aux Hiéroglyphes depuis leur
origine jufqu’à leur dernier emp loi; c’ eft un fujet
bien intéreflant pour un philofophe. D u fùbftantif
Hiérog lyp he, on a fait l ’adjeCtif Hiéroglyphiquey
[L e chevalier^ DE J A U C QU R T . )
H IS T O IR E , f. f. C ’eft le récit des faits donnés
pour vrais ; au contraire de la F ab le , qui eft le récit
des faits donnés pour faux.
r U
I l y a l ’Hifloire des opinions, qui n’ eft gnères
que le recueil des erreurs humaines ; YHijloire des
a rts , peut-être la plus utile de toutes, quand elle
joint, à la çonnoiffanee de l ’invention & du progrès
des arts, la defeription de leur méchanifme; Y Hijlo ir e
naturelle , improprement dite H ijlo ir e , & qui eft
une partie eiïencielie de la PKyfique.
U Hifloire des évènements fe divife en facrée &
profane. L ’Hijlo ir e facrée. eft une fuite des opérations
divines & miraculeufes, par lefqu elle^ i l a
plu à Dieu de conduire autrefois la nation juive.,
& d’exercer aujourdhui notre foi. Je ne toucherai
point a cette matière refpeCtable.
Les premiers fondements de toute Hijlo ir e font
les récits des .pèrés aux enfants, tranfmis enfuite
d’une génération à une autre ; ils ne font que probables
dans leur origine , & perdent un degré de
probabilité a chaqhe génération. Avec le temps,
la fable ,fe groffit & la vérité fe perd : de là
vient que toutes les origines des peuples font
abfurdes. . Ainfi , les égyptiens avoient été gouvernés
par les dieux pendant beaucoup de fiècies.;
ils l ’avoient été enfuite par des demi-dieux ; enfin
ils’ avoient eu des rois pendant onze-mille trois*
cents quarante ans ; & le f o l e i i , dans cet efpace de
temps,? avait changé quatre fois d’orient & dé couchant.
Les phéniciens prétendoient être établis dans
leurs pays depuis tren te -m ille ans;. & ces trente-
m ille ans écoiènt remplis d’autant de prodiges que
la chronologie égyptienne. O n fait quel merveilleux
ridicule règne dans l ’ancienne Hijloire des
grecs. Les romains, tout férieux qu’ils étoient ,
n’ont pas moins envelopé de fables Y Hijlo ir e de
leurs premiers fiècies. C e pèuple fi récent, en
comparaifon des nations anariques , a été cinq-
cents années fans hijloriens. Ainfi , i l n’eft pas
furprenant * que Romulus ait été le fils de Mars ,
qu’une louve ait été fa nourrice; qu’i l ait marché
avec vingt - mille hommes de fon v illage
de R om e , contre v in g t-c in q - m ille combattants
du v illa g e des Sabins ; qu’enfuite i l foit devenu
dieu; que Tarquin l ’ancien ait coupé une pierre
avec un rafoir ; & qu’une veftale ait tiré à terre un
vaiffeau avec fa ceinture, &c.
Les premières annales de toutes nos nations
modernes ne font pas moins fabuleùfes : les ehofes
prodigieufes & improbables doivent être rapportées,
mais comme des preuves de la crédulité humaine ;
elles entrent dans Y Hijlo ir e des opinions.
Pour connoître avec certitude quelque chofe de
Y Hijloire ancienne , i l n’y a qu’un foui moyen ;
c ’eft de voir s’ i l refte quelques monuments incon-
teftables : .nous n’ enf&avons * que trois par écrit ;
le premier eft le recueil des obforvations aftrono-
miques faites pendant dix-neuf-cents ans de fuite
à Babylone, envoyées par Alexandre en Grèce ,
& employées dans l ’Almagefte de Pcolomée. Cette
fuite d’obfervations , qui remonte à deux - mille
. cent trente quatre ans avant notre ère vulgaire ,
G r a m m . e t L i t t é r a t . Tome I I .
prouve invinciblement que les babyloniens exiC-
toient en corps de peuple plufieurs fiècies auparavant
: caries arts ne font que l ’ouvrage du temps;
& la pareffe , naturelle aux nommes, les la i fie des
milliers d’années fans autres connoiflances & fans
autres talents que ceux de fe nourrir, de fe défendre
des injures de l ’air , & de s’égorger. Qu ’on
en juge par les germains & par les anglois du
temps de Cé far, p a rle s tartares d’aujourdhui , pair
la moitié de l ’A fr iq u e , & par tous les peuples
que nous avons trouves dans 1 Amérique , en exceptant
à quelques égards les royaumes du Pérou & du.
Mexique , & la république de Tlafoala.
L e fécond monument eft l ’éclipfe centrale dit
fo le ii, calculée à la Chine deux-mille cents cinquante
cinq ans avant notre ère vulgaire , & reconnue
véritable, par tous nos aftronomes. I l faut dire la
même chofe des chinois, que des peuples de Ba-
bylone ; ils compofoient déjà {ans doute un vafte
Empire policé . Mais ce qui met les chinois au
deflus de tous les peuples de la terre , c ’eft que
ni leurs lois , ni leurs moeurs , ni la langue que
parlent chez eux les lettrés, n’ont "pas changé
depuis environ quatre-milie ans. • Cependant cette
nation , la plus ancienne de tous lesp eu p le s qui
fobfiftent aujourdhui, ce lle qui a pofledé le p lus
vafte & le plus beau pays , ce lle qui a inventé
prefque tous les arts avant que nous en euffions
appris quelques-uns , a toujours été omife , jufqu’à
nos jou rs, dans nos prétendues Hijlo ir e s unïver-
f e lle s ,- & quand un efpagnoi & un françois fefoient
le dénombrement/des nations, ni l ’un ni l ’autre ne
manquoit d’appeler fon pays la première monarchie
du monde.
L e troifième monument , fort inférieur aux deux
autres , fobfifte dans les marbres d’Arondel : la
chronique d’Athènes y eft gravée deux - cents
foixante trois ans avant notre ère ; mais e lle ne
remonte que jufqu’ à Cécrops , treize - cents dix-
neuf ans au delà du temps où e lle fut gravée.
V o ilà , dans Y Hijlo ir e de toute l ’antiquité, le s
feules connoiflances inconteftables que nous ayons.
I l n’éft pas étonnant -qu’on n’ait point d’H ijlo ir e
ancienne profane au delà d’environ trois - m ille
années. Le s révolutions de ce g lo b e , la longue
& univerfelle ignorance de cet art, qui traafmet
les faits par ré c r itu re , en font caufe : i l y a
encore plufieurs peuples qui n’en ont aucun ufage.
Cet art ne fot commun que chez un très - petit
nofnbre de nations policées , & encore éto it-il en
très-peu de mains. Rien de plus rare chez les
françois chez les germains que de favoir écrire ,
jufqu aux treizième & quatorzième fiècies : prefque
tous le s actes n’étoient atteftés que par témoins.
C e ne fot en France que fous Charles V U , en
14.54 , qu’on rédigea par écrit les coutumes de
France. L ’art d’écrire étoit encore plus rare chez
les efpagnols ; & de là vient que leur H ijlo ir e eft
fi sèche & fi incertaine, jufou’au temps, de F erdinand
& d’Ifabelle. O n voit par là combien l e
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